*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 74801 ***
EXPLORATION
SCIENTIFIQUE
DE LA TUNISIE,
PUBLIÉE
SOUS LES AUSPICES DU MINISTÈRE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE.
* * * * *
=BOTANIQUE.=
RAPPORT SUR UNE MISSION
EXÉCUTÉE EN 1884.
EXPLORATION SCIENTIFIQUE DE LA TUNISIE.
* * * * *
RAPPORT
SUR
UNE MISSION BOTANIQUE
EXÉCUTÉE EN 1884
DANS LE NORD, LE SUD ET L’OUEST
DE LA TUNISIE,
PAR
A. LETOURNEUX,
MEMBRE DE LA MISSION DE L’EXPLORATION SCIENTIFIQUE DE LA TUNISIE,
CONSEILLER HONORAIRE À LA COUR D’APPEL D’ALGER,
ANCIEN VICE-PRÉSIDENT DE LA COUR INTERNATIONALE D’ALEXANDRIE,
OFFICIER DE LA LÉGION D’HONNEUR, ETC.
[Décoration]
PARIS.
IMPRIMERIE NATIONALE.
* * * * *
M DCCC LXXXVII.
En 1883 la Mission botanique dont je faisais partie et que dirigeait
M. le docteur E. Cosson, président de la Commission de l’exploration
scientifique de la Tunisie, avait étudié la végétation de la
partie septentrionale du pays depuis le littoral nord jusqu’à
El-Djem et El-Kef. En 1884, je fus chargé par le Ministre de
l’Instruction publique de visiter la région qui s’étend au sud
des grands Chotts et de remonter ensuite le long de la zone voisine
des Hauts-Plateaux algériens jusqu’au voisinage de Tebessa, tandis
que mes collègues, MM. Doûmet-Adanson, Bonnet et Valéry Mayet
devaient explorer l’île de Djamour au nord, les îles Kerkenna et
de Djerba dans le golfe de la Syrte, ainsi que la région comprise
entre Sfax et Gafsa et le nord des grands Chotts. Je devais aussi,
en me rendant de Bône à Tunis par terre, faire une herborisation
de premier printemps dans la partie supérieure de la vallée de la
Medjerda, spécialement à Ghardimaou. Parti d’Alger le 21 mars,
avec mon préparateur M. Lecouffe, j’accomplis d’abord cette
partie de mon programme avant de gagner Tunis où je fus rejoint par
M. Lataste, membre de la mission, chargé de l’étude des animaux
vertébrés. Nous profitâmes d’un séjour forcé dans cette ville
pour faire une course rapide à Porto-Farina et pour voir le Djebel
Reçaç, où M. Doûmet-Adanson avait herborisé en 1874.
Débarqués ensuite à Gabès, nous avons visité successivement
toutes les parties du Sud tunisien que l’état politique du
pays nous permettait d’aborder : la longue plaine de l’Aradh,
jusqu’auprès de l’Oued Feçi, l’oasis de Zarzis et le grand
relief montagneux du Djebel Demeur habité par les tribus des Matmata,
des Haouaïa et des Ghomrasen, sans pouvoir, à notre grand regret,
pénétrer jusqu’à Douiret et jusqu’aux grands sables des aregs ;
l’oasis d’El-Hamma des Beni-Zid, la plaine qui s’étend entre le
Djebel Tebaga et le Chott El-Fedjedj, puis le nord du Nefzaoua dont
la partie méridionale nous était fermée. Traversant ensuite le
Chott El-Djerid entre Debabcha et Kriz, nous avons parcouru le Beled
El-Djerid de Sedada à Nefta, et suivi le pied du Djebel Cherb oriental
que nous avons traversé pour aller nous ravitailler à Gafsa. Enfin,
gagnant Feriana au nord, nous avons consacré la dernière partie
de notre mission à d’intéressantes recherches sur les plateaux
et dans les forêts de Pins de la frontière, recherches qui se sont
terminées par l’escalade du plateau à pic de Guelâat Es-Snam[1]
et par notre arrivée à Tebessa sur le territoire algérien.
Pendant toute la durée de notre voyage, je me suis scrupuleusement
renfermé dans les limites et dans les termes de la mission
qui m’avait été confiée, et lorsque des circonstances
impérieuses m’ont conduit sur le domaine réservé à mes
collègues, comme à Houmt-Souk et à Gafsa, je me suis soigneusement
cantonné dans la chasse aux Mollusques dont l’étude m’était
spécialement attribuée en collaboration avec mon savant ami,
M. J.-R. Bourguignat[2], ou dans la rédaction de notes relatives au
dialecte berbère de l’île de Djerba.
C’est pour moi, en terminant, un devoir impérieux de signaler le
bienveillant appui qui nous a été prêté aussi bien par M. le
Ministre résident, M. Cambon, et par M. d’Estournelles, son
secrétaire général, que par M. le général Boulanger, commandant
du corps expéditionnaire.
Je serais véritablement ingrat si je pouvais oublier la réception
réellement affectueuse et si hospitalière qui nous a été faite
à Gabès par le colonel de La Roque et par le Ferik Allegro, si je
ne rendais ici hommage à l’accueil cordial que nous avons trouvé
à Kçar El-Metameur auprès de M. le capitaine Rébillet qui nous
a accompagnés chez les Haouaïa et les Ghomrasen, à Tozer auprès
de M. le capitaine du Couret et de M. le lieutenant de Fleurac,
chargé du service des renseignements, à Gafsa auprès de M. le
colonel d’Orcet et du capitaine, chef du même service, à Feriana
auprès de M. le docteur Robert, directeur de l’hôpital militaire
et zélé botaniste, enfin auprès de tous les officiers avec lesquels
nous nous sommes trouvés en rapport.
C’est à ce concert de bonnes volontés et d’actives sollicitudes
que nous avons dû de mener à bonne fin un voyage long et difficile
et de visiter, dans les meilleures conditions, des régions qui
jusqu’ici étaient restées presque en dehors des explorations
scientifiques.
Je dois aussi exprimer ma gratitude à mon excellent ami M. le docteur
E. Cosson, qui a bien voulu me donner le concours de son expérience
et de sa connaissance approfondie de la flore du Nord-Afrique et
vérifier avec moi la détermination de la plupart des plantes
mentionnées dans ce Rapport.
* * * * *
RAPPORT
SUR
UNE MISSION BOTANIQUE
EXÉCUTÉE EN 1884
DANS LE NORD, LE SUD ET L’OUEST
DE LA TUNISIE.
* * * * *
=I=
=D’Alger à Tunis par Ghardimaou.=
Chargé d’explorer le Sud tunisien au point de vue de l’histoire
naturelle et plus spécialement de la botanique, je partais d’Alger,
le 21 mars, avec mon préparateur M. Lecouffe, et le 29, de grand
matin, nous quittions Souk-Ahras pour nous diriger vers la plaine
de la Medjerda par la route des crêtes. Dans l’après-midi nous
faisions halte au milieu des hautes futaies de la forêt algérienne
des Oulad Dhia où, dans une rapide herborisation, je recueillais les
_Doronicum scorpioides_, _Luzula Græca_, _Montia fontana_, _Gagea
villosa_ qui doivent certainement se retrouver dans les forêts
tunisiennes des Ouchteta.
Le lendemain nous quittons, après déjeuner, le camp hospitalier
d’Aïn-Meçran et nous descendons de la montagne par une route
qui serpente au milieu de la forêt. Peu à peu les Chênes-Zehn
s’éclaircissent et finissent par disparaître. La route descend
toujours ; sous l’attaque incessante des incendies, le Chêne-Liège
a succombé malgré sa cuirasse ; on n’aperçoit plus que des troncs
noircis au milieu des Bruyères et des Arbousiers. Après avoir franchi
une dernière crête rocheuse, nous disons adieu à la végétation
arborescente pour traverser des plateaux cultivés. Quelques pas
encore, nous sommes en Tunisie, sans que rien, pas même la présence
d’un douanier, nous en ait avertis.
Nous abandonnons le plateau pour descendre dans la plaine de
Ghardimaou ; sur les dernières pentes, la route se déroule au milieu
des broussailles (_Calycotome villosa_, _Genista tricuspidata_,
_Cistus Monspeliensis_ et _C. salvifolius_), que dominent les
Azeroliers. Je recueille le long des talus les _Orchis tridentata_,
_patens_, _longicornu_, ainsi que l’_Alyssum campestre_, assez
rare en Tunisie. En descendant encore, nous apercevons les premières
rosettes du _Mandragora microcarpa_ que nous rencontrerons désormais
partout et, dans un large ravin, des buissons de _Rhus pentaphylla_[3]
et de _Rhamnus oleoides_ sont couverts de fleurs. Mais la nuit nous
menace, nous nous hâtons de traverser la Medjerda et de gagner les
baraquements de Ghardimaou.
Toute la journée du 31 mars est consacrée à l’herborisation,
d’abord de la plaine basse autour du village, puis des pentes
gazonnées formant talus qui conduisent à un niveau supérieur
d’alluvions plus anciennes. Sur ces pentes croissent quelques
arbustes égarés dans la plaine nue, deux Orchidées (_Ophrys lutea_
et _O. tabanifera_), le _Narcissus Tazetta_, le _Parietaria Lusitanica_
et le curieux _Ambrosinia Bassii_ qui n’avait pas encore été
indiqué en Tunisie.
Dans les moissons, nous signalerons l’abondance des Fumariacées :
_Fumaria agraria_, _F. officinalis_, _F. micrantha_, _F. parviflora_,
_Platycapnos spicatus_.
Nous citerons encore : _Diplotaxis erucoides_, _Iberis odorata_,
_Carrichtera Vellæ_, _Fumana lævipes_, _Althæa longiflora_,
_Aizoon Hispanicum_, _Saxifraga Carpetana_, _Krubera leptophylla_,
_Valerianella discoidea_, _Pyrethrum macrotum_, _Picridium
intermedium_, _Barkhausia taraxacifolia_, _Cynoglossum clandestinum_,
_Myosotis versicolor_ et _Linaria rubrifolia_, ces trois dernières
plantes nouvelles pour la flore tunisienne.
Après le déjeuner, une nouvelle course nous conduit jusqu’au
bord de la Medjerda, dont les berges taillées verticalement dans
l’argile ne nous offrent qu’une végétation insignifiante,
et nous visitons au retour les collines aux tons rouges et violacés
dans le flanc desquelles s’ouvre la grotte peu profonde qui a donné
son nom à Ghardimaou[4]. La roche, très friable, où brillent des
cristaux de sel marin, de plâtre et de magnésie, présente une
végétation spéciale composée presque uniquement d’espèces
halophiles ou méridionales : sur les parois inclinées poussent
le _Pistacia Terebinthus_, le _Genista cinerea_, l’_Artemisia
Herba-alba_, l’_Atriplex Halimus_ qui porte ici le nom classique
du Câprier[5], le _Deverra scoparia_ et de grosses touffes de
_Camphorosma Monspeliaca_, tandis que, sur les débris accumulés au
pied du talus rapide, nous recueillons : _Statice globulariæfolia_,
_Adonis microcarpa_, _Silene nocturna_ et un _Erodium_ jeune qui nous
paraît être l’_E. glaucophyllum_.
Une exploration plus prolongée eût peut-être amené de nouvelles
découvertes, mais le ciel, qui, depuis une demi-heure, se couvrait
de nuages, nous détache comme avertissement quelques larges gouttes
de pluie. Nous fuyons devant l’averse, mais elle nous atteint à
la hauteur des premières baraques de Ghardimaou et nous rentrons à
l’auberge à demi trempés.
Le lendemain, nous prenions le chemin de fer et, après avoir traversé
l’immense et monotone plaine de la Medjerda, coupée près de Beja
par des collines roses et vineuses comme celles de Ghardimaou, au
milieu desquelles la rivière « se recourbe en replis tortueux »,
nous arrivions à Tunis.
=II=
=Excursion au Djebel Reçaç et à Porto-Farina.=
A peine installé à Tunis et après les visites officielles, je me
préparais à prendre le bateau de la côte pour gagner Gabès sans
retard, lorsque l’arrivée de mon collègue M. Lataste, chargé
de l’étude des animaux vertébrés, et la mort du vice-consul de
Sfax, mon ami M. Seignette, auquel j’avais adressé d’Alger le
plus gros de mes bagages, m’imposèrent la nécessité de prolonger
notre séjour d’une semaine.
Quelques promenades au bord du lac, destinées surtout à la
recherche des Mollusques, me donnèrent l’occasion de constater
que le _Cotula coronopifolia_, découvert l’année précédente par
notre président, M. le docteur Cosson, sur la route de la Goulette,
n’était point cantonné dans cette localité et encombrait les
fossés qui pénètrent dans le lac à droite de la ville. Je rapportai
des cimetières le joli _Fagonia Cretica_ et l’_Ammosperma cinereum_
(_Sisymbrium cinereum_).
Le Djebel Reçaç[6], dont les crêtes dentelées découpent
l’horizon au sud-est de Tunis et semblent inaccessibles, exerce sur
tous les voyageurs une attraction invincible ; aussi, bien qu’il
ait déjà été exploré, nous ne pouvons résister au désir de
lui faire, à notre tour, une visite ; nous pouvions d’ailleurs
espérer qu’au point de vue zoologique nos efforts ne seraient pas
entièrement stériles.
Le 4 avril, dès l’aube, nous partons, conduits par un automédon
indigène qui nous amène rapidement à l’établissement des mines de
plomb qu’exploite une société italienne. L’accueil du personnel,
froid d’abord, devient gracieux dès qu’il est manifeste que nous
sommes, non des ingénieurs, mais de simples naturalistes. On nous
procure un ouvrier sans ouvrage pour porter le déjeuner et l’eau
dont la montagne est complètement dépourvue, et l’ascension
commence. Nous suivons un sentier qui s’élève doucement le long
de la pente au milieu de blocs détachés, où vivent des espèces
intéressantes de Mollusques, et nous amène bientôt au-dessous
d’une coupure formant col entre deux massifs aux flancs abrupts. Nous
abandonnons la route pour grimper au milieu d’un taillis clairsemé,
soulevant les pierres où se cachent des colonies d’Hélices et
où mon collègue M. Lataste découvre un petit peuple de fourmis
qui s’est construit un véritable gâteau de cellules en carton
brunâtre. Puis nous obliquons à droite pour suivre jusqu’au col
le pied des roches calcaires dont les fentes prêtent leur abri à la
plupart des plantes que nous avons recueillies l’année précédente
au Djebel Bou-Korneïn et qui avaient été rapportées du Djebel
Reçaç même par M. Doûmet-Adanson dans sa première mission.
Nous citerons seulement : _Brassica Gravinæ_, _B. insularis_, trouvé
il y a trente ans par nous au Djebel Edough près Bône, _Vicia
leucantha_, _Tordylium Apulum_ très abondant, _Valeriana tuberosa_,
_Anthemis punctata_, _Eufragia latifolia_, _Scrofularia lævigata_,
_Euphorbia dendroides_, _Ophrys Speculum_, _Carex gynobasis_, mais
nous recueillons surtout avec plaisir un magnifique _Erodium_ qui
doit être le type du _Geranium geifolium_ de Desfontaines.
Parvenus au col, nous nous abritons derrière un rocher, dans un coin
chauffé par le soleil, pour déjeuner en paix et prendre ensuite
quelques minutes d’un repos délicieux en face d’un splendide
panorama.
Mon collègue nous quitte bientôt avec le guide pour escalader
la dernière cime et redescendre par la mine, tandis qu’avec mon
préparateur j’explore, non sans peine, le versant oriental plus
riche en Mollusques qu’en plantes.
A cinq heures nous rentrions à l’établissement où nous retrouvions
notre cocher et la voiture déjà attelée.
Dès le lendemain nous étions invités par M. le Consul de France
et par M. le commandant Coÿne à les accompagner dans une excursion
rapide à Porto-Farina et nous partions après le déjeuner. Nous
traversâmes rapidement les abords assez tristes de Tunis et nous nous
engageâmes dans la zone d’Oliviers qui s’étend, avec de légers
ressauts, jusqu’à Bordj-Sebala. Déjà le _Cyclamen Persicum_
étalait ses fleurs roses au milieu des buissons de _Zizyphus Lotus_
et l’_Ornithogalum Narbonense_ dressait dans les moissons son épi
à peine épanoui ; le printemps s’annonçait par la tiédeur douce
de l’atmosphère. Une pente presque insensible nous amena jusqu’à
la plaine de la Medjerda, d’une uniformité monotone. Nous devions
coucher au caravansérail qui s’élève à l’entrée du vieux
pont sous lequel l’antique Bagrada roulait ses eaux aussi jaunes
que celles du Tibre. Mais, après examen des lieux et délibération,
dans la crainte d’un mauvais souper et surtout d’un mauvais gîte,
il fut décidé que l’on pousserait jusqu’à Porto-Farina.
Après quelques instants de repos accordés à nos chevaux un
peu essoufflés et que j’employai à recueillir les coquilles
abandonnées sous les arches du pont par la dernière crue, nous
reprîmes notre course en suivant une piste assez mal tracée le
long des méandres de la rivière. La plaine argileuse commençait
à peine à verdoyer ; dans les bas-fonds s’élevaient, rares et
drues, de belles touffes de grandes Graminées. Le soleil baissait
et teignait déjà d’une couronne fauve le Djebel Ahmar, lorsque
je recueillis au bord de la route des pieds fleuris de _Lepidium
Draba_. Enfin, des arbres et quelques buissons, au milieu desquels
la route était transformée en bourbier, surgirent devant nous,
puis se montrèrent les jardins et les rues sales d’un village
dont nous eûmes grand’peine à sortir. De l’autre côté,
c’était pis encore : la voie étroite était une vasière, les
branches des arbres et des buissons épineux, que l’obscurité
naissante ne nous permettait pas d’éviter, nous fouettaient le
visage. Aussi est-ce avec bonheur que nous retrouvâmes la prairie
et que nous finîmes par atteindre le pied du coteau qui longe la
lagune à l’ouest. Malheureusement les chevaux, épuisés par une
course rapide et continue, n’avançaient que lentement. Il fallut
descendre et la route s’acheva à pied au bruit doux et rythmé
du flot qui venait mourir lourdement sur un matelas brun d’herbes
marines. Quelques grands édifices détachaient de temps à autre
leur silhouette blanchâtre dans la nuit déjà sombre. Au-dessus
du lazaret une Effraie jetait son cri sinistre. Enfin les maisons de
la ville se montrèrent des deux côtés d’une rue et nous fûmes
introduits dans un vieux palais où nous étions attendus. Après un
souper bien gagné, nous nous étendions sur les coussins dorés et
les couvertures bariolées du khalifa.
Le lendemain à l’aube, pendant que mes compagnons prolongeaient leur
nuitée, j’allai faire un tour au bord du lac. De grands carrés de
Pavots, aux fleurs multicolores, promettant une récolte abondante
d’opium, s’étendaient entre les maisons aux murs gris et les
restes de remparts ruinés ; la ruine antique ou moderne, surtout la
ruine récente, est la caractéristique de la Tunisie. Au bout d’une
courte promenade, je rentre au Dar-el-Bey pour prendre le café et me
dirige ensuite vers les ravins, guidé par un des notables du pays,
excellent homme, qui me donne le nom arabe de toutes les plantes que
nous rencontrons, avec des renseignements sur leur emploi dans la
pharmacopée indigène.
La végétation de Porto-Farina m’offre une assez grande variété de
plantes vulgaires. J’y observe cependant les espèces suivantes dont
quelques-unes sont nouvelles pour la Tunisie : _Vaillantia hispida_,
_Trifolium nigrescens_, _Phagnalon sordidum_, _Lavatera maritima_,
_Genista aspalathoides_, _Orobanche Eryngii_, _Silybum Marianum_,
_Euphorbia peploides_, _Gymnogramme leptophylla_.
Je remarque que l’_Oxalis cernua_ s’est naturalisé à Porto-Farina
comme aux environs d’Alger.
Il faut songer au retour. Nous reprenons la route de la plaine, non
sans faire quelques stations au bord du lac où, près du lazaret, je
recueille plusieurs Mollusques nouveaux ou rares pour la faune du pays.
Un peu plus loin, je rencontre une très jolie variété bulbifère
de l’_Allium roseum_.
Pendant que le commandant et le consul filent directement sur Tunis,
nous prenons la direction d’Utique où nous devons déjeuner et
coucher au Bordj de Ben-Ayat. La faim nous pousse à traverser
les ruines sans y recueillir d’autre plante que l’_Œnanthe
globulosa_. Nous nous promettions de consacrer notre après-midi à
une exploration plus complète des restes de cette ville célèbre,
mais à peine, à l’issue du déjeuner, avions-nous parcouru les
anciennes citernes qu’un exprès, dépêché par nos amis, vient
nous inviter à les rejoindre à Bordj-Sebala, où la fatigue de leur
attelage les avait contraints à s’arrêter.
Nous interrompîmes, non sans regret, notre promenade et allâmes au
café maure de Bordj-Sebala partager le dîner de nos compagnons. Nous
ne tardâmes pas à y recevoir l’invitation d’aller passer la
nuit au palais bâti par Kheïr-ed-Din, ce ministre qui avait conçu
l’idée, généreuse mais impraticable, de régénérer l’Islam par
l’Islam lui-même en empruntant aux nations chrétiennes leurs arts
et leurs sciences. Après avoir échappé aux morsures des chiens de
garde, nous franchîmes deux vastes cours silencieuses pour entrer dans
une grande salle au plafond sculpté, flanquée d’une longue galerie
aux caissons de bois merveilleusement fouillés et dorés, largement
ouverte sur des jardins pleins d’arbres en fleurs ou en fruits.
Ce palais, tout récent encore, désert et déjà voisin de la
décrépitude, avait un aspect triste et un peu moisi. Les Orangers
continuaient à pousser avec une luxuriante vigueur. Les hommes
passent, les palais s’écroulent, les arbres restent.
Le lendemain les rayons gris de l’aube nous réveillaient sur
notre froide couche, et deux heures plus tard nous étions de retour
à Tunis.
=III=
=Gabès. — Les Matmata.=
Le 10 avril, après une traversée assez tourmentée, nous débarquions
à Gabès, et le colonel de La Roque nous installait chez lui à
Djara-Kebira.
Quelques jours furent employés à dresser nos plans de campagne,
à faire nos préparatifs, à parcourir rapidement l’oasis et à
voir Ras-el-Oued dont le commandant nous fit une réception cordiale,
mais un peu trop solennelle.
Gabès et ses environs ont déjà été assez bien explorés par
notre excellent ami M. Kralik, pour que nous n’ayons pas à nous en
occuper au point de vue de la flore. Nous nous réservons, du reste,
d’étudier, dans un travail spécial, les oasis du Sud tunisien et
leurs cultures.
Nous nous bornerons à signaler la présence, sur les bords de l’Oued
Gabès, du _Carex extensa_ assez commun dans le Nord-Afrique, mais que
l’on ne devait guère s’attendre à rencontrer dans une station
aussi méridionale.
Il avait été convenu que nous irions d’abord visiter les Matmata et
leurs habitations souterraines avant d’entreprendre une exploration
du sud de l’Aradh.
Le 19 avril, dès le matin, nous passions à Ras-el-Oued pour prendre
une escorte ; nous abordions ensuite une plaine légèrement ondulée,
parsemée de buissons de _Rhus oxyacanthoides_ et de _Zizyphus Lotus_
avec quelques touffes de _Retama Rætam_ (Retem), à laquelle succède
un terrain entièrement plat et couvert de _Rhanterium suaveolens_,
de _Lygeum Spartum_ que l’on affuble ici du faux nom de Halfa, de
_Thymelæa hirsuta_, de _T. microphylla_ et de _Peganum Harmala_. Les
buissons reparaissent dans le lit desséché de l’Oued Tour (rivière
du Bœuf) que nos guides appellent aussi Oued Ftour (la rivière
du Déjeuner), où nous faisons la grande halte et où je recueille
une série de plantes qui me rappellent les plaines sahariennes de
l’Algérie :
Matthiola oxyceras DC. var. basiceras.
Sisymbrium erisymoides Desf.
Muricaria prostrata Desv.
Silene setacea Viv.
Argyrolobium uniflorum Jaub. et Spach.
Anthyllis tragacanthoides Desf.
Hippocrepis bicontorta Lois.
Daucus pubescens Koch.
Cyrtolepis Alexandrina DC.
Centaurea furfuracea Coss. et DR.
Atractylis prolifera Boiss.
Zollikoferia resedifolia Coss.
Euphorbia glebulosa Coss. et DR.
Asphodelus tenuifolius Cav.
Trisetum pumilum Kunth.
L’_Astragalus Kralikianus_ Coss., le _Rhanterium suaveolens_,
le _Deverra tortuosa_ et l’_Anarrhinum brevifolium_ donnent un
caractère plus spécialement tunisien à la florule de cet oued.
La plaine continue à s’étendre devant nous ; les plantes
caractéristiques sont le _Rhanterium_, le Chihh (_Artemisia
Herba-alba_) et le _Thymelæa microphylla_. Elle se termine enfin
à un col rocheux dominé par un piton que surmonte un signal et au
pied duquel se montrent quelques moissons habitées par des lièvres
que poursuivent en vain nos cavaliers.
Derrière le rideau rocheux des collines s’élève le marabout
de Sidi-Guenao avec une curieuse koubba à étages et une zaouïa
très fréquentée.
El-Aïachi raconte que la réputation du saint attire de nombreux
pèlerins qui apportent beaucoup d’offrandes et les déposent dans
des chambres en dehors de la mosquée. Les visiteurs qui surviennent
mangent ces victuailles suivant leurs besoins, mais ils ne peuvent
rien emporter ; quiconque essaierait de le faire tomberait malade
immédiatement. Le fait est bien connu de tout le monde, ajoute le
crédule voyageur.
Nous campâmes entre la zaouïa et quelques grands arbres (Dattiers
et Oliviers) qui rompent seuls par leur verdure la monotonie et
l’aridité du paysage. Des cavaliers chargés de la perception de
l’impôt, en nous offrant un lièvre pris par leurs slouguis,
dispensèrent nos gens d’avoir recours à la générosité
problématique des maîtres de la zaouïa.
Les environs de Sidi-Guenao, si désolés qu’ils fussent,
m’offrirent cependant quelques plantes à noter, telles que :
_Anchusa hispida_, _Arnebia decumbens_ et surtout le bel _Onopordon
Espinæ_ Coss. et l’_Enarthrocarpus clavatus_.
Le lendemain, nous partons de bonne heure et prenons en écharpe une
plaine légèrement ravinée, avec de maigres buissons parmi lesquels
nous dérangeons des gazelles. Nous aboutissons à la gueule évasée
d’un grand ravin, aux berges terreuses, qui s’enfonce entre
des collines semées de pierres, mais ne présente pas de couches
puissantes de roches.
Ces collines basses, aux pentes raides, sont le dernier effort et
comme l’épatement écrasé de la longue chaîne parallèle à
la mer, qui a son point culminant chez les Haouaïa et se continue
jusqu’au piton détaché de Douiret, avant de se courber à l’est
vers la Tripolitaine.
Le fond de l’oued que nous remontons et les ravins latéraux sont
barrés par des digues en terre, quelquefois consolidées au moyen
d’une maçonnerie grossière et munies sur l’un des côtés
d’un déversoir en pierres sèches. Les eaux des pluies déposent
leurs limons dans les cuvettes ainsi préparées qui deviennent des
vergers, et l’on voit émerger au-dessus des chaussées la haute
tige des Palmiers, la verdure pâle des Oliviers et la tête aplatie
de quelques Figuiers. On sème sous les arbres un peu d’orge qui
arrive quelquefois à maturité quand les pluies sont abondantes.
Ces gradins de verdure réjouissent l’œil attristé par la
végétation triste et grise des collines dont le Romarin, le _Lygeum
Spartum_, l’_Andropogon hirtus_, le vulgaire _Hordeum murinum_, le
_Polygonum equisetiforme_, le _Linaria fruticosa_, quelques buissons
rabougris de _Calycotome intermedia_ et le _Gymnocarpos decandrum_
composent le fond monotone.
Cependant, vers huit heures et demie, nous arrivons à une expansion
assez large de la vallée ; tandis que les collines se maintiennent
à droite hautes et raides, elles s’écartent sur la gauche, et
l’escarpement des berges permet de constater que de ce côté la
formation rocheuse est recouverte par un énorme empâtement de marne
argileuse compacte et d’un gris jaunâtre, sillonné par quelques
ravinements. C’est là qu’on nous signale, au milieu de rares
Dattiers, le village de Zoualligh, mais nos regards ont beau fouiller
le terrain, aucune maison n’apparaît. Tout à coup nos chevaux
reculent ; nous sommes sur le bord d’un énorme puits circulaire
au fond duquel s’ouvrent des portes latérales ; de grandes jarres
garnissent les parois, des amas de bois à brûler s’y accumulent,
du linge y est étendu pour sécher ; deux enfants barbouillés s’y
poursuivent en criant. Le fond du puits est une cour : nous sommes
chez les troglodytes.
Nous descendons de cheval et pénétrons dans un ravinement formant
couloir à l’air libre et taillé de manière à simuler un
corridor. De chaque côté une chambre souterraine sert de magasin
ou d’écurie. Au fond du corridor une porte en ogive solidement
fermée, et qui ne s’ouvre qu’après de longs pourparlers, donne
accès dans une vaste pièce souterraine en rotonde un peu allongée,
qui est le vestibule (_skifa_) et aboutit au fond du puits que nous
avons aperçu d’en haut. Une rigole reçoit les eaux de pluie et
les conduit à travers la _skifa_ et le couloir jusqu’au ravin. Des
sept pièces dont les portes donnent sur la cour, trois sont des
chambres à coucher, une sert d’atelier de tissage, une autre de
cuisine et les deux dernières d’étable ou de magasin. Toutes,
à l’exception de la cuisine, qui est de forme irrégulière, sont
taillées en voûte et forment de véritables casemates dans la masse
marneuse compacte et sèche.
L’habitation n’est occupée, en ce moment, que par trois femmes
déjà mûres, c’est-à-dire horribles, et par des enfants, mais elle
comporte trois ménages. Les jarres les plus grandes, tressées en
folioles de Dattier, servent de grenier pour l’orge, le froment et
les fèves. Des jarres en poterie, de moindre dimension, contiennent
l’eau potable puisée à une citerne voisine et soigneusement
ménagée. La cour, la cuisine, l’atelier de tissage et les magasins
sont en commun et n’offrent rien de remarquable que la simplicité
d’un aménagement tout à fait primitif. Les chambres à coucher,
que l’on ne nous montre qu’après de nouveaux pourparlers (sans
doute à cause de l’absence des maris), nous étonnent par leur
propreté scrupuleuse et par un certain luxe d’ornementation. Les
lits sont établis sur un bâti en bois ou en maçonnerie légère et
garnis de couvertures aux vives couleurs. Tout le fond de la chambre
est couvert de plats et d’assiettes en terre vernissée, de petits
miroirs de toutes les formes et même d’épis de maïs rouges et
jaunes artistement disposés sur la muraille.
Ces chambres, chaudes en hiver, fraîches en été, aux parois
lisses et polies qui n’offrent ni refuge aux insectes, ni asile
aux scorpions, sont certainement beaucoup plus confortables que des
maisons en pierres et en bois de Palmier et leur seraient de tout
point préférables si elles n’exposaient leurs habitants à subir,
sans moyens de défense bien sérieux, les attaques et les vexations
tyranniques de leurs voisins les nomades.
Cependant la conversation s’était engagée avec nos hôtesses :
quelques compliments, d’autant mieux reçus qu’ils étaient moins
mérités, et quelque monnaie distribuée aux enfants avaient fait
disparaître toute contrainte, et ces dames ne voulurent point nous
laisser partir sans nous offrir les dattes et le lait, mets dont le
proverbe arabe attribue le privilège à l’amitié[7]. Le procédé
était certainement fort honnête, mais quelles dattes, grand Dieu !
En allant rejoindre nos montures, nous visitâmes un petit jardin
où le _Carduncellus eriocephalus_ menaçait d’étouffer les plants
d’oignon.
Sur le col voisin on a creusé dans la marne glaiseuse une citerne
en forme de bouteille au large goulot, dont l’ouverture se ferme
hermétiquement à l’aide d’une planchette cachée dans une cage
latérale et actionnée au moyen d’une gigantesque clef en bois. Dans
ces montagnes désolées, où il n’y a ni sources ni cours d’eau
permanent, la citerne est une nécessité de premier ordre.
Sortis du village de Zoualligh, nous continuons à remonter le lit de
la rivière ; les montagnes se rapprochent bientôt et la formation
marneuse s’amincit rapidement. Nous apercevons à droite les murs
de la zaouïa de Sidi-ben-Aïssa au-dessus de laquelle une crête
rocheuse est surmontée par le village de Guelâa-ben-Aïssa. Les
maisons, bâties en pierrailles noyées dans un mortier d’argile,
sont presque toutes posées sur des bandes de rochers de quelques
mètres d’épaisseur où s’ouvrent, comme des gueules noires,
des portes de magasins ou d’étables. Ici les bestiaux seuls sont
troglodytes.
Nous déjeunons au pied de quelques Dattiers près de l’oued et
nous décidons de pousser jusqu’à Taoudjout, village du groupe des
Matmata qui parlent berbère et qui est situé du côté opposé de
la montagne.
Nous suivons un long ravin latéral où s’étagent d’abord
une série de ces jardins, avec chaussées et cuvettes, que nous
avons déjà décrits, mais qui ne tarde pas à se rétrécir et à
s’obstruer de couches de pierres en escalier. Nos mulets glissent
sur la surface polie ; cependant nul accident sérieux ne se produit
et, arrivés au col, nous prenons sur le revers opposé un ravin moins
accidenté qui ne tarde pas à se peupler de vergers et nous amène de
bonne heure jusqu’au mamelon au sommet duquel s’élève Taoudjout.
Dans le trajet, je constate dans les fentes des rochers l’_Anthyllis
Henoniana_, nouveau pour la Tunisie, et le charmant _Teucrium
Alopecuros_ De Noé, découvert en Tunisie par mon excellent ami
M. Kralik, qui n’en avait recueilli que deux pieds au Djebel Aziza.
A Taoudjout nous campons, au-dessous du village, sur un petit col et
près d’une citerne, dont un notable du village vient nous remettre
la clef en cérémonie.
J’ai le temps avant la nuit d’aller faire une herborisation dans
les moissons voisines, où je retrouve encore l’_Onopordon Espinæ_
avec le _Rœmeria Orientalis_, le _Kœlpinia linearis_, le _Plantago
ovata_ et l’_Astragalus peregrinus_, nouveau pour la Tunisie.
Le 21 avril, notre convoi est dirigé sur Tamezret, tandis que
nous allons visiter le village de Zeraoua. De ce côté le massif
s’abaisse un peu, les pentes sont moins âpres, la route plus facile
jusqu’au piton isolé au sommet duquel est plantée fièrement
Zeraoua qui rappelle exactement certains villages kabyles. Tout y est
organisé pour la défense ; des passages couverts conduisent aux rues
intérieures ; les maisons, dans la construction desquelles les poutres
de palmier jouent un grand rôle, ont chacune un vestibule et une cour
sur laquelle s’ouvrent les chambres surmontées de terrasses. La
réception est très cordiale et j’y prends une leçon de berbère
fort intéressante. Les habitants insistent beaucoup pour nous retenir
à déjeuner, mais nous sommes attendus à Tamezret. Nous remontons à
cheval, et après avoir descendu la pente du piton, nous nous engageons
dans de vrais sentiers de chèvres, le long desquels je récolte
l’_Erodium arborescent_ ainsi que le _Zollikoferia quercifolia_
et retrouve le _Teucrium Alopecuros_. Je suis fort étonné de voir
tout près de là, sur le versant méridional d’une colline, de
belles touffes du _Stipa tenacissima_, le véritable _Halfa_ que je
n’avais pas encore trouvé dans la région du Sud et qui, d’après
les habitants, s’étend sur le plateau jusqu’en Tripolitaine.
Enfin nous débouchons, par un sentier horriblement escarpé et
difficile, au pied d’une pente rocheuse que couronne le grand
village de Tamezret, remarquable par son étendue, ses koubbas
blanches et, dit-on, aussi par l’esprit indépendant et hargneux de
ses habitants. C’est du moins ce qu’affirment les gens de notre
convoi qui ont eu des discussions avec les notables au sujet du lieu
de campement et qui sont allés s’établir assez loin du village,
du côté de l’est.
Dans toute cette partie de la montagne, abrupte et garnie de longues
dalles rocheuses, quelques bas-fonds seuls peuvent être utilisés
pour la culture au prix de travaux immenses, et souvent, hélas ! bien
mal récompensés.
Les vergers et les rares moissons n’offrent guère que les
plantes vulgaires de la plaine, dont les graines ont sans doute
été apportées avec le blé ou l’orge au temps des semailles ;
mais tout près du campement, le flanc du coteau, formé tout entier
d’une immense table de pierre, présente une série de petites
espèces intéressantes pour la région : _Clypeola Jonthlaspi_
var. _microcarpa_, _Biscutella Apula_ var., _Silene apetala_,
_Polycarpon tetraphyllum_, _Galium setaceum_, _G. Parisiense_,
_Vaillantia lanata_, _Linaria simplex_ et _Lamarckia aurea_.
Dès l’aube du 22, nous quittons Tamezret sans regret ; un sentier,
moins scabreux que je ne le craignais de prime abord, nous promène
à travers des collines d’une stérilité toujours aussi monotone
et nous finissons par déboucher dans une sorte de vallée épanouie
à son sommet et occupée par un vaste dépôt de l’inévitable
marne argileuse d’un gris jaunâtre ; elle est cerclée par une
ronde de collines aux pentes adoucies, dominées au sud-est par une
guelâa que surmonte, en forme de casque, un énorme rocher d’une
pierre calcaire qui sonne comme du métal. Dans cet immense bas-fond
aux ondulations émoussées, où le vent du sud agite les palmes de
Dattiers clairsemés et fait frissonner quelques carrés de moissons
déjà jaunissantes, on n’aperçoit que deux ou trois koubbas d’un
blanc éclatant, une zaouïa carrée également éblouissante de chaux
récente, un pressoir à huile aux arcades murées et enfin les voûtes
inachevées d’un édifice destiné à servir de harem aux femmes
du chef. Si nous n’avions pas eu l’expérience de Zoualligh,
nous n’aurions jamais pu supposer que nous étions arrivés à la
capitale (Beled-Kebira) des Matmata, et que nous avions littéralement
sous les pieds toute une population de plus d’un millier d’hommes.
Tout à coup surgit du sol comme d’une trappe Sid-Ali-ben-Ahmed,
le chef du pays, qui nous fait camper au-dessus d’un de ses magasins
et nous comble tous de lait, de miel et d’un couscous assez pimenté
pour ramener de la périphérie à l’estomac l’activité vitale
que le _guebli_[8] avait attirée à la peau.
Une exploration rapide des environs du campement nous procure une
récolte assez abondante où, parmi une foule de vulgarités
ubiquistes, nous trouvons à signaler : _Reseda Arabica_,
_R. Duriæana_, _Coriandrum sativum_ subspontané ?, _Eryngium
ilicifolium_, _Chamomilla aurea_, _Amberboa Lippii_, _Centaurea
Melitensis_, _C, contracta_, _Heliotropium undulatum_, _Anchusa
hispida_ et _Teucrium Alopecuros_.
Nous partons ensuite, sous la conduite du fils du chef, pour
visiter le piton de la guelâa : il faut d’abord traverser, avec
d’infinies précautions et des détours sans nombre, la région des
puits creusés par ces taupes humaines, gravir par un sentier ardu
la base du mamelon et choisir ensuite un point propice pour escalader
les assises horizontales de la roche ; nous atteignons enfin un petit
plateau allongé, encombré de quelques ruines sans caractère.
De ce sommet, nous entrevoyons, dans la brume laiteuse que forme
la poussière soulevée par le _guebli_, un chaos de hautes cimes
stériles qui se perdent en ondulations de plus en plus confuses vers
le sud et l’est. Du côté du nord, au contraire, la montagne ne
conserve sa hauteur que sur notre gauche et se dégrade peu à peu
en simples collines qui aboutissent à la plaine nue et grise de
l’Aradh sur laquelle, au loin, se dessinent vaguement quelques
taches brunes qui sont des oasis.
Tout autour de la base du rocher sont accumulées des ruines de
différents âges. Parmi des murs sans ciment et des terrasses à
demi effondrées, se dressent un reste de voûte et une haute arcade
qui ont conservé un cachet d’élégante grandeur. Il est probable
qu’à une certaine époque il y a eu lutte parmi les Matmata entre
les bâtisseurs et les fouisseurs, lutte qui a peut-être été
compliquée d’une question religieuse et qui a dû se terminer par
l’émigration des vaincus.
L’exploration des flancs de cette citadelle naturelle nous
procure un certain nombre de plantes qui manquent à la plaine ainsi
qu’à la région des collines : _Geranium molle_, _Ruta bracteosa_,
_Umbilicus horizontalis_, _Caucalis cærulescens_, _Galium petræum_,
_G. Bourgæanum_, _Vaillantia muralis_, _Callipeltis Cucullaria_,
_Celsia laciniata_ type et variété, _Ephedra fragilis_[9].
Cependant le vent augmente de violence et l’approche de la nuit
nous invite à regagner prudemment notre tente.
Cette fois, nous traversons le cimetière. Chose remarquable : la
plupart des peuples ont creusé des caveaux et des catacombes pour
leur confier leurs morts ; les Matmata ont leurs sépultures en plein
soleil et ce sont les vivants qui sont les hôtes des hypogées !
L’étape est courte aujourd’hui, 23 avril, car nous devons coucher
au village de Hadedj[10]. En quittant Beled-Kebira, je remarque le
long de la route une sorte de muraille, fréquente dans la région
des Hauts-Plateaux, qui accompagne presque partout dans le Nord de
l’Afrique les monuments mégalithiques et qui est pour nous le signe
et l’une des preuves de leur origine berbère. Ce mur est constitué
par deux lignes parallèles de pierres brutes plantées dans le sol.
La route, très douce, descend presque constamment ; les
assises rocheuses se font de plus en plus rares sur les monticules
décroissants et la puissante formation d’argile marneuse s’accuse
partout, offrant à la pioche des troglodytes les meilleures conditions
pour établir leurs puits et leurs casemates.
Un oued asséché, aux cailloux blancs, forme la limite du territoire
de Beled-Kebira. Sur la rive nous attend Si-Sassi-Fetouch, orné de
deux nichans et flanqué de ses trois fils, beaux garçons un peu gras,
superbement drapés dans leurs haïks djeridis. La figure grave de
Sassi-Fetouch, sa parole brève et un peu rude dénotent la franchise
et annoncent l’énergie. Nous causons amicalement jusqu’au lieu
désigné pour le campement et je suis étonné de la netteté et de
la rectitude de ses appréciations.
Comme Beled-Kebira, Hadedj se dissimule aux regards : il faut
arriver à l’orifice des excavations pour les apercevoir. Quelques
Dattiers, quelques Oliviers se montrent çà et là au-dessus du
sol où végètent seules quelques-unes de ces plantes rudérales,
cortège habituel de l’homme.
En dehors de ces vulgarités, je ne trouve à noter que : _Haplophyllum
tuberculatum_, _Anthyllis Henoniana_ (déjà signalés et que nous
retrouverons dans toute la région), _Linaria laxiflora_, _Stipa
parviflora_, et surtout le beau _Carduncellus eriocephalus_.
Hadedj ne possède comme édifice qu’une modeste mosquée, mais la
maison souterraine où je vais rendre visite à Sassi-Fetouch et qui
n’est pas du reste une véritable habitation, mais un lieu officiel
de réception (le _Selamlik_ turc ou le _Dar-diaf_ arabe), sort
des règles ordinaires et présente un type spécial. L’excavation
centrale, au lieu d’être ronde, est carrée et si l’on peut monter
du ravin jusqu’à la cour par une _skifa_ voûtée, on peut aussi y
descendre directement par un perron ménagé dans la masse marneuse
et entaillé de degrés. Deux casemates ornées de canapés et de
matelas servent de chambres d’audience, un cafetier est installé
dans une troisième.
Nous sommes évidemment en présence d’une civilisation plus
avancée que celle que nous avons rencontrée jusqu’ici chez les
Matmata. Bien que leur capitale soit Beled-Kebira et que leur chef
officiel soit Sid-Ali-ben-Ahmed, Sassi-Fetouch, plus intelligent et
plus fier à la fois, exerce une influence au moins égale. On sent
en l’écoutant quel patriotisme ardent l’anime : il ne cache pas
sa haine contre les Matmata qui ont abandonné les _trous_ de leurs
ancêtres pour se construire des villages de pierre sur les hauts
lieux. Ce sont, d’après lui, des Berbères dégénérés qui
d’ailleurs ne craignent pas de pactiser avec les Arabes nomades,
de les introduire dans le pays sous prétexte de çof et de favoriser
les exactions de ces pillards contre leurs frères des hypogées
nationaux. Il invoque l’aide et la protection de la France pour
s’affranchir d’un joug inique. Il compte sur sa justice pour
assurer la sécurité aux populations paisibles et conserver aux
montagnards la libre jouissance de la montagne.
Je le quitte pour faire une course vers l’est dans les dépressions
où poussent des Oliviers et où, malgré la sécheresse, croissent
quelques céréales. Je constate, comme à Taoudjout, comme à
Beled-Kebira, que les plantes des moissons sont presque toutes
adventives, que leurs graines ont été apportées de la plaine et
qu’elles ont crû avec le blé et l’orge, donnant une végétation
variée comme leur origine. Ainsi, en compagnie des _Anagallis
arvensis_, _Lithospermum arvense_, _Torilis nodosa_, _Bromus rubens_,
_Galium tricorne_, _Avena barbata_, _Papaver Rhœas_, _P. hybridum_,
déjà rencontrés dans tous les champs, nous recueillons le _Neslia
paniculata_, le _Silene nocturna_, le _Scandix Pecten-Veneris_, le
_Bifora testiculata_ et le _Lotus pusillus_, nouveaux venus apportés
évidemment d’une région différente.
L’_Ervum Lens_, qui, déjà à Taoudjout, apparaissait comme
subspontané, s’est ici tellement acclimaté qu’il abonde partout
et forme pour ainsi dire le fond de la végétation dans les champs
cultivés.
Le 24, au matin, nous sommes sur pied de bonne heure. Sassi-Fetouch
et ses trois fils viennent nous faire leurs adieux et nous tenir
l’étrier. Je ne me sépare pas sans regret de ces braves gens,
représentants d’une noble et vieille souche berbère dont les
rameaux occupent encore, jusque dans la Tripolitaine et le Fezzan[11],
les montagnes où leurs ancêtres creusaient déjà leurs casemates au
temps des premiers comptoirs puniques. Il faut admirer la fidélité
pieuse avec laquelle ils ont conservé jusqu’à nos jours les
traditions et les vertus obstinées de leur race.
Notre route est désormais facile : la vallée que nous descendons
s’élargit, les crêtes rocheuses s’éloignent à l’horizon, la
rivière sans eau que nous franchissons nous montre seule un lit de
galets et bientôt nous débouchons dans la plaine où le _Zizyphus
Lotus_ et le _Rhus oxyacanthoides_ verdoient en larges buissons. Le
_Rhanterium suaveolens_ réapparaît et devient bientôt la plante
dominante avec le _Thymelæa hirsuta_. La route court tout droit au
nord, égayée çà et là par les fleurs du _Delphinium pubescens_
var. _dissitiflorum_ et de l’_Uropetalum serotinum_.
Ce n’est qu’après plus de trois heures de marche que nous
atteignons un ressaut rocailleux où poussent le Romarin, le _Periploca
angustifolia_ et le bel _Erodium arborescens_.
Au nord de ce coteau qui doit au Romarin son nom arabe de Djerf
Oumm-el-Azir[12], un douar arabe entouré de chèvres, seul témoignage
de la présence de l’homme dans la vaste plaine, nous fournit un peu
de lait et nous ne tardons pas à faire la halte du déjeuner dans une
dépression voisine d’un oued aux bords rocheux aimés des perdrix.
Le lit desséché de la rivière qui représente le cours inférieur de
l’Oued Tour contient çà et là quelques minces amas de sable sur
lesquels pousse avec vigueur le groupe des Graminées arénicoles :
_Arthratherum pungens_, _A. ciliatum_, _Pennisetum asperifolium_,
accompagnées du _Convolvulus supinus_ et de l’_Asphodelus
viscidulus_. Le coteau pierreux nous fournit le _Lœflingia Hispanica_
et l’_Hippocrepis ciliata_.
Nous reprenons notre route et ne tardons pas à voir poindre d’abord,
puis s’étendre, l’oasis d’El-Amdou, précédée de ghedirs
d’eau saumâtre bordés de _Tamarix_. Le chemin longe ensuite une
muraille moderne bâtie avec de grandes pierres taillées par les
Romains. Encore quelques pas et le marabout de Sidi-Abou’l-Baba se
dresse à notre gauche, puis les Palmiers de Gabès bordent la ligne
d’horizon. Nous sommes arrivés.
=IV=
=Le Sud de l’Aradh.=
§ 1. — DE GABÈS À KÇAR-EL-METAMEUR.
Départ le 27 avril à six heures. Traversé rapidement la petite
plaine poudreuse de Gabès, Aïn Zerig, l’oasis de Teboulbou
et l’Oued Serrak, qui contient de nombreuses flaques d’eau
entourées de Joncs, encombrées de _Zannichellia macrostemon_ et
d’un Potamot à feuilles étroites. J’y ai pêché deux espèces de
Mollusques. Franchi un peu plus loin l’Oued Merzig, sans eau et sans
végétation. Au delà le pays est plat, couvert de _Rhanterium_, des
_Thymelæa microphylla_ et _hirsuta_ ; l’_Anarrhinum brevifolium_
commence seulement à fleurir. A dix heures, nous campons à
Ketenna, auprès du bassin de la source. L’oasis n’a que peu de
Dattiers, entourés d’assez belles moissons. Après le déjeuner,
je cours au lit de l’Oued Ferd, qui borde l’oasis du côté
sud et qui a conservé quelques ghedirs entourés de Roseaux, de
Lauriers-Rose, de _Tamarix Gallica_ et de _Typha angustifolia_
var. _latifolia_. J’y recueille les _Juncus lamprocarpus_ et
_bufonius_, le _Lepturus incurvatus_, le vulgaire _Æluropus repens_,
le _Polypogon Monspeliensis_, l’_Imperata cylindrica_ et le _Cyperus
junciformis_ qui, avec l’_Apium graveolens_, l’_Helosciadium
nodiflorum_ et le _Samolus Valerandi_, forment dans le Sud tunisien
le cortège habituel de tout filet d’eau.
Le sable qui s’est déposé le long des berges présente quelques
espèces plus intéressantes :
Erucaria Ægiceras J. Gay.
Erodium glaucophyllum Ait.
Hippocrepis ciliata Willd.
H. bicontorta Lois.
Pulicaria Arabica Cass. _var._
Centaurea dimorpha Viv.
Andryala Ragusina L. _var._
Salvia lanigera Poir.
Scrofularia deserti Del.
Asphodelus tenuifolius Cav.
Pennisetum Orientale Rich.
La pluie nous surprend en pleine herborisation ; en vain nous hâtons
notre retraite, qui se change bientôt en une fuite précipitée,
et, mouillés jusqu’aux os, nous arrivons à la tente. Bientôt la
pluie tourne à l’ouragan, et jusqu’à la nuit nous devons nous
tenir confinés dans notre étroit refuge, que viennent encombrer
bientôt nos cinq cavaliers arabes.
Le lendemain, le ciel est bleu et le soleil brille. A partir
de l’Oued Ferd, le fond de la végétation est constitué par
l’_Anarrhinum brevifolium_. En approchant de la cuvette appelée
Sebkha Zerguin apparaissent quelques buissons avec le _Limoniastrum
monopetalum_, les Salsolacées ordinaires de la région et le
_Cichorium Intybus_ var. _divaricatum_, cette banalité vulgarissime,
devenue ici une insigne rareté. Les indigènes ont labouré une partie
de la dépression, et dans les moissons poussent le _Microlonchus
Duriæi_ et l’_Amberboa Lippii_. Ce point, favorable aux cultures,
semble avoir eu, au temps de l’occupation romaine, une certaine
importance, car sur un monticule, à droite de la sebkha, se dressent
des ruines qui portent le nom de Henchir Medjoubia.
La plaine reprend ensuite son caractère de monotonie et de nudité
jusqu’à Mareth, où nous faisons une halte de quelques minutes à
la lisière de l’oasis, au bord d’un bassin sur lequel voltigent
des mouettes et où vit une Amnicole.
Au siècle dernier, les gens de Mareth avaient la réputation méritée
de voleurs, si l’on croit Moula Ahmed, et ne respectaient même
pas les pèlerins et les tholba !
Il est encore de bonne heure et nous poussons jusqu’à Aram ;
guidés par le khalifa, nous traversons rapidement l’Oued Zegzaou
et l’Oued Aram, qui coule au nord de la zaouïa au pied d’une
colline où s’élèvent les nombreux tombeaux des chérifs de la
tribu des Hamarna. Ce mince village nous parut bien déchu et bien
pauvre : beaucoup des koubbas sépulcrales tombent en ruines, les
enduits s’effritent et les marabouts de la zaouïa sont maigres et
mal vêtus. Quelques jardins seulement composent l’oasis, alimentée
par une source où les crapauds célèbrent leur hyménée.
Après le déjeuner, je retourne à l’Oued Zegzaou, dont le sable
encore humide m’a paru intéressant à explorer. Je note, dans son
lit et sur ses bords, les espèces suivantes :
Koniga Libyca R. Br.
Helianthemum Tunetanum Coss. et Kral.
Retama Rætam Webb.
Deverra scoparia Coss. et DR.
D. chlorantha Coss. et DR.
D. tortuosa DC. _var._ virgata.
Galium Parisiense L.
G. setaceum Lmk.
Vaillantia muralis L.
Callipeltis Cucullaria DC.
Cladanthus Arabicus Cass.
Rhanterium suaveolens Desf.
Scrofularia arguta Ait.
Rumex vesicarius L.
Parietaria Mauritanica DR.
Pennisetum asperifolium Kunth.
Festuca tuberculosa Coss. et DR.
Nous retrouverons désormais l’_Helianthemum Tunetanum_ dans tout
l’Aradh.
Départ de bonne heure le lendemain, 29 avril. Même terrain que
la veille. Traversé successivement les Oued Medjerda, Zess et
Mezessar. Campé pour la grande halte sur le bord de ce dernier,
où nous constatons l’abondance de l’_Anthyllis Henoniana_ et du
_Calycotome intermedia_.
Le lit de l’oued offre :
Delphinium peregrinum L. _var._ halteratum.
D. pubescens DC. _var._ dissitiflorum.
Silene apetala Willd.
Erodium pulverulentum Willd.
E. hirtum Willd.
Trigonella stellata Forsk.
Lotus edulis L.
Astragalus tenuifolius Desf.
Psoralea bituminosa L.
Catananche arenaria Coss. et DR.
Andryala tenuifolia DC.
A. integrifolia L.
Cladanthus Arabicus Cass.
Orobanche cernua Lœfl.
Salvia Ægyptiaca L.
Statice Thouini Viv.
Au pied des berges poussent de beaux pieds du _Ricinus communis_
au moins subspontané.
Départ à midi. Toujours la plaine monotone de l’Aradh ;
remarqué l’abondance des _Deverra_. Arrivée à deux heures à
l’établissement de la compagnie mixte où nous sommes accueillis
cordialement par le capitaine Rébillet et ses officiers. Nous faisons
immédiatement une visite au village de Kçar-el-Metameur[13], situé
à un kilomètre et demi plus au sud. Sauf quelques boutiques et un
certain nombre de tentes appartenant aux tribus nomades, le village
ne contient que des magasins superposés quelquefois sur trois et
quatre étages, dans lesquels plusieurs tribus arabes ou berbères
déposent leurs céréales et leurs provisions, sous la protection
respectée des habitants. Ces greniers consistent tous dans une
chambre unique, voûtée, qui n’a d’autre ouverture que la porte
à laquelle on accède, pour les étages supérieurs, au moyen de
degrés irréguliers fichés dans le mur, degrés dont l’ascension,
ou plutôt l’escalade, exige une véritable gymnastique.
Les habitants, grossiers, sobres et avares, ont les mœurs
républicaines des Kabyles. Je vois le Cheikh-el-Arf, vieillard
à l’aspect vénérable et à barbe blanche, devant lequel ils
portent leurs différends et qui les termine par voie d’arbitrage,
sans avocats et sans frais. Le Mïad (Djemâa) a tous les pouvoirs
et fait exécuter ses décisions par un chef élu, le Cheikh-Chartia.
Au pied du kçar, le long de l’oued, s’étendent les jardins
qui, indépendamment des eaux fournies par les grandes crues,
naturellement insuffisantes, sont irrigués au moyen de puits. Le
système d’arrosage est le même qu’au Mzab. Les dattes sont
de qualité très inférieure, mais les figues sont excellentes
et les légumes assez abondants, surtout les Oignons, les Tomates,
les Piments et diverses espèces de Cucurbitacées.
La matinée du 30 est consacrée au repos et à la préparation
des récoltes.
Dans l’après-midi, visite à Kçar-el-Moudenin. Nous traversons cinq
kilomètres d’un pays plat, dont la végétation pauvre, uniforme et
grise est la caractéristique de l’Aradh : le _Scabiosa arenaria_,
le _Rhanterium suaveolens_, les deux Armoises (_Artemisia campestris_
et _Herba-alba_), les _Thymelæa hirsuta_ et _microphylla_, le
_Gymnocarpos decandrum_, le _Linaria fruticosa_, le _Lygeum Spartum_
et l’_Andropogon hirtus_ en forment le fond invariable, auquel
viennent s’ajouter le _Carduncellus eriocephalus_ et des pieds
assez nombreux d’_Atractylis flava_.
L’absence de sable, qui entraîne l’absence de la plupart
des espèces que l’on est habitué à considérer comme plus
exclusivement sahariennes, donne à cette plaine basse, malgré sa
situation très avancée dans le sud, l’aspect et la couleur de
nos Hauts-Plateaux algériens.
Aux approches du kçar, le terrain devient rocailleux, les
silhouettes des Palmiers se découpent sur le ciel d’un bleu
cru. Nous traversons un oued sur un lit hérissé de galets, et nous
entrons dans le village, beaucoup plus considérable que celui de
Kçar-el-Metameur. La réputation de ses marabouts lui attire la
clientèle de nombreuses tribus dont chacune possède son quartier
de magasins à plusieurs étages. Sur une place centrale, grande,
mais irrégulière, s’ouvrent de nombreuses boutiques, tenues
en grande partie par des juifs qui vendent à peu près de tout,
surtout les articles de contrebande et de la poudre. Il y a en outre
des ateliers de forgerons et de cordonniers, mais l’établissement
le plus remarquable est un café. La mosquée à minaret carré est
coiffée d’une grosse coupole couverte de briques vernissées vertes,
qui se redressent comme les écailles des dragons fabuleux.
Les Dattiers appartiennent aux variétés cultivées chez les
Matmata et à Kçar-el-Metameur, et donnent des produits abondants
mais détestables.
Les habitants sont presque tous drapés dans une longue couverture
brune, coiffés d’une calotte rouge et chaussés de pantoufles
(_belgha_) jaunes ou de bottines brodées du Fezzan.
Comme souvenir de notre visite, nous achetons une poire à poudre
indigène en bois (_balaska_) en forme de disque surmonté d’un
goulot, curieusement sculptée au couteau, et nous revenons d’un
trot rapide hâté par le scintillement des premières étoiles.
§ 2. — LES HAOUAÏA ET LES GHOMRASEN.
Le 1er mai commence notre exploration du massif montagneux qui,
depuis le pays des Matmata, borde à l’ouest la plaine de l’Aradh
jusqu’au delà de Douiret et se recourbe ensuite presque à angle
droit pour pénétrer en Tripolitaine.
Le capitaine Rébillet nous accompagne avec un officier, vingt-cinq
cavaliers et dix mulets. Nous formons une petite colonne en avant
de laquelle un cavalier arabe joue de la flûte et bondissent deux
lévriers.
La plaine plate offre toujours la même végétation ; nous remarquons
seulement d’assez nombreuses touffes de _Stipa gigantea_. Nous
rencontrons quelques outardes (_houbeïra_) qui, avant de s’enlever,
courent en battant des ailes, et, non loin d’un douar arabe, un
cercle de vautours plane au-dessus de la carcasse d’un chameau.
Enfin la montagne grandit et, près de sa base, nous rencontrons un
oued sur les bords duquel poussent, à la limite de quelques champs
d’orge et de froment, de beaux buissons de _Zizyphus Lotus_, de _Rhus
oxyacanthoides_, de _Calycotome_ et de _Periploca angustifolia_. Je
mets pied à terre un instant pour cueillir le _Ruta bracteosa_
dont les graines sont sans doute descendues des hauteurs, et le
_Farsetia Ægyptiaca_ que je n’ai pas encore rencontré depuis
Gabès. L’oued franchi, nous tournons à gauche et gravissons un
ravin sans caractère, au sol d’un blanc grisâtre que percent de
minces pointes de roches calcaires. Nous y déjeunons près d’un
puits naturel, d’ailleurs peu abondant, sans que je puisse découvrir
aux environs une seule plante intéressante.
En revanche, la grande fissure dans laquelle nous nous engageons
ensuite, et qui monte rapidement en zigzag à travers des couches
de rochers formant des gradins de plus en plus puissants, où
glissent et s’abattent les mulets, ne tarde pas à me fournir
quelques espèces à noter : _Helianthemum virgatum_ var. _asperum_,
_Dianthus serrulatus_, _Anthyllis Henoniana_, _Ferula Vesceritensis_,
_Periploca angustifolia_, _Lithospermum Apulum_, _Scrofularia arguta_,
_Teucrium Alopecuros_, _Statice Thouini_, _Stipa tenacissima_.
En débouchant du Foum-Hallouf sur le plateau des Haouaïa, après
cette montée laborieuse, se présente une végétation luxuriante qui
contraste avec la misère de la plaine que nous venons de quitter. Je
remarque en passant le bel _Onopordon Espinæ_, l’_Uropetalum
serotinum_, le _Bellevalia comosa_, les _Erodium Ciconium_, _hirtum_,
_glaucophyllum_ et _laciniatum_, les _Astragalus caprinus_ et
_cruciatus_, l’_Allium roseum_ et l’_Hedysarum spinosissimum_
en fleurs.
Nous longeons de belles moissons au milieu desquelles s’élèvent
des Oliviers touffus et de grands Figuiers. Au bout d’une
demi-heure de marche sur ce plateau uni et verdoyant, nous voyons
le terrain se raviner et la marne argileuse apparaître ; de même
que chez les Matmata, les dépressions sont garnies de barrages
formant de nombreuses cuvettes plantées d’arbres et semées de
céréales. Sur leurs flancs seulement la terre se montre nue et
quelquefois traversée d’une étroite bande de rocher. Les cols,
peu prononcés, sont creusés de citernes, comme chez les Matmata,
et dans la marne sont taillés des couloirs à l’air libre et des
magasins souterrains aux portes ogivales ou cintrées. Au-dessus de
chaque groupe de casemates s’élève sur quatre poteaux un toit de
branchages ou de Halfa, formant un hangar ouvert aux quatre vents[14]
et qui sert pendant l’été d’habitation aux Oueghamma. Ceux-ci,
en ce moment, occupent la plaine avec leurs troupeaux ; ils remonteront
après la tonte de leurs moutons pour redescendre encore après la
cueillette et la dessiccation des figues.
Le capitaine nous conduit à travers des ravins marneux jusqu’au
village fermé des Beni Khededj, bâti comme les kçour de Moudenin
et de Metameur. J’y compte jusqu’à six rangées de magasins
superposés.
Après avoir conféré avec les chefs du kçar, le capitaine
Rébillet nous ramène vers l’est sur le plateau où nous
installons notre campement près d’une citerne, au sud du Djebel
Mezemzem, appelé aussi Djebel Demeur, le point le plus élevé
de toute la chaîne. J’ai encore le temps, avant le déjeuner,
de faire une petite herborisation autour de nos tentes. J’y
constate : _Anthyllis Vulneraria_, _Nonnea phaneranthera_, _Silene
cerastioides_, une variété du _S. bipartita_, _Centaurea contracta_,
_Vicia calcarata_, _Medicago tribuloides_, _Senecio coronopifolius_,
_Atractylis cancellata_, _Trigonella Monspeliaca_, _Kœlpinia linearis_
et un _Gagea_ malheureusement en fruits plus que mûrs.
Dans l’après-midi je retourne vers l’est, avec le capitaine,
à travers des champs en friche couverts d’_Artemisia campestris_,
et je visite avec soin les dernières consoles horizontales qui
forment le bord du plateau. J’y retrouve le _Dianthus serrulatus_
et le _Scrofularia arguta_ déjà notés, et j’en rapporte encore
quelques beaux pieds du _Teucrium Alopecuros_, qui y croît en
compagnie des _Celsia laciniata_, _Statice echioides_, _Helichrysum
Stœchas_, _Helianthemum hirtum_ var. _deserti_, _H. sessiliflorum_,
_Teucrium Polium_ à fleurs jaunâtres.
Nous revenons par un sentier bordé d’une véritable plate-bande
de _Chrysanthemum coronarium_.
Le 2 mai, l’herborisation devait être plus intéressante :
il s’agissait d’arriver jusqu’au sommet du Djebel Mezemzem,
dont les pentes pierreuses sont terminées par une masse abrupte de
calcaire et dont le sommet porte à 750 mètres le point culminant de
tout le pays. Sur le versant méridional, nous retrouvons en grande
partie les plantes déjà récoltées la veille ; mais nous y voyons
pour la première fois le _Genista microcephala_ en buissons courts et
ras, et nous y recueillons le _Reseda propinqua_. Vers le haut de la
montagne, nous rencontrons un véritable petit taillis de _Caroxylon
articulatum_ et de _Salsola longifolia_. Dans les anfractuosités du
rocher les _Urtica urens_ et _pilulifera_ couvrent les décombres
d’anciennes habitations écroulées ; des fentes de la pierre
émergent l’_Umbilicus horizontalis_, le _Fumaria Numidica_, le
_Galium petræum_ et le _Capparis spinosa_ var. _Fontanesii_. A la base
du rocher terminal, nous recueillons encore l’_Echium calycinum_,
l’_Echium maritimum_, l’_Anchusa Italica_, l’_Hyoscyamus albus_,
le _Celsia laciniata_ et le _Scrofularia arguta_ qui semblent vulgaires
dans la région. Mais une plante surtout attire notre attention par sa
haute tige et ses belles feuilles radicales : c’est évidemment une
Composée ou une Dipsacée, malheureusement des chèvres ont monté
jusque-là et n’en ont pas respecté un seul capitule. En levant
les yeux vers la cime, j’aperçois sur les dernières assises
quelques pieds intacts, mais pourrai-je atteindre ce point où la
chèvre n’a pu grimper ? A force de tourner autour du massif, je
découvre un endroit où le roc est coupé moins perpendiculairement et
présente quelques aspérités ; en m’aidant plus des mains que des
pieds, je finis par m’élever jusqu’à la corniche terminale et,
parmi les débris d’une vieille kasba berbère en ruines, j’ai
la satisfaction de récolter quelques échantillons passables de ma
plante. Les capitules ne sont pas complètement épanouis, néanmoins
je puis reconnaître que j’ai sous les yeux un _Centaurea_ du
groupe du _C. Tagana_, probablement le _C. Africana_. Heureux de
ma découverte, je laisse glisser jusqu’au bas du rocher et je
reviens au campement avec mon collègue M. Lataste, fier lui aussi
de la capture d’un énorme _Vipera Mauritanica_ dont l’exhibition
met en fuite les deux tiers de notre monde.
Pendant le déjeuner, le capitaine Rébillet nous signale dans un
ravin formé par les escarpements du plateau une source véritable,
merveille inouïe dans toute la région, et, dans l’après-midi,
mettant à profit son inépuisable complaisance, nous descendons
vers le sud en contournant le bord du plateau. Bientôt, il nous
faut abandonner nos montures pour arriver au-dessus d’Aïn Guettar
« la fontaine des gouttes », qui n’est pas une fontaine, mais
une fracture à bords droits dans les couches rocheuses, d’abord
étroite, puis s’élargissant assez rapidement dans le sens de la
pente, où, au fond, quelques suintements se discernent à peine. Dans
les crevasses croît un beau _Pancratium_, malheureusement sans fleurs ;
mon préparateur en recueille, non sans péril, une douzaine de
bulbes[15], pendant que M. Lataste poursuit en vain quelques Goundis,
ces petites marmottes de l’Atlas, chères aux gourmets des montagnes
sahariennes.
Nous continuons ensuite à suivre le bord du plateau qui s’abaisse
un peu, en formant une sorte d’escalier glissant, le long duquel
je retrouve des pieds trop jeunes du _Centaurea Africana_, et je
récolte avec le _Scilla Peruviana_, que je n’ai pas revu depuis
le Tell, le _Notochlæna Vellæ_. Un sentier dangereux nous amène
jusqu’au milieu de la pente où coule, sur le flanc d’un grand
ravin, une fontaine aux eaux vives et fraîches, mais peu abondantes,
Aïn Temran, qui sort du rocher au milieu de Fougères élégantes
(_Adianthum Capillus-Veneris_ et _Cheilanthes odora_). L’eau
descend de degré en degré pour se perdre dans un fond encombré de
broussailles et de lianes au-dessus desquelles émergent les panaches
de quelques Dattiers. C’est un coin ravissant. Malheureusement un
propriétaire de chèvres trop exploitées par les chacals à qui ce
fouillis servait de refuge y a mis le feu ; la flamme, excitée par le
vent, a monté jusqu’à la cime des Dattiers et les a roussis. Après
avoir recueilli, autour des petits bassins en cascade, les _Lythrum
thymifolia_, _Apium graveolens_, _Umbilicus pendulinus_, _Geranium
molle_, _Galium setaceum_, _Campanula dichotoma_ et _Juncus bufonius_
var. _fasciculatus_, je viens rejoindre mes compagnons et contempler
avec eux la vaste plaine de l’Aradh, longue, grise et nue, sur
laquelle s’étend à nos pieds la grande ombre de la montagne.
Le soleil était déjà couché lorsque nous rejoignons nos montures,
et nous rentrons au campement « à l’obscure clarté qui tombe
des étoiles ».
Dès l’aube du 3 mai, nous sommes à cheval, coupant à travers les
marnes ravinées le plateau que couronne un demi-cercle de hauteurs
dont le Djebel Mezemzem est la plus haute cime, pour gagner le lit
d’un oued qui nous sert longtemps de route. Un puits très profond,
entouré d’auges en pierre, serait, d’après la tradition, la
demeure d’une famille de Djenoun[16] et il en sortirait parfois des
bruits terrifiants. Un col pierreux, mais d’un relief médiocre, nous
amène ensuite sur un vaste plateau bordé d’un rang de collines
qui s’étendent vers l’ouest en courbe allongée. Le fond est
occupé par une légère dépression remplie d’un sable terreux
où passe le lit de l’Oued El-Kheil « rivière des chevaux ». De
petites buttes couvertes d’_Arthratherum pungens_, cette Graminée
essentiellement arénicole, nous présentent à leur pied quelques
autres espèces des sables sahariens : _Ifloga spicata_, _Nolletia
chrysocomoides_, _Senecio coronopifolius_ et _Festuca Memphitica_.
Le plateau ne tarde pas à reprendre sa nature rocheuse et nous voyons
réapparaître l’_Astragalus Kralikianus_ avec l’_Helianthemum
Tunetanum_ et le beau _Teucrium Alopecuros_. Le _Stipa tenacissima_
(Halfa) succède à l’_Arthratherum pungens_ (Drin). Après
une halte d’un instant au bord du plateau, nous descendons par
un ravin assez ardu pour que tout le monde mette pied à terre
jusqu’à l’étage inférieur où le _Cardopatium amethystinum_
commence à fleurir. Dans la direction du sud, le plateau lui-même
s’échancre et nous entrons dans une coupure aux bords garnis de
rochers et profondément découpés par des ravines latérales. La
pente est fort douce et, grâce à quelques murs de soutènement, on
y a retenu assez de terre pour y planter de beaux Dattiers au tronc
élancé, des Figuiers et surtout d’énormes Oliviers maintenant
en pleine floraison. Nous saluons l’Oued Ghomrasen.
A mesure que nous avançons, le thalweg s’élargit et le nombre des
jardins augmente. Bientôt apparaît, à la pointe d’un plateau
triangulaire aux flancs déchiquetés, la coupole blanche de la
mosquée de Sidi-Arfa, l’ancêtre religieux de la tribu. Sur les
deux flancs du saillant aigu dominé par le saint édifice, de même
que sur les côtés opposés des deux ravins qui le bordent, sont
bâties de nombreuses habitations en pierres renfermant une cour dont
le pied de l’escarpement forme le quatrième côté. On voit sur la
pente abrupte des ouvertures noires, portes ou fenêtres de maisons
souterraines aujourd’hui abandonnées à la suite d’éboulements
dus au peu de cohésion de la roche.
Au-dessous du plateau et des maisons adossées à ses flancs, est bâti
un second rang d’habitations et sur le plan inférieur s’élève
un beau marabout éblouissant de blancheur, près duquel nous allons
camper dans un jardin à l’ombre des Oliviers.
La population de cette capitale (Beled-Kebira) des Ghomrasen est
ordinairement considérable, mais, à cette époque de l’année, tous
les gens valides sont descendus dans la plaine avec les troupeaux ; le
village est presque désert et nous ne voyons près de nos tentes que
de vieilles femmes laides, des juifs et quelques indigènes chargés
de l’irrigation des jardins, qu’ils pratiquent comme au Mzab.
Cette vallée, curieuse par les mœurs de la population berbère qui
l’habite, est, au point de vue botanique, d’une pauvreté qu’il
faut attribuer sans doute d’une part aux cultures qui en occupent
tout le fond, et de l’autre à la nature de la roche qui en forme
les bords et qui se désagrège avec la plus grande facilité. Sur
ses flancs effrités nous n’apercevons que quelques buissons de
Câprier (_Capparis spinosa_ var. _Fontanesii_) et de longues touffes
de _Galium petræum_ qui pendent comme des chevelures. Au pied pousse
le _Forskalea tenacissima_ que je vois pour la première fois dans le
Sud tunisien. Dans la zone des vergers et des champs, je ne citerai
que : _Notoceras Canariense_, _Erodium guttatum_, _E. malachoides_,
_Heliotropium undulatum_ et _Teucrium Alopecuros_.
Le lendemain, au moment du départ, tout notre monde est en émoi ;
le mulet de mon préparateur M. Lecouffe s’est enfui et reprend sa
piste de la veille. Je pars en avant sans l’attendre et descends
pendant six kilomètres environ l’Oued Ghomrasen qui s’élargit
en abaissant les escarpements de ses bords. Nous prenons ensuite à
gauche et, après avoir franchi un col peu élevé, nous abordons
diagonalement une série de mamelons légèrement ondulés qui
s’effacent peu à peu et nous conduisent presque insensiblement
à la plaine. Une tour carrée à tons rougeâtres nous sert
d’objectif. Après avoir traversé un terrain affreusement plat
et stérile, nous campons vers neuf heures du matin à cent mètres
du puits qui a pris de la tour voisine le nom de _puits rouge_ (Bir
El-Ahmar). Le bordj a été bâti par les Ghomrasen pour la garde
de l’eau et pour la défense du pays contre les nombreux ghazzous
tentés dans l’Aradh par les gens de la Tripolitaine ou par les
brigands de la frontière[17]. Le rez-de-chaussée est divisé en
compartiments voûtés et surmontés d’une terrasse à laquelle on
arrive par un escalier aux marches inégales.
La chaleur est déjà intense : aussi la végétation de la plaine
est brûlée en partie et forme ce que l’un de nos collègues
a appelé pittoresquement le _paillasson_. Les alentours du puits
donnent un spécimen à peu près complet de la florule de l’Aradh
sur laquelle nous ne reviendrons pas. Nous citerons seulement, en
dehors de la plèbe vulgaire, les _Malva Ægyptia_, _Plantago ovata_,
_Dianthus serrulatus_, sans doute descendu de la montagne.
Le 5 mai, nous laissons les cavaliers à Bir El-Ahmar et revenons à
Kçar-el-Metameur avec les bagages.
Le 6 mai, la matinée est consacrée à l’exploration du
Djebel Tadjera, petit massif situé au nord du Kçar et dont la
croupe principale (280 mètres) porte un télégraphe optique. Une
herborisation assez complète des flancs et du plateau de ce djebel
minuscule nous fait trouver, parmi un gros lot d’espèces déjà
plusieurs fois signalées : _Amberboa crupinoides_, _Notochlæna
Vellæ_, _Kentrophyllum lanatum_, _Trigonella stellata_, _Erodium
arborescens_, _Plantago amplexicaulis_, _Asphodelus viscidulus_ et
le rare _Digitaria commutata_. Presque toutes les touffes de _Lygeum
Spartum_ sont habitées par l’_Apteranthes Gussoniana_, qui n’est
pas très rare non plus dans la plaine, au dire des indigènes qui
le mangent.
Le lendemain, 7, le capitaine Rébillet, qui est revenu dans la nuit
d’une course à l’Oued Neçi, à la recherche d’un déserteur,
me remet un petit paquet de plantes recueillies à mon intention et
qui prouve que la végétation de l’Aradh est uniforme jusque vers
la frontière de la Tripolitaine.
Dans l’après-midi, nous allons, dans la direction du nord, visiter
à Kçar Koutin des ruines romaines remaniées par les Byzantins
et les Berbères. La plus intéressante est un tombeau à deux
étages. Nous ne trouvons sur la route que la végétation banale de
l’Aradh. Les seules plantes à noter sont le _Thymus capitatus_,
tout à fait imprévu dans le Sud, et le _Trigonella anguina_, qui
croît sur les berges de l’Oued Mezessar.
Cette course est la dernière que nous ferons pendant notre séjour
à Kçar-el-Metameur.
Le 8 mai, nous prenons la route de Sidi-Salem-bou-Guerara avec une
escorte et nous marchons dans la direction du nord-est en traversant
des terrains légèrement ondulés avec quelques buissons dans les
fonds. Le _Rhanterium_, l’_Anarrhinum brevifolium_, le _Linaria
fruticosa_, le _Thymelæa microphylla_ et l’_Atractylis flava_
sont les espèces dominantes et constituent souvent toute la
végétation. Nous rencontrons à 16 kilomètres environ une cassure
du plateau occupée par le grand ghedir de Ras-el-Aïn, assez prolongé
pour simuler le lit d’une véritable rivière, encadré au milieu des
Roseaux, des Joncs (_Juncus maritimus_) et des Cypéracées (_Scirpus
Holoschœnus_, _Cyperus junciformis_), et bordé de buissons de _Lycium
Mediterraneum_ et de _Nitraria tridentata_. Ses eaux claires ne donnent
cependant asile à aucun Mollusque, n’attirent aucun oiseau et nos
chasseurs déçus s’éloignent sans y avoir brûlé une amorce[18].
Vient ensuite une plaine interminable et ennuyeuse à laquelle succède
une sebkha desséchée, encombrée de Salsolacées rougeâtres,
de _Limoniastrum_ et de _Statice pruinosa_. Au delà, le terrain
se relève un peu en se ravinant et se termine près de la mer par
des falaises d’un gris jaunâtre toutes pailletées de cristaux de
gypse. Entre leur pied et le golfe inexploré[19] de Djerba, sur la
grève, quelques sources sont cachées au fond d’excavations peu
profondes. C’est là que nous plantons notre tente.
L’après-midi est employé à l’exploration des environs ;
au-dessus des falaises, une immense étendue de terrain est couverte
de vastes ruines récemment explorées par MM. Babelon et Reinach,
dont les recherches ont confirmé les travaux de M. Guérin et établi
d’une manière irréfragable l’identité de Sidi-Salem-bou-Guerara
avec l’ancienne Gighthis. Tout le plateau est occupé par les trois
espèces de _Deverra_ déjà signalées ; la variété virgata du
_D. tortuosa_ y est surtout abondante. Le long des falaises mêmes,
nous récoltons l’_Astragalus tenuifolius_, une variété à
feuilles charnues du _Moricandia arvensis_, les _Erucaria Ægiceras_,
_Ammosperma teretifolium_, _A. cinereum_, _Astragalus Kralikianus_,
_A. peregrinus_, _Zollikoferia quercifolia_ et _Lithospermum callosum_.
Le long de la grève qui, vers le sud, s’élargit et aboutit
à une vaste sebkha, croissent en nombre de grandes Salsolacées
auxquelles se mêlent le _Statice delicatula_ et un autre _Statice_,
probablement nouveau, voisin du _S. gummifera_. La souche de cette
dernière plante se divise en rameaux nombreux disposés en corbeille
et terminés par des rosettes élégantes de feuilles imbriquées
comme celles des _Sempervivum_. Çà et là des buissons de _Nitraria
tridentata_ couverts de fleurs et, près des sources, de grosses
touffes de _Phragmites Isiaca_ et d’_Inula crithmoides_ ; sur le
sable s’étalent comme un tapis diamanté les _Mesembryanthemum
crystallinum_ et _nodiflorum_.
Vers le soir le ciel se couvre et la pluie qui commence nous force
à la retraite.
La journée du 9 s’annonce mal : le temps est froid et triste,
le ciel blafard. Nous suivons d’abord sur la grève le pied des
falaises qui s’abaissent et finissent par disparaître pendant que
la côte se recourbe vers l’est. Nous marchons alors droit au nord
à travers une plaine uniforme aux rares buissons. La pluie reprend
avec violence et nous force à nous embosser dans nos burnous et
sous nos couvertures. Elle cesse cependant lorsque nous approchons du
Ras-el-Djerf et nous gagnons le rivage au point où l’on s’embarque
vis-à-vis du port d’Adjim. Nous retrouvons ici la falaise gypseuse
déchirée par de profonds ravinements ; quelques tentes arabes se
dressent sur le plateau au milieu de maigres moissons. La mer est
atroce et de l’île on n’entend pas nos feux de peloton. Nous nous
décidons à abattre notre tente que nous avions établie sur le rivage
et nous l’installons au sommet de la falaise en la surmontant d’un
signal. Heureuse inspiration, car d’un côté la marée des Syrtes,
que nous n’avions pas prévue, vient envahir la place même où nous
étions d’abord campés et de l’autre les gens d’Adjim finissent
par apercevoir le signal et mettent une barque à la mer. En les
attendant nous déjeunons et je vais explorer les environs, sans grand
succès d’ailleurs, car je n’y trouve guère à noter, en dehors
des plantes vulgaires de la région, que l’_Euphorbia calyptrata_ et
une variété à capitules virescents de l’_Helichrysum decumbens_.
L’arrivée de la mahonne interrompt mes recherches. Nous prenons
congé de notre escorte et nous embarquons précipitamment. Le boghaz
(détroit) n’est pas large, mais nous avons contre nous le flot et
le vent et il nous faut plus d’une heure pour gagner le rivage où le
fils du maître du port, Si-Garfalla, nous reçoit et nous conduit chez
lui. Après un dîner improvisé nous allons à la ville (Houmt-Adjim)
faire quelques provisions. Les maisons sont propres et blanches, les
vergers nombreux et bien tenus, les fruits abondants. Nous remarquons
une mosquée ibadite[20].
La nuit nous ramène à la Direction du port où le cheikh vient
nous faire ses compliments et nous offre des oranges avec un luxe de
politesse qui malheureusement n’est pas désintéressé.
En effet le lendemain matin il a grand soin de nous installer à
bord d’une de ses barques et de se faire payer pour la traversée
jusqu’à Zarzis la somme fantastique de trente francs, le double
au moins du prix ordinaire. Ali-ben-Garfalla, qui s’était chargé
de nous procurer un bateau, n’est pas content, mais il craint le
cheikh et n’ose pas protester.
L’embarquement se fait en quelques minutes ; nous longeons la
côte occidentale de Djerba et filons rapidement jusqu’à Bordj
Tabella. Il faut ensuite remonter au nord en louvoyant et suivre
plus tard un chenal étroit où notre barque s’engrave à chaque
instant. Nous craignons même qu’il ne faille attendre le retour
de la marée. Nous réussissons cependant à atteindre le bordj
Kastin où le chenal s’élargit et, après avoir traversé un
vaste champ d’algues d’un vert pomme, nous gagnons enfin une mer
plus libre. A deux heures, nous commençons à longer la côte sur
laquelle apparaissent des Palmiers dominés par un plateau couronné
d’Oliviers. A mesure que nous avançons, les vergers deviennent
plus denses, des koubbas blanches émergent dans la verdure un peu
métallique des Dattiers. Le plateau s’abaisse graduellement, à
l’oasis succède une grève au bout de laquelle apparaît une maison
à étage, le Bordj-el-Mersa près duquel se balancent les mâts de
nombreuses mahonnes. Faute de jetée, nous débarquons sur le dos de
nos marins et sommes reçus par l’adjudant chargé du service de
la poste et du télégraphe, M. Ecarnot, qui nous emmène aussitôt
au village de Zarzis, à un kilomètre du port. Le gouverneur de
l’Aradh, Sid-Allegro, avec son amabilité ordinaire, avait mis sa
maison à notre disposition, mais la clef était chez M. Carleton,
agent de la commission financière, et M. Carleton était à Sfax
avec la clef de son propre logis ! Nous sommes donc fort heureux
d’installer notre tente dans la cour du vieux fort, bâti par
Ali-Bey, très pittoresque mais très inoffensif avec ses fossés,
son pont-levis, sa porte bardée de fer et ses treize canons rongés
par la rouille sur leurs affûts détraqués. Nous acceptons avec
reconnaissance la cordiale hospitalité que nous offrent l’adjudant
et ses adjoints.
§ 3. — ZARZIS ET LA SEBKHA MELLAHA.
Zarzis, grande oasis méridionale de l’Aradh, au fond de la
Syrte, avait inspiré, au point de vue botanique, les plus grandes
espérances à notre président, qui m’avait recommandé de
l’explorer avec soin. Aussi, du 10 au 16 mai, n’avons-nous
cessé d’y faire de nombreuses excursions dans tous les sens et
d’en scruter scrupuleusement les vergers et les ravins. La réalité
malheureusement n’a pas répondu aux espérances : la flore de Zarzis
a un caractère essentiellement méditerranéen et, sauf quelques
rares plantes orientales, ne présente qu’un médiocre intérêt.
Les sables du rivage ne nous offrent que les espèces ordinaires des
grèves de l’Algérie et des côtes françaises de l’Océan :
Cakile maritima Scop.
Frankenia pulverulenta L.
Medicago littoralis Rhod.
M. marina L.
Polycarpon alsinefolium DC.
Convolvulus Soldanella L.
Echium maritimum Willd.
Polygonum maritimum L.
Pancratium maritimum L.
Cyperus schœnoides Griseb.
Polypogon maritimus Willd.
Festuca maritima L.
Triticum junceum L.
Les vases à l’ouest du port sont couvertes d’une Salsolacée,
l’_Halostachys perfoliata_ Moq.-Tand.
La végétation du plateau offre également un caractère
septentrional, accusé par la liste suivante :
Nigella arvensis L.
Sisymbrium Irio L.
Silene inflata Sm.
Linum strictum L.
Vicia angustifolia L.
Bupleurum semicompositum L.
Torilis nodosa Gærtn.
Chrysanthemum coronarium L.
Calendula arvensis L.
Atractylis cancellata L.
Echinops spinosus L.
Sonchus tenerrimus L.
Coris Monspeliensis L.
Anagallis arvensis L.
Erythræa pulchella Horn.
Lithospermum arvense L.
Marrubium vulgare L.
Ajuga Iva L.
Globularia Alypum L.
Plantago Coronopus L.
P. Lagopus L.
Ornithogalum Narbonense L.
Scilla maritima L.
Asphodelus microcarpus Viv.
Juncus bufonius L.
Hordeum murinum L.
Et, fait signalé déjà pour plusieurs oasis, la vulgarité des
espèces est loin d’être compensée par leur nombre qui, d’après
nos notes, n’arrive qu’au chiffre de 220, dans lequel ne figure
ni un _Sedum_, ni une Rutacée. Les ravins ne nous y ont fourni ni
_Tamarix_, ni _Rhus_, ni même le _Nerium Oleander_.
Cependant l’influence orientale ou saharienne n’y est pas
absolument nulle, et s’y manifeste par l’apparition de quelques
types qui méritent d’être signalés, d’abord le _Festuca
Rohlfsiana_, nouveau pour la Tunisie, puis le _Silene succulenta_,
l’_Hypecoum Geslini_, le _Filago Mareotica_, le _Centaurea dimorpha_,
dont une forme gigantesque s’élève au niveau des buissons de
Jujubier, le _Chloris villosa_, l’_Astragalus peregrinus_, le
_Deverra tortuosa_ et le _Centaurea contracta_.
En dehors de ces plantes, il ne nous reste à citer que le _Linaria
aparinoides_, le _Lœflingia Hispanica_, l’_Asphodelus tenuifolius_,
le _Beta macrocarpa_, l’_Anethum graveolens_, les _Plantago ovata_
et _amplexicaulis_, enfin le _Silene ambigua_, pour épuiser la
nomenclature de tout ce qui vaut la peine d’être indiqué.
En revanche, Zarzis, abstraction faite du point de vue botanique, est
une oasis fort intéressante ; elle occupe dans la petite Syrte une
situation des plus importantes et couvre de ses cultures un vaste
espace à partir de la grève plate de son port jusqu’à huit
kilomètres plus au nord.
Les Dattiers sont plantés surtout dans les parties basses, au sud
du port et le long de la mer, entre la grève et le plateau qui
s’étend graduellement du sud au nord, entaillé par des ravins
profonds où des barrages retiennent les terres. Des Oliviers croissent
dans ces bas-fonds et forment sur le plateau de grands vergers où
l’on cultive aussi les céréales. C’est dans la zone basse que
sont disséminés les divers villages : Zarzis, la Zaouïa, Moënza,
etc. Les Dattiers des variétés appelées _Ammi_, _Agueïoua_, _Remti_
et _Rethob_ sont les seuls dont on mange les fruits, les autres sont
innomés et leurs dattes sont employées exclusivement à la nourriture
des bestiaux. En revanche, les Oliviers et les Figuiers constituent
une véritable richesse pour l’oasis, et les habitants en tirent
un grand revenu. Ils ont aussi des Grenadiers et j’y ai aperçu
un Caroubier. Il n’y a pas d’autres arbres fruitiers, et les
abricots que nous y avons mangés provenaient de Djerba. Les cultures
maraîchères, qui sont les mêmes que celles de toute la région,
sont irriguées au moyen de puits, dont la profondeur varie de 8 à
25 mètres, et à l’aide des appareils usités dans tout le Sahara.
Zarzis possède une maison européenne à un étage et un certain
nombre de constructions mauresques ; toutes les autres habitations
consistent en une série de chambres cintrées, encadrant quelquefois
une longue salle à terrasse plate. Les koubbas abondent et sont
presque toutes flanquées d’une citerne que recouvre une terrasse
presque à fleur de sol. On rencontre çà et là des fabriques
d’huile établies dans un bâtiment demi-cylindrique, dont la
voûte plonge sous le sol à angle aigu. Une cheminée verticale,
protégée par une sorte de capuchon de pierre, porte seule dans ce
réduit souterrain l’air et la lumière.
Les champs sont entourés le plus souvent par des talus en terre
garnis de touffes d’Aloès (_Aloe vera_ L.) ; mais le long des
chemins, dans l’intérieur de l’oasis, règne fréquemment le
mur berbère, dont nous avons déjà parlé, avec ses deux rangées
parallèles de pierres brutes enfoncées dans le sol. L’intervalle
est ici ordinairement rempli de pierrailles ou de gravats.
Quoique les habitants possèdent dans les villages des maisons et des
magasins, presque tous ont dans leurs jardins, sous les Palmiers,
des cases, dont la carcasse en bois, revêtue de claies en tiges
de sorgho, est entourée d’une enceinte de ces mêmes claies. Le
sommet de cette cabane représente assez bien la carène et les flancs
d’une barque renversée et rappelle, plus exactement que le gourbi
arabe ou kabyle, la forme des _mapalia_ décrits par Salluste.
Les gens de Zarzis sont en effet de vrais Berbères qui, bien que
fixés au sol, cultivateurs de Palmiers et souvent pêcheurs de
poissons ou d’éponges, ont conservé et gardent obstinément
la coutume d’aller chaque année passer deux mois environ dans
l’Aradh, sous la tente, pour procéder à la tonte des moutons et
aux travaux de la moisson. Ils ont aussi, de même que leurs voisins
de Djerba, la réputation de pirates.
Presque tous les hommes sont basanés, secs et nerveux et portent
le costume généralement adopté dans l’Aradh : chechia rouge,
chemise blanche, couverture de laine frangée couleur de bure et
larges pantoufles jaunes (_belgha_). Les femmes sont presque toutes
vêtues d’une _melafa_ bleue, dont au besoin elles se voilent la
face. Beaucoup sont mulâtresses et ont le front couvert de toutes
petites tresses bien beurrées et luisantes. Toutes sont fortement
tatouées et leurs jambes maigres sont trop souvent arquées.
La pêche des éponges se fait en hiver et au commencement du
printemps. A l’époque où nous sommes, elle chôme complètement
à Zarzis. On ne pêche point ici d’éponges fines, mais on y
trouve diverses sortes de Spongiaires, entre autres une espèce un
peu siliceuse en forme de gobelet, dont les spécimens, déracinés
par les vagues de fond, jonchent au loin le rivage.
Les poissons sont fort abondants dans ces parages, mais comme les
habitants sont actuellement dans la plaine, il est impossible de
s’en procurer.
Nous ne voulions pas quitter le pays sans avoir visité les bords de
la Sebkha Mellaha, qui s’étend assez loin dans le sud.
Nous traversons pour y arriver huit ou dix kilomètres de terrains nus
souvent boursouflés par des efflorescences salines. Si la végétation
spontanée est pauvre dans l’oasis, on peut dire que dans cette
région elle est misérable. Nous y retrouvons cependant quelques
rosettes du _Statice_ déjà vu à Sidi-Salem-bou-Guerara et quelques
touffes de _Festuca Rohlfsiana_. En dehors de ces deux nouveautés,
je ne puis citer que le _Statice echioides_, le _Zygophyllum album_,
l’_Echinopsilon muricatus_, l’_Arthrocnemum macrostachyum_,
et constater sur ce point extrême la présence du _Rhanterium
suaveolens_, qui doit s’étendre encore bien plus loin dans le
sud-est. Sur les bords de la sebkha complètement desséchée, nous
ne trouvons guère que les tiges rougeâtres d’un _Salicornia_.
Après nous être amusés à poursuivre et à capturer au fond de sa
tanière le brillant _Megacephala Euphratica_, ce beau Coléoptère
des sebkhas, nous reprenons le chemin de l’oasis, précédés
par des troupes d’indigènes qui revenaient de l’Aradh, lorsque
nous apercevons une gazelle qui suivait un troupeau de chèvres et
de moutons et qui vient passer à une quarantaine de mètres. Je
n’avais pas de fusil ; mon collègue M. Lataste, qui l’avait
aperçue trop tard, n’eut pas le temps de changer ses cartouches
et la gracieuse bête put s’éloigner saine et sauve en bondissant.
Au moment où nous rentrions au village, nous fûmes arrêtés
par une caravane qui nous précédait. Des cavaliers bistrés,
leurs longs fusils sur le dos, précédaient de nombreux chameaux,
qui marchaient gravement charges de lourds tellis. Derrière eux, le
troupeau, moutons tondus de frais et chèvres fauves aux poils rêches,
dont les formes sveltes font penser aux gazelles, trottinait dans la
poussière, pressé par des gamins à demi nus et mal lavés ; puis
venaient pêle-mêle les femmes et les enfants, les ânes élégants
et les petites vaches portant de grands plats en bois et des vases
à couscous, au-dessus desquels étaient juchées des grappes de
poules. Deux vieilles femmes et quatre chiens, du type si connu
en Algérie, aux oreilles pointues et à la grosse queue touffue,
formaient l’arrière-garde. Nous assistions à la rentrée des
vacances, le nomade redevenait beldi (citadin).
Cependant, Zarzis n’avait plus de secret pour nous et il fallait
nous hâter de partir si nous ne voulions courir le risque d’arriver
à Djerba après le départ du courrier de Tripoli.
Le 17 mai, nous prenons la mer et voguons rapidement, favorisés par
une belle brise. Nous revoyons encore une fois la bande littorale des
Palmiers piquée de taches blanches par les koubbas, le plateau couvert
d’Oliviers et coupé de ravins aux flancs marneux, puis le rivage
du continent s’éloigne et disparaît, tandis que nous commençons
à distinguer à l’horizon le fort blanc de Kastin. Plus loin,
Aghir est signalé par les mâts de ses mahonnes. Nous ne tardons
pas à doubler le cap Touguernest et à nous trouver au milieu de
barques aux voiles rouges et d’embarcations grecques qui pêchent
les éponges. Laissant à notre gauche les marabouts de Sidi-Bekri,
nous courons droit sur le cap Remel, au delà duquel apparaît
la forteresse massive bâtie par les chrétiens que les indigènes
appellent El-Kachetil (du mot espagnol Castillo) et qui, du côté de
la mer, présente encore un front respectable. Nous allons débarquer,
après une rapide traversée, au pied de la douane.
Nous nous hâtons de gagner le château qui, du côté de la terre,
perd beaucoup de son prestige et allons troubler dans sa sieste le
capitaine qui commande la garnison, un compatriote Breton, qui nous
reçoit de la manière la plus aimable.
L’exploration de Djerba étant réservée à nos collègues de la
mission, je me garde bien d’empiéter sur leur domaine et pendant
notre séjour je ne m’occupe que de récolter des Mollusques et de
rédiger un modeste vocabulaire du dialecte berbère de l’île.
Le 20 mai, il faut nous lever avant l’aube pour nous embarquer sur
une mahonne et aller attendre à sept kilomètres en mer l’apparition
de la _Ville-de-Bône_ qui nous amenait, à midi, devant Gabès.
Malgré la houle, le débarquement se fait sans difficulté,
à l’entrée de la rivière et nous pouvons, dans la maison
hospitalière du colonel de La Roque, nous reposer un peu de nos
fatigues, mettre en ordre nos récoltes et préparer une nouvelle
exploration.
=V=
=De Gabès à Debabcha (Nefzaoua).=
Après quatre journées employées à ces diverses occupations, nous
prenons le 25 mai la route du Nefzaoua. Nous dépassons la zone des
oasis de Menzel, et traversons la plaine aride et monotone jusqu’à
un large col pierreux, entre deux collines plates garnies de quelques
buissons de _Zizyphus Lotus_ et de _Nitraria tridentata_. Au delà
de ce passage, situé à mi-chemin entre Gabès et El-Hamma, le sol
se hérisse de petites buttes de terre blanchâtres couronnées de
_Zizyphus Lotus_ et de _Calycotome intermedia_, au milieu desquelles
apparaît sur la droite le puits nommé Bir Chenchou, entouré d’un
mur. On y descend par une pente assez douce qui en permet l’accès
aux troupeaux : aussi l’eau est-elle souillée d’ordures et
a-t-elle contracté un goût de suint repoussant.
Pendant que l’on prépare le déjeuner, nous récoltons quelques
plantes : _Neurada procumbens_, _Euphorbia cornuta_, _Filago Mareotica_
et _Thymus capitatus_.
Nous reprenons notre route à travers la plaine que coupe bientôt
une chaîne de hautes collines calcaires où courent des perdrix et
où paît une troupe de gazelles qu’un coup de feu met en fuite. Sur
les bords rocheux du sentier, nous recueillons le _Reseda Arabica_ et
le _Zollikoferia quercifolia_ qui commencent à peine à fleurir. Nous
ne tardons pas à découvrir au bas de la rampe occidentale de ce petit
relèvement l’oasis d’El-Hamma des Beni-Zid, long îlot de Dattiers
où se dessinent les deux villages de Debdaba et d’El-Kaçr. Nous
allons camper auprès du premier, où réside le khalifa, qui doit
à son titre de marabout et à son indomptable énergie une autorité
incontestée.
Nos tentes une fois installées dans un jardin de Palmiers, où croît
en abondance l’_Atriplex dimorphostegia_, un des fils du khalifa
nous sert de guide et nous montre successivement les quatre sources
thermales auxquelles l’oasis doit son nom. Chacune a son bassin,
encadré de larges pierres taillées. Les deux principales sourdent
à une température d’environ 45 degrés ; au-dessus de chacune
d’elles s’élève un bâtiment construit en majeure partie avec
des débris romains et renfermant de petites chambres garnies de
nattes sur lesquelles les baigneurs viennent faire leur sieste. Le
fond de la source est encombré de grosses pierres taillées et une
espèce rare de Chauves-souris s’accroche au plafond au milieu de
la vapeur chaude.
L’oasis est assez vaste et l’on y a entrepris de nouvelles
plantations dans la direction de la rivière qui coule à deux
kilomètres environ vers le sud-ouest. Les dattes, soumises encore
à l’influence du climat marin, sont très médiocres, meilleures
cependant qu’à Gabès.
En nous dirigeant vers la rivière, nous remarquons les plantes
suivantes :
Ammosperma cinereum Hook.
Trigonella stellata Forsk.
Astragalus corrugatus Bert. _var._ tenuirugis.
Hedysarum spinosissimum L.
Neurada procumbens L.
Filago Mareotica Del.
Centaurea furfuracea Coss. et DR.
Crepis senecioides Del.
Anchusa hispida Forsk.
Marrubium deserti De Noë.
Plantago ovata Forsk.
Euphorbia cornuta Pers.
Les bords de l’oued sont presque entièrement nus : à peine
si l’on y remarque quelques touffes naines de Roseaux (_Arundo
Phragmites_) et de Zeïta (_Limoniastrum Guyonianum ?_).
Le lendemain matin, nous organisons une course au Djebel Aziza dont
les sommets, nettement détachés, forment une chaîne qui se soude au
Djebel Tebaga et court à peu près du nord-ouest au sud-est. Après
avoir franchi l’Oued El-Hammam, nous abordons une plaine argileuse
couverte de Salsolacées vulgaires, de _Limoniastrum_ et de _Retama
Rætam_, et nous nous dirigeons vers la quatrième montagne de
la chaîne qu’un col assez élevé et un ravin abrupt séparent
de sa voisine du nord. Nous grimpons rapidement jusqu’au plateau
rocheux qui la couronne et forme un plan incliné vers le sud-est. La
pente est couverte d’_Helianthemum Tunetanum_, d’_H. virgatum_
var. _ciliatum_, et le beau _Teucrium Alopecuros_ qui fut découvert
dans cette même localité, en 1854, par M. Kralik, y est assez
fréquent. Le long des flancs et dans les fissures du plateau terminal
poussent le _Periploca angustifolia_, l’_Ephedra fragilis_, le
_Deverra scoparia_, le _Capparis spinosa_ var. _Fontanesii_, le _Ruta
bracteosa_ et l’_Euphorbia Bivonæ_. Au milieu de l’ascension,
nous sommes surpris par une averse violente qui nous force à nous
réfugier dans une grotte rencontrée fort à point sur le flanc
sud de la tranche rocheuse. La pluie passée, nous reprenons notre
herborisation du plateau et, parvenus à la cime, nous descendons
sur le col par une fissure presque impraticable où croissent le
_Celsia laciniata_, le _Ferula Vesceritensis_, de belles touffes
de _Moricandia suffruticosa_, quelques pieds de _Fumaria Numidica_
et des rosettes d’_Umbilicus horizontalis_.
Pendant que mes compagnons fouillent les rochers et parviennent
à capturer un gigantesque _Vipera Mauritanica_, je descends à
grand’peine la pente ardue du ravin au nord de la montagne, qui
présente quelques bonnes espèces :
Farsetia Ægyptiaca Turra.
Rapistrum bipinnatum Coss. et Kral.
Helianthemum sessiliflorum Pers. _var._ ellipticum.
Reseda lutea L. _var._ neglecta.
Erodium hirtum Willd.
E. arborescens Willd.
E. glaucophyllum Ait.
Hippocrepis bicontorta Lois.
Asteriscus pygmæus Coss. et DR.
Chlamydophora pubescens Coss. et DR.
Atractylis microcephala Coss. et DR.
Amberboa Lippii DC.
Zollikoferia angustifolia Coss. et DR.
Echium humile Desf.
Anarrhinum brevifolium Coss. et Kral.
Salvia Ægyptiaca L.
Ballota hirsuta Benth.
Rumex vesicarius L.
Aristida Adscensionis L.
Le retour s’effectue d’abord paisiblement, mais, après le passage
de la rivière, l’orage se reforme ; aux premières gouttes, notre
troupe prend une allure effrénée, ma mule s’emporte et, après
une série d’écarts et de sauts de mouton, finit par briser les
sangles et me déposer sur le sable de la route.
Le 27 mai, notre escorte de chasseurs d’Afrique et les mulets du
train nous abandonnent. Nous montons des ânes, de très modestes
ânes, et nos bagages sont chargés sur des chameaux. Le khalifa
nous accompagne pendant une heure jusqu’à la hauteur d’un haouch
qu’il possède au bord du Chott El-Fedjedj et nous laisse sous la
protection de son fils Si-Ammar. Nous ne tardons pas à quitter le sol
argileux de la plaine basse, délayé par les pluies de la veille,
pour couper le pied des collines pierreuses qui forment la base du
Djebel Tebaga. Les Salsolacées font place aux buissons de _Zizyphus
Lotus_ et de _Periploca angustifolia_, l’_Arthratherum pungens_
se montre dans le fond sablonneux de petits ravins avec le _Dœmia
cordata_. Vers dix heures, nous faisons halte au bord de l’Oued
Magroun dans une dépression rocheuse. L’eau y forme des flaques où
pullulent des têtards de batraciens. L’_Ammosperma teretifolium_
atteint là des dimensions gigantesques et se mêle à de belles
touffes d’_Hedysarum carnosum_.
Notre déjeuner est subitement interrompu par une averse qui nous force
à chercher le long des rochers un abri fort insuffisant. Lorsque
le nuage s’est éloigné, le feu est éteint. Il faut boire notre
café froid et nous remettre en marche grelottants et déconfits. La
route continue à moitié chemin entre la montagne et la sebkha, au
milieu de buissons nombreux et d’une végétation herbacée vraiment
luxuriante : le _Linaria laxiflora_ s’y montre partout avec les
_Astragalus Kralikianus_, _tenuifolius_, _corrugatus_ var. _tenuirugis_
et _hamosus_, le _Muricaria prostrata_, l’_Arnebia decumbens_
var. _macrocalyx_, le _Silene setacea_, le _Centaurea dimorpha_,
l’_Arthratherum plumosum_ var. _floccosum_, le _Danthonia Forskalei_
et le _Sisymbrium coronopifolium_ var. _ceratophyllum_. Malheureusement
la pluie recommence et nous force à nous calfeutrer étroitement
dans nos burnous ou sous nos manteaux.
Des chameaux aperçus au pied du Tebaga causent une fausse alerte
à Si-Ammar qui va les reconnaître au galop. Enfin, au coucher
du soleil, nous arrivons au campement de Fratis, au pied d’une
longue colline, près de petites cavités sablonneuses que les
derniers orages ont remplies d’eau, et pendant qu’on fait
sauter un lièvre qu’un de nos cavaliers a pris vivant au gîte,
je visite d’anciennes cultures toutes pleines d’_Allium Cupani_
et de _Tribulus terrestris_. Remarqué dans la broussaille de belles
touffes d’_Atriplex mollis_.
Le lendemain, 28 mai, le soleil brille et nous repartons pleins
d’ardeur. Le relief du terrain s’accentue un peu et nous nous
rapprochons du Tebaga ; bientôt nous traversons des collines aux
roches d’un brun noirâtre, comme brûlées, et nous franchissons
des flaques d’eau saumâtre et amère qui proviennent de l’Aïn
Oumm-el-Aousen ou Oumm-el-Ousen. Nous constatons encore sur ce point
l’abondance de l’_Atriplex mollis_ qui, avec le _Retama Rætam_,
constitue presque uniquement la végétation frutescente. Un peu
plus loin, le chemin traverse une zone de sables où nous retrouvons
naturellement le Drin (_Arthratherum pungens_), Graminée encore
plus arénicole que saharienne. Nous y constatons le _Malcolmia
Ægyptiaca_, le _Senecio coronopifolius_, le _Phelipæa lavandulacea_,
l’_Asphodelus viscidulus_ et le _Trisetum pumilum_. Poussés par
la soif, nous ne tardons pas à atteindre Nebech-ed-Dib, où un
bouquet de palmiers bas et touffus recouvre et cache un petit bassin
rempli de conferves. C’est la station ordinaire des caravanes et des
voyageurs isolés : aussi cette source est-elle fréquemment visitée
par les maraudeurs et les _djich_ des insurgés tunisiens. L’eau est
d’ailleurs fort médiocre. Nous nous hâtons donc de déjeuner et
de remonter sur nos ânes, avec le dessein de gagner Kebilli dans la
même journée. Fol espoir ! bientôt nous comprenons, à l’allure
ralentie et morne de nos bêtes, que nous pourrons à grand’peine
atteindre Limaguès (ou mieux El-Imaguès, dont le nom, d’après
certains auteurs, ne serait qu’une corruption de celui des _Maxyes_
que l’histoire ancienne place dans ces régions). Après un repos
dans le lit desséché d’un oued où abondent l’_Arthratherum
pungens_ et le _Retama Rætam_, nous montons avec une lenteur
trop majestueuse une rampe interminable au sommet de laquelle nous
apercevons de très loin les bâtiments ruinés d’une zaouïa,
les cimes des palmiers et, sur la gauche, des taches verdâtres
qui annoncent un marais et par conséquent la source qui a donné
naissance à l’oasis. Au coucher du soleil, à pied et poussant
nos ânes fourbus, nous arrivons enfin au sommet de la colline,
au-dessus d’un large entonnoir où les eaux font bouillonner le
sable. Elles s’échappent par des canaux encombrés de Joncs, de
Roseaux et de _Sonchus maritimus_, et vont irriguer les vergers de
la zaouïa, bien déchue aujourd’hui de son antique splendeur.
Nous citerons, parmi les plantes recueillies dans la dernière partie
du trajet : _Erucaria Ægiceras_, _Reseda Arabica_, _Haplophyllum
tuberculatum_, _Astragalus corrugatus_ var. _tenuirugis_, _Anethum
graveolens_, _Carduncellus eriocephalus_, _Kœlpinia linearis_ et
_Euphorbia cornuta_.
Nous signalerons l’abondance du _Rhanterium suaveolens_ que nous
retrouvons partout.
Le 29 mai, après notre course de la veille, la route de Limaguès à
Kebilli n’est guère qu’une promenade. Nous piquons d’abord
au sud à travers une plaine monotone qui ne nous présente à
noter que l’extrême fréquence de l’_Helianthemum Tunetanum_
et qui se termine au pied d’une chaîne de collines formée par le
dédoublement du Djebel Tebaga, dont la branche méridionale prend le
nom de Djebel Nefzaoua. Un col très court nous conduit au bassin sec
et pierreux qui sépare les deux chaînes. Nous y sommes accostés par
le potentat du Nefzaoua, le Kiaya Ahmed-bel-Hammadi, ancien chaouch
du Bey et protégé du Bardo, qui tient le Nefzaoua courbé sous sa
dure autorité. Après les compliments d’usage, nous nous engageons
dans une gorge étroite et longue. Ce défilé est dominé par des
collines arides et coiffées uniformément d’une bande rocheuse
formant un plateau légèrement incliné. Au sortir de la gorge
s’étend un terrain sablonneux semé de petits monticules de terre
blanchâtre et dont la végétation se compose surtout de _Zeïta_,
de Salsolacées ligneuses, de _Retama Rætam_ et de l’_Arthratherum
pungens_ qui prend ici le nom de Çiboth ou de Çibodh[21]. Sur toute
la ligne d’horizon se montrent de nombreuses taches obscures :
ce sont des oasis et, à mesure que nous avançons vers le sud,
on voit se détacher de la masse la silhouette des plus hauts Palmiers.
En arrivant en face de Kebilli, nous remarquons quelques champs
cultivés au pied d’un mamelon que couronne un bâtiment carré à
fenêtres grillagées, le Bordj Djedid que le Kiaya achève de faire
bâtir et dans lequel il nous installe.
On ne tarde pas à nous servir une diffa irréprochable avec abondance
de _lagmi_ (vin de Dattier).
La rapidité de notre marche, depuis notre rencontre avec le Kiaya,
ne nous avait permis de faire aucune récolte. Après le repas, nous
nous empressons de diriger notre exploration au nord : c’est du
reste de ce côté que jaillissent les sources qui, par leur réunion,
forment un ruisseau et servent, en se répandant dans de nombreux
canaux, à l’irrigation de l’oasis [22].
Pendant cette promenade, nous recueillons dans les champs nouvellement
défrichés au pied du Bordj Djedid le _Malcolmia Africana_ (Chartam
ou Chartem), le _Zygophyllum cornutum_, l’_Atriplex dimorphostegia_,
et l’_Euphorbia Guyoniana_.
J’avais formé le projet de visiter la chaîne du Nefzaoua que
je m’apprêtais à escalader la veille, lors de l’arrivée du
Kiaya. Nous retraversons donc le 30 mai la zone sablonneuse bosselée
de petits monticules et nous prenons un défilé à l’est de
la passe que nous avions franchie. Nous visitons successivement
deux collines surmontées de leur tranche inclinée de calcaires
nummulitiques. Le plateau et ses flancs sont également arides ;
l’_Helianthemum Tunetanum_ seul y pullule. Dans les fissures de
la roche brunâtre et sonore poussent des touffes rares des _Celsia
laciniata_, _Capparis spinosa_ var. _coriacea_, _Globularia Alypum_
avec quelques pieds de _Reseda Alphonsi_. Dans le défilé, nous voyons :
_Helianthemum Cahiricum_, _Erodium hirtum_, _Pyrethrum fuscatum_,
_Moricandia suffruticosa_ et _Evax argyrolepis_ Lange ?.
Dans l’après-midi, visite à l’oasis en passant par les
jardins du Kiaya, bordés de Rosiers aux feuilles rouillées par une
Urédinée. Un grand Mûrier (_Morus nigra_) se dresse isolément
au milieu des carrés envahis par le _Lepturus filiformis_. Nous
traversons des vergers où, à l’ombre des Dattiers, des Figuiers et
des Abricotiers, poussent, sur le bord des rigoles, un beau Glaïeul
(_Gladiolus Byzantinus_), des pariétaires, le _Datura Stramonium_ qui
prend ici le nom de _Sikran_ (l’enivrant), réservé en Algérie aux
Jusquiames, et de jeunes pieds de _Xanthium antiquorum_. Un terrain
bas et inculte est complètement envahi par deux grands _Statice_,
le _S. delicatula_ et l’espèce déjà signalée dont les hautes
tiges sont encore dépourvues de fleurs.
Nous atteignons enfin, après maints détours, le village de Kebilli
entouré d’un fossé peu profond, aux eaux sales et infectes,
et défendu par un mur en terre de piètre apparence. Les maisons
d’habitation sont presque toutes bâties en pisé et en moellons
disposés par assises entre lesquelles sont intercalés des troncs
de palmier et quelquefois des pierres de taille romaines. Les
terrasses sont formées par de semblables poutres chargées d’un
lit d’argile. Les écuries, les magasins et les côtés des cours
ont pour murailles des troncs de palmier refendus. La mosquée,
d’une construction assez ancienne, est surmontée d’un minaret
carré percé de meurtrières qui a été récemment reconstruit,
sans doute à la suite de la rébellion qui amena le siège et la
prise de Kebilli peu de temps avant le voyage de Guérin.
Le lendemain, 31 mai, nous quittions le Bordj Djedid pour continuer
notre route vers le Chott El-Djerid. Nous traversons une nouvelle
zone de terrain blanchâtre à petites buttes pour gagner l’oasis
de Mansoura, et nous y faisons halte au bord d’un bassin d’où les
eaux s’échappent par un canal bordé encore çà et là de pierres
de taille antiques. Dans ce bassin, de même que dans les sources
supérieures, le sable est remué par la force ascendante de l’eau
qui sort d’un canal naturel souterrain d’une profondeur inconnue :
des Roseaux croissent sur les bords, et de toutes parts frétillent des
Barbeaux d’un jaune d’or et des troupes de _Chromis Nilotica_. Sur
l’invitation du Cheikh, des jeunes gens ôtent leur gandoura,
se jettent à l’eau et, à l’aide d’un long haïk, poussent
devant eux les poissons qu’ils acculent à la berge. Le haïk est
alors adroitement et brusquement relevé le long du bord et, si une
partie de la troupe réussit à s’échapper, ce n’est qu’en
laissant aux mains des pêcheurs de nombreux prisonniers dont une
partie passe sans transition des eaux natales dans la poêle à frire.
Après le déjeuner, nous nous enfonçons dans des sentiers
ravissants, au milieu de vergers verdoyants et fleuris, et passons,
sans nous en apercevoir, de l’oasis de Mansoura dans celle de Rabta
dont nous contournons le village. Au delà s’étend une plaine
argileuse et salée bornée au nord par la chaîne abaissée du
Nefzaoua et au sud par la rive plate du grand Chott, sur laquelle se
détachent quelques relèvements couverts de Dattiers, dont le plus
voisin est Tombar. Devant nous grandissent peu à peu les palmiers
d’El-Goléa et nous arrivons d’assez bonne heure au village bâti
entre l’oasis et le pied des collines. Nous campons au bord d’une
tranchée qui va chercher l’eau près d’un col voisin de Menchia,
village considérable dont les maisons et les Dattiers s’élèvent
sur le versant nord de la chaîne. La source est alimentée par une
nappe qui semble presque horizontale, et dans le bassin exigu nagent
quelques petits poissons qui, à notre aspect, se réfugient dans
des anfractuosités souterraines. Le col est traversé par d’autres
tranchées profondes qui vont puiser, sans doute à la même nappe,
les eaux qu’elles conduisent à Menchia. Cette promiscuité
de prise d’eau soulève entre les habitants des deux villages
d’interminables querelles.
A gauche du col se dresse un mamelon pierreux et aride que surmonte
un signal trigonométrique, d’où la vue s’étend au nord
jusqu’au delà du Chott El-Fedjedj et n’est arrêtée que par
la longue muraille du Djebel Cherb. La tranche calcaire qui forme le
sommet et qui s’abaisse comme un toit du nord-est au sud-ouest ne
présente comme végétation que des tiges rabougries et mutilées
de _Peganum Harmala_, de _Zygophyllum cornutum_ et de _Reaumuria
vermiculata_. Ce n’est qu’aux abords de notre campement et sur la
lisière de l’oasis que se rencontrent quelques plantes annuelles :
_Ammosperma cinereum_, _Malcolmia Africana_, _Koniga Libyca_,
_Trigonella stellata_, _Neurada procumbens_, _Ifloga Fontanesii_,
_Arnebia decumbens_ var. _macrocalyx_, _Lippia nodiflora_, _Plantago
ciliata_, _Dactyloctenium Ægyptiacum_.
1er juin. Nous partons tard, et après avoir longé au sud le pied des
collines, nous franchissons un col coupé comme celui d’El-Goléa
par de profondes tranchées, en partie souterraines, qui servent
à l’alimentation de Bou-Abdallah, village du versant nord que
nous traversons pour revenir au sud par un autre col. Nous poussons
ensuite droit à l’ouest en laissant à notre droite une oasis,
moins considérable que ses voisines. Les collines rocheuses qui
formaient l’arête et comme l’ossature du Nefzaoua s’abaissent
graduellement et finissent par disparaître en faisant place à un
simple relief aplati, de quelques mètres de hauteur. Une nappe
souterraine doit couler à une faible profondeur, car, outre les
petits bassins marécageux qui se présentent le long de la route
et dont l’un nourrit des poissons et des mollusques, on rencontre
de nombreuses touffes de Dattiers non irrigués qui nous rappellent
les _Djali_ de l’Oued Mïa, près d’Ouargla ; à leur ombre nous
cueillons l’_Asphodelus viscidulus_, l’_Heliotropium undulatum_
et le _Lotus pusillus_. Nous allons camper près de la pointe du
Nefzaoua, entre les petits villages de Fetnasa et de Debabcha. Là
nous ne trouvons plus de vrais jardins, mais des bouquets de Dattiers
disséminés et entourés de leurs rejetons.
A deux pas de nos tentes, je découvre dans un fourré une mare pleine
de _Chara_ où vivent plusieurs espèces de Mollusques.
Le reste de la journée est consacré au repos, car nous devons partir
dans la nuit pour affronter la traversée de la Sebkha.
=VI=
=Le grand Chott et le Djerid.=
La grande Sebkha ou Chott El-Djerid, qui porte aussi le nom de Sebkha
Faraoun et que les Berbères appelaient _Tekamert_, a exercé la verve
des poètes et l’imagination inventive des voyageurs arabes. Suivant
El-Aïachi, on ne peut la traverser que par un sentier étroit comme
un cheveu et coupant comme le tranchant d’une épée. D’après
un autre, la nuit n’a point d’étoiles en cet endroit ; elles
se cachent derrière les montagnes ; le vent y souffle à la fois
de droite et de gauche avec une violence capable de vous rendre
sourd. Tous sont d’accord pour déclarer qu’un seul pas en dehors
de la route vous précipite dans un abîme de boue qui peut dévorer
des caravanes et des armées entières sans qu’il en reste de traces.
Nos cavaliers et nos guides, désignés par le cheikh de Debabcha,
ne croyaient heureusement ni au vent impétueux ni à l’étroitesse
capillaire du chemin, mais l’existence de bourbiers insondables
et de véritables _lises_ en dehors des bandes de terrain solide que
suivent les caravanes de temps immémorial ne saurait être mise en
doute. Quant aux étoiles, elles brillaient au-dessus de la Sebkha,
lorsque, à deux heures et demie du matin, à la lueur des falots,
nous procédâmes aux préparatifs du départ.
Les bouquets de Palmiers ne tardent pas à devenir rares et à
disparaître ; puis c’est le tour des buissons et des grandes
Salsolacées elles-mêmes ; encore un instant et l’on n’aperçoit
plus au bord de la route que quelques morceaux de bois et des
ossements fichés dans le sol pour jalonner la piste. Nous avons
passé insensiblement de la terre ferme au vrai Chott. Au moment
où pointe à l’orient la lueur grise qui précède l’aurore,
s’élèvent sans bruit devant nous, comme des spectres, des ombres
dégingandées et confuses : nos fantômes sont des Flamants surpris
par notre marche silencieuse et dont le vol se perd rapidement dans
l’ombre encore opaque du couchant.
Le soleil se lève et éclaire devant nous l’immense et plate
étendue de la Sebkha ; le terrain est d’un gris blanchâtre, solide
et mat : à peine si nous remarquons çà et là quelques blanches
mouchetures de sel. Nous avançons lentement entre les deux lignes de
pierres et d’ossements blanchis sur la voie étroite et battue. A
sept heures nous faisons halte à Mençof ou Bir-en-Nouçf (le puits du
milieu) ; une borne, plantée à la place où, d’après la tradition,
existait jadis un puits, indique la moitié du chemin. Tout autour
le sol est couvert des déjections noirâtres des bêtes de somme,
mêlées de noyaux de dattes. La terre est humide, et au fond des
larges empreintes laissées par la patte spongieuse des chameaux,
le sel commence à former des efflorescences.
Après avoir attendu pendant près d’une heure l’apparition de
la petite caravane attardée qui porte nos bagages, nous reprenons
notre route monotone. A mesure que nous avançons, la cristallisation
est plus apparente et les dépôts salins gagnent en étendue
et en intensité : au loin, vers le sud-ouest, ils forment une
nappe d’un éclat éblouissant. C’est bien là cette croûte
resplendissante qu’El-Tedjani, dans sa _Rahla_, compare tantôt à
une feuille d’argent laminé et tantôt à un tapis de camphre ou
à une terrasse d’albâtre. Nous ne tardons pas à voir surgir à
l’horizon un rang de collines, au pied desquelles s’étendent par
intervalles les lignes sombres des oasis amplifiées par le mirage. Il
semble qu’en moins de deux heures nous allons les atteindre, mais
à mesure que nous marchons, la dimension de ces taches diminue
et l’image semble fuir devant nous. Cependant la nature du sol
change : le terrain perd sa teinte d’un gris blanchâtre, prend
une nuance brune et se dépouille de toute incrustation saline. Sur
l’argile glaiseuse nos bêtes glissent et patinent ; la marche
devient excessivement difficile, et notre fatigue s’accroît de
notre impatience. Enfin nous pouvons discerner au loin les cimes des
plus hauts Palmiers et, plus près de nous, la ligne des Salsolacées
et du _Limoniastrum monopetalum_ dessine le véritable bord de la
Sebkha. Nous l’atteignons enfin vers onze heures du matin, entre les
oasis de Sedada à droite et de Kriz à gauche. Nous nous engageons
dans un terrain sablonneux couvert de petites buttes buissonneuses,
qui monte du Chott aux collines calcaires, dernières vertèbres du
Djebel Cherb, lorsqu’un mokhazni du qaïd se présente à nous
et, après nous avoir fait contourner les derniers vergers et les
dernières maisons du village de Kriz, nous conduit au bord du joli
bassin de Sebã Biar (les sept puits), qui se creuse au pied d’un
rocher calcaire pétri d’Oursins fossiles. Étendus à l’ombre
des Palmiers qui l’ombragent, nous attendons pendant plusieurs
heures nos bagages et leurs conducteurs, auxquels nous avons eu la
fâcheuse imprudence de confier notre déjeuner.
Heureusement le temps des ânes et des chameaux est passé :
un détachement du train de la compagnie mixte de Tozer, qui nous
attendait à Kriz, vient nous rejoindre avec ses mulets, et une cruche
de _lagmi_ nous aide à supporter avec plus de patience le retard de
notre convoi.
Vers cinq heures, je vais explorer les ravins des collines calcaires
aux flancs pierreux et roux qui s’élèvent derrière notre tente,
et j’y retrouve avec joie quelques plantes des Ziban mêlées à
des espèces tunisiennes :
Farsetia Ægyptiaca Turra.
Cleome Arabica L.
Reseda Alphonsi Müll.
Fagonia Sinaica Boiss.
F. virens Coss.
Neurada procumbens L.
Sclerocephalus Arabicus Boiss.
Pteranthus echinatus Desf.
Pyrethrum fuscatum Willd.
Chlamydophora pubescens Coss. et DR.
Anarrhinum brevifolium Coss. et Kral.
Aristida Adscensionis L. _var._ pumila.
Arthratherum ciliatum Nees.
Chloris villosa Pers.
J’allais atteindre le fond du ravin lorsque je fus rappelé à
grands cris pour recevoir le qaïd du canton, grand et bel homme,
fort élégant, accompagné de son khodja, aussi distingué que lui,
qui venaient me faire leurs compliments et m’inviter à recevoir chez
eux l’hospitalité. J’aurais voulu les congédier immédiatement
pour reprendre mon herborisation, mais les exigences de l’étiquette
me retinrent jusqu’à l’heure où le coucher du soleil rendit
toute recherche impossible.
3 juin. A 6 heures nous sommes en marche entre la chaîne des collines
et une série d’oasis qui s’étendent jusqu’au bord de la grande
Sebkha. Bientôt les carapaces rocheuses qui revêtent les mamelons
en s’inclinant vers le sud-est disparaissent et la chaîne du Cherb
fait place à un relèvement aplati que l’on nomme le Draâ du
Djerid et qui constitue un isthme élargi entre le Chott El-Djerid,
dont la surface est à environ 20 mètres au-dessus du niveau de
la mer, et le Chott El-Gharsa, dont le bassin se creuse à 20 ou 28
mètres au-dessous.
Au bout de deux heures de marche, nous apercevons entre le Draâ
et le Chott une longue forêt de Palmiers, au-dessus de laquelle
apparaissent des murailles grises surmontées de quelques coupoles
blanches, une tour et un édifice couronné d’une calotte de briques
vertes vernissées et imbriquées comme des écailles. C’est la
mosquée des Oulad Sidi-Abid. Au-dessus de la ville, le dos de la
colline est presque nu et parsemé de blocs de sable agglutiné,
restes de l’ancien terrain qui a été largement exploité comme
carrière. Nous pénétrons dans la capitale du Djerid en poussant nos
montures dans des rues sablonneuses bordées de nombreuses maisons :
les plus belles sont bâties en briques cuites avec des ajours
disposés au-dessus des portes et qui forment des encadrements et
des dessins assez élégants ; les autres, plus modestes, admettent
dans leurs murailles la pierre, les blocs de sable et même le _tob_
(briques crues séchées au soleil).
La place du marché est irrégulière et manque de caractère ;
un certain nombre de boutiques sont inoccupées, au centre quelques
indigènes sont accroupis devant de petits tas de viande ou quelques
pyramides de fruits. Du côté de l’oasis s’élève un édifice qui
se distingue par ses fenêtres à balcons de fer en encorbellement,
le Dar-el-Bey où est installé le bureau des renseignements et où
l’on nous offre gracieusement l’hospitalité. La compagnie mixte,
dont le commandant est M. du Couret, le fils du célèbre explorateur,
campe tout près de là, sous la tente, les chevaux au piquet ;
les officiers sont logés dans une maison voisine décorée du nom
beaucoup trop fastueux de kasba. Une cour sert de parc à un cerf
(_Cervus Corsicanus_), capturé en plein Sahara, dans les environs
de Douiret, nous dit-on.
4 juin. La journée est consacrée à l’exploration de
l’oasis. La promenade est délicieuse au milieu de jardins où,
parmi les Dattiers, croissent de nombreux arbres fruitiers et tous
les légumes de la région. Nous y remarquons même quelques pieds de
Meloukhia (_Corchorus olitorius_) qui nous rappellent l’Égypte et
la Syrie : les Rosiers et le Fenouil n’y sont pas rares, non plus
que le _Zizyphus Spina-Christi_ : un de ces arbres, protégé par le
voisinage d’une mosquée-zaouïa, atteint des dimensions vraiment
gigantesques. L’eau circule partout, amenée par des rigoles qui
s’embranchent sur des canaux dérivés eux-mêmes d’une artère
centrale ; celle-ci, bordée presque partout de pierres taillées,
est traversée par des ponts dont quelques-uns remontent à une
vénérable antiquité. Le partage des eaux s’opère au moyen de
barrages et de troncs de palmiers entaillés d’encoches d’une
dimension déterminée qui assurent à chaque canal son débit
réglementaire. Quant aux rigoles (saguias) qu’alimentent ces
canaux, elles sont ouvertes ou fermées pour chaque propriété
pendant un nombre d’heures mesuré à la clepsydre. Tout ce
système d’irrigation remonte évidemment aux temps reculés de
l’antique Tisurus, qui fut une ville considérable et prospère, car,
indépendamment des blocs sculptés et des fûts de colonnes encastrés
dans les murs de diverses maisons, on trouve à l’intérieur de
l’oasis le village de Belidet-el-Adher, dont le minaret repose sur
des assises antiques, et les débris d’un édifice qui, suivant
Guérin, a dû servir successivement de temple païen, d’église
et de mosquée. Les dieux changent, mais les ruines survivent aux
religions.
Après avoir assisté sur les bords du Chott à un tir à la cible,
nous parcourons, le long du bord méridional de l’oasis, un terrain
argilo-sableux qui a dû jadis faire partie du fond de la sebkha ou
d’un marais saumâtre, car nous y recueillons, outre le _Melania
tuberculata_, vulgaire partout, un _Melanopsis_ subfossile à très
grosses côtes (_Melanopsis Sevillensis_) et quelques valves d’une
petite forme du _Cardium edule_.
Après avoir remonté les flancs du Draâ presque jusqu’à son
sommet, nous voyons s’ouvrir devant nous les entonnoirs échancrés,
de 15 à 20 mètres de profondeur, au fond desquels sourdent les
nappes qui se réunissent pour former le ruisseau ou, comme le
disent les indigènes, l’oued qui alimente la ville et irrigue
l’oasis. L’eau sort d’une couche de sable fin et blanc qu’El
Bekri compare à de la farine et qui paraît constituer une couche
inclinée de 15 à 35 degrés au-dessous des argiles et des terrains
arénacés et agglutinés formant la partie supérieure de l’isthme
ou Draâ. Le fond des entonnoirs est garni de quelques touffes de
Joncs et de _Typha angustifolia_ et ombragé par des Palmiers qui
semblent suspendus sur ses bords.
Les vents dominant dans l’oasis, surtout en cette saison,
sont ceux de l’est à l’est-nord-est : ils désagrègent les
couches supérieures, balaient le sable, l’accumulent sur le flanc
oriental de la ville, et le précipitent dans les entonnoirs dont
le fond se trouve ainsi encombré au grand préjudice du débit
des sources. Il serait urgent que des mesures rationnelles fussent
prises pour remédier à un état de choses qui, en s’aggravant,
compromettrait l’existence même de l’oasis[23] de Tozer.
La population est laborieuse, les jardins sont assez bien cultivés
et les tissus que l’on y fabrique fort renommés ; en revanche la
population féminine, vêtue de cotonnade bleue, est loin d’offrir
le type élégant et distingué que nous avons admiré à Djara et
à Menzel ; aussi est-ce dans cette région privilégiée de Gabès
que vont prendre femme les riches négociants du Djérid[24].
Les dattes de Tozer, surtout les _Deglet Nour_, sont appréciées
dans le monde entier. Les beaux Palmiers produisent en moyenne une
charge de chameau (environ 150 à 200 kilogrammes) et les meilleurs
sujets se vendent jusqu’à 100 francs.
5 juin. Départ de bonne heure pour Nefta. La route est monotone :
la surface du Draâ, dont nous suivons le côté gauche, est
d’abord nue et ne présente plus loin qu’une végétation maigre
où la Coloquinte, l’_Heliotropium undulatum_ et le _Rhanterium
suaveolens_ jouent le rôle principal. On aperçoit de fort loin la
longue pointe des vergers de l’oasis, mais on ne distingue la ville
qu’au moment d’y arriver. Nous y entrons du côté de l’est
en franchissant un amas de sable envahisseur et nous mettons pied à
terre sur la place, à la porte du Dar-el-Bey, antique construction
plus ruinée que celle de Tozer. Les deux amels (chefs administratifs)
nous y attendent et font assaut de prévenances. Après avoir fêté
convenablement la diffa et le lagmi, nous remontons à cheval pour
visiter l’oasis que nous traversons dans sa plus grande étendue. Le
système d’irrigation est le même qu’à Tozer : mais la pente est
plus forte et nous admirons le long des canaux plusieurs chutes que
l’industrie pourrait utiliser. Les vergers et jardins sont splendides
et bien cultivés : aussi ne remarquons-nous que les plantes vulgaires,
amies des talus et des fossés : _Inula crithmoides_, _Plantago
major_, _Sonchus tenerrimus_, etc. Tout à coup l’oasis s’arrête
brusquement au pied d’une grande dune qui nous rappelle le Souf et
où nous recueillons quelques espèces spécialement arénicoles :
Malcolmia Africana R. Br.
Astragalus Gyzensis Del.
Polycarpæa fragilis Desf.
Neurada procumbens L.
Orlaya maritima Koch.
Senecio coronopifolius Desf.
Atractylis citrina Coss. et DR.
Zollikoferia resedifolia Coss.
Lithospermum callosum Vahl.
Scrofularia deserti Del.
Euphorbia Guyoniana Boiss. et Reut.
Cyperus conglomeratus Rottb.
Scirpus littoralis Schrad.
Arthratherum pungens P. B.
A. plumosum Nees.
Danthonia Forskalii Trin.
Au sortir de la dune nous descendons dans des bas-fonds où le
trop-plein des irrigations forme une lagune ou _bahr_ et quelques mares
entourées de _Tamarix_ malheureusement défleuris. Sur plusieurs
points le sol est formé de sables mouvants et le cavalier qui nous
guide et dont la monture s’enlise en une seconde jusqu’au ventre
nous démontre _de visu_ le danger que présentent les gouffres
des sebkhas.
Rentrés dans l’oasis, nous traversons des jardins, ornés de beaux
Rosiers, où les tourterelles roucoulent dans les Dattiers et nous
visitons à la lisière le village abandonné de Bou-Ali. Nos oreilles
sont assourdies par le bruit enragé d’une musique composée presque
uniquement de gros tambours ; nous voyons déboucher devant nous et
courir en cadence des files de gens qui portent sur leurs épaules
d’énormes troncs de Palmier destinés à un travail d’utilité
publique[25]. Nous grimpons la pente du Draâ et, après avoir
longé tout un quartier de la ville, nous arrivons inopinément en
face d’une immense excavation (Ras-el-Aïoun) au fond de laquelle
s’épanouissent à près de vingt mètres en contre-bas les sources
les plus considérables de l’oasis qui sourdent comme à Tozer d’un
lit de sable fin encadré dans des argiles ; des jardins de Dattiers
bordent les ruisseaux qui en sortent pour former, au fond d’un
ravin étroit, un oued qui coupe Nefta en deux parties inégales.
6 juin. Bien que les insectes nous aient respectés, nous avons mal
dormi dans le Dar-el-Bey où la chute des plâtras et des poussières
tombant du plafond nous a tenus en éveil presque toute la nuit ; aussi
sommes-nous en selle à la première réquisition de notre guide. Nous
prenons cette fois le sommet du Draâ d’où nous pouvons apercevoir
à l’ouest le Chott El-Gharsa, plus au nord les montagnes roses de
l’Algérie et à l’est l’immense étendue du Chott El-Djerid,
presque entièrement couvert d’une couche miroitante de sel. Un
coup d’œil suffit pour constater la différence de niveau des
deux sebkhas.
En approchant de Tozer nous remarquons l’abondance du _Cornulaca
monacantha_ et plus loin la prédominance du vulgaire _Peganum
Harmala_.
Après midi, nouvelle promenade dans l’oasis de Tozer où,
sauf une Malvacée qui nous paraît être le _Malva tomentella_,
nous ne rencontrons que les plantes vulgaires du bord des eaux ou
des décombres : _Parietaria diffusa_, _Sonchus maritimus_, _Apium
graveolens_, _Inula viscosa_, _I. crithmoides_, _Malva parviflora_,
_Statice delicatula_, _Chenopodium murale_, etc.
La journée du 7 est consacrée à l’exploration d’El-Hamma du
Djerid, situé à la racine du Draâ, du côté de l’ouest. Comme
dans les oasis que nous venons de visiter, les sources supérieures
coulent au-dessous de sables terreux agglutinés et d’argiles, à
environ 20 mètres de la crête : leur température est, comme à Tozer
et Nefta, d’environ 28 degrés ; mais plus bas, dans le lit même
du ruisseau qui provient de ces sources, surgissent des eaux beaucoup
plus chaudes, puisque leur température dépasse 40 et atteint même
45 degrés. Deux gourbis reçoivent les baigneurs ; l’un d’eux est
réservé aux _dames_. Ils sont sous la surveillance d’un _qaouadji_
(cafetier) qui ne perçoit comme rétribution que le prix des tasses
ingurgitées par ses pratiques. Plus bas la plèbe vile qui n’absorbe
pas de café s’agite pêle-mêle dans le lit du ruisseau.
L’oasis est en décadence : au milieu des vergers on rencontre
des vides marécageux envahis par les Joncs et le _Statice_,
probablement nouveau, déjà plusieurs fois constaté par nous dans
la région. M. le lieutenant de Fleurac, qui a eu l’obligeance
de nous accompagner, nous conduit à l’un des trois villages de
El-Hamma. Pendant que le chef du bureau des renseignements écoute
les doléances de nos hôtes qui se plaignent de l’envahissement
des sables et de la misère des temps, je procède à l’exploration
botanique des abords du hammam. La crête du Draâ est complètement
chauve et aride, mais à son pied le terrain argilo-sablonneux
se couvre d’une abondante végétation et me fournit une liste
intéressante :
Ammosperma cinereum Hook.
Malcolmia Ægyptiaca Spreng.
Farsetia Ægyptiaca Turra.
Koniga Arabica R. Br.
Reseda Arabica Boiss.
Silene Nicæensis L.
Argyrolobium uniflorum Jaub. et Sp.
Ononis longifolia Willd.
O. serrata Forsk.
Trigonella Stellata Forsk.
Neurada procumbens L.
Polycarpæa fragilis Del.
Paronychia Cossoniana J. Gay.
Pteranthus echinatus Desf.
Nolletia chrysocomoides Cass.
Anthemis pedunculata Desf. _var._
Pyrethrum trifurcatum Willd.
Ifloga spicata Schultz Bip.
Leyssera capillifolia DC.
Calendula stellata Cav. _var._ hymenocarpa.
Echinops spinosus L.
Atractylis citrina Coss. et DR.
Centaurea furfuracea Coss. et DR.
C. dimorpha Viv.
Onopordon ambiguum Fres.
Spitzelia radicata Coss. et Kral.
Zollikoferia resedifolia Coss.
Echium humile Desf.
Nonnea phaneranthera Viv.
Anchusa hispida Forsk.
Linaria laxiflora Desf.
Scrofularia deserti Del.
Salvia lanigera Poir.
Plantago ovata Forsk.
P. ciliata Desf.
Euphorbia Forskalei J. Gay.
Asphodelus pendulinus Coss. et DR.
Panicum turgidum Del.
Setaria ambigua Guss.
Stipa tortilis Desf.
Arthratherum ciliatum Nees.
A. plumosum Nees _var._ floccosum.
A. obtusum Nees.
Le dimanche, 8 juin, est consacré presque entièrement à
l’établissement de notre itinéraire et aux préparatifs de départ ;
dans l’après-midi, je vais faire une promenade au nord-est de
Tozer pour recueillir des Hélices dans le sable et j’en rapporte
quelques plantes : _Carduncellus eriocephalus_, _Tanacetum cinereum_,
_Lithospermum callosum_, _Deverra chlorantha_, _Rhanterium suaveolens_
que l’on doit retrouver aussi du côté de la frontière algérienne,
_Silene setacea_ et _Astragalus Gyzensis_.
Le 9, nous faisons nos adieux au capitaine du Couret, au lieutenant
de Fleurac et à tous les officiers à qui nous devons un si aimable
accueil et nous reprenons la route de Kriz en traversant la tête
des oasis qui forment le canton de El-Oudian. En passant près de
Degach nous faisons une halte de quelques minutes pour recueillir le
_Crozophora verbascifolia_. Nous arrivons de bonne heure à Sedada,
le village le plus septentrional du Djerid, et, pendant que l’on
prépare le déjeuner, je remonte une dépression sablonneuse qui
mène au contrefort sur lequel s’élève la mosquée du cheikh
Sid-Ahmed-bou-Hillal entourée de nombreux tombeaux. La tradition
populaire place dans la montagne auprès de Sedada, qu’on appelle
aussi le pays de _Dakious_ (Décius ?), une caverne où reposeraient
les fabuleux Sept Dormants, mais personne parmi les habitants ne
consent à m’y conduire.
Je citerai parmi les plantes que je rapporte de ma promenade :
Lonchophora Capiomontiana DR.
Reseda propinqua R. Br.
Oligomeris dispersa Müll.[26]
Silene setacea Viv.
Gymnarrhena micrantha Desf.
Asteriscus pygmæus Coss. et DR.
Ifloga spicata Schultz Bip.
Onopordon ambiguum Fres.
Carduus Arabicus Jacq.
Atriplex dimorphostegia Kar. et Kir.
Panicum Teneriffæ R. Br.
Andropogon laniger Desf.
Æluropus...
=VII=
=Du Djerid à Gafsa.=
Après Sedada nous coupons la plaine qui s’étend entre le Djebel
Cherb et le bord du grand Chott et où croissent de nombreux buissons
de _Retama Rætam_. Nous constatons l’abondance du _Pennisetum
ciliare_ et des _Arthratherum plumosum_, _ciliatum_ et surtout
_obtusum_. L’_Hedysarum carnosum_ y forme de grosses touffes. Nous
sommes partis en avant avec un cavalier qui nous avait déclaré à
Sedada ne pas connaître l’Oued Metaleghmin où nous devons camper,
et nous sommes forcés de nous arrêter pour attendre un autre guide
que le cheikh nous avait promis et qui devait nous rejoindre presque
immédiatement. Plus d’une heure s’écoule et nous commençons
à désespérer, lorsque nous voyons apparaître enfin notre convoi
précédé par un petit vieillard noir, maigre et grisonnant, monté
sur un âne minuscule et portant en travers de sa bête un fusil
gigantesque. Nous pressons la marche pour réparer le temps perdu et
échapper à un orage qui nous menace.
En route, une Gerbille se lève sous nos pas et met tout le monde en
branle. Nous finissons par la capturer et nous arrivons assez tard à
l’entrée d’une gorge étroite qui s’enfonce dans la montagne :
c’est le lit à sec d’un torrent qui serpente au milieu de pentes
à pic dénudées, marbrées de marnes jaunes et blanchâtres. Pendant
que nos gens pénètrent dans le défilé, je mets pied à terre pour
examiner un monument mégalithique formé d’un carré de pierres
brutes qui renferme une enceinte circulaire avec d’autres pierres
entassées en tumulus. Je suis heureux de retrouver là un type que
j’ai déjà constaté avec mon savant ami Mac Carthy dans le Sersou
et qui, pour nous, est absolument berbère. Tout autour je remarque
de petites touffes grêles d’une graminée gazonnante : c’est un
_Sporobolus_ nouveau. Je m’empresse d’en ramasser quelques pieds,
mais je suis interrompu par les larges gouttes de l’averse qui nous
menaçait depuis le départ et par les appels redoublés de nos gens :
il s’agit de déterminer sans retard le lieu du campement et de
dresser les tentes pour échapper à ce déluge.
La pluie à peine passée, il faut s’occuper de la question de
l’eau : le lit du torrent ne contient que du sable fin et ce
n’est qu’à un kilomètre qu’on découvre, au fond d’une
gorge transversale, barrée par un rocher, une cavité formant
citerne. Pendant qu’on conduit les bêtes à cet abreuvoir naturel
mais d’un accès dangereux, je retourne au campement en herborisant
le long des parois bigarrées des collines où sont en fleurs :
Sisymbrium coronopifolium Desf. _var._
Reseda Alphonsi Müll.
R. Arabica Boiss.
R. stricta Pers.
Erodium glaucophyllum Willd.
Medicago laciniata All.
Polycarpæa fragilis Del.
Aizoon Hispanicum L.
Pyrethrum fuscatum Willd.
Chlamydophora pubescens Coss. et DR.
Zollikoferia quercifolia Coss. et Kral.
Anchusa hispida Forsk.
Celsia laciniata Poir.
Linaria laxiflora Desf.
Rumex vesicarius L.
Euphorbia cornuta Pers.
E. glebulosa Coss. et DR.
Asphodelus pendulinus Coss. et DR.
Pennisetum ciliare Link.
Arthratherum ciliatum Nees.
A. obtusum Nees.
Andropogon laniger Desf.
Nous sommes ramenés au gîte par la reprise de l’orage et la
journée se termine mélancoliquement à l’abri de la tente qui
semble prête à s’abattre sous l’effort des averses et du vent.
Le lendemain, 10 juin, le ciel s’est éclairci et, laissant notre
convoi charger les tentes alourdies par la pluie, nous partons en avant
à travers la plaine avec une précipitation qui me fait oublier de
prendre une provision de mon _Sporobolus_ de la veille. Nous avons
emporté le déjeuner et nous devons faire halte à Aïn Kebirita :
après deux heures de marche monotone, au milieu d’une végétation
assez abondante mais uniforme, notre guide nous ramène vers le
pied de la montagne où nous pénétrons dans une gorge resserrée,
le long de couches calcaires qui plongent à plus de quarante-cinq
degrés. Au fond de ce couloir escarpé, un trou de rocher, ombragé
par un groupe de Dattiers sauvages, contient une eau épaisse et
brunâtre, où grouillent de jeunes crapauds et qui va former plus
bas un petit marais allongé au milieu des Roseaux et des Joncs. Il
est à l’unanimité reconnu qu’il est impossible d’utiliser
pour notre usage un liquide aussi dégoûtant et aussi fétide,
bien qu’il ne contienne pas de soufre (Kebrit), comme le nom
de la fontaine semblerait l’indiquer. Je me hâte de recueillir
les rares plantes que présente ce lieu sauvage et nauséabond :
_Lepturus filiformis_, _Atriplex mollis_, _Forskalea tenacissima_,
_Lippia nodiflora_, _Juncus multiflorus_ et _Chara gymnophylla_. Nous
rentrons dans la plaine où la végétation frutescente devient très
abondante. Notre mauvaise humeur ne tarde pas à être dissipée par
les incidents de la marche : lièvres et gerboises qui partent sous
les pieds des chevaux, Scinques aux brillantes couleurs (_Scincus
Aldrovandi_) dont nous interrompons les ébats amoureux et que leur
fuite ne peut soustraire aux poursuites de mon compagnon M. Lataste ;
rencontre d’un douar des Oulad Yakoub du Nefzaoua, où nous achetons
du lait et un mouton. Enfin, une longue ligne verte de Tamarix et de
Roseaux, qui s’étend perpendiculairement du pied de la montagne
vers le Chott, annonce l’approche d’Aïn Kebiriti.
Au-dessous d’une vaste zone d’éboulis qui forme à la base de la
montagne un plan abrupt, hérissé de pierres grises et brunâtres, la
source un peu saumâtre et légèrement thermale coule sur le sable et
donne naissance à un petit ruisseau limpide qui va se perdre dans une
traînée de verdure. Tout alentour, le sol efflorescent et boursouflé
est revêtu de la végétation glauque des terrains salés et est
littéralement encombré de _Deverra chlorantha_. Son congénère,
le _D. scoparia_, pousse dans les interstices des éboulis avec
l’_Anthyllis tragacanthoides_, le _Psoralea bituminosa_, quelques
touffes de _Capparis spinosa_ var. _Fontanesii_ et l’_Andropogon
laniger_.
Pendant le déjeuner, le convoi nous a rejoints, le mouton a
été égorgé et dépecé et nous reprenons tous ensemble notre
route. Jusqu’ici nous avons suivi une plaine large et plate
comprise entre le Chott El-Fedjedj, prolongation orientale du Chott
El-Djerid, et la grande courbe très tendue du Djebel Cherb, dont nous
avons exploré à Kriz les dernières collines. A partir d’Aïn
Kebiriti le terrain se relève en une sorte de plateau rocheux qui
ne disparaît que le long des bords argileux de la Sebkha et que
coupent des rigoles ou ravinets garnis d’arbustes et de Graminées
des genres _Pennisetum_ et _Arthratherum_. C’est sur leurs bords
que je cueille d’abord un _Atractylis_ à fleurs élégantes,
peut-être variété de l’_A. proliféra_, et plus tard le _Lotus
hosackioides_ Coss., espèce nouvelle, d’abord découverte au Maroc
et retrouvée par le Dr André à notre localité même. Bientôt
nous arrivons au bord d’un immense ravin qui s’enfonce dans la
montagne en tournant au pied d’escarpements à pic couronnés par
de larges bandes de roc. C’est l’Oued Châba, dont le lit est le
chemin que nous devons prendre pour franchir le Cherb, mais l’eau y
fait défaut. Il faut pousser plus loin, reprendre le plateau pierreux
qui s’est élevé par une pente insensible, et planter notre tente
sur une terrasse au-dessus d’un nouveau ravin, l’Oued Zitoun,
obstrué par des rochers qui recèlent dans leurs dépressions
quelques tonnes d’eau pluviale. De la hauteur qui domine notre
campement, la vue est splendide : au nord et vers l’ouest le Cherb,
dont la chaîne a atteint depuis longtemps sa plus grande hauteur,
présente des masses disloquées dont le sommet est occupé par des
couches de calcaires compacts, horizontales ou inclinées ; au sud,
la surface encore large du Chott, unie et couverte d’efflorescences
salines, commence à environ six kilomètres et s’étend jusqu’à
la limite brunâtre et indécise de la presqu’île du Nefzaoua. Sur
plusieurs lignes, et surtout en face de l’Oued Châba, cette mince
couche blanche de sel a disparu sur les routes du Chott El-Fedjedj,
plus nombreuses et moins redoutées que celles du Chott El-Djerid. Le
lit de l’Oued Zitoun, au-dessous de la barre des rochers, est rempli
d’un sable assez grossier, à peu près aride ; mais les bords sont
garnis presque partout de plantes dont un certain nombre offrent de
l’intérêt, et parmi elles le _Lotus hosackioides_.
Lorsque je reviens à la tente, le ciel s’est obscurci et le vent
souffle de l’est. Nous nous endormons au bruit des premières
gouttes de pluie qui crépitent sur la toile.
Mercredi 11 juin. Il a plu par rafales toute la nuit ; il
pleut lentement, mais à peu près constamment, pendant toute la
journée. Impossible de tenter l’ascension de la montagne. A deux
reprises, j’essaie, en compagnie de mon préparateur, d’explorer
les environs, mais, après des efforts héroïques, nous devons battre
en retraite, à la hâte, avec le regret de ne pouvoir étudier plus
complètement une localité des plus intéressantes.
Voici la liste des espèces que nous y avons récoltées :
Ammosperma cinereum Hook.
Notoceras Canariense R. Br.
Erucaria Ægiceras J. Gay.
Helianthemum Cahiricum Del.
H. ellipticum Pers.
Frankenia thymifolia Desf.
Dianthus serrulatus Desf. _var._ grandiflorus.
Malva Ægyptia L.
Erodium hirtum Willd.
Fagonia virens Coss. et DR.
Trigonella stellata Forsk.
Astragalus cruciatus Lmk.
A. Kralikianus Coss.
Herniaria fruticosa Desf.
Eryngium ilicifolium Desf.
Eryngium (sans fleurs, peut-être nouveau).
Pulicaria Arabica Cass. _var._ longifolia.
Asteriscus pygmæus Coss. et DR.
Cladanthus Arabicus Cass.
Leyssera capillifolia DC.
Atractylis citrina Coss. et DR.
A. microcephala Coss. et DR.
A. prolifera Boiss. _var._ ?
Microlonchus Duriæi Spach.
Kœlpinia linearis Pall.
Catananche arenaria Coss. et DR.
Andryala tenuifolia DC.
Megastoma pusillum Coss. et DR.[27]
Echinospermum Vahlianum Lehm.
Scrofularia deserti Del.
Salvia Jaminiana de Noë[28].
Teucrium Polium L. _var._
Plantago ciliata Desf.
P. amplexicaulis Cav.
Atriplex mollis Desf.
Euphorbia glebulosa Coss. et DR.
Allium Cupani Raf.
Asphodelus tenuifolius Cav.
Panicum Teneriffæ R. Br.
Pennisetum ciliare Link.
Aristida Adscensionis L. _var._ pumila.
Le 12, dès l’aube, nous sortons de nos tentes encore raidies
par la pluie qui vient de cesser. Le Chott a perdu son bel éclat
argenté : une couche d’eau le recouvre et reflète tristement
un ciel livide. Cependant il faut partir. Nous revenons sur nos pas
pour prendre le lit de l’Oued Châba, dont nous suivons d’abord
les spirales. Nous abordons ensuite des pentes où des veines de
gypse solide alternent avec des marnes dans lesquelles les chevaux
enfoncent jusqu’aux genoux. Les chameaux avancent encore plus
péniblement. Les flancs disloqués de la montagne forment de grandes
masses séparées dont la crête rocheuse s’incline vers le sud. Plus
avant nous rencontrons des couches tourmentées de gypses noirs et
plus loin des parties de la montagne qui ont gardé l’horizontalité
primitive de leurs assises. Enfin, devant nous, se dresse une ligne
de faite formée par des bandes de calcaire rompues brusquement de
notre côté et qui pendent vers le nord, avec une inclinaison de 20
degrés. Nous franchissons par une brèche cette muraille et nous nous
arrêtons un instant pour attendre le convoi. Je profite de la halte
pour fouiller les anfractuosités où poussent quelques touffes de
_Moricandia suffruticosa_, d’_Euphorbia Bivonæ_ et de beaux pieds
de _Reseda Alphonsi_, plante qui ne manque à aucune des montagnes de
la région. La descente, longue mais facile, s’effectue d’abord en
suivant une véritable corniche de pierre sur une pente régulière
où le _Galium petræum_ croît seul dans les crevasses du rocher ;
puis dans le lit de l’Oued Taferma qui descend assez rapidement vers
la plaine, coupé par des ressauts quand il rencontre une couche de
calcaire dur. Le long de ses bords croissent des buissons de _Zizyphus
Lotus_, de _Retama Rætam_ et de _Rhus oxyacanthoides_ ; sur les
roches hantées par les Goundis poussent des échantillons d’une
grandeur exceptionnelle de _Senecio Decaisnei_. Nous établissons
notre campement en face d’un ghedir, au-dessus du dernier relèvement
rocheux de la montagne dont les tranches supérieures nous fournissent
une récolte intéressante de fossiles. Vers le nord, l’Oued
Taferma, sorti enfin des défilés, serpente en s’étalant dans
les courbes. Son lit est couvert d’une végétation abondante ; au
milieu des Jujubiers, des _Retem_ et des Ricins, pullulent l’_Ononis
angustissima_ et l’_Hedysarum carnosum_.
Nous y constatons en outre :
Nigella Hispanica L. _var._ intermedia.
Matthiola oxyceras DC. _var._ basiceras.
Reseda Arabica Boiss.
Dianthus serrulatus Desf. _var._ grandiflorus.
Trigonella stellata Forsk.
Hippocrepis bicontorta Lois.
Neurada procumbens L.
Paronychia longiseta Webb.
Scabiosa arenaria Forsk.
Gymnarrhena micrantha Desf.
Rhanterium suaveolens Desf.
Pyrethrum trifurcatum Willd.
Atractylis citrina Coss. et Kral.
A. prolifera Boiss. _var._ ?
Centaurea contracta Viv.
Zollikoferia resedifolia Coss.
Dœmia cordata R. Br.
Celsia laciniata Poir.
Linaria laxiflora Desf.
Arthratherum pungens P. B.
Le 13, nous coupons les méandres de l’Oued Taferma et nous nous
dirigeons au nord-est à travers une large plaine au sol craquelé,
sans ondulations et sans broussailles. A partir d’un douar près
duquel croît le _Crozophora verbascifolia_, un changement se produit
dans la végétation : la belle forme d’_Atractylis_ du Djebel
Cherb fait place au type de l’_A. prolifera_ ; l’_Atractylis
flava_, très abondant, succède à l’_A. citrina_. Je recueille
aussi le _Centaurea Omphalodes_ que je n’avais pas encore vu en
Tunisie. En atteignant le pied des collines qui ceignent la plaine
du côté du nord et dont nous traversons la pointe occidentale,
nous rencontrons un terrain pierreux, puis, sur le versant opposé,
les sables qui forment le lit de l’Oued Gourbata. Nous marchons
autant que possible sur les rives parmi les touffes des Graminées
pour éviter les piqûres affolantes de ces imperceptibles moustiques
que les Arabes appellent ouech-ouech. Aussi, sans nous préoccuper
des gazelles qui fréquentent ces parages, nous précipitons notre
allure pour arriver au Bordj Gourbata, composé de deux misérables
maisons en terre grisâtre réunies par une cour fermée.
Le reste de l’après-midi est consacré à une promenade au nord-est
du Bordj. J’y retrouve l’Oued Gourbata avec de l’eau et sans
moustiques, mais ses sables mouvants m’interdisent le passage
et je me contente d’explorer un bas-fond de la rive gauche ;
au-dessous des _Tamarix_ de la berge s’étend une véritable
plate-bande de plantes fleuries : _Sisymbrium coronopifolium_,
_Malcolmia Ægyptiaca_ var., _Malva Ægyptia_, _Astragalus cruciatus_,
_Lotus pusillus_, _Paronychia longiseta_, _Ammodaucus leucotrichus_,
nouveau pour la Tunisie, _Microrhynchus nudicaulis_, _Centaurea
Omphalodes_, _Danthonia Forskalei_. L’_Hedysarum carnosum_ abonde
surtout, ainsi que le _Pennisetum ciliare_ et les _Arthratherum_
déjà notés. Cette lisière multicolore contraste avec la teinte
grisâtre ou glauque de la plaine qui entoure le Bordj et se déroule
à l’horizon vers l’est ; des Salsolacées ligneuses vulgaires, le
_Limoniastrum monopetalum_, l’_Atriplex Halimus_ et son congénère
l’_A. mollis_, en composent seuls la maigre végétation frutescente.
Il nous faut pourtant l’aborder le lendemain ; heureusement le
sol est criblé de trous de gerbilles ; les gracieux rongeurs qui
traversent à chaque instant la route ou stationnent au bord de
leur terrier, offrent à nos tireurs des distractions sans cesse
renouvelées, et nous font oublier à la fois la monotonie du paysage
et la longueur du chemin. Enfin, la plaine se peuple de petites buttes
couronnées de Jujubiers et d’_Atriplex_, et nous ne tardons pas à
apercevoir l’oasis de Gafsa qu’annoncent des massifs d’Oliviers
au delà desquels les troncs élancés des Dattiers élèvent leur cime
élégante. Le chemin se resserre entre deux murs et domine de chaque
côté des jardins ou vergers d’une fraîcheur et d’une fertilité
merveilleuses. Nous sommes ici à la limite du Dattier dont les
régimes y mûrissent mal, mais les arbres fruitiers, même des pays
très tempérés, comme les Poiriers, les Pommiers et les Cognassiers,
y acquièrent une taille et un développement extraordinaires. J’y
constate un grand nombre de superbes Micocouliers (_Celtis australis_)
et je remarque dans un grand jardin une belle culture de Soleils
(_Helianthus annuus_). Nous atteignons bientôt la ville, nous suivons
des rues où les pierres antiques constituent des pans entiers
de murailles, nous nous arrêtons un instant près du Dar-el-Bey
pour admirer le bassin de la grande source thermale tout peuplé de
_Chromis_ et, après avoir longé la curieuse façade de la citadelle,
nous allons planter nos tentes à l’ouest de la ville, un peu en
avant du monticule où s’éleva jadis la cité ancienne de Capsa.
Le désir de prendre du repos et aussi la nécessité de remettre
nos équipages en état nous retiennent quelques jours à Gafsa, dont
le séjour nous est rendu très agréable par l’aimable accueil de
M. le colonel d’Orcet et des officiers qui l’entouraient.
Les environs de Gafsa et l’oasis ayant été explorés avec soin,
d’abord par M. Doûmet-Adanson en 1874, et cette année par M. le
Dr Robert, ainsi que par mes collègues de la mission botanique
MM. Doûmet-Adanson et Bonnet, nous bornâmes nos explorations à la
visite d’anciennes carrières souterraines situées aux portes de la
ville, où mon compagnon M. Lataste captura quelques chauves-souris,
seuls habitants de ces latomies sur lesquelles l’imagination arabe
a brodé des légendes merveilleuses.
=VIII=
=De Gafsa à Tebessa, hauts plateaux tunisiens.=
Lundi, 20 juin. Les mulets et les hommes du train, attendus depuis
deux jours, étaient arrivés la veille. L’oasis de Gafsa menaçait
de devenir pour nous une Capoue. Nous partîmes enfin en prenant une
route tracée par nos soldats, sous les auspices du général Hervé,
et qui coupe la plaine vers le nord. Nous laissons à droite et à
gauche de petits massifs isolés dont les couches, inclinées sur
tous les flancs, ressemblent à de gigantesques carapaces de tortues,
brisées et fossilisées. La végétation est maigre et ne présente
que des espèces vulgaires, si ce n’est auprès d’une ruine romaine
où commence à apparaître le _Sideritis montana_, avant-garde de
la flore des hauts plateaux. Cependant, les buissons de _Zizyphus
Lotus_ deviennent abondants et touffus. De grands vautours fauves nous
signalent en s’envolant l’approche du puits où d’ordinaire on
fait la grande halte et qu’entourent de belles touffes de _Linaria
laxiflora_. Nous marchons toujours, bien que l’heure soit avancée
et la chaleur pesante, espérant rencontrer quelques gros buissons
ou quelque arbre qui nous prête son abri ; nous finissons par nous
installer au bord de l’Oued Feriana, qu’on appelle plus souvent
Oued Sidi-Aïch dans cette partie de son cours, et dont nous avions
aperçu de la route les galets blancs et polis. Pendant que le feu
s’allume et qu’on étend des couvertures sur les buissons de
_Retem_ pour créer un peu d’ombre malgré le soleil perpendiculaire,
je fouille dans les détritus déposés le long des berges par les
dernières crues et j’y trouve avec joie les coquilles d’une
douzaine au moins d’espèces de Mollusques divers dont près de
moitié n’ont jamais été rencontrés en Tunisie.
Nous franchissons l’oued et nous nous dirigeons vers une montagne
aux roches sombres ; nous ne tardons pas à apercevoir à leur pied
des tombeaux antiques à étages, des ruines et les restes d’un
camp que nos troupes ont récemment abandonné. A droite, dans un
bas-fond, se cache un caravansérail avec un puits, près duquel
nous campons. Au-dessus de nous, de la muraille brune formée par les
grandes tranches calcaires de la montagne, descend en ligne tortueuse,
comme un escalier, un ravin formé d’assises superposées sur
lesquelles s’étagent des buissons épineux et courent des Goundis.
Nous y faisons une rapide exploration, mais notre escalade est trop
tôt interrompue par la nuit, car cette localité intéressante,
malgré son caractère encore saharien, nous offre quelques
représentants de la flore des hauts plateaux :
Nous y notons en effet les _Paronychia nivea_, _Centaurea pubescens_,
_Callipeltis Cucullaria_, _Reseda Duriæana_, à côté des _Farsetia
Ægyptiaca_, _Dianthus serrulatus_ var. _grandiflorus_, _Astragalus
cruciatus_, _Polycarpæa fragilis_, _Eryngium ilicifolium_ (en
énormes touffes), _Leyssera capillifolia_, _Senecio Decaisnei_,
_Linaria laxiflora_, _Arthratherum ciliatum_, _Chloris villosa_,
_Eragrostis sporostachya_.
Le lendemain, nous reprenons la route officielle de Feriana et
remontons le cours de l’oued, le long de collines rocheuses, où
nous capturons des rongeurs. Vis-à-vis d’un confluent, quelques
Oliviers sont les seuls arbres dignes de ce nom que nous ayons
rencontrés depuis notre départ de Gafsa ; sur l’autre bord, le
_Retama sphærocarpa_, couvert de fleurs jaunes, nous apparaît pour
la première fois. Nous coupons ensuite une plaine basse d’alluvions
sans grand intérêt. Cependant la chaleur est devenue intense et,
pour faire halte, à défaut d’arbres, nous nous réfugions dans
l’embouchure d’un oued latéral, dont les hautes berges sont
creusées en niches arrondies. En face de nous, le lit de la rivière
largement développé, et qui porte le nom local d’Oued Zitouna,
présente deux ou trois îlots de végétation luxuriante séparés
par des lits arides de sable et de graviers.
Des touffes basses de _Tamarix Gallica_, le _Retama Rætam_ et le
_R. sphærocarpa_ y représentent la végétation frutescente.
Ici le mélange des plantes sahariennes et des espèces des hauts
plateaux, que nous avons signalé à Sidi-Aïch, s’accentue
davantage. Nous sommes dans une zone mixte, ainsi que le démontre
la liste suivante :
Diplotaxis erucoides DC.
Erysimum grandiflorum Desf.
Sisymbrium runcinatum Lag.
Biscutella auriculata L.
Muricaria prostrata Desv.
Helianthemum Fontanesii Boiss. et Reut.
Reseda Duriæana J. Gay.
R. Arabica Boiss.
Dianthus serrulatus Desf. _var._ grandiflorus.
Silene muscipula L.
Astragalus cruciatus Link.
A. Gombo Coss. et DR.
Cucumis Colocynthis L.
Polycarpon alsinefolium DC.
Daucus parviflorus Desf.
Asperula aristata L. f.
Callipeltis Cucullaria Stev.
Nolletia chrysocomoides Cass.
Micropus bombycinus Lag.
Francœuria laciniata Coss. et DR.
Anthemis pedunculata Desf.
Pyrethrum macrocephalum Coss. et DR.
Ifloga spicata Sch. Bip.
Artemisia Herba alba Asso.
A. campestris L.
Senecio Decaisnei DC.
Atractylis cæspitosa Desf.
Echinops spinosus L.
Silybum eburneum Coss. et DR.
Onopordon ambiguum Fres.
Andryala Ragusina L. _var._ virgata.
Echinospermum patulum Lehm.
E. Vahlianum Lehm.
Celsia laciniata Poir.
Phelipæa lavandulacea Schultz.
Sideritis montana L.
Blitum virgatum L.
Euphorbia glebulosa Coss. et DR.
Stipa tenacissima L.
Arthratherum pungens P. B.
A. ciliatum Nees.
Festuca Memphitica Coss.
Nous sortons du lit de l’oued pour rentrer dans la plaine
d’alluvions de la rive gauche. Devant nous, s’ouvre à l’horizon
un défilé dominé à l’ouest par des rochers presque verticaux ;
mais avant d’y arriver, nous voyons poindre deux cavaliers sur la
route poudreuse ; bientôt nous distinguons leurs képis et devinons
le docteur Robert qui vient à nous, suivi de son ordonnance. La
rencontre a lieu avec de cordiales poignées de mains et nous remontons
ensemble la longue rampe du khanguet, le long des rochers tout barbus
de buissons et habités par des Pigeons (_Columba Livia_). Parvenus au
sommet, nous quittons la route pour piquer droit sur Feriana. Devant
nous, s’étend une chaîne de collines assez basses, dont le pied
est occupé par une oasis d’arbres fruitiers que domine le panache
solitaire d’un Dattier, en face de nous, par un amas de bâtiments
blancs et de baraques (c’est le camp), et sur la gauche, par un
vaste champ de ruines, vestiges des splendeurs de Thelepte.
L’excellent docteur, après nous avoir présenté aux officiers
du Bureau des renseignements et de la garnison, m’emmène dans
une gorge crayeuse où il a découvert une plante dont nous voyons
ensemble les premières fleurs ; c’est un charmant _Hypericum_
nouveau pour la Tunisie et sans doute pour la science[29].
Le 22 juin, nous employons la journée à visiter les ruines de
Thelepte, les hautes roches entaillées à pic par les carriers et qui
portent à leur faîte les restes d’une citadelle, un grand édifice
à six niches veuves de leurs statues et qui semble avoir servi de
bains, un ensemble formidable de murs, où l’œil démêle encore
le réseau des rues, la basilique, bien reconnaissable aux bases de
ses colonnes, et, à l’est du plateau, au milieu de débris confus,
quatre hautes colonnes encore debout, que les Arabes nomment les
Frères et qui ont dû supporter une coupole. Nous prenons au retour
le lit d’un petit canal qui, du pied de la citadelle antique, porte
les eaux fraîches d’une source jusqu’au camp et aux jardins,
en suivant le pied d’une colline aux flancs rocheux. Sur les
bords, où pullulent les Lauriers-Rose, le _Juncus Fontanesii_, le
_Mentha rotundifolia_, l’_Adianthum Capillus-Veneris_, croissent
de belles touffes de _Carex echinata_ ; les rochers offrent une
variété intéressante du _Scabiosa crenata_, l’_Allium Cupani_,
l’_Argyrolobium uniflorum_, le _Rhamnus lycioides_, l’_Euphorbia
glebulosa_, le _Blitum virgatum_, l’_Ononis Columnæ_, le _Sideritis
montana_ et le _Telephium Imperati_.
Nous faisons aussi une promenade dans le village indigène, entouré de
jardins et de quelques champs de céréales. Les routes sont bordées
d’_Opuntia Ficus-Indica_, les jardins renferment des Figuiers, des
Abricotiers, quelques Poiriers et Pruniers et de beaux Grenadiers en
fleurs. Les légumes sont surtout représentés par les Oignons et
les Cucurbitacées.
23 juin. Le docteur Robert nous a conviés à une longue course. Il
nous conduit d’abord à un groupe de jardins semés de nombreux
vestiges d’un établissement romain, qui devait avoir une certaine
importance. Après avoir mis pied à terre pour fouiller un petit
bassin où vit une Amnicole et pour recueillir l’_Hypericum
tomentosum_, nous longeons un aqueduc, en grande partie souterrain,
et rejoignons la plaine où se déroule la route de Feriana
à Kairouan. Nous la suivons jusque vers le travers du Djebel
Khechem-el-Kelb. Cette montagne borne au nord un véritable fourré bas
et dru de Halfa (_Stipa tenacissima_), dont les grosses touffes et les
hautes tiges nous forcent à d’incessants détours. Quelques pieds de
_Linaria fallax_ et de _Centaurea pubescens_ s’y dissimulent. Après
trois quarts d’heure de cette marche sinueuse et pénible, nous
gagnons le pied de collines couvertes de Pins d’Alep et pénétrons
dans un ravin à pente raide, où la roche se montre à nu, et où
les pierres roulent sous les pieds de nos montures. Bientôt même,
il faut descendre et s’arrêter. A côté d’un superbe _Bupleurum_
qui commence à peine à fleurir et que j’ai cueilli en 1862 sur
la frontière au Djebel Bou-Djaber (_B. Gibraltaricum_), croît
abondamment le _Linum suffruticosum_. Dans les anfractuosités de
la crête s’abritent les _Linaria flexuosa_, _Polycarpon Bivonæ_
et _Fumaria Numidica_.
Après un déjeuner rapide, le docteur et moi, malgré la température
torride, nous abandonnons le ravin pour atteindre une longue couche de
rochers coupés à pic de notre côté et formant une table inclinée
sur le revers opposé. Nous en suivons le pied jusqu’à un col
élevé et revenons ensuite par le chemin relativement facile des
crêtes, rapportant de cette courte exploration, outre les espèces
ci-dessus indiquées, les :
Helianthemum rubellum Presl.
H. lavandulæfolium DC.
Dianthus Siculus Presl.
D. serrulatus Desf. _var._ grandiflorus.
Hypericum Roberti Coss.
Haplophyllum linifolium A. Juss.
Genista capitellata Coss. et DR.
Ononis ornithopodioides L.
Melilotus gracilis DC.
Sedum dasyphyllum L. _var_ glanduliferum.
Seseli varium Trev.
Pimpinella dichotoma L.
Centranthus Calcitrapa Dufr.
Atractylis prolifera Boiss. _var._
Centaurea Parlatoris Heldr.
Antirrhinum Orontium L. _var._ microcarpum.
Linaria rubrifolia Rob. et Cast.
Asphodelus fistulosus L.
A noter aussi quelques pieds de _Pistacia Terebinthus_ nichés dans
les fentes de la crête.
Il faut songer au retour. Nous regagnons la route de Kairouan, près
d’une sebkha qui porte le même nom que la montagne, Khechem-el-Kelb
(Museau de chien). Cette vaste mare est peu profonde et très vaseuse ;
une bande de flamants roses s’y promène tranquillement, mais à
une distance respectueuse, et les coups de feu qu’elle essuie ne
paraissent guère l’émouvoir.
Après cette fusillade inutile, nous devons nous résigner à suivre
jusqu’à Feriana la longue ligne des poteaux télégraphiques.
24 juin. J’aurais bien voulu reprendre ma course, mais
l’ingénieuse bienveillance du docteur trouve mille prétextes pour
nous retenir : son herbier à examiner, notre itinéraire à arrêter
définitivement et enfin une dernière visite à faire aux jardins,
où mon compagnon M. Lataste surprend une belle couleuvre endormie
sur un mur.
25 juin. Nous suivons la route officielle, la route de la plaine,
qui longe, tout près de Feriana, des rochers d’un rouge noir comme
du sang coagulé. Un de ces blocs a été pris par Guérin pour un
aérolithe, mais la stratification et le plongement de la roche
sous le sol où elle s’enfonce profondément prouvent qu’ils
font partie d’une formation régulière, dont ils ne sont que des
affleurements. De gros grillons aux flancs sillonnés d’ornements
d’un rouge vif (_Eugaster Guyonii_) courent sur le sol crevassé
de la route.
La plaine aboutit à un massif de collines qui semblent barrer
l’horizon. Ce n’est qu’en y touchant que nous apercevons la
porte étroite d’un long défilé tournant bordé à droite de
roches escarpées, le Foum Goubel. Pendant que nos bêtes soufflent
et que nos gens grimpent à la poursuite des perdrix qui piètent
sans vouloir s’envoler, je recueille quelques plantes : _Nigella
Hispanica_ var. _intermedia_, _Polygala saxatilis_, _Polycarpon
Bivonæ_, _Galium petræum_, _G. murale_, _Sedum dasyphyllum_
var. _glanduliferum_, _Inula montana_, _Carduus macrocephalus_,
_Scabiosa crenata_, _Linaria simplex_, _Sideritis montana_.
Le défilé débouche au milieu d’un petit bosquet de _Juniperus
Phœnicea_ d’un beau port et d’un effet pittoresque. Nous le
traversons et quittons la route pour entrer dans une véritable mer de
Halfa dont les panaches d’un blanc grisâtre, courbés par la brise,
simulent des flocons d’écume sur la crête des vagues. Après avoir
erré quelque temps à la recherche d’un guide et fait lever devant
nous des compagnies de jeunes Poules-de-Carthage, nous finissons par
entrevoir le bout de la longue nappe de Halfa et par discerner le
cercle noir d’un douar, au pied d’un fort rectangulaire romain
nommé aujourd’hui Bordj Tamesmida, qui, chose extraordinaire dans
cette région, après avoir été ruiné par les Berbères ou les
Vandales, n’a point été reconstruit par les Byzantins.
Après m’être livré, avec mon collègue M. Lataste, à la chasse
d’un intéressant reptile, le _Trogonophis Wiegmanni_, gité sous
les pierres massives du bordj, je profite du reste de jour pour
visiter l’entrée du Foum Tamesmida qui s’ouvre au nord de la
ruine. J’y retrouve le _Bupleurum Gibraltaricum_, le _Dianthus
serrulatus_ et l’_Hypericum Roberti_ du Djebel Khechem-el-Kelb,
associés au _Cistus Clusii_ et au _Ruta angustifolia_, tandis que
sur les rochers, du côté opposé, poussent le _Ballota nigra_ et
de magnifiques pieds de _Senecio ambiguus_ (nouveau pour la Tunisie),
dont les capitules ne sont pas encore épanouis.
Le lendemain matin, 26 juin, je reprends avec tout le convoi le
chemin du Foum Tamesmida. Le défilé tourne brusquement à l’est,
le long d’un rocher où croissent le _Malope malacoides_, le _Sedum
album_ var. _micranthum_, les _Linaria rubrifolia_ et _simplex_,
l’_Antirrhinum Orontium_ var. _microcarpum_ et le _Cheilanthes
odora_, puis reprend sa direction vers le nord. Un bois de Pins
d’Alep couvre les flancs du défilé, et sur les berges du torrent,
qui roule un clair filet d’eau, abonde le _Senecio ambiguus_ ; le
sentier étroit passe sans cesse d’un bord à l’autre du ravin,
bordé par les touffes du _Santolina squarrosa_, et je salue avec joie,
dans cette gorge qui sépare la Tunisie de l’Algérie, la présence
inespérée et charmante d’un Églantier en fleurs (_Rosa canina_
var. _sepium_).
Au bout de trois quarts d’heure d’une marche qui ne nous a pas paru
bien longue, nous débouchons dans une plaine où, parmi des buissons
bas, poussent de nombreux pieds d’une variété du _Thymelæa
Tarton-Raira_, arbuscule rare sur les Hauts-Plateaux de l’Algérie,
près de Djelfa, et non encore signalé en Tunisie. Nous croisons
la route directe de Tebessa et suivons une pente douce tapissée
d’un gazon ras, au sommet de laquelle s’élève une rangée
de piliers reliés à leur sommet par une longue bande de pierres
de taille. Sur le _pavimentum_ régulier qui entoure les piliers,
se dessinent parfaitement nettes des rainures circulaires qui ne
laissent aucun doute sur la destination de l’édifice. Nous sommes
en face de magnifiques presses à huile près desquelles existent des
restes considérables de murailles. Sur cette colline de Bou-Chebka
existait au temps des Romains un de ces _Prædia rustica_, immenses
domaines qui renfermaient tout un peuple d’esclaves. Les plantes
que je recueille au milieu des ruines et jusque dans les fentes du
_pavimentum_ annoncent, aussi bien que les grands champs de Halfa,
que nous sommes en pleine région des hauts plateaux. Ce sont :
Medicago secundiflora DR.
Trigonella Monspeliaca L.
T. polycerata L.
Hippocrepis scabra DC.
Minuartia campestris L.
Centaurea incana Lag.
Carduncellus Atlanticus Coss. et DR.
Androsace maxima L.
Phelipæa lavandulacea Schultz.
Calamintha graveolens Benth.
Salvia Verbenaca L.
Sideritis montana L.
Les _Trigonella polycerata_, _Minuartia campestris_, _Carduncellus
Atlanticus_ et _Calamintha graveolens_ n’avaient point encore été
rencontrés en Tunisie. De tout le voyage, nous n’avions fait en
aussi peu de temps, et sur un espace aussi restreint, une moisson
aussi précieuse.
Cependant le convoi nous a dépassés avec ses lourds chameaux,
l’heure s’avance et l’appétit vient. Nous poursuivons notre
route en longeant de grands carrés de blés ; çà et là des
Artichauts sauvages (_Cynara Cardunculus_), qui montrent leurs
capitules aux épines féroces, attestent, de même que la beauté
des épis jaunissants, la profondeur de l’humus.
Au plateau fertile succède un col ombragé de quelques arbres
et coupé par des ressauts de calcaires stratifiés. Nous en
descendons la pente pour tourner à droite dans une plaine plus
basse où les moissons ne sont pas rares et m’offrent, avec des
débris d’_Androsace maxima_, des touffes nombreuses de _Gypsophila
compressa_. Le terrain, qui s’élève vers le nord-est, est couvert
de bois de Pins, et devant nous une ruine, qui fut une forteresse
au temps de l’occupation romaine, domine du haut d’une colline
légèrement aplatie un marécage rempli de Joncs, de Cypéracées et
de hautes Graminées. La source qui lui donne naissance s’appelle
Aïn Bou-Driès et doit son nom au _Thapsia Garganica_ (en arabe
Driès, Deriès) dont les ombelles jaunissent la colline. Bêtes et
gens se précipitent vers l’eau. J’aperçois, dans le fouillis
végétal d’où s’échappe le ruisseau, une touffe énorme de
_Senecio giganteus_ que je n’atteins qu’à grand’peine en
enfonçant jusqu’à mi-jambe dans le sol spongieux et tremblant.
La fraîcheur de la source, la beauté du paysage, la proximité des
ruines nous invitaient à faire halte à Aïn Bou-Driès, mais cet
arrêt n’était pas prévu dans notre itinéraire et nous avions
intérêt à pousser plus loin avant la pluie qui menaçait. Nous
reprenons donc notre route en suivant, à gauche du ravin qui se
creuse en descendant, le bord d’un plateau où le sol gréseux
s’effrite et se couvre d’une couche de sable. A mesure que nous
avançons, le plateau est coupé de ravins de plus en plus profonds,
aux ramifications anastomosées qui rendent notre marche de plus en
plus difficile ; en outre nous étions entrés dans un bois de Pins
d’Alep et de Chênes-verts rabougris où il n’était pas aisé
de se frayer un passage. Nous campons dans un ancien champ au-dessus
du ruisseau qui, rencontrant une assise de roche plus résistante,
forme une chute d’un mètre et demi de hauteur et prend le nom
d’Oued Cherchara (rivière de la cascade). Sur l’autre rive,
la colline devient une vraie montagne toute verte de grands Pins
où roucoulent les palombes. Près de notre tente une dépression,
profonde de plus de sept mètres et large au plus de deux, entaille
le grès du plateau et ne s’évase un peu qu’en débouchant dans
l’oued ; là elle est obstruée par un immense Figuier qui verse
une ombre dense, favorable à la sieste. Malheureusement, à peine
avais-je commencé une exploration sommaire qu’une averse violente
me ramène sous la tente et ce n’est qu’à la faveur de rares
éclaircies que je puis faire encore quelques recherches dans le bois.
La présence du sable auquel donne naissance la désagrégation de la
roche explique seule l’abondance, à une pareille altitude, loin du
Sahara ou de la mer, des _Stachys arenaria_, _Nolletia chrysocomoides_,
_Echiochilon fruticosum_, _Silene Nicæensis_, _Anthemis pedunculata_
var., _Senecio coronopifolius_, _Ononis longifolia_, _Rumex Tingitanus_
var., _Andryala Ragusina_ var. _ramosissima_, _Medicago littoralis_.
Sous les Pins végètent un certain nombre d’espèces qui
appartiennent à la flore des hauts plateaux et de leur région
montagneuse inférieure :
Cistus Clusii Dun.
Helianthemum Niloticum Pers. _var._
Silene conica L.[30]
Medicago Lupulina L.
M. sativa L. (à fleura jaunes).
Trigonella Monspeliaca L.
T. polycerata L.
Hippocrepis scabra DC.
Lœflingia Hispanica L.
Galium verum L.
Othonna cheirifolia L.
Lithospermum Apulum L.
Arnebia decumbens Coss. et Kral.
Phelipæa Schultzii Walp.
Thymus hirtus Willd. _var._ Algeriensis.
Blitum virgatum L., etc.
Entre l’oued et le pied de la berge s’étend une étroite prairie
marécageuse où dominent les :
Geranium molle L.
Trifolium fragiferum L.
Tetragonolobus siliquosus Roth.
Lythrum Græfferi Ten.
Rubia lævis Poir.
Pulicaria Arabica Cass. _var._ longifolia.
Carduus macrocephalus Desf.
Cirsium lanceolatum Scop.
Phelipæa Muteli Schultz.
Juncus glaucus Ehrh.
J. Fontanesii J. Gay.
Carex echinata Desf.
Agrostis alba L. _var._ contracta.
Festuca arundinacea Schreb. _var._ interrupta.
Brachypodium pinnatum P. B.
Equisetum...
La tablette de pierre dure d’où l’eau se précipite est ornée
d’une élégante bordure de _Samolus Valerandi_ et d’_Adianthum
Capillus-Veneris_.
27 juin. Après une nuit pluvieuse, le ciel était resté ouaté de
nuages. Il était impossible d’atteindre la plaine en longeant le
cours de l’Oued Cherchara dont on ne pouvait suivre le lit étroit
et la pente rapide, et sur ses bords la forêt de Pins était trop
dense et déchiquetée par d’infranchissables ravins. Nous nous
hâtâmes donc de gagner le plateau couvert de Halfa. Après l’avoir
franchi et avoir traversé un petit filet d’eau sorti d’une
grosse roche encadrée de Capillaire (_Adianthum Capillus-Veneris_)
et d’_Hypericum tomentosum_, nous atteignons des pentes largement
ondulées dont nous suivons longtemps la ligne de faîte au milieu
du bois de Pins sous une pluie fine et pénétrante. Vers la base
de la montagne, la forêt s’éclaircit et finit par disparaître ;
devant nous s’étend la longue plaine de Fousana, bordée à gauche
par des hauteurs qui, couronnées de puissantes assises calcaires,
et séparées par d’énormes ravins boisés, représentent de
gigantesques bastions. A leur pied s’étend un terrain bas parsemé
de douars formant des cercles sombres et de ruines antiques ; dans
le lointain vers l’est, on distingue par intervalles les berges de
l’Oued El-Hateb.
Lorsque nous gagnons la plaine, au sol sablonneux des croupes boisées
succède une argile grasse où les bêtes patinent ; la pluie redouble,
et sans prendre garde aux cailles et aux outardes qui s’envolent
des champs de blés le long de la route, sans même nous arrêter à
quelques éminences surmontées de monuments mégalithiques, nous
nous hâtons, sous la pluie qui fait rage, de traverser la route
officielle pour sortir de la plaine. Nous nous engageons dans une
vallée qui, d’abord largement ouverte, ne tarde pas à se rétrécir
en gorge étroite (Foum Bouibet). En ce moment l’averse devient une
tempête et nos montures qui glissent sur le sol détrempé refusent
obstinément d’avancer. Il est impossible, dans ces conditions, de
songer à atteindre Tala, la citadelle berbère à laquelle Jugurtha
confiait ses trésors. Nous dépassons à grand’peine un ravin rempli
de grands Genévriers (_Juniperus Oxycedrus_ et _J. Phœnicea_),
et, traînant nos mules par la bride, nous cherchons un refuge dans
la forêt de Pins qui garnit la gorge. Une bâche tendue dans les
arbres nous garantit fort mal du déluge jusqu’à l’arrivée
du convoi. Un peu plus tard quelques éclaircies rendent possible
une herborisation, malheureusement trop rapide, dans les environs
immédiats de notre campement.
Je crois cependant devoir citer un certain nombre des espèces
observées pour donner un aperçu de la végétation dans les forêts
de Pins de la région :
Nigella arvensis L.
N. Hispanica L. _var._ intermedia.
Rapistrum Orientale DC. _var._
Dianthus serrulatus Desf.
Silene cerastoides L.
S. nocturna L. _var._ brachypetala.
Linum corymbiferum Desf.
Genista capitellata Coss. et DR. ?
Ononis Columnæ All.
O. ornithopodioides L.
Lotus corniculatus L.
Lotus edulis L.
Astragalus geniculatus Desf.[31]
Ebenus pinnata L.
Hedysarum pallidum Desf.
H. capitatum Desf.
Onobrychis venosa Desv.
Aizoon Hispanicum L.
Seseli varium Trev.
Atractylis cæspitosa Desf.
Scolymus grandiflorus Desf., etc.
Le sous-bois est presque entièrement composé par des buissons de
_Rosmarinus officinalis_ et des touffes de _Cistus Clusii_, de _Lygeum
Spartum_ et de _Stipa tenacissima_. Ces deux Graminées nous servent
de litière pour recouvrir le sol délayé et défoncé de notre tente.
Nous nous endormons encore une fois tristement au bruit de l’averse
ruisselante et du vent qui courbe la cime des grands Pins.
Le lendemain, 28 juin, le jour se lève terne et gris : la pluie a
cessé, mais les arbres secouent encore des gouttelettes. Néanmoins on
aperçoit au-dessus de la montagne un coin de ciel bleu. D’après les
guides, l’état des chemins ne nous permet pas d’atteindre Tala
avant la nuit et, si le mauvais temps continue, il faudra renoncer
à visiter le Guelâat Es-Snam, tandis qu’en sacrifiant Tala et
marchant directement sur Haïdra nous pourrons à la rigueur subir un
retard de vingt-quatre heures sans abandonner notre objectif principal.
Nous revenons donc sur nos pas jusqu’à l’entrée du Foum Bouibet
et marchons à l’ouest le long des collines pour atteindre la
route officielle dans la passe du Khanguet Es-Slougui (le défilé
du Lévrier). Sur notre chemin s’allonge un éperon rocheux dont
la crête est formée par un mur berbère, c’est-à-dire par deux
lignes parallèles de pierres brutes plantées verticalement. Vers
le milieu de sa longueur ce mur est interrompu par une plate-forme
presque circulaire de dalles non taillées dont le centre est occupé
par un dolmen. A la pointe de l’éperon et à l’extrémité du mur,
un second dallage porte un autre dolmen dont la table renversée gît
sur le sol.
Arrivés au khanguet, nous prenons sur la droite un chemin qui grimpe
sur une pente raide, bordé des deux côtés par des ruines romaines. A
droite s’élève la paroi abrupte de la montagne. La rampe aboutit à
un étroit plateau formé d’un côté par cette paroi, à l’ouest
par un escarpement gazonné qui plonge sur un oued presque caché
parmi les Joncs et les Cypéracées. Au sud il est limité par un
petit relèvement rocheux où grouillent les Goundis. Ce plateau
est coupé par plusieurs doubles lignes de mégalithes qui relient,
à intervalles à peu près réguliers, des dolmens bâtis au milieu
d’un dallage circulaire.
Ces bandes de pierres brutes avec leurs monuments barrent complètement
la seule voie de communication qui des ruines conduise vers le nord
et n’ont pu être établies qu’après la destruction de la ville
romaine[32].
Après une courte halte sur ce plateau, nous abordons une plaine
ondulée où alternent, suivant la nature du sol, de larges bandes
de _Lygeum Spartum_ ou de _Halfa_. Dans les ravins où la terre est
profonde le _Cynara Cardunculus_ s’étale en grosses touffes. La
plaine aboutit à une croupe allongée qui se termine par une ligne
de collines couronnées, comme toujours dans cette région, par un
bois de Pins d’Alep et de Chênes-verts. Nous franchissons une
coupure étroite dans la crête rocheuse et entrons dans une nouvelle
plaine de Halfa où jaunissent ça et là des carrés de moissons
dorées. Une nouvelle chaîne de hauteurs boisées borne devant
nous l’horizon. Nous arrivons au sommet par un terrain raviné,
récemment ravagé par l’incendie. Le flanc nord, en pente très
douce, présente, au milieu de la forêt, quelques fonds encore
verdoyants où les blés alternent avec d’étroites et longues
prairies naturelles. Tout à coup, en sortant du couvert, nous
apparaît l’ensemble imposant des ruines d’Haïdra, l’antique
Ammædra : une citadelle, deux arcs de triomphe, une basilique, une
tour hexagone, de hauts pans de murailles. Nous passons au milieu
de cippes funéraires et, tournant à gauche, nous franchissons la
rivière sur une couche horizontale de rocher d’où l’eau tombe
en cascade et allons camper à l’ouest de la citadelle. Ruinée
par les Vandales ou par les Berbères de l’Aurès, rebâtie par
les Byzantins de Bélisaire ou de Salomon, la forteresse a subi une
nouvelle destruction, peut-être au temps de la légendaire Kahina,
et ses murs encore majestueux n’entendent aujourd’hui que les
ululements de l’effraie et le glapissement des chacals.
Un officier tunisien s’est arrangé au milieu de ces ruines
un modeste asile ; il y exerce les importantes fonctions
d’inspecteur-receveur des douanes. C’est un excellent homme qui
nous accueille avec force compliments et, ce qui vaut mieux encore,
nous envoie un pot de beurre qui améliore singulièrement notre
ordinaire.
La visite des ruines et les préparatifs de notre excursion du
lendemain absorbent le reste de la journée.
Mercredi, 29 juin. Avec quelle impatience j’attendais le jour où je
pourrais enfin mettre le pied sur le Guelâat Es-Snam, ce merveilleux
plateau, cette tranche nummulitique de 100 mètres d’épaisseur qui
termine une montagne presque pyramidale et qu’à quinze lieues à la
ronde on aperçoit de tous les points de l’horizon. En 1862, lorsque,
avec le qaïd Ali, je visitais la frontière algérienne de l’Oued
Melleg à Tebessa, j’avais réussi à escalader le Djebel Bou-Djaber
dont la crête sert de limite à l’Algérie et recueilli sur le
territoire de la Tunisie le _Bupleurum Gibraltaricum_ et l’_Artemisia
Atlantica_ ; mais, à la suite d’une conférence de deux heures avec
les chefs des Oulad Bou-Ghanem, j’avais dû renoncer à pénétrer
plus avant sans faire parler la poudre. Il fallut s’éloigner,
non sans jeter un regard de regret sur cette merveilleuse forteresse
naturelle qu’à cette époque je n’espérais plus revoir.
Aussi, dès l’aube, nous étions en selle et, laissant à Haïdra
nos tentes et notre convoi, nous prenions au nord-est pour tourner
la grande forêt de Pins d’Haïdra et traversions une longue
plaine de Halfa coupée de petits plateaux pierreux où fleurit le
Romarin. Après plus de deux heures d’une marche dont l’ennui
n’est rompu que par le vol des Poules-de-Carthage ou la fuite
effarée de quelques lièvres, nous atteignions un grand ravin aux
berges marneuses au delà duquel le terrain s’élève rapidement,
à peine recouvert d’un maigre gazon qu’égaient seules les fleurs
du _Convolvulus tricolor_. Le sommet est occupé par une bande de
calcaire à Inocérames, couverte comme d’habitude par un bois de
Pins et de Chênes-verts. Avec la nature du sol change le caractère
de la végétation et nous faisons rapidement la récolte des espèces
suivantes :
Moricandia arvensis DC. _var._
Helianthemum rubellum Presl.
H. lavandulæfolium DC.
H. virgatum Pers.
Dianthus Siculus Presl.
Linum suffruticosum L.
Erinacea pungens Boiss.
Ononis Natrix L. _var._
Coronilla minima L.
Hedysarum pallidum Desf.
Bupleurum fruticescens L.
Santolina squarrosa Willd.
Centaurea incana Lag.
Carduncellus calvus Boiss. et Reut.
Anagallis linifolia L.
Linaria scariosa Desf.
La formation crétacée se termine, ainsi que la forêt, au petit
col aplati de Foum Rechiana ; devant nous se dresse une montagne
aux flancs argilo-marneux couverts de belles moissons et que domine
l’immense bloc de rocher aux bords taillés à pic qui forme à son
sommet une plate-forme de 75 à 80 hectares et s’appelle Guelâat
Es-Snam. Ce n’est pas sans une véritable émotion que j’en
atteins la base en passant au milieu des rocs détachés de la masse
qui ont roulé sur la pente. Le sommet n’étant accessible que sur
un seul point, il nous faut suivre assez longtemps le pied des hautes
parois verticales. Dans leurs anfractuosités croassent des bandes
de corbeaux et de choucas ; sur nos têtes, les aigles décrivent
de grandes courbes en jetant leur cri aigu. Au sommet des blocs,
les Goundis montrent leur tête curieuse et disparaissent au moindre
geste suspect. Une végétation luxuriante couvre le sol, des touffes
de l’_Oreobliton thesioides_[33] pendent le long des rochers ;
dans un enfoncement, un Lierre gigantesque monte jusqu’à la cime
et orne plus de cinq cents mètres carrés d’une admirable draperie.
Non loin de là un grand dolmen se dresse parmi les blocs éboulés et
deux rochers isolés présentent dans leurs flancs chacun une chambre
artistement taillée : l’une de ces chambres est même éclairée
par une étroite fenêtre.
Nous avions déjà parcouru un kilomètre depuis la pointe du rocher,
lorsque nous apercevons au bord de la plate-forme, vers le nord,
quelques maisons en pierres auxquelles on accède par des rampes de
degrés taillées en zigzag dans le rocher. Notre approche a été
signalée : deux jeunes gens descendent en bondissant l’escalier
vertigineux pour venir nous souhaiter la bienvenue au nom de leur
père, le _moqaddem_ (chef religieux) de la pauvre zaouïa du Guelâat
Es-Snam. Ils nous invitent à monter au village et à y recevoir
l’hospitalité jusqu’au lendemain, pendant que leurs gens garderont
nos bêtes à la base. Nous ne pouvions songer à séjourner dans ces
parages et la seule perspective de passer une nuit au contact des
parasites indigènes nous causait des démangeaisons. D’ailleurs
il était déjà tard et notre appétit, aiguisé par une longue
course, réclamait une satisfaction immédiate. L’ascension de la
plate-forme est en conséquence remise jusqu’après le déjeuner,
et pendant qu’on apprête ce repas sommaire sous l’arceau d’une
voûte naturelle, je recueille à pleines mains les belles plantes
qui garnissent les consoles des parois ou qui s’abritent dans
les fissures. Je revois là avec une véritable joie bon nombre des
espèces que j’étais habitué jadis à rencontrer sur les montagnes
calcaires des cercles de Guelma et de Souk-Ahras, et ce n’est
qu’au troisième appel que je me décide à revenir m’asseoir
près de mes compagnons affamés, rapportant un richissime butin :
Fumaria Numidica Coss. et DR. _var._ sarcocapnoides.
Sinapis pubescens L.
Brassica Gravinæ Ten.
Rapistrum Orientale DC.
R. hispidum Godr.
Dianthus Caryophyllus L.
Silene ambigua Camb.
S. Atlantica Coss.
Geranium molle L.
Erodium hymenodes L’Hér.
Rhamnus Alaternus L. _var._ prostrata.
R. lycioides L.
Medicago Lupulina L.
M. sativa L.
Prunus prostrata Labill.
Umbilicus pendulinus DC.
Sedum album L. _var._ micranthum.
S. dasyphyllum L. _var._ glanduliferum.
Petroselinum sativum Hoffm.
Galium lucidum All.
Anthemis punctata Vahl.
Calendula suffruticosa Vahl.
Carduus macrocephalus Desf.
Campanula Erinus L.
Echium calycinum Viv.
Verbascum Boerhavii L.
Linaria flexuosa Desf.
Stachys circinata L’Hér.
Festuca plicata Hack. (F. duriuscula L. _var._), etc.
Les _Silene Atlantica_, _Petroselinum sativum_ et _Festuca plicata_
sont nouveaux pour la flore tunisienne, ainsi que la variété
_sarcocapnoides_ du _Fumaria Numidica_ et l’_Oreobliton_.
Au sommet du rocher qui nous abrite, je distingue plusieurs beaux
pieds d’_Asphodeline lutea_ en fruits ; malheureusement ils sont
juchés sur une corniche inaccessible.
Après le déjeuner, nous longeons la base du guelâat à travers
les Chardons (_Silybum Marianum_, _Notobasis Syriaca_) et les Orties
(_Urtica pilulifera_) déjà desséchés. L’_Oreobliton_, le
_Brassica Gravinæ_, le _Sinapis pubescens_ et le _Stachys circinata_
sont extrêmement abondants. L’_Erodium hymenodes_ étale partout ses
fleurs élégantes. Il est fâcheux que la végétation printanière
ait déjà disparu ; il n’en reste que des débris dans lesquels
je crois reconnaître l’_Arabis auriculata_ et des vestiges
indéterminables d’une Véronique. En revanche le _Campanula
Numidica_ n’a pas encore épanoui ses fleurs.
Arrivés au pied des degrés, nous n’en tentons pas l’ascension
sans une certaine appréhension, bien que les mulets et les
troupeaux de la zaouïa les franchissent chaque jour. Les marches
entaillées dans un calcaire presque marmoréen sont usées, polies
et effroyablement glissantes. La première rampe aboutit à une sorte
de tour carrée dont les murs sont en partie bâtis avec des blocs
antiques et qui, en cas d’attaque, fournirait aux assiégés une
défense inexpugnable. L’escalier, affreux casse-cou, en sort par une
rampe en sens inverse et forme encore un nouveau repli avant de gagner
le sommet du plateau protégé par un mur en parapet. La plate-forme,
qui présente un développement beaucoup plus considérable que le plan
incliné sur lequel est bâti Constantine et qui a été la citadelle
des Hanencha à l’époque de leur puissance, a dû servir en tout
temps de refuge inaccessible et d’asile inviolable.
Les Romains y avaient au moins un poste ainsi que l’attestent des
voûtes antiques qui ont dû constituer des citernes (ou peut-être des
silos) et de nombreuses pierres taillées ou sculptées dont l’une
porte l’épitaphe d’un Fortunatus pleuré par sa femme. Le nom
arabe de Guelâat Es-Snam (la forteresse des idoles) semble indiquer
qu’il s’y trouvait des statues et probablement un temple.
Nous sommes reçus très courtoisement par le _moqaddem_, vieillard
à barbe blanche, qui insiste pour nous conserver comme hôtes au
moins pendant vingt-quatre heures, offre d’autant plus méritoire
que sa zaouïa, où affluaient jadis les pèlerins et les offrandes,
est aujourd’hui presque complètement délaissée. Nous traversons
rapidement les rues encombrées d’herbes rudérales et bordées
de maisons en ruines, pour gagner deux cavités rectangulaires à
ciel ouvert creusées dans le roc, mais peu profondes, qui servent de
citernes aux habitants. La première est encombrée par le _Ranunculus
aquatilis_ var. _Baudotii_, que nous sommes surpris de rencontrer
en pareil lieu. Nous parcourons ensuite trop rapidement l’immense
étendue de la plate-forme, où la roche nue ne présente guère de
végétation que dans les crevasses qui la sillonnent et où s’est
déposé un peu d’humus. Des Légumineuses, déjà rôties par le
soleil, en forment le fond : _Medicago Cupaniana_, _M. elegans_,
_M. tuberculata_, _M. tribuloides_, _M. turbinata_, _M. minima_,
_Trifolium scabrum_, _T. stellatum_, _T. suffocatum_, _T. tomentosum_,
_Melilotus sulcata_, _Astragalus sesameus_, _A. hamosus_, _A. Stella_,
_A. cruciatus_ var. ?, etc. Vers les bords du plateau, nous retrouvons
les _Sedum_ qui croissent le long des parois et en outre une forme
intéressante du _Sedum acre_ ainsi que quelques restes presque
méconnaissables d’un _Sagina_ nain.
Des bords de cette magnifique plate-forme, de 1454 mètres
d’altitude, qui domine toute la région, la vue s’étend sur
un magique panorama. Du côté de l’ouest, au bas des pentes
argilo-marneuses, se dresse la cime rocheuse et dentelée du Bou-Djaber
et plus à l’ouest se profile le long plateau du Dir. Vers le
sud, la vue s’étend à travers des ondulations de collines sur
la masse sombre des forêts de Pins. A l’est, de vastes plaines,
où serpente l’Oued Serrath et où s’élève le Djebel Hanech,
sont semées de moissons blondes et tachetées par les douars des
Oulad Bou-Ghanem et des Ferachich. Enfin, vers le nord, à gauche
de monticules aux flancs abrupts, se dessine la silhouette du Kef,
blanche sur le fond gris de la crête qui le domine.
La fuite de l’heure nous arrache à nos contemplations et nous
ramène près de la zaouïa où nous attendent des jeunes filles
aux cheveux ébouriffés et fort peu débarbouillées, les mains
pleines d’œufs qu’elles viennent nous vendre. Des têtes de
femmes apparaissent au-dessus des terrasses, suivant de l’œil
les chances du marché. Quelques pièces blanches mettent en
liesse les pauvres déguenillées et leurs mères. Le _moqaddem_,
grave et digne, m’attend au sommet de l’escalier et récite le
_fatha_[34] sur ma tête. La descente est plus dangereuse encore que
l’ascension. J’arrive pourtant en bas sans accident, appuyé sur
l’épaule du fils aîné de notre hôte.
Nous reprenons notre route à travers les blocs tombés de la
cime et descendons vers le col dans les moissons où croissent le
_Lychnis macrocarpa_, le _Rhaponticum acaule_ et le _Carduncellus
calvus_. Après avoir franchi le Foum Rechiana et traversé le
bois de Pins, nous prenons vers l’ouest une route nouvelle qui
doit nous conduire plus rapidement à Haïdra à travers la forêt
que nous avons contournée le matin ; mais, une fois engagés dans
les massifs de Pins et de Genévriers, nos guides se trompent et
s’égarent malgré nos observations réitérées. Pendant plus de
trois heures, nous errons à travers les fourrés épais, nous heurtant
aux troncs qui nous meurtrissent et aux branches dont les aiguilles
nous aveuglent. Déjà le soleil a disparu depuis longtemps lorsque
nous sortons de l’inextricable dédale et débouchons sur l’Oued
Haïdra à plus de six kilomètres du campement ; à la tombée de la
nuit, notre petite troupe se débande et chacun rentre au campement
aussi vite que sa monture consent à le porter.
30 juin. La course de la veille a un peu fatigué hommes et bêtes, on
réclame un jour de repos. Mais, d’autre part, les vivres et l’orge
sont presque épuisés et les chameliers qui sont restés à Haïdra
s’impatientent. Comme transaction, il est décidé que le départ
aura lieu après midi et que l’on ira coucher sur la frontière
algérienne. J’en profite pour franchir la rivière et faire une
exploration dans la forêt de Pins traversée un peu hâtivement
le jour de notre arrivée. J’y récolte plusieurs plantes que je
n’avais pas encore rencontrées en Tunisie, et dresse une liste
intéressante d’espèces appartenant en Algérie à la région des
Hauts-Plateaux et de leurs montagnes :
Nigella Hispanica L. _var._ intermedia.
Matthiola lunata R. Br.[35]
Helianthemum rubellum Presl.
H. glaucum Pers. _var._ croceum.
Reseda Duriæana J. Gay.
R. Luteola L.
Dianthus Siculus Presl.
Erodium Ciconium Willd.
Argyrolobium Linnæanum Walp.
Ononis Columnæ All.
Hippocrepis scabra DC.
Cachrys pterochlæna DC.
Galium verum L.
Inula montana L.
Santolina squarrosa Willd.
Microlonchus Duriæi Spach.
Centaurea Parlatoris Heldr.
C. acaulis L. _var._ Balansæ.
Carduncellus Atlanticus Coss. et DR.
Leuzea conifera DC.
Catananche lutea L.
Helminthia aculeata DC.
Linaria scariosa Desf.
Sideritis montana L.
Stachys arenaria Vahl.
Teucrium compactum Boiss.[36]
T. Pseudo-Chamæpitys L.
Blitum virgatum L.
Wangenheimia Lima Mœnch.[37]
Les préparatifs du départ se font rapidement. Nous remontons le cours
de la rivière et nous nous engageons ensuite dans une vaste plaine
où la route coupe les blés qui commencent à mûrir. Les Ferachich,
qui sont des demi-nomades, reviennent pour la moisson ; quelques
tentes sont déjà installées ; à chaque instant défilent des
chameaux chargés, des groupes de femmes et d’enfants qui poussent
des bandes de moutons aux grosses queues lourdes, des cavaliers aux
longs fusils qui font caracoler leurs chevaux en passant près de
nous. Plus sauvages et plus hérissés, des moissonneurs au tablier
de cuir, la faucille sur l’épaule, les pieds poudreux dans leurs
sandales de peaux encore saignantes, s’en vont offrir leurs services
aux colons de Tebessa qu’ils ghazziaient autrefois.
Parmi les blés hauts et drus, dans la terre noire et profonde,
poussent le _Ridolfia segetum_ encore en boutons, le Bou-Nefa ou Driès
(_Thapsia Garganica_), une autre Ombellifère trapue à large ombelle
jaune, le _Carduus pteracanthus_ et d’énormes pieds de _Cynara
Cardunculus_ que respecte toujours la charrue arabe.
Devant nous coule entre ses berges gazonnées un oued insignifiant :
c’est pourtant la limite de l’Algérie. Avant de la franchir,
je commande une halte pour faire une dernière herborisation sur le
sol tunisien, et sur un petit coin de plateau rocheux, au milieu des
plantes de la région déjà vulgaires pour moi, j’ai la chance de
cueillir une espèce qui ajoutera un nom au catalogue de sa flore :
l’_Ononis antiquorum_.
Nos gens me rappellent, impatients d’arriver au campement. A trois
kilomètres au delà de la frontière, nous dressons nos tentes
au sommet d’un coteau à pente douce, dont la base est baignée
par un ruisselet limpide encombré de Cresson. Le cheikh, jeune et
élégant, arrive suivi de son _qaouadji_ qui porte une cafetière
d’argent et nous souhaite en français la bienvenue. Des serviteurs
nous offrent une diffa copieuse où le mouton et le piment n’ont
point été épargnés. Lorsque nous nous retirons sous la toile,
nos gens, bien repus et couchés autour du feu, entament, dans la
nuit sereine et silencieuse, une interminable mélopée qui nous
procure un doux sommeil.
1er juillet. Nous marchons rapidement et joyeusement à travers
un pays accidenté où les champs de blé se mêlent aux forêts
de Pins. Un défilé rapide et glissant, où abonde le _Calamintha
graveolens_ aux fortes senteurs, nous amène à des rochers d’un
grand caractère qui surmontent un coteau obstrué d’énormes blocs
éboulés. J’y recueille le _Microlonchus Clusii_, mais la vue de
Tebessa, dont on aperçoit les jardins comme une tache sombre entre
la plaine et la montagne, allume notre impatience, et, sans même
consacrer un coup d’œil à une grande ruine romaine placée au
beau milieu du chemin, nous roulons plutôt que nous ne descendons
dans la plaine. Une demi-heure nous suffit pour franchir les quelques
kilomètres qui nous séparent de la ville.
Une heure plus tard, hommes du train, cavaliers et sakhars nous
faisaient leurs adieux ; nous étions installés à l’hôtel et,
après de longues pérégrinations, le terme de notre mission était
atteint.
* * * * *
RÉSUMÉ ET CONCLUSION.
* * * * *
La végétation du pays que nous avons parcouru doit son
caractère particulier à deux faits intéressants : le premier,
c’est l’absence des grands sables, la région des Aregs ne
commençant qu’au midi des montagnes des Ghomrasen et de la
chaîne du Nefzaoua, très avant dans le sud et loin de la mer ;
le second est la présence dans la région de la Syrte de plantes
telles que le _Filago Mareotica_, le _Deverra tortuosa_, le _Silene
succulenta_, le _Vaillantia lanata_, le _Lagonychium Stephanianum_,
le _Centaurea contracta_, l’_Atractylis flava_ qui, de même que les
_Convolvulus Dorycnium_, _Iberis sempervirens_, _Hypericum crispum_,
_Poterium spinosum_, etc., rencontrés plus au nord en Tunisie, où
ils trouvent leur limite occidentale, appartiennent à la flore de
l’Orient. Ce fait, déjà signalé dès 1854 par notre excellent
ami M. le docteur Cosson dans son _Sertulum Tunetanum_ et mentionné
par M. Doûmet-Adanson dans le compte rendu de sa première mission,
reçoit une nouvelle confirmation de nos récentes observations. On
est par suite fondé à admettre l’existence ancienne, dans la
Méditerranée, de deux bassins différents en même temps que le
rattachement de la Sicile au continent africain dans la région du
cap Bon.
La situation politique du pays nous ayant empêchés de pénétrer
jusqu’aux Aregs et aux pâturages sahariens des grands nomades,
nous n’avons point recueilli les plantes arénicoles que l’on
est convenu d’appeler plus particulièrement sahariennes, comme
l’_Ephedra alata_ (Alenda), le _Genista Saharæ_ (Merkh), la
grande forme du _Calligonum comosum_ (Ezzel), le _Limoniastrum
Guyonianum_ (Zeïta) et le _Zilla macroptera_ (Chebrom), qui,
d’après les renseignements fournis par les Arabes, doivent s’y
rencontrer, sans doute en compagnie du _Tamarix articulata_ (Etel),
de l’_Erythrostictus punctatus_, de l’_Heliotropium luteum_
et des autres plantes de la flore du Souf.
C’est aussi à la nature du terrain que l’on doit attribuer, dans
la région que nous avons explorée, la rareté d’autres espèces
sahariennes qui apparaissent sporadiquement là seulement où, soit
dans le lit des oueds, soit au pied de roches désagrégées, elles
rencontrent le sable qui paraît être la condition nécessaire de
leur existence, beaucoup plus que les influences de la latitude et de
la chaleur. Ces plantes, en effet, parmi lesquelles nous citerons
seulement : _Cladanthus Arabicus_, _Ifloga spicata_, _Senecio
coronopifolius_, _Nolletia chrysocomoides_, _Tanacetum cinereum_,
_Arthratherum pungens_ et _plumosum_, _Festuca Memphitica_, se montrent
beaucoup plus fréquemment dans les formations arénacées qu’à
Zarzis ou à l’extrémité de l’Aradh. Ainsi le Drin (_Arthratherum
pungens_), qui, en Algérie, est presque caractéristique de la région
saharienne et dont nous n’avons vu, pendant notre exploration, que
quelques touffes isolées, croît abondamment presque aux portes de
Tunis, dans les dunes d’Hammam-Lif !
Passons maintenant à l’étude particulière des diverses parties
du territoire parcouru.
Si nous considérons le Sud tunisien de l’est à l’ouest,
l’Aradh se présente d’abord, long couloir entre la mer et la
montagne par où a passé le flot de toutes les invasions orientales,
plaine presque absolument unie, à peine coupée par quelques faibles
ressauts calcaires ou par quelques collines dont la plus haute est
le Djebel Tadjera. Sur le sol argilo-caicaire, labouré par des lits
arides d’oueds torrentueux, la végétation s’étend, maigre
et monotone, des portes de Gabès à l’Oued Feçi et à la Sebkha
des Biban (Bahirt-el-Biban). Les _Zizyphus Lotus_, _Retama Rætam_,
_Calycotome intermedia_, _Rhus oxyacanthoides_, _Nitraria tridentata_ y
forment des buissons plus ou moins rares ; les _Thymelæa microphylla_,
_Rhanterium suaveolens_, _Anarrhinum brevifolium_, trois _Deverra_
(_D. chlorantha_, _D. tortuosa_, _D. scoparia_), le _Polygonum
equisetiforme_, l’_Andropogon hirtus_ et le _Lygeum Spartum_
constituent partout (sauf dans les sebkhas ou sur le littoral envahis
par les Salsolacées et les _Statice_) le fond habituel de la flore :
leur abondance et leurs proportions réciproques varient seules suivant
le degré de profondeur ou de sécheresse du terrain. Il faut aussi
citer, quoique moins fréquente, le _Carduncellus eriocephalus_, le
_Delphinium pubescens_, l’_Atractylis flava_ et l’_Apteranthes
Gussoneana_ qui se dissimule presque toujours dans les touffes du
_Lygeum Spartum_.
La longue chaîne parallèle à la mer qui s’épanouit en se
déprimant chez les Matmata et qui a son point culminant au Djebel
Demeur, chez les Haouaïa (à 750 mètres), se termine en Tunisie
par le piton pittoresque de Douiret et le massif transversal des
Ouderna. Du côté de l’Aradh, elle s’élève abruptement,
comme par des cassures superposées, et se couronne de couches
d’un calcaire dur formant plateau, tandis que, vers l’ouest,
s’étend une longue pente tectiforme que les Arabes nomment le
Dahr (le dos). Les couches du calcaire crétacé ou du grès n’y
retiennent pas l’eau : à peine si l’on y remarque quelques
suintements qui ne coulent pas jusqu’à la plaine (Aïn Guettar,
Aïn Temran) et de rares puits dans les passes qui la traversent. Aussi
(abstraction faite du domaine du Halfa) la végétation spontanée y
est-elle pauvre, sauf sur le bord du plateau des Haouaïa ou dans de
rares crevasses des ravins garnies de quelques broussailles. Partout
ailleurs, le _Rosmarinus officinalis_, le _Calycotome intermedia_, le
_Periploca angustifolia_ et l’_Anthyllis Henoniana_ représentent,
avec quelques pieds de _Retama Rætam_, la flore frutescente. En
revanche, on y compte quelques plantes spéciales ou intéressantes :
sur le plateau ou le long des consoles rocheuses croissent le _Teucrium
Alopecuros_, l’_Erodium arborescens_ et l’_Onopordon Espinæ_, qui,
abondant dans les steppes aux environs de Kairouan et de la Sebkha
El-Hani, devient ici, à l’extrémité de son aire, une plante de
montagne. Le _Stipa tenacissima_, rare sur le littoral tunisien où
le _Lygeum Spartum_ usurpe son nom arabe (Halfa), vit aux flancs des
collines élevées des Matmata et abonde sur leurs plateaux. Sur les
deux sommets de la chaîne (Djebel Demeur et Guelâa des Matmata),
nous devons signaler : _Celsia laciniata_, _Galium petræum_ et
_Bourgæanum_, _Caucalis cærulescens_, _Centaurea Africana ?_,
_Genista capitellata ?_.
Le Djebel Aziza, qui court à l’ouest du Dahr, présente une
végétation analogue.
Entre le Djebel Tebaga et le Chott El-Fedjedj, la plaine, bien
que l’eau y soit rare, est couverte d’un plus grand nombre
d’arbustes et de plantes ligneuses que l’Aradh. Les _Atriplex
Halimus_ et _mollis_, le _Thymelæa hirsuta_ et le _Peganum Harmala_
y sont surtout fort communs. Parmi les plantes herbacées dominent
l’_Helianthemum Tunetanum_, l’_Hedysarum carnosum_, l’_Astragalus
Kralikianus_, le _Linaria laxiflora_, l’_Ammosperma cinereum_,
le _Pyrethrum fuscatum_.
Un peu avant Limaguès et Seftimi commence la région si curieuse du
Nefzaoua que traverse une double chaîne de collines, prolongation et
atténuation du Djebel Tebaga. Des deux côtés de l’arête centrale
qui finit par s’effacer complètement vers la pointe ouest du pays,
des sources, probablement artésiennes pour la plupart, sourdent au
fond de nombreux bassins et alimentent des oasis qui s’étendent
jusque dans la région des Aregs. Déjà le sable commence à se
montrer assez abondamment près de Kebilli et la végétation à se
rapprocher de la flore saharienne de Biskra ainsi que l’indique
l’apparition de l’_Euphorbia Guyoniana_, du _Malcolmia Africana_,
du _Reseda Alphonsi_ et du _Tamarix pauciovulata_. En approchant
du grand Chott El-Djerid, les terrains salés et les Salsolacées
se multiplient, tandis que les collines rocheuses issues du Tebaga
deviennent d’une aridité désolée.
Du côté occidental du chott, dans le Beled-el-Djerid, la tendance
que nous venons de signaler s’accentue bien davantage : les _Fagonia
virens_, l’_Oligomeris dispersa_, le _Polycarpæa fragilis_, le
_Sclerocephalus Arabicus_, l’_Astragalus Gyzensis_, le _Cyperus
conglomeratus_, l’_Arthratherum obtusum_ et l’_Andropogon
laniger_ s’ajoutent aux espèces des Ziban déjà mentionnées,
tandis que l’apparition inattendue du _Panicum turgidum_, cette
curieuse Graminée égyptienne découverte par notre ami M. le Dr
V. Reboud dans la vallée de l’Oued El-Arab, rattache le Djerid
aux vallées sahariennes de l’Aurès.
La bordure étroite qui s’étend au nord du Chott El-Djerid,
au pied du long massif du Djebel Cherb, montre une végétation
identique, dans son ensemble, à celle de la rive méridionale ;
mais les gorges de la montagne et les oueds qui en sortent offrent
quelques plantes d’un intérêt particulier : un _Sporobolus_
probablement nouveau, le _Lotus hosackioides_, déjà recueilli aux
mêmes lieux par M. le Dr André et qui se retrouve au sud du Maroc,
les _Megastoma pusillum_, _Echinospermum Vahlianum_, _Salvia Jaminiana_
et _Aristida Adscensionis_ var. _pumila_.
Dans tout le bassin des Chotts, comme dans l’Aradh, l’_Anarrhinum
brevifolium_ et le _Rhanterium suaveolens_ sont également abondants
et paraissent s’étendre dans l’ouest jusqu’aux limites de
l’Algérie, si même ils n’y pénètrent pas.
L’influence saharienne se fait encore sentir, quoique plus
faiblement, dans les plaines au nord de la chaîne du Cherb et se
prolonge même le long de la vallée de l’Oued Feriana, ouverte aux
effluves du midi, tandis que sur les collines, à partir de Sidi-Aïch,
domine la flore des hauts plateaux. Un îlot de verdure, au milieu du
lit de l’Oued Zitouna, présente un singulier mélange de plantes
du sud qui y remontent et d’espèces du nord qui y sont descendues,
amenées par les eaux.
A Feriana, le changement est complet : le Halfa règne en maître dans
la plaine et sur les hauteurs ; les Pins d’Alep et les Genévriers
s’étendent en lignes claires ou en massifs forestiers profonds,
suivant la disposition du terrain et la fréquence des incendies : dans
les gorges, le long des rochers, sur le bord des oueds, la végétation
ressemble à celle des environs de Tebessa et des parties basses de
l’Aurès. On peut y signaler toutefois quelques plantes spéciales,
telles que l’_Hypericum Roberti_. Au _Teucrium Alopecuros_ du sud,
cantonné dans la chaîne des Matmata, des Haouaïa et dans les Djebels
Aziza et Tebaga, se substitue le _Teucrium compactum_ des pentes
inférieures de l’Aurès et des Maâdid ; à l’_Helianthemum
Tunetanum_, les _Helianthemum Fontanesii_ et _lavandulæfolium_. La
flore du sud a disparu sans laisser de traces ailleurs que sur quelques
points où la désagrégation du grès favorise la croissance de deux
ou trois espèces surtout arénicoles.
Cette région du Halfa et des forêts de Pins continue en Tunisie
les Hauts-Plateaux de la province de Constantine avec leurs collines
et leurs montagnes isolées ; c’est bientôt, en s’avançant
à l’est, la région des Hamadas où les reliefs sont presque
tous couronnés par des tables rocheuses plus ou moins inclinées,
au-dessus de vallées dont le niveau s’abaisse graduellement vers
Kairouan et l’Enfida.
Le Guelâat Es-Snam, qui s’élève près de la frontière et atteint
1454 mètres, est lui-même une véritable hamada, et l’un des
points culminants de la Tunisie. Aussi offre-t-il une végétation
particulière qui se retrouve d’ailleurs sur les montagnes de même
altitude du cercle de Souk-Ahras et sera peut-être constatée sur
quelques-unes de ces montagnes boisées des environs de Sbiba au pied
desquelles a passé Desfontaines.
Nous venons d’indiquer à grands traits les caractères principaux
de la flore tunisienne dans les régions que nous avons abordées ; le
président de la Mission de l’exploration scientifique de la Tunisie
a déjà fait connaître le résultat de la campagne botanique de 1883
dans le nord du pays. Il résulte de ces constatations qu’il manque
à cette flore deux des plus beaux fleurons de celle de l’Algérie :
les espèces des montagnes élevées et celles du grand Sahara. La
nature lui a refusé les plantes des hauts sommets, il suffira sans
doute d’une exploration dans le Sud pacifié pour y trouver au
moins une partie des secondes.
* * * * *
NOTES :
[Note 1 : Le temps m’avait manqué pour achever l’étude de cette
curieuse localité. J’ai pu y retourner en 1886, au printemps, et
en compléter l’exploration. (Note ajoutée pendant l’impression.)]
[Note 2 : Le _Prodrome de la malacologie terrestre et fluviatile de la
Tunisie_ a paru avant que l’impression de ce Rapport fût terminée.]
[Note 3 : Cet arbuste, rare en Tunisie, est remplacé dans le Sud
par le _Rhus oxyacanthoides_. Ce n’est qu’à Hammam-Sousa qu’en
1883 la Mission botanique a trouvé les deux espèces réunies.]
[Note 4 : غاردِماو « la grotte couleur de sang ».]
[Note 5 : كبّار « Kabbar ».]
[Note 6 : Je ne puis me résigner à adopter l’orthographe suivie
par l’État-major et adoptée par l’honorable président de la
Mission. Le mot رصاص, qui signifie _plomb_, présente deux fois
la même lettre (ص) qu’il est complètement illogique de transcrire
en français par deux lettres différentes.]
[Note 7 : التمر والحليب الڢتور متع الحبيب « La datte et le lait sont
le déjeuner qu’on offre à un ami ».]
[Note 8 : Le vent du sud, le sirocco ou semoum « l’empoisonné ».]
[Note 9 : Le _Caucalis cærulescens_ et le _Galium Bourgæanum_
sont nouveaux pour la flore tunisienne.]
[Note 10 : Hadedj حدج est un des noms arabes de la Coloquinte
(_Cucumis Colocynthis_).]
[Note 11 : La mission algérienne de Ghadamès a rencontré ces
mêmes habitations à Zenthan où, d’après Vatonne, elles seraient
creusées par des ouvriers venus du Fezzan. Quelques-unes ont deux
étages, ce qui existe aussi chez les Matmata (_Mission de Ghadamès_,
p. 80, 81, 234 et 235, fig. 5 et 6). Des demeures troglodytiques
sont également signalées dans diverses chaînes de montagnes ou de
collines de la Tripolitaine.]
[Note 12 : جرڢ ام أَلعزير, le coteau du Romarin.]
[Note 13 : Les indigènes, suivant un usage presque général
en Tunisie, prononcent le qaf ڧ comme un G et disent :
Gueçar-el-Metameur, pour ڧصار المتامر.]
[Note 14 : Ces hangars s’appellent _Khourçç_, خُرصّ pluriel
_Khourçaç_ خُرصاص, ou _Kib_ كيب, pluriel _Kiab_ كياب.]
[Note 15 : Comme presque tous les _Pancratium_, celui-ci a bien poussé
en serre, mais n’y a pas fleuri. Il faut attendre pour être fixé
sur sa détermination qu’un botaniste fasse une nouvelle excursion à
Aïn Guettar à la fin de l’été ou au commencement de l’automne,
époque présumée de la floraison.]
[Note 16 : Djenoun, pluriel arabe de Djinn, « démon, esprit
malfaisant ».]
[Note 17 : Trois jours après notre passage, un djich d’insurgés
surprenait les Ghomrasen au bordj même du Bir El-Ahmar et ghazziait
leur troupeau après leur avoir tué ou blessé plusieurs hommes.]
[Note 18 : Le Ras-el-Aïn sert souvent aux maraudeurs d’aiguade et
de poste d’embuscade. Le lendemain de notre passage, une troupe de
dix brigands de la frontière s’y était installée ; la cavalerie
de la compagnie mixte fut prévenue trop tard et, lorsqu’elle arriva,
l’ennemi avait déjà décampé.]
[Note 19 : C’est le nom sous lequel ce golfe est désigné sur les
cartes marines.]
[Note 20 : Une grande partie de la population berbère de Djerba
appartient, comme les Mozabites d’Algérie, à la secte schismatique
des Ibadites.]
[Note 21 : صيبُض, صيبُط. Ce nom a une étrange analogie avec
celui de Cibada, Civada, Cevada, qui sert à désigner l’avoine en
espagnol et dans nos patois méridionaux.]
[Note 22 : Ces sources sont de deux natures : les unes surgissent
au fond d’une sorte d’entonnoir à trois ou quatre mètres
au-dessous du sol et arrivent de bas en haut en faisant tourbillonner
le sable : ce sont de véritables puits artésiens, probablement
naturels. Lorsqu’on y jette une grosse pierre, elle descend
à une certaine profondeur et le mouvement du sable cesse de se
produire jusqu’à ce qu’une colonne d’eau, violemment soulevée,
débarrasse le canal encombré et s’étale en bouillonnant fortement
au-dessus de la surface du bassin. Nous avons essayé d’attacher
la pierre à une corde, mais cette corde était ou trop courte et
s’échappait de nos mains, ou trop fragile et se brisait presque
immédiatement. Les autres sources, qui se déversent au fond de la
tranchée presque au même niveau que les premières, paraissent
au contraire provenir de nappes beaucoup moins profondes, presque
horizontales et qui semblent venir du nord ou du nord-ouest.]
[Note 23 : Le service des forêts a été chargé d’étudier cette
question vitale de l’ensablement, et un agent supérieur, connu
par des travaux antérieurs dans des pays de dunes, désigné pour
procéder aux études nécessaires. Les travaux de défense sont
aujourd’hui en voie d’exécution.]
[Note 24 : Il paraît que jadis les gens de Tozer passaient pour
des voleurs incorrigibles, et le bon Moula Ahmed s’étonne que
ces déprédations d’une race qui vole la nuit et escroque le
jour n’aient pas attiré sur Tozer de catastrophes éclatantes ;
il faut bien, dit-il, que l’indulgence et la miséricorde de Dieu
soient infinies ! Il est probable que le pauvre homme y avait perdu
une partie de sa garde-robe.]
[Note 25 : A Djara, dans l’oasis de Gabès, les constructions et
les réparations de barrages s’exécutent de même aux sons d’un
orchestre endiablé. Les femmes y assistent dans leurs plus riches
atours et excitent par leurs encouragements et par leurs _youyous_
le zèle et l’adresse des jeunes hommes.]
[Note 26 : Nouveau pour la flore de la Tunisie.]
[Note 27 : Nouveau pour la flore de la Tunisie.]
[Note 28 : Nouveau pour la Tunisie.]
[Note 29 : _Hypericum Roberti_ Coss.]
[Note 30 : Nouveau pour la flore tunisienne.]
[Note 31 : Nouveau pour la flore tunisienne.]
[Note 32 : Ces monuments, qui font suite à ceux qui ont été
observés à l’Enfida, à la Kesra, à Maktar, à Hammam-Zoukra et
à Ellez, rattachent ce que nous appellerons la région dolménique de
la Tunisie aux grandes agglomérations mégalithiques algériennes
du Dir, de Tebessa, de l’Oued Zenati, des Zardeza, de Roknia
et des environs de Constantine. Leur nombre, l’étendue de
l’aire qu’elles occupent, leur mode particulier de construction
annoncent une œuvre vraiment nationale et ne permettent pas de les
attribuer à des garnisons gauloises ou à de simples migrations
celtiques. L’architecture primitive à laquelle nous devons les
dolmens, les menhirs et les tumulus et dont nous retrouvons les
traces des Syrtes jusqu’au Maroc, aussi bien qu’en France ou dans
les Îles Britanniques, cette architecture qui n’est pas restée
étrangère à l’Asie et dont la Bible porte témoignage, ne saurait
être d’après nous l’apanage et la caractéristique d’une seule
race. Nous essaierons de démontrer dans un mémoire spécial que les
monuments mégalithiques du Nord-Afrique doivent être logiquement
et certainement attribués aux Berbères, qui sont le premier peuple
que l’histoire signale de la Marmarique au détroit de Gabès ;
que les Numides en ont construit pendant la durée de l’âge de la
pierre et de l’âge du bronze, mais qu’ils ont continué à en
édifier pendant la période romaine et jusqu’à la conquête arabe.]
[Note 33 : L’_Oreobliton thesioides_, lorsqu’il est exposé
en plein soleil, a les feuilles étroites de la forme typique ;
au contraire, dans les anfractuosités où il croît à l’ombre,
ses feuilles sont larges et ovales : c’est alors la forme qui a
reçu le nom d’_O. chenopodioides_.]
[Note 34 : Le _fatha_ (ouverture) est le premier verset du Koran.]
[Note 35 : Nouveau pour la Tunisie.]
[Note 36 : Nouveau pour la flore tunisienne. Remplace dans la zone
montagneuse des plateaux le _Teucrium Alopecuros_ des montagnes
sahariennes.]
[Note 37 : Nouveau pour la Tunisie.]
*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 74801 ***
Rapport sur une mission botanique exécutée en 1884 dans le nord, le sud et l'ouest de la Tunisie
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EXPLORATION
SCIENTIFIQUE
DE LA TUNISIE,
PUBLIÉE
SOUS LES AUSPICES DU MINISTÈRE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE.
RAPPORT SUR UNE MISSION
EXÉCUTÉE EN 1884.
RAPPORT
SUR
UNE MISSION BOTANIQUE
EXÉCUTÉE EN 1884
DANS LE NORD, LE SUD ET L’OUEST...
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— End of Rapport sur une mission botanique exécutée en 1884 dans le nord, le sud et l'ouest de la Tunisie —
Book Information
- Title
- Rapport sur une mission botanique exécutée en 1884 dans le nord, le sud et l'ouest de la Tunisie
- Author(s)
- Letourneux, A. (Aristide)
- Language
- French
- Type
- Text
- Release Date
- November 26, 2024
- Word Count
- 37,550 words
- Library of Congress Classification
- DT; QK
- Bookshelves
- Browsing: Science - Earth/Agricultural/Farming, Browsing: Travel & Geography
- Rights
- Public domain in the USA.
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