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The Project Gutenberg EBook of Rťcits d'une tante (Vol. 2 de 4), by
Louise-Elťonore-Charlotte-Adťlaide d'Osmond, comtesse de Boigne

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Title: Rťcits d'une tante (Vol. 2 de 4)
Mťmoires de la Comtesse de Boigne, nťe d'Osmond

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The Project Gutenberg EBook of Rťcits d'une tante (Vol. 2 de 4), by Louise-Elťonore-Charlotte-Adťlaide d'Osmond, comtesse de Boigne This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: Rťcits d'une tante (Vol. 2 de 4) Mťmoires de la Comtesse de Boigne, nťe d'Osmond Author: Louise-Elťonore-Charlotte-Adťlaide d'Osmond, comtesse de Boigne Release Date: May 12, 2010 [EBook #32348] Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK R…CITS D'UNE TANTE (VOL. 2 DE 4) *** Produced by Mireille Harmelin and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the BibliothŤque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) and Internet Archive. M…MOIRES DE LA COMTESSE DE BOIGNE II _Il a ťtť tirť de cet ouvrage mille exemplaires sur vergť teintť des Papeteries de Corvol-l'Orgueilleux tous numťrotťs._ Nļ [Illustration: H…L»NE DILLON, MARQUISE D'OSMOND, M»RE DE LA COMTESSE DE BOIGNE, d'aprŤs un portrait de J. Isabey (Collection de Mademoiselle Osmonde d'Osmond).] R…CITS D'UNE TANTE M…MOIRES DE LA COMTESSE DE BOIGNE N…E D'OSMOND PUBLI…S INT…GRALEMENT D'APR»S LE MANUSCRIT ORIGINAL II _1815.--L'Angleterre et la France de 1816 ŗ 1820._ _PARIS_ …MILE-PAUL FR»RES, …DITEURS 100, RUE DU FAUBOURG-SAINT-HONOR… 1921 CINQUI»ME PARTIE 1815 CHAPITRE I Sťjour en Piťmont. -- Restauration de 1815. -- Passage ŗ Lyon. -- Marion. -- Arrivťe ŗ Turin. -- Dispositions du Roi. -- Son gouvernement. -- Le cabinet d'ornithologie. -- Le comte de Roburent. -- Les _Biglietto regio_. -- La sociťtť. -- Le lustre. -- Les loges. -- Le thť‚tre. -- L'Opťra. -- Dťtails de moeurs. -- Le marquis del Borgo. J'ai toujours pensť que, pour conserver de la dignitť ŗ son existence, il fallait la diriger dans le sens d'une principale et persťvťrante affection et que le dťvouement ťtait le seul lien de la vie des femmes. N'ayant ťtť, de fait, ni ťpouse ni mŤre, je m'ťtait entiŤrement donnťe ŗ l'amour filial. Quelque rťpugnance que j'eusse ŗ la carriŤre que mon pŤre venait de reprendre, ŗ la rťsidence oý on l'envoyait, et malgrť ma complŤte indťpendance de position, je ne me rappelle pas avoir ťprouvť un instant d'hťsitation ŗ le suivre. Ce souvenir, placť ŗ une distance de vingt annťes, m'est doux ŗ retrouver. Nous nous arrÍt‚mes trois jours ŗ Lyon. Je me rappelle une circonstance de ce sťjour dont je fus trŤs touchťe. Ma femme de chambre, qui ťtait lyonnaise, me pria de lui donner quelques heures de libertť pour aller voir un ancien ami de son pŤre. Le lendemain, pendant que je faisais ma toilette, on vint la demander. Elle avait fait appeler des marchands d'ťtoffes pour moi et s'informa si c'ťtait eux qui attendaient; on lui rťpondit que c'ťtait une vieille paysanne n'ayant qu'un bras. ęOh! fit-elle, c'est la bonne Marion? c'est bien beau, son bras, allez, madame! Ma mŤre nous l'a souvent fait baiser avec respect.Ľ Cette phrase excita ma curiositť, et j'obtins le rťcit suivant: ęMadame sait que mon pŤre ťtait libraire du Chapitre et vendait principalement des livres d'ťglise, ce qui le mettait en relation avec les ecclťsiastiques. Parmi eux, monsieur Roussel, curť de Vťriat, venait le plus ŗ la maison; mon pŤre allait souvent chez lui et ils ťtaient trŤs amis. ęLors de la Terreur, tous deux furent arrÍtťs et jetťs dans la mÍme prison. Marion, servante de monsieur Roussel, et bien attachťe ŗ son maÓtre, quitta le village de Vťriat, et vint ŗ Lyon pour se rapprocher de lui. Ma mŤre lui donna un asile chez nous oý, comme Marion, nous ťtions trŤs inquiets et trŤs malheureux, manquant de pain encore plus que d'argent et ayant bien de la peine ŗ trouver de quoi manger. Cependant Marion parvenait, ŗ force d'industrie, ŗ se procurer chaque jour un petit panier de provisions qu'elle rťussissait ordinairement ŗ faire arriver jusqu'ŗ monsieur Roussel. ęUn matin oý elle avait ťtť brutalement repoussťe, sa persťvťrance ŗ rťclamer l'entrťe de la prison ayant impatientť un des sans-culottes qui ťtait de garde, il s'avisa de dire qu'assurťment son panier contenait une conspiration contre la Rťpublique et voulut s'en emparer. Marion, prťvoyant le pillage de son pauvre dÓner, voulut le dťfendre. Alors un de ces monstres, un peu plus tigre que les autres, s'ťcria: ęHť bien! nous allons voirĽ, et il abattit d'un coup de sabre le bras qui tenait le panier. Les ťclats de rire accueillirent cette action. La pauvre Marion, laissant sa main et la moitiť de son avant-bras sur le pavť de la prison, serra sa plaie sanglante dans son tablier et revint chez nous. Ma mŤre lui donna les premiers soins, tandis qu'on alla chercher un chirurgien pour la panser. Elle montra une force et un courage prodigieux. BientŰt aprŤs, ma mŤre la vit chercher un autre panier et le remplir de nouvelles provisions. ęQue faites-vous lŗ, Marion? ę--Eh bien donc, j'arrange le dÓner pour monsieur. ę--Mais, Marion, vous ne pensez pas retourner lŗ-bas. ę--Eh! il n'y pas dťjŗ tant si loin.Ľ ęEnfin, quoi qu'on lui pŻt dire, elle partit, mais rentra au bout d'une minute. ęVous voyez bien, Marion, que vous n'ťtiez pas en ťtat d'aller, lui dit ma mŤre, en lui avanÁant une chaise. ę--Si fait bien! merci; mais, madame Vernerel, je voudrais que vous m'arrangiez ce linge roulť au bout du bras pour y donner la longueur, parce que, si monsieur s'apercevait qu'il manque, cela pourrait lui faire de la peine et qu'il en a dťjŗ bien assez, le pauvre cher homme.Ľ ęMa mŤre, touchťe jusqu'aux larmes, obťit ŗ Marion. Celle-ci fit ŗ monsieur Roussel l'histoire d'un panaris au doigt qui expliquait son bras en ťcharpe. Elle ne cessa pas un seul jour ses pieux soins; il n'apprit qu'ŗ sa sortie de prison la perte de son bras.Ľ On peut croire que j'ťprouvai un vif dťsir de voir l'admirable Marion. J'entrai dans la chambre oý elle se trouvait, apportant un petit cadeau d'oeufs frais et de fromage ŗ la crŤme pour sa chŤre enfant, comme elle appelait mademoiselle Louise. C'ťtait une vieille paysanne, grande, maigre, ridťe, h‚lťe jusqu'au noir, mais encore droite et conservant l'aspect de la force. Je la questionnai sur l'aventure qu'on venait de me raconter et j'eus la satisfaction qu'elle ne se doutait pas avoir ťtť sublime. Elle paraissait presque contrariťe de mon admiration et n'ťtait occupťe qu'ŗ se disculper d'avoir trompť monsieur le Curť. ęMais, disait-elle, c'est qu'il est si bÍte, ce brave homme, ŗ se faire du mal, ŗ se tourmenter pour les autres!Ľ Et, comme je la rassurais de mon mieux sur ce pieux mensonge: ęAu fait, monsieur le Curť m'a dit depuis qu'il m'aurait dťfendu de revenir s'il avait su cette drŰlerie, reprit-elle en regardant son bras; ainsi j'ai bien fait tout de mÍme de le tromperĽ, et elle partit d'un ťclat de rire de franche gaietť. Mademoiselle Louise me dit: ęEt Marion, madame, n'en fait pas moins bien le mťnage et la bonne soupe que j'ai mangťe hier.Ľ Marion sourit ŗ ces paroles flatteuses, mais, hochant la tÍte ęAh! dame, non, ma chŤre enfant; je ne suis pas si habile qu'avant, mais ce pauvre cher homme du bon Dieu, Áa ne s'impatiente jamais.Ľ J'ai regrettť de n'avoir pas vu monsieur Roussel. L'homme ęassez bÍteĽ, comme disait Marion, pour inspirer un pareil dťvouement devait Ítre bien intťressant a connaÓtre. Nous arriv‚mes ŗ Turin au moment oý la sociťtť y ťtait le plus dťsorganisťe. Le Roi n'avait rapportť de Cagliari qu'une seule pensťe; il y tenait avec l'entÍtement d'un vieil enfant: il voulait tout rťtablir comme en _Novant-ott_. C'ťtait sa maniŤre d'exprimer, en patois piťmontais, la date de 1798, ťpoque ŗ laquelle il avait ťtť expulsť de ses …tats par les armťes franÁaises. Il en rťsultait des consťquences risibles: par exemple, ses anciens pages reprenaient leur service ŗ cŰtť des nouveaux nommťs, de sorte que les uns avaient quinze ans et les autres quarante. Tout ťtait ŗ l'avenant. Les officiers, ayant acquis des grades supťrieurs, ne pouvaient rester dans l'armťe qu'en redevenant cadets. Il en ťtait de mÍme dans la magistrature, dans l'administration, etc. C'ťtait une confusion oý l'on se perdait. La seule exception ŗ la loi du _Novant-ott_ et, lŗ, le bon Roi se montrait trŤs facile, ťtait en faveur de la perception des impŰts: ils ťtaient triplťs depuis l'occupation des franÁais, et Sa Majestť sarde s'accommodait fort bien de ce changement. Le Roi avait ramenť tous les courtisans qui l'avaient suivi ŗ Cagliari pendant l'ťmigration. Aucun n'ťtait en ťtat de gouverner un seul jour. D'une autre part, l'empereur Napolťon avait, selon son usage, ťcrťmť le Piťmont de tous les gens les plus distinguťs et les avait employťs dans l'Empire, ce qui, aux yeux du Roi, les rendait incapable de le servir. L'embarras ťtait grand. On alla rechercher un homme restť en dehors des affaires mais qui ne manquait pas de moyens, le comte de Valese, enfermť depuis nombre d'annťes dans son ch‚teau du val d'Aoste. Il y avait conservť bon nombre de prťjugťs et d'idťes aristocratiques et contre-rťvolutionnaires, mais pourtant c'ťtait un libťral en comparaison des arrivants de Sardaigne. Il lui fallait encore les mťnager, et je crois qu'il a bien souvent rougi des concessions qu'il ťtait obligť de faire ŗ leur ignorance. Dans sa passion pour revenir au _Novant-ott_, le Roi voulait dťtruire tout ce qui avait ťtť crťť par les franÁais et, entre autres, plusieurs collections scientifiques. Un jour, on lui demanda gr‚ce pour celle d'ornithologie qu'il avait visitťe la veille et dont il semblait ravi; il entra dans une grande colŤre, dit que toutes ces innovations ťtaient oeuvres de Satan.... Ces cabinets n'existaient pas en _Novant-ott_, et les choses n'en allaient pas plus mal.... Il n'ťtait nul besoin d'Ítre plus habile que ses pŤres.... Sa verve ťpuisťe, il ajouta qu'il n'admettrait d'exception que pour les oiseaux; ils lui plaisaient, il voulait qu'on en prÓt grand soin. La partie sarde du Conseil approuva l'avis du Roi. Monsieur de Valese et monsieur de Balbe se turent en baissant les yeux. La destruction du cabinet d'ornithologie et la conservation de celui des oiseaux passa ŗ l'immense majoritť. Ces niaiseries, dont je ne rapporterai que celle-lŗ mais qui se renouvelaient journellement, rendaient le gouvernement ridicule, et, lorsque nous arriv‚mes ŗ Turin, il ťtait dans le plus haut degrť de dťconsidťration. Depuis, l'extrÍme bonhomie du Roi lui avait rendu une sorte de popularitť, et la nťcessitť l'avait forcť, de son cŰtť, ŗ tempťrer les dispositions absurdes rapportťes de Cagliari. Il fallait en revenir aux personnes dont le pays connaissait et apprťciait le mťrite, lors mÍme qu'elles n'auraient pas passť vingt-cinq annťes de leur vie dans l'oisivetť. Monsieur de Valese avait bien un peu de peine ŗ s'associer des gens avec lesquels il avait ťtť longtemps en hostilitť: peut-Ítre mÍme craignait-il que les rťpugnances, une fois complŤtement surmontťes, on ne trouv‚t parmi ceux qui avaient servi l'Empereur des capacitťs supťrieures ŗ la sienne. Cependant, comme il ťtait homme d'honneur et voulant le bien, il engageait le Roi ŗ confier les places importantes aux personnes en ťtat de les faire convenablement et chaque jour apportait quelque amťlioration aux premiŤres extravagances. L'absence de la Reine, restťe en Sardaigne, rendait le Roi plus accessible aux conseils de la raison. Cependant elle avait dťlťguť son influence ŗ un comte de Roburent, grand ťcuyer et espŤce de favori dont l'importance marquait dans cette Cour. C'ťtait le reprťsentant de l'ťmigration et de l'ancien rťgime, avec toute l'exagťration qu'on peut supposer ŗ un homme trŤs bornť et profondťment ignorant. Je me rappelle qu'un jour, chez mon pŤre, on parla du baptÍme que les matelots font subir lorsqu'on passe la ligne; mon pŤre dit l'avoir reÁu; monsieur de Roburent reprit avec un sourire bien gracieux: ęVotre Excellence a passť sous la ligne; vous avez donc ťtť ambassadeur ŗ Constantinople?Ľ Il y avait alors trois codes ťgalement en usage en Piťmont; l'ancien code civil, le code militaire qui trouvait moyen d'ťvoquer toutes les affaires, et le code Napolťon. Selon que l'un ou l'autre ťtait favorable ŗ la partie protťgťe par le pouvoir, un _Biglietto regio_ enjoignait de s'en servir; cela se renouvelait ŗ chaque occasion. ņ la vťritť, si cette prťcaution ťtait insuffisante, un second _Biglietto regio_ cassait le jugement et, sans renvoyer devant une autre cour, dťcidait le contraire de l'arrÍt rendu. Mais il faut l'avouer, ceci n'arrivait guŤre que pour les gens tout ŗ fait en faveur. Il y eut une aventure qui fit assez de bruit pendant notre sťjour. Deux nobles piťmontais de province avaient eu un procŤs qui fut jugť ŗ Casal. Le perdant arriva en poste ŗ Turin, parvint chez monsieur de Roburent et lui reprťsenta que ce jugement ťtait inique, attendu qu'il ťtait son cousin. Monsieur de Roburent comprit toute la force de cet argument, et obtint facilement un _Biglietto regio_ en faveur du cousin. Trois jours aprŤs, arrive l'autre partie, apportant pour toute piŤce ŗ consulter une gťnťalogie prouvant qu'il ťtait, aussi, cousin de monsieur de Roburent et d'un degrť plus rapprochť. Celui-ci l'examine avec grand soin, convient de l'injustice qu'il a commise, descend chez le Roi, et rapporte un second _Biglietto regio_ qui rťtablit le jugement du tribunal. Tout cela se passait sans mystŤre; il ne fallait en mettre un peu que pour en rire, quand on ťtait dans une position officielle comme la nŰtre. L'intolťrance ťtait portťe au point que l'ambassade de France devint un lieu de rťprobation. On ne pardonnait pas ŗ notre Roi d'avoir donnť la Charte, encore moins ŗ mon pŤre de l'approuver et de proclamer hautement que cette mesure, pleine de sagesse, ťtait rendue indispensable par l'esprit public en France. Ces doctrines subversives se trouvaient tellement contraires ŗ l'esprit du gouvernement sarde que, ne pouvant empÍcher l'ambassadeur de les professer, on laissait entrevoir aux piťmontais qu'il valait mieux ne point s'exposer ŗ les entendre. Les _Purs_ ťtaient peu disposťs ŗ venir ŗ l'ambassade. Ceux qui, ayant servi en France, avaient des idťes un peu plus libťrales, craignaient de se compromettre, de sorte que nous ne voyions guŤre les gens du pays qu'en visite de cťrťmonie. Il n'y avait pas grand'chose ŗ regretter. La sociťtť de Turin, comme celle de presque toutes les villes d'Italie, offre peu de ces honnÍtes mťdiocritťs dont se compose le _monde_ dans les autres contrťes. Quelques savants et des gens de la plus haute distinction, plus nombreux peut-Ítre qu'ils ne sont ailleurs, y mŤnent une vie retirťe, pleine d'intťrÍt et d'intelligence. Si on peut pťnťtrer dans cette coterie ou en faire sortir quelques-uns des membres qui la composent, on est amplement payť des soins qu'il a fallu se donner pour atteindre ŗ ce but, mais cela est fort difficile. En revanche, la masse dansante et visitante est d'une sottise, d'une ignorance fabuleuses. On dit que, dans le sud de l'Italie, on trouve de l'esprit naturel. Le Piťmont tient du nord pour l'intelligence et du midi pour l'ťducation. En tout, ce pays est assez mal partagť. Son climat, plus froid que celui de France en hiver, est plus orageux, plus pťniblement ťtouffant que l'Italie en ťtť; et les beaux-arts n'ont pas franchi les Apennins pour venir jusqu'ŗ lui: ils seraient effarouchťs par l'horrible jargon qu'on y parle; il les avertirait bien promptement qu'ils ne sont point dans leur patrie. Tout le temps de mon sťjour ŗ Turin, j'ai entendu rťguliŤrement chaque jour, pendant ce qu'on appelait l'avant-soirťe oý mon pŤre recevait les visites, discuter sur une question que je vais prťsenter consciencieusement sous toutes ses faces. Le prince BorghŤse, gouverneur du Piťmont sous l'Empereur, avait fait placer un lustre dans la salle du grand thť‚tre. C'ťtait, il faut tout dire, une innovation. Il offrit de le donner, il offrit de le vendre, il offrit de le faire Űter ŗ ses frais, il offrit d'Ítre censť le vendre sans en rťclamer le prix, il offrit d'accepter tout ce que le Roi en voudrait donner, il offrit enfin qu'il n'en fŻt fait aucune mention.... Je me serais volontiers accommodťe de ce dernier moyen. Lorsque j'ai quittť Turin au bout de dix mois, il n'y avait pas encore de parti pris, et la sociťtť continuait ŗ Ítre agitťe par des opinions trŤs passionnťes au sujet du lustre; on attendait l'arrivťe de la Reine pour en dťcider. La distribution des loges avait, pour un temps, apportť quelque distraction ŗ cette grande occupation. J'ťtais si peu prťparťe ŗ ces usages que je ne puis dire avec quel ťtonnement j'appris qu'aux approches du carnaval le Roi s'ťtait rendu au thť‚tre, avec son confesseur, pour dťcider ŗ qui les loges seraient accordťes. Les gens _bien pensants_ ťtaient les mieux traitťs. Cependant, il fallait ajouter aux bonnes opinions la qualitť de grand seigneur pour en avoir une aux premiŤres et tous les jours. La premiŤre noblesse ťtait admise aux secondes, la petite noblesse se disputait les autres loges avec la haute finance. Toutefois, pour avoir un tiers ou un quart de loge aux troisiŤmes, il fallait quelque alliance aristocratique. Pendant que cette liste se formait, Dieu sait quelles intrigues s'agitaient autour du confesseur et ŗ combien de rťclamations sa publication donna lieu! Cela se comprend cependant en rťflťchissant que tous les amours-propres ťtaient mis en jeu d'une faÁon dont la publicitť ťtait rťvťlťe chaque soir pendant six semaines. On s'explique aussi la fureur et la colŤre des personnes qui, depuis vingt ans, vivaient sur le pied d'ťgalitť avec la noblesse et qui, tout ŗ coup, se voyaient repoussťes dans une classe exclue des seuls plaisirs du pays. Ce qui m'a paru singulier, c'est que la fille noble qui avait ťpousť un roturier (il faut bien se servir de ces mots, ils n'ťtaient pas tombťs en dťsuťtude ŗ Turin) ťtait mieux traitťe dans la distribution des loges que la femme d'un noble qui ťtait elle-mÍme roturiŤre. Je suppose que c'ťtait dans l'intťrÍt des filles de qualitť qui n'ont aucune espŤce de fortune en Piťmont. Je le crois d'autant plus volontiers que j'ai entendu citer comme un des avantages d'une jeune fille ŗ marier qu'elle apportait le droit ŗ une demi-loge. Quand la liste, revue, commentťe, corrigťe, fut arrÍtťe, on expťdia une belle lettre officielle, signťe du nom du Roi et cachetťe de ses armes, qui prťvint que telle loge, en tout ou en partie, vous ťtant dťsignťe, vous pouviez en envoyer chercher la clef. Pour l'obtenir alors, il fallait payer une somme tout aussi considťrable qu'ŗ aucun autre thť‚tre de l'Europe. De plus, il fallait faire meubler la loge, y placer des tentures, des rideaux, des siŤges, car la clef ne donnait entrťe que dans un petit bouge vide avec des murailles sales. C'ťtait une assez bonne aubaine pour le tapissier du Roi. Ces frais faits, on achŤte encore ŗ la porte (pour un prix assez modique, ŗ la vťritť) le droit d'entrer au thť‚tre, de sorte que l'ťtranger qu'on engage ŗ venir au spectacle est forcť de payer son billet. Malgrť, ou peut-Ítre ŗ cause de toutes ces formalitťs, l'ouverture du grand Opťra fut un ťvťnement de la plus haute importance. DŤs le matin, toute la population ťtait en agitation, et la foule s'y porta le soir avec une telle affluence que, malgrť toutes les prťrogatives des ambassadeurs, nous pens‚mes Ítre ťcrasťes, ma mŤre et moi en y arrivant. La salle est fort belle, le _lustre_ y ťtait demeurť _provisoirement_ et l'ťclairait assez bien, mais les vťritables amateurs de l'ancien rťgime lui reprochaient de ternir l'ťclat de la _couronne_ (On appelle _la couronne_ la loge du Roi). C'est un petit salon qui occupe le fond de la salle, est ťlevť de deux rangs de loges sur une largeur de cinq ŗ peu prŤs, extrÍmement dťcorť en ťtoffes et en crťpines d'or et brillamment ťclairť en girandoles de bougies. Avant l'innovation du lustre, la salle ne recevait de lumiŤre que de la loge royale. Celle de l'ambassadeur de France ťtait de tout temps vis-ŗ-vis de la loge du prince de Carignan et la meilleure possible. On aurait bien ťtť tentť de l'Űter ŗ l'ambassadeur d'un Roi constitutionnel, mais pourtant on n'osa pas, mon pŤre ayant fait savoir qu'il serait forcť de le trouver mauvais. Cela ne se pouvait autrement, d'aprŤs l'importance qu'on y attachait dans le pays. Le spectacle ťtait comme par toute l'Italie: deux bons chanteurs ťtaient entourťs d'acolytes dťtestables, de sorte qu'il n'y avait aucun ensemble. Mais cela suffisait ŗ des gens qui n'allaient au thť‚tre que pour y causer plus librement. On ťcoutait deux ou trois morceaux, et le reste du temps on bavardait comme dans la rue; le parterre, debout, se promenait lorsqu'il n'ťtait pas trop pressť. Un ballet dťtestable excitait des transports d'admiration; les dťcorations ťtaient moins mauvaises que la danse. Les jeunes femmes attendent l'ouverture de l'Opťra avec d'autant plus d'empressement qu'elles habitent toujours chez leur belle-mŤre et que, tant qu'elles la conservent, elles ne reÁoivent personne chez elles. En revanche, la loge est leur domicile et, lŗ, elles peuvent admettre qui elles veulent. Les hommes de la petite noblesse mÍme s'y trouvent en rapport avec les femmes de la premiŤre qui ne pourraient les voir dans leurs hŰtels. On entend dire souvent: ęMonsieur un tel est un de mes _amis de loge_Ľ. Et monsieur un tel se contente de ce rapport qui, dit-on, devient quelquefois assez intime, sans prťtendre ŗ passer le seuil de la maison. L'usage des _cavaliers servants_ est tombť en dťsuťtude. S'il en reste encore quelques-uns, ils n'admettent plus que ce soit ŗ titre gratuit et, hormis qu'elles sont plus affichťes, les liaisons n'ont pas plus d'innocence qu'ailleurs. L'usage en Piťmont est de marier ses enfants sans leur donner aucune fortune. Les filles ont une si petite dot qu'ŗ peine elle peut suffire ŗ leur dťpense personnelle, encore est-elle toujours versťe entre les mains du beau-pŤre; il paye la dťpense du jeune mťnage, mais ne lui assure aucun revenu. J'ai vu le comte TancrŤde de Barolle, fils unique d'un pŤre qui avait cinq cent mille livres de rente, obligť de lui demander de faire arranger une voiture pour mener sa femme aux eaux. Le marquis de Barolle calculait largement ce qu'il fallait pour le voyage, le sťjour projetť et y fournissait sans difficultť. Sa belle-fille tťmoignait-elle le dťsir de voir son appartement arrangť: architectes et tapissiers arrivaient, et le mobilier se renouvelait magnifiquement; mais elle n'aurait pas pu acheter une table de dix louis dont elle aurait eu la fantaisie. Permission plťniŤre de faire venir toutes les modes de Paris; le mťmoire ťtait toujours acquittť sans la moindre rťflexion. En un mot, monsieur de Barolle ne refusait rien ŗ ses enfants, que l'indťpendance. J'ai su ces dťtails parce que madame de Barolle ťtait une franÁaise (mademoiselle de Colbert) et qu'elle en ťtait un peu contrariťe, mais c'ťtait l'usage gťnťral. Tant que les parents vivent, les enfants restent _fils de famille_ dans toute l'ťtendue du terme, mais aussi, dans la proportion des fortunes, on cherche ŗ les en faire jouir. Le marquis de Barolle, dont je viens de parler, ťtait sťnateur et courtisan fort assidu de l'Empereur. Pendant un sťjour de celui-ci ŗ Turin, le marquis lui fit de vives reprťsentations sur ce qu'il payait cent vingt mille francs d'impositions. ęVraiment, lui dit l'Empereur, vous payez cent vingt mille francs? --Oui, sire, pas un sol de moins, et je suis en mesure de le prouver ŗ Votre Majestť, voici les papiers. --Non, non, c'est inutile, je vous crois; et je vous en fais bien mon compliment.Ľ Le marquis de Barolle fut obligť de se tenir pour satisfait. Le charme que les dames piťmontaises trouvent au thť‚tre les y rend trŤs assidues, mais cela n'est plus d'obligation comme avant la Rťvolution. Quand une femme manquait deux jours ŗ aller ŗ l'Opťra, le Roi envoyait s'enquťrir du motif de son absence et elle ťtait rťprimandťe, s'il ne le jugeait pas suffisant. En tout, rien n'ťtait si despotique que ce gouvernement soi-disant paternel, surtout pour la noblesse. ņ la vťritť, il la dispensait souvent de payer les dettes qu'elle avait contractťes envers les roturiers (ce qui, par parenthŤse, rendait les prÍts tellement onťreux que beaucoup de familles en ont ťtť ruinťes); mais, en revanche, il dťcidait de la faÁon dont on devait manger son revenu. Il disait aux uns de b‚tir un ch‚teau, aux autres d'ťtablir une chapelle, ŗ celui-ci de donner des concerts, ŗ cet autre de faire danser, etc. Il fixait la rťsidence de chacun dans la terre ou dans la ville qui lui convenait. Pour aller ŗ l'ťtranger, il fallait demander la permission particuliŤre du Roi; il la donnait difficilement, la faisait toujours attendre et ne l'accordait que pour un temps trŤs limitť. Un sťjour plus ou moins long dans la forteresse de Fťnestrelle aurait ťtť le rťsultat de la moindre dťsobťissance ŗ l'intťrieur. Si on avait prolongť l'absence ŗ l'ťtranger au delŗ du temps fixť, la sťquestration des biens ťtait de droit sans autre formalitť. Le marquis del Borgo, un des seigneurs piťmontais les plus riches, souffrait tellement de rhumatismes qu'il s'ťtait ťtabli ŗ Pise, ne pouvant supporter le climat de Turin. Lorsque le roi Charles Amťdťe fit construire la place Saint-Charles, un _Biglietto regio_ enjoignit au marquis d'acheter un des cŰtťs de la place et d'y faire une faÁade. BientŰt aprŤs un nouveau _Biglietto regio_ commanda un magnifique hŰtel dont le plan fut fourni, puis vint l'ordre de le dťcorer, puis de le meubler avec une magnificence royale imposťe piŤce par piŤce. Enfin, un dernier _Biglietto regio_ signifia que le propriťtaire d'une si belle rťsidence devait l'habiter, et la permission de rester ŗ l'ťtranger fut retirťe. Le marquis revint ŗ Turin en enrageant, s'ťtablit dans une chambre de valet, tout au bout de son superbe appartement qu'il s'obstina ŗ ne jamais voir mais qui ťtait traversť matin et soir par la chŤvre dont il buvait le lait. C'est la seule femelle qui ait montť le grand escalier tant que le vieux marquis a vťcu. Ses enfants ťtaient restťs dans l'hŰtel de la famille. J'ai vu sa belle-fille ťtablie dans celui de la place Saint-Charles; il ťtait remarquablement beau. C'est elle qui m'a racontť l'histoire des _Biglietto regio_ du marquis et de la chŤvre. Elle ťtait d'autant plus volontiers hostile aux formes des souverains sardes qu'elle-mÍme, ťtant fort jeune et assistant ŗ un bal de Cour, la reine Clotilde avait envoyť sa dame d'honneur, ŗ travers la salle, lui porter une ťpingle pour attacher son fichu qu'elle trouvait trop ouvert. La marquise del Borgo, soeur du comte de Saint-Marsan, ťtait spirituelle, piquante, moqueuse, amusante, assez aimable. Mais elle nous ťtait d'une faible ressource; elle se trouvait prťcisťment en position de craindre des rapports un peu familiers avec nous. La conduite des dames piťmontaises est gťnťralement assez peu rťguliŤre. Peut-Ítre, au surplus, les ťtrangers s'exagŤrent-ils leurs torts, car elles affichent leurs liaisons avec cette effronterie naÔve des moeurs italiennes qui nous choque tant. Quant aux maris, ils n'y apportent point d'obstacle et n'en prennent aucun souci. Cette philosophie conjugale est commune ŗ toutes les classes au delŗ des Alpes. Je me rappelle ŗ ce propos avoir entendu raconter ŗ Mťnageot (le peintre), que, dans le temps oý il ťtait directeur des costumes ŗ l'Opťra de Paris, il ťtait arrivť un jour chez le vieux Vestris et l'avait trouvť occupť ŗ consoler un jeune danseur, son compatriote, dont la femme, vive et jolie figurante, lui donnait de noires inquiťtudes. AprŤs toutes les phrases banales appropriťes ŗ calmer les fureurs de l'Othello de coulisse, Vestris ajouta dans son baragouin semi italien: ęEt _pouis_, vois-_tou_, ami, dans _noutre_ ťtat les _cournes_ c'est _coumme_ les dents: quand elles poussent, cela fait _oun_ mal _dou diavolo_ ... _pou_ ŗ _pou_ on _s'accoutoume_, et _pouis_ ... et _pouis_ ... on finit par manger avec.Ľ Mťnageot prťtendait que le conseil avait prospťrť assez promptement. CHAPITRE II Les visites ŗ Turin. -- Le comte et la comtesse de Balbe. -- Monsieur DauzŤre. -- Le prince de Carignan. -- Le corps diplomatique. -- Le gťnťral Bubna. -- Ennui de Turin. -- Aspect de la ville. -- Appartements qu'on y trouve. -- Rťunion de GÍnes au Piťmont. -- DÓner donnť par le comte de Valese. -- Jules de Polignac. Tant que dure la saison de l'Opťra, on ne fait ni ne reÁoit de visites: c'est un d'autant plus grand bťnťfice qu'ŗ Turin l'usage n'admet que celles du soir. Les palais sont sans portier et les escaliers sans lumiŤre. Le domestique qui vous suit est muni d'une lanterne avec laquelle il vous escorte jusqu'au premier, second, troisiŤme ťtage d'une immense maison dont le propriťtaire titrť habite un petit coin, le reste ťtant louť, souvent ŗ des gens de finance. On doit arriver en personne ŗ la porte de l'appartement, rester dans sa voiture et envoyer savoir si on y est passť pour une impertinence. Cependant les dames reÁoivent rarement. Le costume dans lequel on les trouve, l'arrangement de leur chambre, aussi bien que de leur personne, prouve qu'elles ne sont pas prťparťes pour le monde. Il faut excepter quelques maisons ouvertes, les del Borgo, les Barolle, les Bins, les Mazin, etc. Comme nous ne suivions pas fort rťguliŤrement le thť‚tre, nous restions assez souvent le soir chez nous en trŤs petit comitť. Monsieur et madame de Balbe faisaient notre plus grande ressource. Le comte de Balbe ťtait un de ces hommes distinguťs que j'ai signalťs plus haut: des connaissances acquises et profondes en tout genre ne l'empÍchaient pas d'Ítre aimable, spirituel, gai et bon homme dans l'habitude de la vie. L'Empereur l'avait placť ŗ la tÍte de l'Universitť. La confiance du pays l'avait nommť chef du gouvernement provisoire qui s'ťtait formť entre le dťpart des franÁais et l'arrivťe du Roi. Il s'y ťtait tellement conciliť tous les suffrages qu'on n'avait pas osť l'expulser tout ŗ fait et il ťtait restť directeur de l'instruction publique, avec entrťe au conseil oý, cependant, il n'ťtait appelť que pour les objets spťciaux, tels que les cabinets d'ornithologie. Il ťtait fort au-dessus de la crainte puťrile de montrer de la bienveillance pour nous, et nous le voyions journellement. Sa femme ťtait franÁaise, trŤs vive, trŤs bonne, trŤs amusante; elle ťtait cousine de monsieur de Maurepas, avait connu mes parents ŗ Versailles et s'ťtablit tout de suite dans notre intimitť. La famille des Cavour y ťtait aussi entrťe. Ceux-lŗ se trouvaient trop compromis pour avoir rien ŗ mťnager; la mŤre avait ťtť dame d'honneur de la princesse BorghŤse et le fils marťchal du palais et l'ami du prince. La soeur de sa femme avait ťpousť un franÁais qui a certainement rťsolu un grand problŤme. Monsieur DauzŤre, directeur de la police gťnťrale pendant toute l'administration franÁaise, en satisfaisant pleinement ses chefs, ťtait parvenu ŗ se faire tellement aimer dans le pays qu'il n'y eut qu'un cri lorsque le Roi voulut l'expulser comme les autres franÁais employťs en Piťmont. Il est restť ŗ Turin, bien avec tout le monde; il a fini par avoir une grande influence dans le gouvernement et, depuis mon dťpart, j'ai entendu dire qu'il y jouait un principal rŰle. Nous voyions aussi, mais avec moins d'intimitť, la comtesse Mazin, personne d'un esprit fort distinguť; elle avait ťtť ťlevťe par son oncle, l'abbť Caluzzo, dont le nom est familier ŗ tous les savants de l'Europe. Voilŗ, avec le corps diplomatique, ce qui formait le fond de notre sociťtť. Le prince de Carignan ťtait bien content lorsque son gouverneur l'amenait chez nous. ņ peine ťchappť d'une pension ŗ GenŤve, oý il jouissait de toute la libertť d'un ťcolier, on l'avait mis au rťgime d'un prince piťmontais, et cependant on hťsitait ŗ le proclamer hťritier de la Couronne. Il ťtait dans les instructions de mon pŤre d'obtenir cette reconnaissance; il y travaillait avec zŤle, et le jeune prince, le regardant comme son protecteur, venait lui raconter ses dolťances. Une des choses qui l'affligeait le plus ťtait les prťcautions exagťrťes qu'on prenait de sa santť, aussi bien que de son salut, et les sujťtions qu'elles lui imposaient. Par exemple, il ne pouvait monter ŗ cheval que dans son jardin, entre deux ťcuyers, et sous l'inspection de son mťdecin et de son confesseur. Ce confesseur suivait toutes les actions de sa vie; il assistait ŗ son lever, ŗ son coucher, ŗ tous ses repas, lui faisait faire ses priŤres et dire son bťnťdicitť; enfin il cherchait constamment ŗ exorciser le dťmon qui devait Ítre entrť dans l'‚me du prince pendant son sťjour dans ces deux pays maudits, Paris et GenŤve. Au lieu d'obtenir sa confiance pourtant, il ťtait seulement parvenu ŗ lui persuader qu'il ťtait son espion et qu'il rendait compte de toutes ses actions et de toutes ses pensťes au confesseur du Roi, qui l'avait placť prŤs de lui. Mon pŤre l'encourageait ŗ la patience et ŗ la prudence, tout en compatissant ŗ ses peines. Il comprenait combien un jeune homme de quinze ans, ťlevť jusque-lŗ dans une libertť presque exagťrťe (sa mŤre s'en occupait trŤs peu) devait souffrir d'un changement si complet. Le prince ťtait fort aimť de son gouverneur, monsieur de Saluces; il avait confiance en lui et en monsieur de Balbe, un de ses tuteurs. Quand il se trouvait chez mon pŤre, et qu'il n'y avait qu'eux et nous, il ťtait dans un bonheur inexprimable. Il ťtait dťjŗ trŤs grand pour son ‚ge et avait une belle figure. Il habitait tout seul l'ťnorme palais de Carignan qu'on lui avait rendu. Il n'ťtait pas encore en possession de ses biens, de sorte qu'il vivait dans le malaise et les privations; encore avait-on peine ŗ solder les frais de sa trŤs petite dťpense. Au reste, le Roi n'avait guŤre plus de luxe. Le palais ťtait restť meublť, mais le matťriel de l'ťtablissement, appartenant au prince BorghŤse, avait ťtť emportť par lui; de sorte que le Roi n'avait rien trouvť en arrivant; et, pendant fort longtemps, il s'est servi de vaisselle, de linge, de porcelaine, de chevaux, de voitures empruntťs aux seigneurs piťmontais. J'ignore comment les frais s'en seront soldťs entre eux. La nťgociation pour la reconnaissance du prince de Carignan ťtait terminťe; mais l'influence de l'Autriche et les intrigues du duc de ModŤne, gendre du Roi, empÍchaient toujours de la publier. Par un hasard prťmťditť, un jour de Cour, la voiture de mon pŤre se trouva en conflit avec celle du prince de Carignan; mon pŤre tira le cordon, et donna le pas au prince. L'ambassadeur de France l'avait de droit sur le prince de Carignan. Cette concession qui l'annonÁait hťritier de la Couronne, fit brusquer la dťclaration que le Roi dťsirait personnellement et le prince en eut une extrÍme reconnaissance. Ce point gagnť, la France ayant intťrÍt ŗ conserver le trŰne dans la maison de Savoie, mon pŤre se mit en devoir de faire admettre la lťgitimitť de l'autre Carignan, fils du comte de Villefranche. Il fit rechercher soigneusement l'acte que le confesseur du feu Roi lui avait arrachť ŗ ses derniers moments. Malheureusement, on le retrouva. Il portait que le Roi consentait ŗ reconnaÓtre le mariage de _conscience_, contractť par son cousin, le comte de Villefranche, sans que, de cette reconnaissance, il pŻt jamais rťsulter aucun droit pour la femme de prendre le titre et le rang de princesse, ni que les enfants de cette union pussent ťlever une prťtention quelconque ŗ faire valoir, sous quelque prťtexte que ce pŻt Ítre, leur naissance ťtant et demeurant illťgitime. AprŤs la trouvaille de ce document rťclamť ŗ grands cris par la famille La Vauguyon, il fallut se taire, au moins pour quelque temps. Cependant mon pŤre avait derechef entamť cette nťgociation pendant les Cent-Jours et, si monsieur de Carignan s'ťtait rendu ŗ Turin, au lieu de prendre parti pour l'empereur Napolťon, ŗ cette ťpoque ses prťtentions auraient ťtť trŤs probablement admises. Le roi de Sardaigne, personnellement, craignait autant que nous l'extinction de la maison de Savoie. Le corps diplomatique se composait de monsieur Hill, pour l'Angleterre, homme de bonne compagnie, mais morose et valťtudinaire, sortant peu d'un intťrieur occulte qui rendait sa position assez fausse; du prince Koslovski, pour la Russie, plein de connaissances et d'esprit, mais tellement lťger et si mauvais sujet qu'il n'y avait nulle ressource de sociťtť de ce cŰtť. Les autres lťgations ťtaient encore inoccupťes, mais l'Autriche ťtait reprťsentťe par le comte Bubna, gťnťral de l'armťe d'occupation laissťe en Piťmont. Sa position ťtait ŗ la fois diplomatique et militaire. Il est difficile d'avoir plus d'esprit, de conter d'une faÁon plus spirituelle et plus intťressante. Il avait rťcemment ťpousť une jeune allemande, d'origine juive, qui n'ťtait pas reÁue ŗ Vienne. Cette circonstance lui faisait dťsirer de rester ŗ l'ťtranger. Madame Bubna, jolie et ne manquant pas d'esprit, ťtait la meilleure enfant du monde. Elle passait sa vie chez nous. Elle ne s'amusait guŤre ŗ Turin; cependant elle ťtait pour lors trŤs ťprise de son mari qui la traitait comme un enfant et la faisait danser une fois par semaine aux frais de la ville de Turin; car, en sa qualitť de militaire, le diplomate ťtait dťfrayť de tout, et ne se faisait faute de rien. Il avait ťtť envoyť plusieurs fois auprŤs de l'empereur Napolťon, dans les circonstances les plus critiques de la monarchie autrichienne, et racontait les dťtails de ces nťgociations d'une maniŤre fort piquante. Je suis bien f‚chťe de ne pas me les rappeler d'une faÁon assez exacte pour oser les rapporter ici. Il parlait de l'Empereur avec une extrÍme admiration et disait que les rapports avec lui ťtaient faciles d'homme ŗ homme, quoiqu'ils fussent durs d'empire ŗ empire. ņ la vťritť, Napolťon apprťciait Bubna, le vantait et lui avait donnť plusieurs tťmoignages d'estime. Une approbation si prisťe ťtait un grand moyen de sťduction. Tant il y a que je suis restťe bien souvent jusqu'ŗ une heure du matin ŗ entendre Bubna raconter son Bonaparte. Mon ami Bubna avait la rťputation d'Ítre un peu pillard. La maniŤre dont il exploitait la ville de Turin, en pleine paix, n'ťloigne pas cette idťe; aussi dťsirait-il maintenir l'occupation militaire le plus longtemps possible. Mon pŤre, au contraire, prÍtait assistance aux autoritťs sardes qui cherchaient ŗ s'en dťlivrer. Mais cette opposition dans les affaires, qu'il avait trop de bon sens pour ne pas admettre de situation, n'a jamais altťrť nos relations sociales. Elles sont restťes toujours intimes et amicales. Les troupes autrichiennes furent enfin retirťes et le comte Bubna demeura comme ministre, en attendant l'arrivťe du prince de Stahrenberg qui devait le remplacer. Je suis peut-Ítre injuste pour les piťmontais en dťclarant la ville de Turin le sťjour le plus triste et le plus ennuyeux qui existe dans tout l'univers. J'ai montrť les circonstances diverses qui militaient ŗ le rendre dťsagrťable pour tout le monde et particuliŤrement pour nous ŗ l'ťpoque oý je m'y suis trouvťe. Si on ajoute ŗ cela que c'ťtait aprŤs les deux annťes si excitantes, si animťes, si dramatiques de 1813 et 1814, passťes au centre mÍme du thť‚tre oý les ťvťnements avaient le plus de retentissement, que je suis venue tomber dans cette rťsidence si monotone et si triste pour y entendre quotidiennement discuter sur l'affaire du lustre, on comprendra que je puisse ressentir quelques prťventions injustes contre elle. La ville de Turin est trŤs rťguliŤre; ses rues sont tirťes au cordeau, mais les arcades, qui ornent les principales, leur donnent l'air d'Ítre dťsertes, les ťquipages n'ťtant pas assez nombreux pour remplacer l'absence des piťtons. Les maisons sont belles ŗ l'extťrieur. Un vťnitien disait que, chez lui, les personnes portaient des masques et qu'ici c'ťtait la ville. Cela est fort exact, car ces faÁades ťlťgantes voilent en gťnťral des masures hideuses oý se trouvent des dťdales de logements, aussi incommodťment distribuťs que pauvrement habitťs. On est tout ťtonnť de trouver la misŤre installťe sous le manteau de ces lignes architecturales. Au reste, il est difficile d'apprťcier leur mťrite dans l'ťtat oý on les laisse. Sous le prťtexte qu'elles peuvent un jour avoir besoin de rťparations et que l'ťtablissement de nouveaux ťchafaudages nuirait ŗ la soliditť, on conserve tous les trous qu'ils ont originairement occupťs dans la premiŤre construction, de sorte que tous les murs, le palais du Roi compris, sont criblťs de trous carrťs. Chacun de ces trous sert d'habitation ŗ une famille de petites corneilles qui forment un nuage noir dans chaque rue et font un bruit affreux dans toute la ville. Pour qui n'y est pas accoutumť, rien n'est plus triste que l'aspect et les cris de cette volatile. Rentrť chez soi, les appartements qu'on peut se procurer ne compensent pas les ennuis du dehors. Si peu d'ťtrangers s'arrÍtent ŗ Turin qu'on trouve difficilement ŗ s'y loger. Les beaux palais sont occupťs par les propriťtaires ou louťs ŗ long bail, et le corps diplomatique a beaucoup de peine ŗ se procurer des rťsidences convenables. Quant au confortable, il n'y faut pas songer. Mon pŤre avait pris la maison du marquis Alfieri, alors ambassadeur ŗ Paris, parce qu'on lui avait assurť qu'elle ťtait distribuťe et arrangťe ŗ la franÁaise. Il est vrai qu'elle n'avait pas l'ťnorme _salla_ des palais piťmontais et qu'il y avait des fenÍtres vitrťes dans toutes les piŤces. Mais, par exemple, la chambre que j'habitais, prťcťdťe d'une longue galerie stuquťe, sans aucun moyen d'y faire du feu et meublťe en beau damas cramoisi, ťtait _pavťe_, non pas dallťe comme une cuisine un peu soignťe, mais pavťe en pierres taillťes comme les rues de Paris. ņ la tÍte de mon lit, une porte communiquait, par un balcon ouvert, avec la chambre de ma femme de chambre. Ma mŤre n'ťtait guŤre mieux et mon pŤre encore plus mal, car sa chambre ťtait plus vaste et plus triste. Le ministre d'Angleterre avait un superbe palais d'une architecture trŤs remarquable et trŤs admirťe, le palais Morozzi; celui-lŗ ťtait en pleine possession de la _salla_ dont les piťmontais font tant de cas. Elle tenait le milieu de la maison du haut en bas, de faÁon qu'au premier on ne communiquait que par des galeries extťrieures que l'architecte avait eu bien soin de tenir ouvertes pour qu'elles fussent suffisamment lťgŤres. Le pauvre monsieur Hill avait offert de les faire vitrer ŗ ses frais, mais la ville entiŤre s'ťtait rťvoltťe contre ce trait de barbarie britannique. Pour ťviter d'affronter ces passages extra-muros, il avait fini par se cantonner dans trois petites piŤces en entresol, les seules ťchauffables. Cela ťtait d'autant plus nťcessaire que l'hiver est long et froid ŗ Turin. J'y ai vu, pendant plusieurs semaines, le thermomŤtre entre dix et quinze degrťs au-dessous de zťro, et les habitants ne paraissaient ni surpris ni incommodťs de cette tempťrature, malgrť le peu de prťcaution qu'ils prennent pour s'en garantir. Le congrŤs de Vienne fit cadeau au roi de Sardaigne de l'…tat de GÍnes. Malgrť la part que nous avions prise ŗ cet important accroissement de son territoire, il n'en restait pas moins ulcťrť contre la France de la dťtention de la Savoie. Ce qu'il y a de singulier c'est que le roi Louis XVIII en ťtait aussi f‚chť que lui et avait le plus sincŤre dťsir du monde de la lui rendre. Il semblait qu'il se crŻt le recťleur d'un bien volť. Mon pŤre ne partageait pas la dťlicatesse de son souverain et tenait fort ŗ ce que la France conserv‚t la partie de la Savoie que les traitťs de 1814 lui avaient laissťe. Lorsque les dťputťs de GÍnes vinrent faire hommage de leur …tat au roi de Sardaigne, il leur fit donner un dÓner par le comte de Valese, ministre des affaires ťtrangŤres. Le corps diplomatique y fut invitť. Ce dÓner fut pendant quinze jours un objet de sollicitude pour toute la ville. On savait d'oý viendrait le poisson, le gibier, les cuisiniers. Le matťriel fut rťuni avec des soins et des peines infinis, en ayant recours ŗ l'obligeance des seigneurs de la Cour, et surtout des ambassadeurs. L'accord qui se trouvait entre les girandoles de celui-ci et le plateau de celui-lŗ fournit un intťrÍt trŤs vif ŗ la discussion de plusieurs soirťes. Enfin arriva le jour du festin; nous ťtions une vingtaine. Le dÓner ťtait bon, magnifique et bien servi. Malgrť l'ťtalage qu'on avait fait et qui me faisait prťvoir un rťsultat ridicule, il n'y eut rien de pareil. Monsieur de Valese en fit les honneurs avec aisance et en grand seigneur. L'ennui et la monotonie sous laquelle succombent les habitants de Turin leur fait saisir avec aviditť tout ce qui ressemble ŗ un ťvťnement. C'est l'unique occasion oý j'aie vu aucuns des membres du corps diplomatique priťs ŗ dÓner dans une maison piťmontaise. Les ťtrangers, comme je l'ai dťjŗ dit, s'arrÍtent peu ŗ Turin; il n'y a rien ŗ y voir, la sociťtť n'y retient pas et les auberges sont mauvaises. Nous vÓmes Jules de Polignac passer rapidement, se rendant ŗ Rome. Il y ťtait envoyť par Monsieur. Je crois qu'il s'agissait de statuer sur l'existence des jťsuites et surtout de la Congrťgation qui, dťjŗ, ťtendait son rťseau occulte sur la France, sous le nom de la petite …glise. Elle ťtait en hostilitť avec le pape Pie VII, n'ayant jamais voulu reconnaÓtre le Concordat, ni les ťvÍques nommťs ŗ la suite de ce traitť. Elle espťrait que la persťcution qu'elle faisait souffrir aux prťlats ŗ qui le Pape avait refusť l'investiture pendant ses discussions avec l'Empereur compenserait sa premiŤre dťsobťissance. On dťsirait que le Pape reconnŻt les ťvÍques titulaires des siŤges avant le Concordat et non dťmissionnaires comme y ayant conservť leurs droits. Jules allait nťgocier cette transaction. Le Pape fŻt probablement trŤs sage car, ŗ son retour de Rome, il en ťtait fort mťcontent; il avait pourtant obtenu d'Ítre crťť prince romain, cela ne prťsentait pas de grandes difficultťs. Il prolongea son sťjour ŗ Turin pendant assez de temps. Les jťsuites commenÁaient ŗ y Ítre puissants; il les employa ŗ se faire nommer chevalier de Saint-Maurice. Je n'ai jamais pu comprendre qu'un homme de son nom, et dans sa position, ait eu la fantaisie de possťder ce petit bout de ruban. L'ordre de l'_Annonciade_ est un des plus illustres et des plus recherchťs de l'Europe; il n'a que des _grands colliers_. Ils sont _excellences_. Le roi de Sardaigne fait des _excellences_, comme ailleurs le souverain crťe des ducs ou des princes; seulement ce titre n'est jamais hťrťditaire. Quelques places, aussi bien que le collier de l'Annonciade, donnent droit ŗ le porter. Il entraÓne toutes les distinctions et les privilŤges qu'on peut possťder dans le pays. Je conÁois, ŗ la rigueur, quoique cela ne soit guŤre avantageux pour un ťtranger, qu'on recherche un pareil ordre; mais la petite croix de Saint-Maurice, dont les chevaliers pavent les rues, m'a semblť une singuliŤre ambition pour Jules. Au reste, quand on a bien voulu, s'appelant monsieur de Polignac, devenir _prince du Pape_, il n'y a pas de puťrile vanitť qui puisse surprendre. Cela ne l'empÍchait pas de concevoir de trŤs grandes ambitions. Quelque accoutumťs que nous fussions ŗ ses absurditťs, il trouvait encore le secret de nous ťtonner. Les jeunes gens de l'ambassade restaient ťbahis des thŤses qu'il soutenait, il faut le dire, avec une assez grande facilitť d'ťlocution; il n'y manquait que le sens commun. Un jour, il nous racontait qu'il dťsirait fort que le Roi le nomme ministre, non pas, ajoutait-il, qu'il se crŻt plus habile qu'un autre, mais parce que rien n'ťtait plus facile que de gouverner la France. Il ne ferait au Roi qu'une seule condition: il demanderait qu'il lui assur‚t pendant dix ans les portefeuilles des affaires ťtrangŤres, de la guerre, de l'intťrieur, des finances et surtout de la police. Ces cinq ministŤres remis exclusivement entre ses mains, il rťpondait de tout, et cela sans se donner la moindre peine. Une autre fois, il disait que, puisque la France ťtait en appťtit de constitution, il fallait lui en faire une bien large, bien satisfaisante pour les opinions les plus libťrales, la lire en pleine Chambre, et puis, la posant sur la tribune, ajouter: ęVous avez entendu la lecture de cette constitution; elle doit vous convenir; maintenant il faut vous en rendre dignes. Soyez sages pendant dix ans, nous la promulguerons, mais chaque mouvement rťvolutionnaire, quelque faible qu'il soit, retardera d'une annťe cet instant que nous aussi, nous appelons de tous nos voeux.Ľ Et, en attendant _Io el rey_, s'ťcriait-il en frappant sur un grand sabre qu'il traÓnait aprŤs lui, car, en sa qualitť d'aide de camp de Monsieur, quoiqu'il n'eŻt jamais vu brŻler une amorce ou commandť un homme, il ťtait le plus souvent qu'il lui ťtait possible en uniforme. On parlait un soir du mauvais esprit qui rťgnait en Dauphinť et on l'attribuait au grand nombre d'acquťreurs de biens d'ťmigrťs: ęC'est la faute du gouvernement, reprit Jules; j'ai proposť un moyen bien simple de remťdier ŗ cet embarras. J'en garantissais l'infaillibilitť; on ne veut pas l'employer. --Quel est donc ce moyen? lui demandai-je. --J'ai offert de prendre une colonne mobile de dix mille hommes, d'aller m'ťtablir successivement dans chaque province, d'expulser les nouveaux propriťtaires et de replacer partout les anciens avec une force assez respectable pour qu'on ne pŻt rien espťrer de la rťsistance. Cela se serait fait trŤs facilement, sans le moindre bruit, et tout le monde aurait ťtť content. --Mais, mon cher Jules, pas les acquťreurs que vous expropriez, au moins? --Mon Dieu! si, parce qu'ils seront toujours inquiets!Ľ Ces niaiseries ne vaudraient pas la peine d'Ítre racontťes sans la dťplorable cťlťbritť qu'a si chŤrement acquise le pauvre prince de Polignac. Je pourrais en faire une bien longue collection, mais cela suffit pour montrer la tendance de cet esprit si ťtroit. CHAPITRE III Rťvťlation des projets bonapartistes. -- Voyage ŗ GÍnes. -- Expťrience des fusťes ŗ la congrŤve. -- La princesse Grassalcowics. -- L'empereur Napolťon quitte l'Óle d'Elbe. -- Il dťbarque en France. -- Officier envoyť par le gťnťral Marchand. -- Dťclaration du 13 mars. -- Mon frŤre la porte ŗ monsieur le duc d'AngoulÍme. -- Le Pape. -- La duchesse de Lucques. Mon pŤre avait ťtť chargť de veiller sur les actions des bonapartistes, rťpandus en Italie, et sur leurs communications avec l'Óle d'Elbe. Il avait employť ŗ ce service un mťdecin anglais, nommť Marshall, que le prince rťgent d'Angleterre faisait voyager en Italie pour recueillir des renseignements sur la conduite, plus que lťgŤre, de la princesse sa femme. Ce Marshall avait, en 1799, portť la vaccine en Italie; il s'ťtait trouvť ŗ Naples lors des cruelles vengeances exercťes par la Cour ramenťe de Palerme sur les vaisseaux de l'amiral Nelson. Il ťtait jeune alors et, justement indignť du spectacle hideux de tant d'horreurs, il avait profitť de son caractŤre d'anglais et de l'accŤs que lui procurait sa position de mťdecin pour rendre beaucoup de services aux victimes de cette rťaction royaliste. Il ťtait restť depuis lors dans des rapports intimes avec le parti rťvolutionnaire et fort ŗ mÍme de connaÓtre ses projets sans participer ŗ ses trames. Une nuit du mois de janvier 1815, il arriva chez mon pŤre trŤs secrŤtement et lui communiqua des documents qui prouvaient, de la maniŤre la moins douteuse, qu'il se prťparait un mouvement en France et que l'empereur Napolťon comptait prochainement quitter l'Óle d'Elbe et l'appuyer de sa prťsence. Mon pŤre, persuadť de la gravitť des circonstances, pressa Marshall de faire ses communications au gouvernement franÁais. Il se refusa ŗ les donner ŗ aucun ministre. Les cabinets de tous, selon lui, ťtaient envahis par des bonapartistes, et il craignait pour sa propre sŻretť. Monsieur de Jaucourt remplaÁait par intťrim monsieur de Talleyrand et ne rťpondait ŗ aucune dťpÍche; la correspondance se faisait par les bureaux, elle ťtait purement officielle. Mon pŤre n'aurait su ŗ quel ministre adresser Marshall qui, d'ailleurs, ne consentait ŗ remettre les piŤces qu'il s'ťtait procurťes qu'au Roi lui-mÍme. Il se vantait d'Ítre en relations personnelles avec le prince rťgent; il semblait que la grandeur de ses commettants relev‚t ŗ ses yeux le mťtier assez peu honorable auquel il se livrait. L'importance des rťvťlations justifiait ses exigences. Mon pŤre lui donna une lettre pour le duc de Duras; il fut introduit par celui-ci dans le cabinet de Louis XVIII, le 22 janvier. Le Roi fit remercier mon pŤre du zŤle qui avait procurť des renseignements si prťcieux; mais ils ne donnŤrent lieu ŗ aucune prťcaution, pas mÍme ŗ celle d'envoyer une corvette croiser autour de l'Óle d'Elbe. L'incurie ŗ cette ťpoque a ťtť au delŗ de ce que la crťdulitť de la postťritť pourra consentir ŗ se laisser persuader. Je viens de dire que mon pŤre n'avait pas reÁu de dťpÍches du ministre des affaires ťtrangŤres; j'ai tort. Il en reÁut une seule, pour lui demander des truffes de Piťmont pour le Roi; elle ťtait de quatre pages et entrait dans les dťtails les plus minutieux sur la maniŤre de les expťdier et les faire promptement et sŻrement arriver. ņ la vťritť, le prince de Talleyrand le faisait tenir suffisamment au courant de ce qui se passait au CongrŤs; mais sa rťsidence ŗ Vienne empÍchait qu'il pŻt donner, ni peut-Ítre savoir, des nouvelles de France. Vers la fin de fťvrier, la Cour se rendit ŗ GÍnes pour y recevoir la Reine qu'on attendait de Sardaigne. Le corps diplomatique l'y suivit. Nous laiss‚mes la vallťe de Turin et celle d'Alexandrie sous la neige qui les recouvrait depuis le mois de novembre, et nous arriv‚mes au haut de la Bocchetta. On ne passe plus par cette route. La montagne de la Bocchetta a cela de remarquable qu'elle ne prťsente aucun plateau et la voiture n'a pas encore achevť son ascension que les chevaux qui la traÓnent ont dťjŗ commencť ŗ descendre. Au moment de l'annťe oý nous nous trouvions, cette localitť est d'autant plus frappante qu'on passe immťdiatement du plein hiver ŗ un printemps trŤs avancť. D'un cŰtť, la montagne est couverte de neige, les ruisseaux sont gelťs, les cascades prťsentent des stalactites de glace; de l'autre, les arbres sont en fleur, beaucoup ont des feuilles, l'herbe est verte, les ruisseaux murmurent, les oiseaux gazouillent, la nature entiŤre semble en liesse et disposťe ŗ vous faire oublier les tristesses dont le coeur ťtait froissť un quart de minute avant. Je n'ai guŤre ťprouvť d'impression plus agrťable. AprŤs quelques heures d'une course rapide ŗ travers un pays enchantť, nous arriv‚mes ŗ GÍnes le 26 fťvrier. Les rues ťtaient tapissťes de fleurs; nulle part je n'en ai vu cette abondance; il faisait un temps dťlicieux: j'oubliai la fatigue d'un voyage dont le commencement avait ťtť pťnible. En descendant de voiture, je voulus me promener dans ces rues embaumťes, si propres, si bien dallťes, et dont le marcher ťtait bien autrement doux que celui de ma chambre pavťe de Turin. Je les trouvai remplies d'une population gaie, animťe, affairťe, qui faisait contraste avec le peuple sale et ennuyť que je venais de quitter. Les femmes, chaussťes de souliers de soie, coiffťes de l'ťlťgant _mezzaro_, me charmŤrent et les enfants me parurent ravissants. Tout le beau monde de GÍnes se trouvait aussi dans la rue; au bout de cinq minutes nous ťtions entourťs de quarante personnes de connaissance. Je sentis subitement soulever de dessus mes ťpaules le manteau de plomb que le sťjour de Turin y fixait depuis six mois. Ma joie fut un peu calmťe par les cent cinquante marches qu'il fallut gravir pour arriver ŗ un beau logement, dans un grand palais qu'on avait retenu pour l'ambassadeur de France. Pendant le sťjour que j'ai fait ŗ GÍnes, la hauteur des appartements et l'importunitť, sans exemple partout ailleurs, des mendiants sont les seules choses qui m'aient dťplu. Je ne rťpťterai pas ce que tout le monde sait de la magnificence et de l'ťlťgance des palais. Je ne parlerai pas davantage des moeurs du pays que je n'ai pas eu occasion d'observer, car, peu de jours aprŤs notre arrivťe, les ťvťnements politiques nous condamnŤrent ŗ la retraite, et j'ai ŗ peine entrevu la sociťtť. Les gťnois ne prenaient guŤre le soin de dissimuler leur affliction de la rťunion au Piťmont et la rťpugnance qu'ils avaient pour le Roi. Peu d'entre eux allaient ŗ la Cour, et ceux-lŗ ťtaient mal vus par leurs compatriotes. Leur chagrin ťtait d'autant plus sensible qu'ils avaient cru un moment ŗ l'ťmancipation. Lord William Bentinck, sťduit par les deux beaux yeux de la _Louise Durazzo_ (comme on dit ŗ GÍnes), avait autorisť par son silence, si ce n'est par ses paroles, le rťtablissement de l'ancien gouvernement pendant son occupation de la ville. Les actes par lesquels le congrŤs de Vienne disposa du sort des gťnois leur en parurent plus cruels ŗ subir. MaÓtre pour maÓtre, ils prťfťraient un grand homme au bon roi Victor; et, s'il fallait cesser d'Ítre gťnois, ils aimaient encore mieux Ítre franÁais que piťmontais. La sentence de Vienne les avait rendus bonapartistes enragťs, et c'est surtout des riviŤres de GÍnes que partaient les correspondances pour l'Óle d'Elbe. L'armťe anglaise, avant de remettre la ville aux autoritťs sardes, avait dťpouillť les ťtablissements publics et tout enlevť du port, jusqu'aux chaÓnes des galťriens. Cette avanie avait fort exaspťrť le sentiment de nationalitť des gťnois. Le lendemain de notre arrivťe, nous fŻmes conviťs ŗ aller assister ŗ une reprťsentation qu'un commodore anglais donnait au Roi. Il s'agissait de lui montrer l'effet des fusťes ŗ la congrŤve, invention nouvelle ŗ cette ťpoque. Nous nous rendÓmes tous ŗ pied, par un temps admirable, ŗ un petit plateau situť sur un rocher ŗ quelques toises de la ville et d'oý l'on jouissait d'une vue magnifique. Une mauvaise barque, amarrťe si loin qu'ŗ peine on pouvait l'apercevoir ŗ l'oeil nu, servait de but. La brise venait de mer et nuisait ŗ l'effet des fusťes, mais elle rafraÓchissait l'air et le rendait dťlicieux. Le spectacle ťtait animť sur la cŰte et brillant dans le port qu'on apercevait sur la droite, rempli de vaisseaux pavoisťs. Le tir fut interrompu par la crainte que deux petits bricks, affalťs par le vent, pussent Ítre atteints. …videmment ils ne voulaient pas aborder; ils manoeuvraient pour s'ťlever en mer, y rťussirent, et on recommenÁa ŗ tirer. D'aprŤs toutes les circonstances qui sont venues depuis ŗ notre connaissance, il est indubitable que ces deux bricks transportaient Bonaparte et sa fortune aux rivages de Cannes. Combien le hasard d'une de ces fusťes, en dťsemparant ces b‚timents, aurait pu changer le destin du monde! Le commodore donna un ťlťgant dťjeuner sous une tente, et on se sťpara trŤs satisfaits de la matinťe. Je me rappelle que la princesse Krassalkolwitz vint achever la journťe chez nous. J'ťtais liťe avec elle depuis longtemps; elle s'embarquait le lendemain pour Livourne. Nous causions le soir de la fadeur des ťvťnements, de l'ennui des gazettes: valait-il la peine de vivre pour attendre quinze jours un misťrable protocole du congrŤs de Vienne? Moitiť sťrieusement, moitiť en plaisanterie, nous regrettions les derniŤres annťes si agitťes mais si animťes; l'existence nous paraissait monotone, privťe de ces grands spectacles. Ma mŤre reprit: ęVoilŗ bien des propos de jeunes femmes; oh! mesdames, ne tentez pas la Providence! Quand vous serez aussi vieille que moi, vous saurez que les moments de calme, que vous avez l'enfantillage d'appeler d'ennui, ne durent jamais longtemps.Ľ Aussi lorsque, trois jours aprŤs, la princesse revint ŗ GÍnes, n'ayant pu dťbarquer ŗ Livourne et retournant en toute h‚te ŗ Vienne, elle arriva chez nous se cachant le visage, et disant: ęAh! chŤre ambassadrice, que vous aviez raison; je vous demande pardon de mes folies, j'en suis bien honteuse.Ľ J'aurais pu partager ses remords, car j'avais pris part ŗ la faute. Nous assistions ŗ un concert lorsqu'on vint chercher mon pŤre; un courrier l'attendait; il ťtait expťdiť par le consul franÁais ŗ Livourne et annonÁait le dťpart de Bonaparte de Porto-Ferrajo. Mon pŤre s'occupa tout de suite d'en donner avis. Il expťdia une estafette ŗ Vienne ŗ monsieur de Talleyrand, une autre ŗ Paris, et fit partir un secrťtaire de lťgation pour porter cette nouvelle ŗ Massťna, et, chemin faisant, prťvenir toutes les autoritťs de la cŰte. Cette prťcaution fut dťjouťe par la cťlťritť de l'Empereur. Peu d'heures aprŤs son dťpart de GÍnes, monsieur de Ch‚teau traversait le bivouac de Cannes dťjŗ abandonnť, quoique les feux brŻlassent encore. Nous avions passť la nuit ŗ copier les lettres et les dťpÍches qui furent confiťes ŗ ces diffťrents courriers; il n'y avait qu'une partie de la chancellerie ŗ GÍnes oý on ne s'attendait pas ŗ de telles affaires. L'ťmoi fut grand le lendemain matin. On ne doutait pas que l'Empereur ne dŻt dťbarquer sur quelque point de l'Italie et se joindre aux troupes de Murat qui armait depuis quelque temps. Les autrichiens n'ťtaient pas en mesure de s'y opposer, et le gťnťral Bubna, fort inquiet, reprochait aux piťmontais l'empressement qu'ils avaient eu de faire abandonner leur territoire par les allemands avant d'avoir eu le temps de crťer une armťe nationale. Le comte de Valese, de son cŰtť, prťtendait que, les frais de l'occupation absorbant tous les revenus de l'…tat, on ne pouvait rien instituer tant qu'elle durait. Lord William Bentinck arriva ŗ tire d'aile. Chacun se regardait, s'inquiťtait, s'agitait; on s'accusait mutuellement, mais l'incertitude du lieu oý dťbarquerait l'Empereur ne permettait de prendre aucun parti, ni de donner aucun ordre. Le gťnťral Bubna fut le premier instruit de sa marche; dŤs lors, autrichiens, anglais et piťmontais, tout se rassura et crut avoir du temps devant soi. Bubna demanda ŗ faire entrer ses troupes en Piťmont. Monsieur de Valese s'y refusant obstinťment, il fut rťduit ŗ les faire cantonner sur les frontiŤres de Lombardie; aussi dťclara-t-il formellement que, si l'armťe napolitaine s'avanÁait, il resterait derriŤre le PŰ, en laissant le Piťmont dťcouvert. Le cabinet sarde tint bon; il ne tarda mÍme pas ŗ admettre l'ťtrange pensťe de pouvoir s'ťtablir dans un ťtat de neutralitť vis-ŗ-vis de Napolťon et de Murat. Les rapports avec mon pŤre se ressentirent plus tard de cette illusion. L'ambassadeur sarde fut le seul qui ne rejoignit pas le roi Louis XVIII ŗ Gand. Monsieur de Ch‚teau revint porteur des plus belles promesses de Massťna. Il avait vu arrÍter madame Bertrand, arrivant de l'Óle d'Elbe, et il avait trouvť partout autant d'enthousiasme pour monsieur le duc d'AngoulÍme que d'indignation contre l'Empereur. Cela ťtait vrai en Provence et dans ce moment. Des nouvelles bien diffťrentes ťtaient portťes sur l'aile des vents. On apprenait avec une rapiditť inouÔe, et par des voies inconnues, les succŤs et la marche rapide de Bonaparte. Un matin, un officier franÁais, portant la cocarde blanche, se prťsenta chez mon pŤre et lui remit une dťpÍche du gťnťral Marchand, tellement insignifiante qu'elle ne pouvait pas avoir motivť son envoi. Il ťtait fort agitť et demandait une rťponse immťdiate, son gťnťral ayant fixť le moment du retour. Mon pŤre l'engagea ŗ s'aller reposer quelques heures. Tandis qu'il cherchait le mot de cette ťnigme, d'autant moins facile ŗ deviner que le bruit s'ťtait rťpandu que le gťnťral Marchand avait reconnu l'Empereur, le gťnťral Bubna entra chez lui en lui disant: ęMon cher ambassadeur, je viens vous remercier du soin que vous prenez de payer le port de mes lettres. Je sais qu'on vous demande cinquante louis pour celle que voici. Elle est du gťnťral Bertrand qui m'ťcrit, par ordre de Napolťon, pour me charger d'expťdier sur-le-champ par estafette ces autres dťpÍches ŗ Vienne pour l'Empereur et pour Marie-Louise. Moi, qui ne suis jamais trŤs pressť, j'attendrai tranquillement une bonne occasion; qu'allez-vous faire de votre jeune homme?Ľ Mon pŤre rťflťchit un moment, puis il pensa que, s'il le faisait arrÍter, ce serait trop grave. Il l'envoya chercher ŗ son auberge, lui intima l'ordre de partir sur-le-champ, en le prťvenant que, s'il laissait au gouvernement sarde le temps d'apprendre la maniŤre dont il avait franchi la frontiŤre, il serait arrÍtť comme espion, et qu'il ne pourrait pas le rťclamer. L'officier eut l'imprudence de dire qu'il lui faudrait s'arrÍter ŗ Turin oý il avait des lettres ŗ remettre. Mon pŤre lui conseilla de les brŻler et lui donna un passeport qui indiquait une route qui l'ťloignait de Turin. Je n'ai plus entendu parler de ce monsieur qui eut l'audace, aprŤs cette explication, de rťclamer de mon pŤre les cinquante louis que le gťnťral Marchand, dans sa lettre ostensible, l'avait priť de lui remettre pour les frais de son voyage. Bubna garda le secret suffisamment longtemps pour assurer la sťcuritť du courrier. Elle aurait ťtť fort hasardťe en ce moment; car les vellťitťs pacifiques du cabinet sarde n'existaient pas alors, et ses terreurs sur les dispositions bonapartistes des piťmontais ťtaient en revanche trŤs exaltťes. La dťclaration du 13 mars fut expťdiťe ŗ mon pŤre par monsieur de Talleyrand, aussitŰt qu'elle eut ťtť signťe par les souverains rťunis ŗ Vienne. Il la fit imprimer en toute h‚te, et, trois heures aprŤs son arrivťe, mon frŤre se mit en route pour la porter ŗ monsieur le duc d'AngoulÍme. Il le trouva ŗ NÓmes. La rapiditť avait ťtť si grande qu'elle nuisit presque ŗ l'effet et fit douter de l'authenticitť de la piŤce. Monsieur le duc d'AngoulÍme garda mon frŤre auprŤs de lui, le nomma son aide de camp, et bientŰt aprŤs l'envoya en Espagne pour demander des secours qu'il n'obtint pas. Au surplus, si on les avait accordťs, ils seraient arrivťs trop tard. Dans le plan que je me suis fait de noter les plus petites circonstances qui, ŗ mon sens, dessinent les caractŤres, je ne puis m'empÍcher d'en rapporter une qui peut sembler puťrile. Mon frŤre avait donc apportť ŗ monsieur le duc d'AngoulÍme un document d'une importance extrÍme. Il avait fait une diligence qui prouvait bien du zŤle. Sur sa route, il avait semť partout des exemplaires de la dťclaration sans s'informer de la couleur des personnes auxquelles il les remettait, ce qui n'ťtait pas tout ŗ fait sans danger. Monsieur le duc d'AngoulÍme le savait et semblait fort content de lui. Il l'engagea ŗ dťjeuner. Rainulphe, ayant fait l'espŤce de toilette que comportait la position d'un homme qui vient de faire cent lieues ŗ franc ťtrier, s'y rendit. ņ peine ŗ table, les premiers mots de monsieur le duc d'AngoulÍme furent: ęQuel uniforme portez-vous lŗ? --D'officier d'ťtat-major, monseigneur. --De qui Ítes-vous aide de camp? --De mon pŤre, monseigneur. --Votre pŤre n'est que lieutenant gťnťral; pourquoi avez-vous des aiguillettes? Il n'y a que la maison du Roi et celle des princes qui y aient droit...; on les tolŤre pour les marťchaux...; vous avez tort d'en porter. --Je ne savais pas, monseigneur. --ņ prťsent vous le savez, il faut les Űter tout de suite. En bonne justice, cela mťriterait les arrÍts, mais je vous excuse; que je ne vous en voie plus.Ľ On comprend combien un jeune homme comme ťtait alors Rainulphe se trouva dťconcertť par une pareille sortie faite en public. Dans les moments oý s'il s'animait sur les petites questions militaires jusqu'ŗ se monter ŗ la colŤre, monsieur le duc d'AngoulÍme se faisait l'illusion d'Ítre un grand capitaine. Le roi de Sardaigne annonÁa qu'il allait faire une course ŗ Turin; ses ministres et le gťnťral Bubna l'accompagnŤrent. Le ministre d'Angleterre resta ŗ GÍnes ainsi que mon pŤre qui s'y tenait plus facilement en communication avec monsieur le duc d'AngoulÍme et le midi de la France. BientŰt nous vÓmes arriver toutes les notabilitťs que les mouvements de l'armťe napolitaine repoussaient du sud de l'Italie. Le Pape fut le premier; on le logea dans le palais du Roi. Je ne l'avais pas vu depuis le temps oý il ťtait venu sacrer l'empereur Napolťon; nous all‚mes plusieurs fois lui faire notre cour. Il causait volontiers et familiŤrement de tout. Je fus surtout touchťe de la maniŤre digne et calme dont il parlait de ses annťes de proscription, sans avoir l'air d'y attacher ni gloire ni mťrite, mais comme d'une circonstance qui s'ťtait trouvťe malheureusement inťvitable, s'affligeant que son devoir l'eŻt forcť ŗ imposer ŗ Napolťon les torts de sa persťcution. Il y avait dans tous ses discours une noble et paternelle modťration qui devait lui Ítre inspirťe d'en haut, car, sur tout autre sujet, il n'ťtait pas ŗ beaucoup prŤs aussi distinguť. On sentait que c'ťtait un homme qui recommencerait une carriŤre de tribulation, sans qu'elle pŻt l'amener ŗ l'amertume ni ŗ l'exaltation. Le mot _sťrťnitť_ semblait inventť pour lui. Il m'a inspirť une bien sincŤre vťnťration. BientŰt aprŤs, il fut suivi par l'infante Marie-Louise, duchesse de Lucques, plus connue sous le titre de reine d'…trurie. GÍnes ťtant comblťe de monde et ne pouvant trouver un logement convenable, elle s'installa dans une grande chambre d'auberge dont, ŗ l'aide de quelques paravents, on fit un dortoir pour toute la famille. Elle paraissait faite pour habiter ce taudis; je n'ai jamais rien vu de plus ignoble que la tournure de cette princesse, si ce n'est ses discours. Elle ťtait Bourbon: il nous fallait bien lui rendre des hommages, mais c'ťtait avec dťgoŻt et rťpugnance. Elle traÓnait ŗ sa suite une fille, aussi disgracieuse qu'elle, et un fils si singuliŤrement ťlevť qu'il pleurait pour monter sur un cheval, se trouvait mal ŗ l'aspect d'un fusil, et qu'ayant dŻ un jour entrer dans un bateau pour passer un bac il en eut des attaques de nerfs. La duchesse de Lucques assurait que les princes espagnols avaient tous ťtť ťlevťs prťcisťment comme son fils. Mon pŤre t‚cha de la raisonner ŗ ce sujet, mais ce fut sans autre rťsultat que de se faire prendre en grippe par elle. CHAPITRE IV La princesse de Galles. -- FÍte donnťe au roi Murat. -- Audience de la princesse. -- Notre situation est pťnible. -- Message de monsieur le duc d'AngoulÍme. -- Inquiťtudes pour mon frŤre. -- Marche de Murat. -- Il est battu ŗ Occhiobello. -- L'abbť de Janson. -- Henri de Chastellux. Monsieur Hill nous arriva un matin avec une figure encore plus triste que de coutume; sa princesse de Galles ťtait en rade. Sous prťtexte de lui cťder son appartement, il l'abandonna aux soins de lady William Bentinck, se jeta dans sa voiture et partit pour Turin. Lady William en aurait bien fait autant s'il lui avait ťtť possible. La princesse Caroline s'ťtablit chez monsieur Hill. Le lendemain, nous vÓmes apparaÓtre dans les rues de GÍnes un spectacle que je n'oublierai jamais. Dans une sorte de phaťton, fait en conque marine, dorť, nacrť, enluminť extťrieurement, doublť en velours bleu, garni de crťpines d'argent, traÓnť par deux trŤs petits chevaux pies, menťs par un enfant vÍtu en amour d'opťra, avec des paillettes et des tricots couleur de chair, s'ťtalait une grosse femme d'une cinquantaine d'annťes, courte, ronde et haute en couleur. Elle portait un chapeau rose avec sept ou huit plumes roses flottant au vent, un corsage rose fort dťcolletť, une courte jupe blanche qui ne dťpassait guŤre les genoux, laissait apercevoir de grosses jambes couvertes de brodequins roses; une ťcharpe rose, qu'elle ťtait constamment occupťe ŗ draper, complťtait le costume. La voiture ťtait prťcťdťe par un grand bel homme montť sur un petit cheval pareil ŗ l'attelage, vÍtu prťcisťment comme le roi Murat auquel il cherchait ŗ ressembler de geste et d'attitude, et suivie par deux palefreniers ŗ la livrťe d'Angleterre, sur des chevaux de la mÍme espŤce. Cet attelage napolitain ťtait un don de Murat ŗ la princesse de Galles qui s'exhibait sous ce costume ridicule et dans ce bizarre ťquipage. Elle se montra dans les rues de GÍnes pendant cette matinťe et celles qui suivirent. La princesse ťtait dans tout le feu de sa passion pour Murat; elle aurait voulu l'accompagner dans les camps. Il avait dŻ user d'autoritť pour la faire partir. Elle n'y avait consenti qu'avec l'espťrance de dťcider lord William Bentinck ŗ joindre les forces anglaises aux armes napolitaines. Elle ne s'ťpargnait pas dans les demandes, les supplications, les menaces ŗ ce sujet. On peut juger de quel poids tout cela ťtait auprŤs de lord William qui, au reste, partit le surlendemain de son arrivťe. Elle ťtait aussi fort zťlťe bonapartiste. Cependant elle tťmoignait bien quelque crainte que l'Empereur ne compromit le _Roi_, comme elle appelait exclusivement Murat. Elle s'entoura bien vite de tout ce qui ťtait dans l'opposition ŗ GÍnes et en fit tant, qu'au bout de quelques jours, le gouvernement sarde la fit prier de chercher un autre asile. Pendant le dernier carnaval, qu'elle venait de passer ŗ Naples, elle avait inventť de faire donner un bal de souscription ŗ Murat par les anglais qui s'y trouvaient. La scŤne se passait dans une salle publique. Au moment oý Murat arriva, un groupe, formť des plus jolies anglaises costumťes en dťesses de l'Olympe, alla le recevoir. Minerve et Thťmis s'emparŤrent de lui et le conduisirent sur une estrade dont les rideaux s'ouvrirent et montrŤrent aux spectateurs un groupe de gťnies, parmi lesquels figurait une Renommťe sous les traits d'une des jolies ladys Harley. Elle tenait un grand tableau. La Gloire, reprťsentťe par la princesse, plus ridiculement vÍtue encore que les autres, s'avanÁa lťgŤrement, enleva une plume de l'aile de la Renommťe et inscrivit, en grandes lettres d'or, sur le tableau qu'elle soutenait, le nom des diverses batailles oý Murat s'ťtait signalť. Le public applaudissait en p‚mant de rire; la reine de Naples haussa les ťpaules. Murat avait assez de bon sens pour Ítre impatientť, mais la princesse prenait cette mascarade au sťrieux comme une ovation glorieuse pour l'objet de sa passion et pour elle qui savait si dignement l'honorer. J'ai entendu faire la relation de cette soirťe ŗ lady Charlotte Campbell, celle des dames de la princesse qui l'a abandonnťe la derniŤre. Elle pleurait de dťpit en en parlant, mais son rťcit n'en ťtait que plus comique. Il fallait avoir l'hťroÔne sous les yeux pour en apprťcier pleinement le ridicule. C'ťtait pour tromper le chagrin que lui causait sa sťparation d'avec Murat que la princesse de Galles avait inventť de faire habiller un de ses gens, qui le rappelait un peu, prťcisťment comme lui. Ce portrait animť ťtait Bergami, devenu cťlŤbre depuis, et qui dťjŗ (assurait le capitaine du b‚timent qui l'avait amenť de Livourne) usurpait auprŤs de sa royale maÓtresse tous les droits de Murat, aussi bien que son costume; mais cela ne passait encore que pour un mauvais propos de marin. Il fallut bien aller rendre les hommages, dus ŗ son rang dans l'almanach, ŗ cette princesse baladine. Elle nous dťtestait dans l'idťe que nous ťtions hostiles au _Roi_; elle se donna la petite joie d'Ítre fort impertinente. Nous y all‚mes avec lady William Bentinck, le jour et l'heure fixťs par elle. Elle nous fit attendre longtemps; enfin nous fŻmes admises sous un berceau de verdure oý elle dťjeunait vÍtue d'un peignoir tout ouvert et servie par Bergami. AprŤs quelques mots dits ŗ ma mŤre, elle affecta de ne parler qu'anglais ŗ lady William. Elle fut un peu dťconcertťe de nous voir prendre part ŗ cette conversation, dont elle pensait nous exclure, et se rabattit ŗ ne parler que des vertus, des talents royaux et militaires de Murat. BientŰt aprŤs, elle donna audience ŗ mon pŤre et entama un grand discours sur les succŤs infaillibles de Murat, sa prochaine jonction avec l'armťe de l'empereur Napolťon et les triomphes qui les attendaient. Mon pŤre se prit ŗ rire. ęVous vous moquez de moi, monsieur l'ambassadeur? --Du tout, madame, c'est Votre Altesse Royale qui veut me faire prendre le change par son sťrieux. De tels discours, tenus par la princesse de Galles ŗ l'ambassadeur de France, sont trop plaisants pour qu'elle exige que je les ťcoute avec gravitť.Ľ Elle prit l'air trŤs offensť et abrťgea l'entrevue. Nous n'ťtions aucuns tentťs de la renouveler. Elle prťtendit que mon pŤre avait contribuť ŗ lui faire donner l'ordre de partir; rien n'ťtait plus faux. Si le gouvernement avait ťtť stimulť par quelqu'un c'ťtait plutŰt par lady William Bentinck qui en ťtait fort importunťe. Lord William et monsieur Hill s'ťtaient soustraits ŗ cet ennui. Nous ťtions dans un ťtat cruel. Rien n'est plus pťnible que de se trouver ŗ l'ťtranger, avec une position officielle, au milieu d'une pareille catastrophe, lorsqu'il faut montrer une sťrťnitť qu'on n'ťprouve pas. Personne n'entrait dans nos sentiments de maniŤre ŗ nous satisfaire. Les uns proclamaient les succŤs assurťs de Bonaparte, les autres sa chute rapide devant les alliťs et l'humiliation des armes franÁaises. Il ťtait bien rare que les termes fussent assez bien choisis pour ne pas nous froisser. Aussi, dŤs que les ťvťnements, par leur gravitť irrťcusable, nous eurent dťlivrťs du tourment de jouer la comťdie d'une sťcuritť que nous n'avions pas conservťe un seul instant, nous nous renferm‚mes dans notre intťrieur, d'oý nous ne sortÓmes plus. Le marquis de Lur-Saluces, aide de camp de monsieur le duc d'AngoulÍme, arriva porteur de ses dťpÍches. Le prince chargeait mon pŤre de demander au roi de Sardaigne le secours d'un corps de troupes qui serait entrť par Antibes pour le rejoindre en Provence. Il venait d'obtenir un succŤs assez marquť au pont de la DrŰme oý, surtout, il avait dťployť aux yeux des deux armťes une valeur personnelle qui l'avait trŤs relevť dans les esprits. Il sentait le besoin et la volontť d'agir vigoureusement. Quand une fois monsieur le duc d'AngoulÍme ťtait tirť de sa funeste prťoccupation d'obťissance passive, il ne manquait pas d'ťnergie. Il ťtait moins nul que certaines niaiseries, dont on ferait un volume, donneraient lieu de le croire. C'ťtait un homme trŤs incomplet, mais non pas incapable. Mon pŤre fit prťparer une voiture et partit avec monsieur de Saluces pour Turin. Nous avions appris par celui-ci l'envoi de mon frŤre en Espagne. Peu de jours aprŤs, le _Moniteur_ contenait des lettres interceptťes de monsieur le duc d'AngoulÍme ŗ madame la duchesse d'AngoulÍme; elles disaient que le jeune d'Osmond en ťtait porteur. Nous eŻmes tout lieu de craindre qu'il eŻt ťtť arrÍtť; cette vive inquiťtude dura vingt-sept jours. Les communications avec le Midi furent interrompues; nous ne savions ce qui s'y passait que par les gazettes de Paris qui parvenaient irrťguliŤrement. C'est de cette faÁon que nous apprÓmes la dťfaite de monsieur le duc d'AngoulÍme, la convention faite avec lui et enfin son dťpart de Cette. Le nom de mon frŤre ne se trouvait nulle part; nous finÓmes par recevoir des lettres de lui, ťcrites de Madrid. Il allait le quitter pour rejoindre son prince qu'il croyait en France et qu'aprŤs un long circuit il retrouva ŗ Barcelone. Monsieur le duc d'AngoulÍme avait eu le projet d'envoyer mon frŤre auprŤs de Madame, ainsi qu'il le lui disait dans sa lettre, puis il avait changť d'idťe et l'avait expťdiť au duc de Laval, ambassadeur ŗ Madrid. C'ťtait lŗ ce qui nous avait occasionnť une inquiťtude si grande et si justifiťe dans ce premier moment de guerre civile oý il ťtait impossible de prťvoir quel serait le sort des prisonniers et la nature des vengeances exercťes de part et d'autre. La suite a prouvť que les colŤres ťtaient ťpuisťes aussi bien que les passions et qu'il ne restait des premiers temps de la Rťvolution que la valeur et les intťrÍts personnels. Murat avanÁait en Italie si rapidement que, dťjŗ, on emballait ŗ Turin. Nous avions bien le dťsir, ma mŤre et moi, d'aller y rejoindre mon pŤre; il s'y refusait de jour en jour. La question d'ťconomie devenait importante et se joignait ŗ celle de sťcuritť pour ne pas faire un double voyage dans ce moment d'incertitude. Les demandes de monsieur de Saluces avaient ťtť plus que froidement accueillies par le gouvernement sarde. Elles n'auraient pu avoir de succŤs effectif, puisque la nouvelle de la catastrophe et de l'embarquement du prince arrivŤrent promptement aprŤs. Mais, dŤs lors, mon pŤre remarqua l'accueil embarrassť que lui fit le ministre et aperÁut une disposition ŗ ťcarter l'ambassadeur des affaires, tout en comblant le marquis d'Osmond de politesses. Comme, dans le mÍme temps, on repoussait tout secours autrichien ou anglais, il restait ťvident qu'on espťrait nťgocier sťparťment et se maintenir en position de faire valoir sa neutralitť ŗ l'Empereur, s'il rťussissait ŗ s'ťtablir. Bubna riait beaucoup de cette politique; il appelait le roi Victor l'_Auguste alliť de l'empereur Napolťon_. Mon pŤre n'ťtait pas en situation d'en rire, mais lui aussi croyait ŗ cette prťoccupation du cabinet sarde. Murat, ayant ťtť battu ŗ Occhiobello par les armťes autrichiennes, cessa d'avancer, et nos arrÍts furent levťs. On annonÁa officiellement que l'arrivťe de la reine de Sardaigne ťtait remise indťfiniment; nous retourn‚mes ŗ Turin. Avant de quitter GÍnes, je veux parler de deux individus que nous y vÓmes passer. Le premier ťtait l'abbť de Janson. Ayant appris le dťpart de l'Óle d'Elbe sur la cŰte de Syrie, oý il se trouvait pŤlerin de Jťrusalem, il avait ťtť si bien servi par les vents et par son activitť qu'il ťtait arrivť ŗ GÍnes dans un temps presque incroyable. Il n'y resta que deux heures pour s'informer des ťvťnements, retroussa sa soutane, enfourcha un bidet de poste et courut joindre monsieur le duc d'AngoulÍme. Cet abbť, en costume ecclťsiastique, parut fort ridicule aux soldats; mais lorsque, au combat du pont de la DrŰme, on le vit allant jusque sous la mitraille relever les blessťs sur ses ťpaules, leur porter des consolations et des secours de toute espŤce, avec autant de sang-froid qu'un grenadier de la vieille garde, _le curť_ (comme ils l'appelaient) excita leur enthousiasme au plus haut degrť. L'abbť de Janson a depuis mis ce zŤle au service de l'intrigue; on ne peut que le regretter. Devenu ťvÍque de Nancy et un des membres le plus actif de la Congrťgation si fatale ŗ la Restauration, il s'est fait tellement dťtester qu'ŗ la Rťvolution de 1830 il a ťtť expulsť de sa ville ťpiscopale. L'autre personne dont je veux noter le passage ŗ GÍnes est Henri de Chastellux. ¬gť de 24 ou 25 ans, maÓtre d'une fortune considťrable, il ťtait attachť ŗ l'ambassade de Rome. Ce fut lŗ qu'il apprit la trahison de son beau-frŤre, le colonel de La BťdoyŤre. Il en fut d'autant plus consternť qu'il aimait tendrement sa soeur et qu'il comprenait combien elle devait avoir besoin de consolation et de soutien, dans une pareille position, au milieu d'une famille aussi exaltťe en royalisme que la sienne. Il obtint immťdiatement un congť de son ambassadeur et, aprŤs avoir rangť ses papiers, fait ses malles, emballť ses livres et ses effets, il se jeta dans la carriole d'un voiturin avec lequel il avait fait marchť pour le mener en vingt-sept jours ŗ Lyon. Les rťvolutions ne s'accommodent guŤre de cette allure. En arrivant ŗ Turin, monsieur de Chastellux fut informť qu'il ne pouvait continuer sa route. Il vint ŗ GÍnes consulter mon pŤre sur ce qu'il lui restait ŗ faire. Il fut dťcidť qu'il irait rejoindre monsieur le duc d'AngoulÍme; mon pŤre lui dit qu'il le chargerait de dťpÍches. En effet, deux heures aprŤs, un secrťtaire alla les lui porter; il le trouva couchť sur un lit, lisant Horace. ęQuand partez-vous? --Je ne sais pas encore. Je n'ai pas pu m'arranger avec les patrons qu'on m'a amenťs, j'en attends d'autres. --Vous n'allez pas par la Corniche? --Non, je compte louer une felouque.Ľ Le secrťtaire rapporta les dťpÍches qu'on expťdia par estafette. Henri de Chastellux s'embarqua le lendemain matin; mais, ayant fait son arrangement pour coucher ŗ terre toutes les nuits, il n'arriva ŗ Nice que le cinquiŤme jour. Il y recueillit des bruits inquiťtants sur la position de monsieur le duc d'AngoulÍme, attendit patiemment leur confirmation et, au bout de dix ŗ douze jours, nous le vÓmes reparaÓtre ŗ GÍnes, n'ayant pas poussť sa reconnaissance au delŗ de Nice. Cette singuliŤre apathie dans un jeune homme qui ne manque pas d'esprit et que sa situation sociale et ses relations de famille auraient dŻ stimuler si vivement dans cette circonstance, comparťe ŗ la prodigieuse activitť d'un homme dont la robe aurait semblť l'en dispenser, nous parut un si singulier contraste que nous en fŻmes trŤs frappťs et que j'en ai conservť la mťmoire. Mon pŤre s'ťtait mis en correspondance plus active avec le duc de Narbonne, ambassadeur ŗ Naples, le duc de Laval, ambassadeur ŗ Madrid, et le marquis de RiviŤre qui commandait ŗ Marseille. Il leur faisait passer les nouvelles qui lui arrivaient de l'Allemagne et du nord de la France. La lťgation de Turin se trouvait fort dťgarnie de secrťtaires et d'attachťs; mon pŤre, en partant de GÍnes, me chargea de ces correspondances. Cela se bornait ŗ expťdier le bulletin des nouvelles qui nous parvenaient, en distinguant celles qui ťtaient officielles des simples bruits dont nous ťtions inondťs. Plusieurs de ces lettres furent interceptťes et quelques-unes, je crois, imprimťes dans le _Moniteur_. La malveillance s'est saisie de cette puťrile circonstance pour ťtablir que je _faisais l'ambassade_. L'impatience que j'ai conÁue de cette sottise m'a tenue volontairement dans l'ignorance des affaires diplomatiques que mon pŤre a dŻ traiter depuis lors, et probablement plus que je ne l'aurais ťtť sans cette ridicule invention. Car, je crois l'avoir dťjŗ dit, la politique m'amuse; j'en fais volontiers _en amateur_, pour occuper mon loisir; et, comme je n'ai jamais eu le besoin de parler des affaires qu'on me confie, mon pŤre me les aurait communiquťes si je l'avais souhaitť. CHAPITRE V Retour de Turin. -- Monsieur de La BťdoyŤre. -- Marche de Cannes. -- L'empereur Napolťon. -- Exposition du Saint-Suaire. -- Retour de Jules de Polignac. -- Il est fait prisonnier ŗ Montmťlian. -- Prise d'un rťgiment ŗ Aiguebelle. -- Conduite du gťnťral Bubna. -- Haine des piťmontais contre les autrichiens. -- Espťrances du roi de Sardaigne. Nous continu‚mes ŗ mener en Piťmont la vie retirťe que nous avions adoptťe ŗ GÍnes. Mon pŤre ne voulait rien changer ŗ l'ťtat ostensible de sa maison, mais les circonstances permettaient de rťformer toutes les dťpenses extraordinaires et la prudence l'exigeait. Notre seule distraction ťtait de faire chaque jour de charmantes promenades dans la dťlicieuse colline qui borde le PŰ, au delŗ de Turin, et s'ťtend jusqu'ŗ Moncalieri. Ce serait une vťritable ressource si les chemins ťtaient moins dťsagrťables; mÍme ŗ pied, il est difficile et trŤs fatigant d'y pťnťtrer. Les sentiers qui servent de lit aux torrents, dans la saison pluvieuse, sont ŗ pic et remplis de cailloux roulants. Le marcher en est pťnible jusqu'ŗ Ítre douloureux, aussi les dames du pays ne s'y exposent-elles guŤre. On est dťdommagť de ses peines par des points de vue admirables sans cesse variťs et une campagne enchantťe. Nous apprÓmes successivement les dťtails circonstanciťs de ce qui s'ťtait passť ŗ Chambťry et ŗ Grenoble. Tous les rťcits s'accordaient ŗ montrer monsieur de La BťdoyŤre comme le plus coupable. Je prÍtais d'autant plus de foi ŗ la prťmťditation dont on l'accusait que je l'avais entendu, avant mon dťpart de Paris, tenir hautement les propos les plus bonapartistes et les plus hostiles ŗ la Restauration. La famille de sa femme (mademoiselle de Chastellux) avait commis la faute de le faire entrer presque de force au service du Roi; il avait eu la faiblesse d'accepter. Je ne voudrais pas prťciser ŗ quelle ťpoque cette faiblesse ťtait devenue de la trahison, mais il est certain que, lorsque ŗ la tÍte de son rťgiment oý il ťtait arrivť depuis peu de jours, il se rendait de Chambťry ŗ Grenoble, il dit ŗ madame de Bellegarde, chez laquelle il s'arrÍta pour dťjeuner, qu'il ne formait aucun doute des succŤs de l'empereur Napolťon et qu'il les dťsirait passionnťment. Au moment oý il montait ŗ cheval, il lui cria: ęAdieu, madame, dans huit jours je serai fusillť ou marťchal d'Empire.Ľ Il paraissait avoir entraÓnť le mouvement des troupes qui se rťunirent ŗ l'Empereur et abusť de la faiblesse du gťnťral Marchand, entiŤrement dominť par lui. La reconnaissance de l'Empereur pour le service rendu ne fut pas portťe ŗ si haut prix qu'il l'avait espťrť, mais ses prťvisions ne furent que trop tristement accomplies dans l'autre alternative. Il ťtait impossible de n'Ítre pas frappť de la grandeur, de la dťcision, de l'audace dans la marche et de l'habiletť prodigieuse dťployťes par l'Empereur, de Cannes jusqu'ŗ Paris. Il est peu ťtonnant que ses partisans en aient ťtť ťlectrisťs et aient retrempť leur zŤle ŗ ce foyer du gťnie. C'est peut-Ítre le plus grand fait personnel accompli par le plus grand homme des temps modernes; et ce n'ťtait pas, j'en suis persuadťe, un plan combinť d'avance. Personne n'en avait le secret complet en France; peut-Ítre ťtait-on un peu plus instruit en Italie. Mais l'Empereur avait beaucoup livrť au hasard ou plutŰt ŗ son gťnie. La preuve en est que le commandant d'Antibes, sommť le premier, avait refusť d'admettre les aigles impťriales. Leur vol ťtait donc tout ŗ fait soumis ŗ la conduite des hommes qu'elles rencontreraient sur leur route, et la belle expression du vol de _clocher en clocher_, quoique justifiťe par le succŤs, ťtait bien hasardťe. L'Empereur s'ťtait encore une fois confiť ŗ son ťtoile et elle lui avait ťtť fidŤle, comme pour servir de flambeau ŗ de plus immenses funťrailles. En arrivant ŗ Paris, il apprit la dťclaration de Vienne du 13 mars; il subit en mÍme temps les froideurs et les rťticences de la plupart des personnes qui, dans l'ordre civil, lui avaient ťtť le plus dťvouťes. Son instinct gouvernemental comprit tout de suite que ces gens-lŗ reprťsentaient le pays beaucoup plus que les militaires. Peut-Ítre aurait-il ťtť tentť de le gouverner par le sabre, si ce sabre n'avait pas dŻ trouver un emploi plus que suffisant dans la rťsistance ŗ l'ťtranger. Il ne pouvait donc ťcraser les idťes constitutionnelles, si rapidement ťcloses en France, qu'en l‚chant le frein aux passions populaires qui, sous le nom de libertť ou de nationalitť, amŤnent promptement la plus hideuse tyrannie. Rendons justice ŗ l'Empereur; jamais homme au monde n'a eu plus l'horreur de pareils moyens. Il voulait un gouvernement absolu, mais rťglť et propre ŗ assurer l'ordre public, la tranquillitť et l'honneur du pays. DŤs que sa position lui fut complŤtement dťvoilťe, il dťsespťra de son succŤs, et le dťgoŻt qu'il en conÁut exerÁa peut-Ítre quelque influence sur le dťcouragement montrť par lui lors de la catastrophe de Waterloo. J'ai lieu de croire que, bien peu de jours aprŤs son arrivťe aux Tuileries, il cessa de dťployer l'ťnergie qui l'avait accompagnť depuis l'Óle d'Elbe. Peut-Ítre, s'il avait retrouvť dans ses anciens serviteurs civils le mÍme enthousiasme que dans les militaires, il aurait mieux accompli la t‚che gigantesque qu'il s'ťtait assignťe; peut-Ítre aussi ťtait-elle impossible. Je retournai ŗ Turin. Le Pape nous y avait prťcťdťs; sa prťsence donna lieu ŗ une cťrťmonie assez curieuse, ŗ laquelle nous assist‚mes. Le Piťmont possŤde le Saint-Suaire. La chrťtientť attache un tel prix ŗ cette relique que le Pape en a seul la disposition. Elle est enfermťe dans une boÓte en or, renfermťe dans une de cuivre, renfermťe..., enfin il y en a sept, et les sept clefs qui leur appartiennent sont entre les mains de sept personnes diffťrentes. Le Pape conserve la clef d'or. Le coffre est placť dans une magnifique chapelle d'une superbe ťglise, appelťe du Saint-Suaire. Des chanoines, qui prennent le mÍme nom, la desservent. La relique n'est exposťe aux regards des fidŤles que dans les circonstances graves et avec des cťrťmonies trŤs imposantes. Le Pape envoie un lťgat tout exprŤs, chargť d'ouvrir le coffre et de lui rapporter la clef. La prťsence du Saint-PŤre ŗ Turin et l'importance des ťvťnements inspirŤrent le dťsir de donner aux soldats, ŗ la population et au Roi la satisfaction d'envisager cette prťcieuse relique. Malgrť les espťrances que le gouvernement sarde conservait, _in petto_, d'obtenir de tous les cŰtťs la reconnaissance de sa neutralitť, il avait levť rapidement des troupes considťrables et trŤs belles sous le rapport des hommes. On rťunit les nouveaux corps sur la _place du ch‚teau_, et, aprŤs que le Pape eut bťni leurs jeunes drapeaux, on procťda au dťploiement du Saint-Suaire. Le Roi et sa petite Cour, les catholiques du corps diplomatique, les chevaliers de l'Annonciade, les autres excellences, les cardinaux et les ťvÍques ťtaient seuls admis dans la piŤce oý se prťparait la cťrťmonie. Nous n'ťtions pas plus de trente, ma mŤre, madame Bubna et moi seules de femmes; aussi ťtions-nous parfaitement bien placťes. Le coffre fut apportť par le chapitre qui en a la garde. Chaque boÓte fut ouverte successivement, le grand personnage qui en conserve la clef la remettant ŗ son tour, et un procŤs-verbal constatant l'ťtat des serrures longuement et minutieusement rťdigť. Ceci se passait comme une levťe de scellť, et sans aucune forme religieuse, seulement le cardinal qui ouvrait les serrures rťcitait une priŤre ŗ chaque fois. Lorsqu'on fut arrivť ŗ la derniŤre cassette, qui est assez grande et paraÓt toute brillante d'or, les oraisons et les gťnuflexions commencŤrent. Le Pape s'approcha d'une table oý elle fut dťposťe par deux des cardinaux; tout le monde se mit ŗ genoux, et il y eut beaucoup de formes employťes pour l'ouvrir. Elles auraient ťtť mieux placťes dans une ťglise que dans un salon oý cette pantomime, vue de trop prŤs, manquait de dignitť. Enfin le Pape, aprŤs avoir approchť et retirť ses mains plusieurs fois, comme s'il craignait d'y toucher, tira de la boÓte un grand morceau de grosse toile maculťe. Il la porta, accompagnť du Roi qui le suivait immťdiatement et entourť des cardinaux, sur le balcon oý il la dťploya. Les troupes se mirent ŗ genoux aussi bien que la population qui remplissait les rues derriŤre elles. Toutes les fenÍtres ťtaient combles de monde; le coup d'oeil ťtait beau et imposant. On m'a dit qu'on voyait assez distinctement les marques ensanglantťes de la figure, des pieds, des mains et mÍme de la blessure sur le saint Linceul. Je n'ai pu en juger, me trouvant placťe ŗ une fenÍtre voisine de celle oý ťtait le Pape. Il l'exposa en face, ŗ droite et ŗ gauche; le silence le plus solennel dura pendant ce temps. Au moment oý il se retira, la foule agenouillťe se releva en poussant de grandes acclamations; le canon, les tambours, les vivats annoncŤrent que la cťrťmonie ťtait finie. Rentrť dans le salon, on commenÁa les oraisons. Le Saint-PŤre eut la bontť de nous faire demander, par le cardinal Pacca, si nous voulions faire bťnir quelque objet et le faire toucher au Saint-Suaire. N'ayant pas prťvu cette faveur, nous n'ťtions munies d'aucun meuble convenable. Cependant nous donn‚mes nos bagues et de petites chaÓnes que nous portions au col. Le Pape n'y fit aucune objection et nous jeta un coup d'oeil plein d'amťnitť et de bontť paternelle. Nous venions de le voir souvent ŗ GÍnes. Lui seul et le cardinal, qu'il avait dŻ nommer lťgat exprŤs pour l'occasion, avaient le droit de toucher au Saint-Suaire mÍme. Ils eurent assez de peine ŗ le replier, mais personne ne pouvait leur offrir assistance. La premiŤre boÓte fermťe, le Pape en prit la clef, puis les cardinaux la placŤrent dans la seconde enveloppe. Cette cťrťmonie faite, le Pape, le Roi et les personnes invitťes passŤrent dans une piŤce oý on avait prťparť un dťjeuner ou plutŰt des rafraÓchissements, car il n'y avait pas de table mise. Les deux souverains y distribuŤrent leurs politesses. On attendit que la clŰture de tous les coffres fŻt terminťe et que les chanoines eussent repris processionnellement le chemin de l'ťglise, puis chacun se retira. Je ne me rappelle pas si Jules de Polignac assistait ŗ cette cťrťmonie, mais, vers ce temps, il arriva porteur de pleins pouvoirs de Monsieur, nommť par le roi Louis XVIII lieutenant gťnťral du royaume. Il prťtendait Ítre en mesure de lever une lťgion franÁaise, ŗ cocarde blanche, sur le territoire sarde, mais le gouvernement ne voulut du tout y consentir. Il obtint ŗ grand'peine la permission de s'ťtablir sur la frontiŤre pour surveiller de plus prŤs les relations qu'il conservait dans le Midi. Il s'installa chez un curť des Bauges. Il ťtait en correspondance presque journaliŤre avec mon pŤre et lui racontait toutes les pauvretťs imaginables. Les renseignements que mon pŤre recevait d'ailleurs lui faisaient prťvoir des hostilitťs prochaines. Il avertit Jules de prendre garde ŗ sa sŻretť; celui-ci rťpondit, en date du 15 juin, qu'il ťtait sŻr d'Ítre averti au moins dix jours avant l'ouverture de la campagne qui ne pouvait pas commencer avant quatre ou cinq semaines. En le remerciant de sa sollicitude, il le priait d'Ítre en pleine sťcuritť, car il ťtait sŻr d'Ítre informť plus tŰt et mieux que personne. Le mÍme courrier apportait une lettre du curť (car c'ťtaient toujours des curťs!) de Montmťlian qui avertissait mon pŤre qu'aprŤs avoir portť sa lettre ŗ la poste, Jules ťtait revenu au presbytŤre pour prendre son cheval, qu'au moment oý il mettait le pied ŗ l'ťtrier la maison avait ťtť investie par une compagnie de soldats franÁais, entrťs dans la ville sans coup fťrir, et que Jules avait ťtť fait prisonnier. Le curť en ťtait d'autant plus inquiet que la selle portait des sacoches remplies d'une correspondance qui compromettait Jules et tous ses affiliťs. Le curť avait fait porter sa lettre, ŗ travers les montagnes, ŗ un bureau non encore occupť; cependant celle de Jules, timbrťe de Montmťlian, arriva ťgalement. C'est encore une occasion oý l'imprťvoyance dont ce pauvre monsieur de Polignac paraÓt si ťminemment douť lui a ťtť fatale. Elle est toujours accompagnťe d'une confiance en lui-mÍme poussťe ŗ un degrť fabuleux. Comme il joint ŗ cette outrecuidance une grande tťmťritť, un courage trŤs remarquable, souvent ťprouvť, rien ne l'avertit du danger; il s'y prťcipite en aveugle. Mais il faut lui rendre cette justice, qu'une fois arrivť, il le considŤre sans faiblesse et subit les consťquences de ses fautes avec une force d'‚me peu commune. Nous fŻmes consternťs en le sachant prisonnier. La douceur de ses moeurs, l'urbanitť de son langage le rendent fort attachant dans la vie privťe. J'oubliai alors que je l'accusais toujours d'Ítre conduit par l'ambition et de faire du prie-Dieu un marchepied pour ne plus me rappeler que l'homme facile et obligeant avec lequel j'ťtais liťe depuis notre mutuelle enfance, et je pleurai amŤrement sur son sort. Il ťtait impossible de prťvoir comment la politique de l'Empereur l'engagerait ŗ traiter les prisonniers dans la catťgorie de Jules, et lui surtout, que la Restauration avait arrachť ŗ la captivitť du rťgime impťrial, se trouvait dans un prťdicament tout ŗ part et pťrilleux. Mon pŤre se mit fort en mouvement pour se procurer de ses nouvelles; il fut longtemps sans pouvoir y rťussir. Toutefois, il obtint une dťclaration de tous les ministres, rťsidant ŗ Turin, qui annonÁait des reprťsailles de la part de leurs souverains si monsieur de Polignac ťtait traitť autrement qu'en prisonnier de guerre. Le cabinet sarde fut le plus rťcalcitrant, mais consentit enfin ŗ signer le dernier. Ces dťmarches se trouvŤrent inutiles. Le marťchal Suchet se souciait peu de s'illustrer par cette conquÍte. Il fit mettre monsieur de Polignac au fort Barraux, lui conseilla de se tenir parfaitement tranquille et eut l'air de l'y oublier, tout en l'y faisant trŤs bien traiter. On lui manda de l'envoyer ŗ Paris; il n'en tint compte. Je ne sais s'il aurait pu prolonger longtemps cette bienveillante indiffťrence, mais les ťvťnements marchŤrent vite. Le gouvernement piťmontais avait si complŤtement partagť la sťcuritť de Jules qu'au mÍme moment oý les franÁais s'emparaient de Montmťlian, un autre corps, traversant la montagne, enlevait ŗ Aiguebelle un beau rťgiment piťmontais qui faisait tranquillement l'exercice avec des pierres de bois ŗ ses fusils. Ce qu'il y a de plus piquant dans cette aventure c'est que la mÍme chose ťtait arrivťe, au mÍme lieu et de la mÍme faÁon, au dťbut de la guerre prťcťdente. L'ťmoi fut grand ŗ Turin. On nomma vite monsieur de Saint-Marsan ministre de la guerre, quoiqu'il eŻt servi sous le rťgime franÁais. On rťclama les secours autrichiens avec autant de zŤle qu'on en avait mis ŗ les refuser jusque-lŗ. Mais le gťnťral Bubna dťclara ŗ monsieur de Valese qu'il fallait porter la peine de son obstination; il l'avertissait depuis longtemps que les hostilitťs ťtaient prÍtes ŗ ťclater et que les nťgociations occultes et personnelles avec le gouvernement franÁais, pour ťtablir sa neutralitť, seraient sans succŤs. Il n'avait pas voulu le croire; maintenant il le prťvenait formellement que, si les franÁais s'ťtaient emparťs du Mont-Cenis avant qu'il pŻt l'occuper, ce qui lui paraissait fort probable, il retirerait ses troupes en Lombardie et abandonnerait le Piťmont. ņ la suite de cette menace, il dťploya une activitť prodigieuse pour la rendre vaine. C'ťtait un singulier homme que ce Bubna. Grand, gros, boiteux par une blessure, paresseux lorsqu'il n'avait rien ŗ faire, il passait les trois quarts des journťes, couchť sur un lit ou sur la paille dans son ťcurie, ŗ fumer le plus mauvais tabac du plus mauvais estaminet. Quand il lui plaisait de venir dans le salon, il y ťtait, sauf l'odeur de pipe, homme de la meilleure compagnie, conteur spirituel, fin, caustique, comprenant et employant toutes les dťlicatesses du langage. Les affaires civiles ou militaires le rťclamaient-elles? Il ne prenait plus un moment de repos; et ce mÍme Bubna qui avait passť six mois sans quitter, ŗ peine, la position horizontale, serait restť soixante-douze heures ŗ cheval sans en paraÓtre fatiguť. Il me fit la confidence qu'il exagťrait un peu ses inquiťtudes et la rigueur de ses projets pour se venger de monsieur de Valese et de ses hťsitations. Comme j'ťtais trŤs indignťe contre celui-ci de la faÁon dont il s'ťloignait de l'ambassadeur de France, je goŻtais fort cette espiŤglerie. Mon pŤre, avec son ťminente sagesse, ne partageait pas cette joie; il approuvait monsieur de Valese d'avoir rťussi ŗ ťviter ŗ son pays quelques semaines de l'occupation autrichienne. Il compatissait au dťsir d'un petit royaume de chercher ŗ obtenir un ťtat de neutralitť, tout en croyant ce rťsultat impossible. Il est certain que la rťsistance apportťe par le cabinet ŗ la rentrťe des autrichiens sur le territoire piťmontais compensa, aux yeux des habitants, beaucoup des torts qu'on reprochait au gouvernement. La population les avait pris en haine et ils lui avaient enseignť ŗ regretter les troupes franÁaises: ęLes franÁais disait-elle, nous pressuraient beaucoup, mais ils mangeaient chez nous et avec nous ce qu'ils prenaient, au lieu que les allemands prennent plus encore et emportent tout.Ľ Cela ťtait vrai de l'administration aussi bien que des chefs et des soldats. Elle faisait venir d'Autriche jusqu'aux fers des chevaux, n'achetait rien dans les pays occupťs; mais, en revanche, emportait tout, mÍme les gonds et les verrous des portes et fenÍtres dans les casernes que les troupes abandonnaient. Les fourgons qui suivent un corps autrichien ťvacuant un pays _alliť_ sont curieux ŗ voir par leur nombre fabuleux et par la multitude d'objets de toute espŤce qu'ils contiennent pÍle-mÍle. Ces convois excitaient la colŤre des peuples italiens, victimes de ce systŤme de spoliation gťnťrale. La nouvelle de l'entrťe en campagne sur la frontiŤre de Belgique et de la bataille de Ligny livrťe le 16 nous parvint avec une grande rapiditť ŗ travers la France et ŗ l'aide du tťlťgraphe qui l'avait apportťe ŗ Chambťry. Mais il fallut attendre l'arrivťe d'un courrier rťgulier pour nous conter celle de Waterloo. AprŤs celle-lŗ, celles que nous ťtions contraints ŗ appeler les bonnes nouvelles se succťdŤrent aussi rapidement que les mauvaises trois mois avant. Il fallait bien s'en rťjouir, mais ce n'ťtait pas sans saignement de coeur. Le roi de Sardaigne avait la tÍte tournťe de voir le corps piťmontais entrer en France avec l'armťe autrichienne, et se croyait dťjŗ un conquťrant. Sa magnanimitť se contentait du RhŰne pour frontiŤre. Il donnait bien quelques soupirs ŗ Lyon, mais il se consolait par l'idťe que c'ťtait une ville _mal pensante_. J'ai dťjŗ dit qu'il ťtait trŤs accessible; il recevait tout le monde, ťtait fort parlant, surtout dans ce moment d'exaltation. Il n'y avait pas un moine, ni un paysan qu'il ne retÓnt pour leur raconter ses projets militaires. …tant duc d'Aoste, il avait fait une campagne dans la vallťe de Barcelonnette et avait conservť une grande admiration pour l'agilitť et le courage de ses habitants: aussi voulait-il aller prendre BrianÁon, par escalade, ŗ la tÍte de ses _Barbets_, comme il les appelait. Il dťveloppa ce plan au gťnťral Frimont lorsqu'il passa pour prendre le commandement en chef de l'armťe autrichienne. Bubna, prťsent ŗ cette entrevue, racontait ŗ faire mourir de rire l'ťtonnement calme de l'alsacien Frimont cherchant vainement ses yeux pour dťcouvrir ce qu'il pensait de ces extravagances et obligť par sa malice ŗ y rťpondre seul. Heureusement le Roi se laissa choir d'une chaise sur laquelle il ťtait grimpť pour prendre d'assaut une jarre ŗ tabac placťe sur une armoire. Il se fit assez de mal, se dťmit le poignet, et BrianÁon fut sauvť. Le physique de ce pauvre prince rendait ses rodomontades encore plus ridicules. Il ressemblait en laid ŗ monsieur le duc d'AngoulÍme. Il ťtait encore plus petit, encore plus chťtif; ses bras ťtaient plus longs, ses jambes plus grÍles, ses pieds plus plats, sa figure plus grimaÁante; enfin il atteignait davantage le type du singe auquel tous deux aspiraient. Il souffrit horriblement de son poignet qui fut mal remis par une espŤce de carabin ramenť de Sardaigne. Rossi, un des plus habiles chirurgiens de l'Europe, ťtait consignť au seuil du ch‚teau pour l'avoir franchi sous le gouvernement franÁais. Toutefois, la douleur se fit sentir; au bout de dix ŗ douze jours, Rossi fut appelť, le poignet bien remis et le Roi soulagť. CHAPITRE VI Rťponse de mon pŤre au premier chambellan du duc de ModŤne. -- Conduite du marťchal Suchet ŗ Lyon. -- Conduite du marťchal Brune ŗ Toulon. -- Catastrophe d'Avignon. -- Expulsion des franÁais rťsidant en Piťmont. -- Je quitte Turin. -- …tat de la Savoie. -- Passage de Monsieur ŗ Chambťry. -- FÍte de la Saint-Louis ŗ Lyon. -- Pťnible aveu. -- Gendarmes rťcompensťs par l'Empereur. -- Les soldats de l'armťe de la Loire. -- Leur belle attitude. Les forfanteries du Roi et des siens, tout absurdes qu'elles ťtaient, portaient pour nous un son fort dťsagrťable. Quelques semaines plus tard, mon pŤre eut occasion d'en relever une d'une maniŤre trŤs heureuse. Le duc de ModŤne vint voir son beau-pŤre; il y eut ŗ cette occasion rťception ŗ la Cour. Mon pŤre s'y trouva auprŤs d'un groupe oý le premier chambellan de ModŤne professait hautement la nťcessitť et la facilitť de partager la France pour assurer le repos de l'Europe. Il prit la parole et du ton le plus poli: ęOserai-je vous prier, monsieur le comte, de m'indiquer les documents historiques oý vous avez puisť qu'on peut disposer de la France comme s'il s'agissait du duchť de ModŤne?Ľ On peut croire que le premier chambellan resta trŤs dťcontenancť. Cette boutade, qui contrastait si fort avec l'urbanitť habituelle de mon pŤre, eut grand succŤs ŗ Turin oý on dťtestait les prťtentions de l'allemand, duc de ModŤne. Les ťvťnements de Belgique arrÍtŤrent la marche des armťes franÁaises en Savoie, et laissŤrent le temps aux autrichiens de rťunir ŗ Chambťry des forces trop considťrables pour pouvoir leur rťsister. L'occupation de Grenoble, oý on ne laissa que des troupes piťmontaises, acheva d'enorgueillir ces conquťrants improvisťs, et je ne sais si le chagrin l'emportait sur la colŤre en pensant ŗ nos canons tombťs entre les pattes des _Barbets_ du Roi. Quoique le fort Barraux tÓnt toujours, on avait eu soin d'en laisser ťvader Jules de Polignac qui rejoignit le quartier gťnťral de Bubna et assista ŗ l'attaque de Grenoble. Ces souvenirs sont trŤs pťnibles pour y revenir volontiers; j'aime mieux raconter deux faits qui, selon moi, honorent plus nos vieux capitaines qu'un de ces succŤs militaires qui leur ťtaient si familiers. Ils prouvent leur patriotisme. Les Alliťs admettaient que, partout oý ils trouveraient le gouvernement du roi Louis XVIII reconnu avant leur arrivťe, ils n'exerceraient aucune spoliation. Mais aussi toutes les places oý ils entreraient par force ou par capitulation devaient Ítre traitťes comme pays conquis et le matťriel enlevť: Dieu sait s'ils ťtaient experts ŗ tels dťmťnagements; Grenoble en faisait foi. L'avant-garde, sous les ordres du gťnťral Bubna, s'approchait de Lyon. Monsieur de Corcelles, commandant la garde nationale, se rendit auprŤs du gťnťral, lui offrit de faire prendre ŗ la ville la cocarde autrichienne ou la cocarde sarde, toutes enfin plutŰt que la cocarde blanche. Mon ami Bubna, qui, tout aimable qu'il ťtait, n'avait pas une bien sainte horreur pour le bien d'autrui, ťtait trop habile pour autoriser les _patriotiques_ intentions de monsieur de Corcelles, mais il ne les repoussa pas tout ŗ fait. Il lui dit que de si grandes dťcisions ne s'improvisaient pas; il n'avait point d'instructions ŗ ce sujet, mais il en demanderait. Sans doute, il ne serait pas impossible que la maison de Savoie port‚t le siŤge de son royaume ŗ Lyon, tandis que le Piťmont pourrait se rťunir ŗ la Lombardie. C'ťtait matiŤre ŗ rťflexion; en attendant il ne fallait rien brusquer, et il conseillait _tout simplement_ de garder la cocarde tricolore. L'armťe autrichienne ferait son entrťe le lendemain matin, et il serait temps de discuter ensuite les intťrÍts rťciproques. Monsieur de Corcelles retourna ŗ Lyon et courut rendre compte de sa dťmarche et de sa conversation au marťchal Suchet. Celui-ci le traita comme le dernier des hommes, lui dit qu'il ťtait un misťrable, un mauvais citoyen, que, quant ŗ lui, il aimerait mieux voir la France rťunie sous une main quelconque que perdant un seul village. Il le chassa de sa prťsence, lui Űta le commandement de la garde nationale, fit chercher de tout cŰtť Jules de Polignac, monsieur de Chabrol, monsieur de Sainneville (l'un prťfet, l'autre directeur de la police avant les Cent-Jours), les installa lui-mÍme dans leurs fonctions et ne s'ťloigna qu'aprŤs avoir fait arborer les couleurs royales. Bubna les trouva dťployťes le lendemain ŗ son grand dťsappointement, mais il n'osa pas s'en plaindre. Au mÍme temps, les mÍmes rťsultats s'opťrŤrent ŗ Toulon avec des circonstances un peu diffťrentes. Le marťchal Brune y commandait. La garnison ťtait exaltťe jusqu'ŗ la passion pour le systŤme impťrial et la ville partageait ses sentiments. Un matin, ŗ l'ouverture des portes, le marquis de RiviŤre, l'amiral Ganteaume et un vieil ťmigrť, le comte de Lardenoy, qui ťtait commandant de Toulon pour le Roi, suivis d'un seul gendarme et portant tous quatre la cocarde blanche, forcŤrent la consigne, entrŤrent au grand trot dans la place et allŤrent descendre chez le marťchal avant que l'ťtonnement qu'avait causť leur brusque apparition eŻt laissť le temps de les arrÍter. Ils parvinrent jusque dans le cabinet oý le marťchal ťtait occupť ŗ ťcrire. Surpris d'abord, il se remit immťdiatement, tendit la main ŗ monsieur de RiviŤre qu'il connaissait, et lui dit: ęJe vous remercie de cette preuve de confiance, monsieur le marquis, elle ne sera pas trompťe.Ľ Les nouveaux arrivťs lui montrŤrent la dťclaration des Alliťs, lui apprirent qu'un corps austro-sarde s'avanÁait du cŰtť de Nice et qu'une flotte anglaise se dirigeait sur Toulon. Dans l'impossibilitť de le dťfendre d'une maniŤre efficace, puisque toute la France ťtait envahie et le Roi dťjŗ ŗ Paris, le marťchal, en s'obstinant ŗ conserver ses couleurs, coŻterait ŗ son pays l'immense matťriel de terre et de mer contenu dans la place; les Alliťs n'ťpargneraient rien; ils se h‚taient pour arriver avant qu'il eŻt reconnu le gouvernement du Roi. Ces messieurs, se fiant ŗ son patriotisme ťclairť, ťtaient venus lui raconter la situation telle qu'elle ťtait et lui juraient sur l'honneur l'exactitude des faits. Le marťchal lut attentivement les piŤces qui les confirmaient, puis il ajouta: ęEffectivement, messieurs, il n'y a pas un moment ŗ perdre. Je rťponds de la garnison; je ne sais pas ce que je pourrai obtenir de la ville. En tout cas, nous y pťrirons ensemble, mais je ne serai pas complice d'une vaine obstination qui livrerait le port aux spoliations des anglais.Ľ Il s'occupa aussitŰt de rťunir les officiers des troupes, les autoritťs de la ville et les meneurs les plus influents du parti bonapartiste. Il les chapitra si bien que, peu d'heures aprŤs, la cocarde blanche ťtait reprise et le vieux Lardenoy reconnu commandant. Le marquis de RiviŤre ťtait homme ŗ apprťcier la loyautť du marťchal et ŗ en Ítre fort touchť. Il l'engagea ŗ rester avec eux dans le premier moment d'effervescence du peuple passionnť du Midi. Le marťchal Brune persista ŗ vouloir s'ťloigner; peut-Ítre craignait-il d'Ítre accusť de trahison par son parti. Quel que fŻt son motif, il partit accompagnť d'un aide de camp de monsieur de RiviŤre; il le renvoya se croyant hors des lieux oý il pouvait Ítre reconnu et recourir quelque danger. On sait l'horrible catastrophe d'Avignon et comment un peuple furieux et atroce punit la belle action que l'histoire, au moins, devra consigner dans une noble page. On voudrait pouvoir dire que la lie de la populace fut seule coupable; mais, hťlas! il y avait parmi les acteurs de cette horrible scŤne des gens que l'esprit de parti a tellement protťgťs que la justice des lois n'a pu les atteindre. C'est une des vilaines taches de la Restauration. La conduite des marťchaux Suchet et Brune m'a toujours inspirť d'autant plus de respect que je n'ai pu me dissimuler qu'elle n'aurait pas ťtť imitťe par des chefs royalistes. Il y en a bien peu d'entre eux qui n'eussent prťfťrť remettre leur commandement, au risque de pertes immenses pour la patrie, entre les mains de l'ťtranger, ŗ faire replacer eux-mÍmes le drapeau tricolore, et, s'il s'en ťtait trouvť, notre parti les aurait qualifiťs de traÓtres. Dans les premiers jours de mars, le roi de Sardaigne avait publiť l'ordre de chasser tous les franÁais de ses …tats. Les rapides succŤs de l'Empereur lui imposŤrent trop pour qu'il os‚t l'exťcuter; mais, dŤs que sa peur fut un peu calmťe par le gain de la bataille de Waterloo, il donna des ordres pťremptoires et trouva des agents impitoyables. Des franÁais, domiciliťs depuis trente ans, propriťtaires, mariťs ŗ des piťmontaises, furent expulsťs de chez eux par les carabiniers royaux, conduits aux frontiŤres comme des malfaiteurs, sans qu'on invent‚t seulement d'articuler contre eux le moindre reproche. Les femmes et les enfants vinrent porter leurs larmes ŗ l'ambassade; nous en ťtions assaillis. Nous ne pouvions que pleurer avec eux et partager leur profonde indignation. Mon pŤre faisait officieusement toutes les rťclamations possibles. Ses collŤgues du corps diplomatique se prÍtaient ŗ les appuyer et tťmoignaient leur affliction et leur dťsapprobation de ces cruelles mesures, mais rien ne les arrÍtait. Enfin, mon pŤre reÁut un courrier du prince de Talleyrand pour lui annoncer que le gouvernement du roi Louis XVIII ťtait reconstituť. Il se rendit aussitŰt chez le comte de Valese et lui dťclara que, si ces persťcutions injustifiables continuaient contre les sujets de S. M. T. C., il demanderait immťdiatement ses passeports, qu'il en prťviendrait sa Cour et ťtait sŻr d'Ítre approuvť. Cette dťmarche sauva quelques malheureux qui avaient obtenu un sursis, mais la plupart ťtaient dťjŗ partis ou au moins ruinťs par cette manifestation intempestive de la peur et d'une puťrile vengeance exercťe contre des innocents. Cette circonstance acheva de m'indisposer contre les gouvernements absolus et arbitraires. La maladie du pays m'avait gagnťe ŗ tel point que je ne respirais plus dans ce triste Turin. J'ťprouvais un vťritable besoin de m'en ťloigner, au moins pour un temps. Je me dťcidai ŗ venir passer quelques semaines ŗ Paris oý j'ťtais appelťe par des affaires personnelles. Mon pŤre consentit d'autant plus facilement ŗ mon dťpart qu'il dťsirait lui-mÍme avoir, sur ce qui se passait en France, des renseignements plus exacts que ceux donnťs par les gazettes. Les dťpÍches ťtaient rares et toujours peu explicites; ma correspondance serait dťtaillťe et quotidienne. J'ťtais faite ŗ me servir de sa lunette; il ne pouvait avoir un observateur qui lui fŻt plus commode. J'ai dit que mon frŤre avait rejoint son prince ŗ Barcelone; il y sťjourna et l'accompagna ŗ Bourg-Madame. Monsieur le duc d'AngoulÍme l'envoya porter ses dťpÍches au Roi dŤs qu'il le sut ŗ Paris. Le Roi le renvoya ŗ son neveu; il lui fallut traverser deux fois l'armťe de la Loire, ce qui ne fut pas sans quelque danger, ŗ ce premier moment. Toutefois, il remplit heureusement sa double mission et obtint pour rťcompense la permission de venir embrasser ses parents. J'attendis son arrivťe et, aprŤs avoir passť quelques jours avec lui, je le prťcťdai sur la route de Paris oý il devait venir me rejoindre promptement. Je quittai Turin, le 18 aoŻt, jour de la Sainte-HťlŤne, aprŤs avoir souhaitť la fÍte ŗ ma mŤre pour laquelle mon absence n'avait pas de compensation et qui en ťtait dťsolťe. Elle devait, le lendemain, accompagner mon pŤre ŗ GÍnes oý, pour cette fois, la Reine arriva sans obstacles. Elle dťbarqua de Sardaigne avec un costume et des faÁons qui ne rappelaient guŤre l'ťlťgante et charmante duchesse d'Aoste dont le Piťmont conservait le souvenir. Elle s'y est fait dťtester, je ne sais si c'est avec justice; je n'ai plus eu de rapports personnels avec ce pays et on ne peut s'en faire une idťe un peu juste qu'en l'habitant. Il y a toujours une extrÍme rťticence dans les rťcits qu'en font les piťmontais. Je m'arrÍtai quelques jours ŗ Chambťry. J'y appris les circonstances exactes de la trahison des troupes et surtout celle de monsieur de La BťdoyŤre. Il ťtait ťvident qu'il travaillait d'avance son rťgiment et que les ťvťnements de Grenoble avaient ťtť rien moins que spontanťs. Les esprits ťtaient fort ťchauffťs en Savoie. L'ancienne noblesse dťsirait ardemment rentrer sous le sceptre de la maison de Savoie. La bourgeoisie aisťe ou commerÁante, tous les industriels voulaient rester franÁais. Les paysans ťtaient prÍts ŗ crier: ęVive le Roi sarde!Ľ dŤs que leurs curťs le leur ordonneraient. Jusqu'alors les voeux, les craintes et les rťpugnances s'exprimaient encore tout bas; on se bornait ŗ se dťtester cordialement de part et d'autre. Peu avant les Cent-Jours, Monsieur avait fait un voyage dans le Midi; sa gr‚ce et son obligeance lui avaient procurť de grands succŤs. ņ Chambťry, il logea chez monsieur de Boigne et le traita avec bontť. Le lendemain, avant de partir, le duc de Maillť lui remit de la part du prince six croix d'honneur, ŗ distribuer dans la ville. Monsieur de Boigne n'avait pas fait de mauvais choix; mais, cela dťpendait de lui. Les diplŰmes avaient ťtť remplis des noms qu'il indiquait, sans autre renseignement. Il paraÓt que, dans tout ce voyage, Monsieur payait ainsi son ťcot ŗ ses hŰtes. On a cru que la prodigalitť avec laquelle on a semť la croix d'honneur en 1814 avait un but politique et qu'on voulait la discrťditer. Je ne le pense pas; seulement elle n'avait aucun prix aux yeux de nos princes et ils la donnaient comme peu de valeur. On conÁoit ŗ quel point cela devait irriter les gens qui avaient versť leur sang pour l'obtenir. C'est par cette ignorance du pays, plus que par propos dťlibťrť, que les princes de la maison de Bourbon choquaient souvent, sans s'en douter, les intťrÍts et les prťjugťs nationaux nťs pendant leur longue absence. Ils ne se donnaient pas la peine de les apprendre ni de s'en informer, bien persuadťs qu'ils se tenaient d'Ítre rentrťs dans leur patrimoine. Jamais ils n'ont pu comprendre qu'ils occupaient une place, ŗ charge d'‚mes, qui imposait du travail et des devoirs. J'arrivai ŗ Lyon le 25 aoŻt. Avec l'assistance de la garnison autrichienne, on y cťlťbrait bruyamment la fÍte de la Saint-Louis. La ville ťtait illuminťe; on tirait un feu d'artifice; la population entiŤre semblait y prendre part. On se demandait ce qu'ťtait devenue cette autre foule qui, naguŤre, avait accueilli Bonaparte avec de si grands transports. J'ai assistť ŗ tant de pťripťties dans les acclamations populaires que je me suis souvent adressť cette question. Je crois que ce sont les mÍmes masses, mais diversement ťlectrisťes par un petit noyau de personnes exaltťes, qui changent et sont entraÓnťes dans des sens diffťrents; mais la mÍme foule est ťgalement de bonne foi dans ses diverses palinodies. Me voici arrivťe ŗ une confession bien pťnible. Je pourrais l'ťpargner, puisqu'elle ne regarde que moi et qu'un sentiment intime; mais je me suis promis de dire la vťritť sur tout le monde; je la cherche aussi en moi. Il faut qu'on sache jusqu'oý la passion de l'esprit de parti peut dťnaturer le coeur. En arrivant ŗ l'hŰtel de l'Europe, je demandai les gazettes; j'y lus la condamnation de monsieur de La BťdoyŤre et j'ťprouvai un mouvement d'horrible joie. ęEnfin, me dis-je, voilŗ un de ces misťrables traÓtres puni!Ľ Ce mouvement ne fut que passager; je me fis promptement horreur ŗ moi-mÍme; mais, enfin, il a ťtť assez positif pour avoir pesť sur ma conscience. C'est depuis ce moment, depuis le dťgoŻt et le remords qu'il m'inspire, que j'ai abjurť, autant qu'il dťpend de moi, les passions de l'esprit de parti et surtout ses vengeances. Je pourrais, ŗ la rigueur, me chercher une excuse dans tout ce que je venais d'apprendre ŗ Chambťry sur la conduite de monsieur de La BťdoyŤre, dans les tristes rťsultats que sa coupable trahison avait attirťs, dans l'aspect de la patrie dťchirťe et envahie par un million d'ťtrangers; mais rien n'excuse, dans un coeur fťminin, la pensťe d'une sanglante vengeance, et il faut en renvoyer l'horreur ŗ qui il appartient, ŗ l'esprit de parti, monstre dont on ne peut trop repousser les approches quand on vit dans un temps de rťvolution et qu'on veut conserver quelque chose d'humain. Je passai deux jours ŗ Lyon oý se trouvaient rťunies plusieurs personnes avec lesquelles j'ťtais liťe parmi les franÁais et les ťtrangers. On me donna les dťtails des ťvťnements de Paris. Les avis ťtaient divers sur le rŰle qu'y avait jouť Fouchť, mais tout le monde s'accordait ŗ dire qu'il ťtait entrť dans le conseil de Louis XVIII ŗ la sollicitation de Monsieur, excitť par les plus exaltťs du parti ťmigrť. C'est ŗ Lyon que me furent racontťs les faits que j'ai rapportťs sur la conduite du marťchal Suchet. J'appris aussi une circonstance qui me frappa. Lorsque Monsieur fit cette triste expťdition, au moment du retour de l'Óle d'Elbe, il fut obligť de quitter la ville par la route de Paris, tandis que toute la garnison et les habitants se prťcipitaient sur celle de Grenoble au-devant de Napolťon. Deux gendarmes, seuls de l'escorte commandťe, se prťsentŤrent pour accompagner sa voiture. Le lendemain, ils furent dťnoncťs ŗ l'Empereur. Il les fit rechercher et leur donna de l'avancement. On ne peut nier que cet homme n'eŻt l'instinct gouvernemental. Mon sťjour ŗ Lyon avait ťtť forcť; il fallait attendre que la route fŻt _libre_, c'est-ŗ-dire complŤtement occupťe par des garnisons ťtrangŤres. Je conserve encore le passeport ŗ l'aide duquel j'ai traversť notre triste patrie dans ces jours de dťtresse. Il est curieux par la quantitť de _visas_, en toutes langues, dont il est couvert. Si ces formalitťs ťtaient pťnibles, les routes offraient un spectacle consolant pour un coeur franÁais, malgrť son amertume. C'ťtait la magnifique attitude de nos soldats licenciťs. Rťunis par bandes de douze ou quinze, vÍtus de leur uniforme, propres et soignťs comme en jour de parade, le b‚ton blanc ŗ la main, ils regagnaient leurs foyers, tristes mais non accablťs et conservant une dignitť dans les revers qui les montrait dignes de leurs anciens succŤs. J'avais laissť l'Italie infestťe de brigands crťťs par la petite campagne de Murat. Le premier groupe de soldats de la Loire que je rencontrai, en me rappelant ce souvenir, m'inspira un peu de crainte; mais, dŤs que je les eus envisagťs, je ne ressentis plus que l'ťmotion de la sympathie. Eux-mÍmes semblaient la comprendre. Les plus en avant des bandes que je dťpassais me regardaient fixement comme pour chercher ŗ deviner ŗ quoi j'appartenais, mais les derniers me saluaient toujours. Ils m'inspiraient ce genre de pitiť que le poŤte a qualifiťe de _charmante_ et que la magnanimitť commande forcťment quand on n'a pas perdu tout sentiment gťnťreux. Je ne pense pas qu'il y ait quelque chose de plus beau dans l'histoire que la conduite gťnťrale de l'armťe et l'attitude personnelle des soldats ŗ cette ťpoque. La France a droit de s'en enorgueillir. Je n'attendis pas le jour de la justice pour en Ítre enthousiasmťe et, dŤs lors, je les considťrais avec respect et vťnťration. Il est bien remarquable en effet, que, dans un moment oý plus de cent cinquante mille hommes furent renvoyťs de leurs drapeaux et rejetťs, sans ťtat, dans le pays, il n'y eut pas un excŤs, pas un crime commis dans toute la France qui pŻt leur Ítre imputť. Les routes restŤrent ťgalement sŻres; les ch‚teaux conservŤrent leur tranquillitť; les villes, les bourgs et les villages acquirent des citoyens utiles, des ouvriers intelligents, des chroniqueurs intťressants. Rien ne fait plus l'ťloge de la conscription que cette noble conduite des soldats qu'elle a produits; je la crois unique dans les siŤcles. J'ťtais ennemie des soldats de Waterloo. Je les qualifiais, ŗ juste titre, de traÓtres depuis trois mois, mais je n'eus pas fait une journťe de route sans Ítre fiŤre de mes glorieux compatriotes. CHAPITRE VII Madame de La BťdoyŤre. -- Son courage. -- Son dťsespoir. -- Sa rťsignation. -- La comtesse de KrŁdener. -- Elle me fait une singuliŤre rťception. -- Rťcit de son arrivťe ŗ Heidelberg. -- Son influence sur l'empereur Alexandre. -- Elle l'exerce en faveur de monsieur de La BťdoyŤre. -- Saillie de monsieur de Sabran. -- Pacte de la Sainte-Alliance. -- Soumission de Benjamin Constant ŗ madame de KrŁdener. -- Son amour pour madame Rťcamier. -- Sa conduite au 20 mars. -- Sa lettre au roi Louis XVIII. Comme pour me faire mieux sentir l'horreur du cruel sentiment que j'avais ťprouvť au sujet de monsieur de La BťdoyŤre, je trouvai Paris encore tout ťmu de ses derniers moments. Lorsqu'en 1791, le comte et la comtesse de Chastellux avaient suivi madame Victoire ŗ Rome, deux de leurs cinq enfants (Henri et Georgine) ťtaient restťs en France oý leur grand'mŤre les avait ťlevťs dans la retraite absolue d'un petit ch‚teau de Normandie. ņ sa mort, Georgine alla rejoindre, en Italie, ses parents qui bientŰt revinrent ŗ Paris. Elle ne put jamais vaincre l'extrÍme timiditť nťe de la solitude oý elle avait vťcu jusqu'ŗ dix-huit ans. Elle y avait connu Charles de La BťdoyŤre; les terres de leurs mŤres se trouvaient situťes dans le mÍme canton. La petite voisine inspira dŤs l'enfance une affection qu'elle partagea. Elle devint trŤs jolie et monsieur de La BťdoyŤre trŤs amoureux. Henry de Chastellux, dont il avait ťtť le camarade de collŤge, encouragea ce sentiment. Les La BťdoyŤre, dans l'espoir de fixer leur fils, s'en rťjouirent; les Chastellux y consentirent et, peu de temps avant la Restauration, le mariage eut lieu. Charles de La BťdoyŤre faisait des dettes, aimait le jeu, les femmes, et surtout la guerre. Du reste, il ťtait bon enfant, spirituel, gai, loyal, franc, gťnťreux, promettait de se corriger de tous ses travers et comptait de bonne foi y rťussir. Tel qu'il ťtait, Georgine l'adorait; mais c'ťtait ŗ si petit bruit, elle ťtait si craintive de paraÓtre et de se montrer qu'on pouvait vivre avec elle des mois entiers sans dťcouvrir ses sentiments. C'est sans comparaison la personne la plus modestement retirťe en elle-mÍme que j'aie jamais rencontrťe. Au retour de Bonaparte, elle se dťsola du rŰle que son mari avait jouť. Quoique ŗ peine relevťe de couches, elle quitta sa maison, se rťfugia chez ses parents et, lorsqu'il arriva ŗ la suite de l'Empereur, elle refusa de le voir. Les ťvťnements ayant amenť une prompte rťaction, elle reprit ses relations avec lui dŤs qu'il fut malheureux et chercha ŗ dťnaturer sa fortune pour lui procurer des moyens d'ťvasion. Elle comptait le rejoindre avec leur enfant. Je crois que c'est pour complťter ces arrangements qu'il revint ŗ Paris oý il fut arrÍtť. AussitŰt, cette femme si timide devint une hťroÔne. Les visites, les priŤres, les supplications, les importunitťs, rien ne lui coŻtait. Elle alla solliciter sa famille d'employer son crťdit, de lui prÍter son assistance; personne ne voulut l'accompagner ni faire aucune dťmarche. Privťe de tout secours, elle ne s'abandonna pas elle-mÍme. Elle heurta ŗ toutes les portes, forÁa celles qu'on refusait de lui ouvrir, parvint jusqu'ŗ madame la duchesse d'AngoulÍme sans pouvoir l'attendrir, et dťploya partout un courage de lion. Ayant tout ťpuisť, elle eut recours ŗ madame de KrŁdener. Cette derniŤre visite lui ayant offert un faible rayon d'espoir, la pauvre jeune mŤre, portant son enfant dans ses bras, courut ŗ l'abbaye pour le communiquer ŗ son mari. Elle trouva la place encombrťe de monde: un fiacre environnť de troupes ťtait arrÍtť devant la porte de la prison; un homme y montait. Un cri affreux se fit entendre; elle avait reconnu monsieur de La BťdoyŤre. La scŤne n'ťtait que trop expliquťe. L'enfant tomba de ses mains; elle se prťcipita dans la fatale voiture, et perdit connaissance. Charles la reÁut dans ses bras, l'embrassa tendrement, la remit aux soins d'un serviteur fidŤle qui, dťjŗ, s'ťtait emparť de l'enfant et, profitant de son ťvanouissement, fit fermer la portiŤre de la voiture. Sa fin ne dťmentit pas le courage qu'il avait souvent montrť sur les champs de bataille. Madame de La BťdoyŤre fut ramenťe chez elle sans avoir repris le sentiment de sa misŤre. ņ dater de ce moment, elle est rentrťe dans sa timiditť native. Pendant longtemps elle a refusť de voir sa famille. Elle ne lui pardonnait pas son cruel stoÔcisme. Vingt annťes se sont ťcoulťes au moment oý j'ťcris, et sa tristesse ne s'est pas dťmentie un seul jour. En revanche, ses sentiments royalistes se sont exaltťs jusqu'ŗ la passion. Le sang de la victime sacrifiťe ŗ la Restauration lui a semblť un holocauste qui devait en assurer la durťe et la gloire. Elle a ťlevť son fils dans ces idťes; pour elle, la lťgitimitť est une religion. J'ai dťjŗ dit avec quelle pacifique lenteur son frŤre Henry avait habitude de voyager. Je ne sais oý il se trouvait lors de la catastrophe. Mais son absence ayant permis ŗ Georgine d'espťrer qu'il l'aurait assistťe dans ces affreux moments, s'il avait ťtť ŗ Paris, elle avait reportť sur lui toute la tendresse qui n'ťtait pas absorbťe par son fils et sa douleur. Ce n'est qu'au mariage d'Henry avec mademoiselle de Duras (ŗ l'occasion duquel il prit le nom de duc de Rauzan) qu'elle consentit ŗ revoir sa famille. Elle a toujours vťcu dans la retraite la plus austŤre. Le nom de madame de KrŁdener s'est trouvť tout ŗ l'heure sous ma plume; mes rapports avec elle ne sont venus qu'un peu plus tard, mais je puis aussi bien les rapporter ici. Je fus menťe chez elle par madame Rťcamier. Je trouvai une femme d'une cinquantaine d'annťes qui avait dŻ Ítre extrÍmement jolie. Elle ťtait maigre, p‚le; sa figure portait la trace des passions; ses yeux ťtaient caves mais trŤs beaux, son regard plein d'expression. Elle avait cette voix sonore, douce, flexible, timbrťe, un des plus grands charmes des femmes du Nord. Ses cheveux gris, sans aucune frisure et partagťs sur le front, ťtaient peignťs avec une extrÍme propretť. Sa robe noire, sans ornement, n'excluait cependant pas l'idťe d'une certaine recherche. Elle habitait un grand et bel appartement dans un hŰtel de la rue du Faubourg-Saint-Honorť. Les glaces, les dťcorations, les ornements de toute espŤce, les meubles, tout ťtait recouvert de toile grise; les pendules elles-mÍmes ťtaient enveloppťes de housses qui ne laissaient voir que le cadran. Le jardin s'ťtendait jusqu'aux Champs-…lysťes; c'ťtait par lŗ que l'empereur Alexandre, logť ŗ l'…lysťe-Bourbon, se rendait chez madame de KrŁdener ŗ toutes les heures du jour et de la nuit. Notre arrivťe avait interrompu une espŤce de leÁon qu'elle faisait ŗ cinq ou six personnes. AprŤs les politesses d'usage qu'elle nous adressa avec aisance et toutes les formes usitťes dans le grand monde, elle la continua. Elle parlait sur la foi. L'expression de ses yeux et le son de sa voix changŤrent seuls lorsqu'elle reprit son discours. Je fus ťmerveillťe de l'abondance, de la facilitť, de l'ťlťgance de son improvisation. Son regard avait tout ŗ la fois l'air vague et inspirť. Au bout d'une heure et demie, elle cessa de parler, ses yeux se fermŤrent, elle sembla tomber dans une sorte d'anťantissement; les adeptes m'avertirent que c'ťtait le signal de la retraite. J'avais ťtť assez intťressťe. Cependant je ne comptais pas assister ŗ une seconde reprťsentation. Elles ťtaient ŗ jour fixe. Je crus convenable d'en choisir un autre pour laisser mon nom ŗ la porte de madame de KrŁdener. ņ ma surprise, je fus admise, elle ťtait seule. ęJe vous attendais, me dit-elle, _la voix_ m'avait annoncť votre visite; j'espŤre de vous, mais pourtant ... j'ai ťtť trompťe si souvent!!Ľ Elle tomba dans un silence que je ne cherchai pas ŗ rompre, ne sachant pas quel ton adopter. Elle reprit enfin et me dit que _la voix_ l'avait prťvenue qu'elle aurait dans la ligne des _prophťtesses_ une successeur qu'elle formerait et qui ťtait destinťe ŗ aller plus prŤs qu'elle de la divinitť; car elle ne faisait qu'_entendre_, et celle-lŗ _verrait_! _La voix_ lui avait annoncť que cette prťdestinťe devait Ítre une femme ayant conservť dans le grand monde des moeurs pures. Madame de KrŁdener la rencontrerait au moment oý elle s'y attendrait le moins et sans qu'aucun prťcťdent eŻt prťparť leur liaison. Ses rÍves, qu'elle n'osait appeler des visions (car, hťlas! elle n'ťtait pas appelťe ŗ _voir_) la lui avaient reprťsentťe sous quelques-uns de mes traits. Je me dťfendis avec une modestie trŤs sincŤre d'Ítre appelťe ŗ tant de gloire. Elle plaida ma cause vis-ŗ-vis de moi-mÍme avec la chaleur la plus entraÓnante et de maniŤre ŗ me toucher au point que mes yeux se remplirent de larmes. Elle crut avoir acquis un disciple, si ce n'est un successeur, et m'engagea fort ŗ revenir souvent la voir. Pendant cette matinťe, car sa fascination me retint plusieurs heures, elle me raconta comment elle se trouvait ŗ Paris. Dans le courant de mai 1815, elle se rendait au sud de l'Italie oý son fils l'attendait. Entre Bologne et Sienne, les souffrances qu'elle ressentit l'avertirent qu'elle s'ťloignait de la route qu'il lui appartenait de suivre. AprŤs s'Ítre dťbattue toute une nuit contre cette vive contrariťtť, elle se rťsigna et revint sur ses pas. Le bien-Ítre immťdiat qu'elle ťprouva lui indiqua qu'elle ťtait dans la bonne voie. Il continua jusqu'ŗ ModŤne, mais quelques lieues faites sur la route de Turin lui rendirent ses anxiťtťs; elles cťdŤrent dŤs qu'elle se dirigea sur Milan. En arrivant dans cette ville, elle apprit qu'un cousin, son camarade d'enfance, aide de camp de l'empereur Alexandre, ťtait tombť dangereusement malade en Allemagne. Voilŗ la volontť de _la voix_ expliquťe; sans doute elle est destinťe ŗ porter la lumiŤre dans cette ‚me, ŗ consoler cet ami souffrant. Elle franchit le Tyrol, encouragťe par les sensations les plus douces. Elle se rend ŗ Heidelberg oý se trouvaient les souverains alliťs; son cousin ťtait restť malade dans une autre ville. Elle s'informe du lieu et partie lendemain matin n'ayant vu personne. Mais ŗ peine a-t-elle quittť Heidelberg que son malaise se renouvelle et plus violemment que jamais. Elle cŤde enfin et, au bout de quelques postes, elle reprend la route de Heidelberg. La tranquillitť renaÓt en elle; il lui devient impossible de douter que sa mission ne soit pour ce lieu; elle ne la devine pas encore. L'empereur Alexandre va faire une course de quelques jours et le tourment qu'elle ťprouve pendant son absence lui indique ŗ qui elle est appelťe ŗ faire voir la lumiŤre. Elle se dťbat vainement contre la volontť de _la voix_; elle prie, elle jeŻne, elle implore que ce calice s'ťloigne d'elle: _la voix_ est impitoyable, il faut obťir. La comtesse de KrŁdener ne me raconta pas par quel moyen elle ťtait arrivťe dans l'intimitť de l'Empereur, mais elle y ťtait parvenue. Elle avait inventť pour lui une nouvelle forme d'adulation. Il ťtait blasť sur celles qui le reprťsentaient comme le premier potentat de la terre, l'Agamemnon des rois, etc., aussi ne lui parla-t-elle pas de sa puissance mondaine, mais de la puissance mystique de ses priŤres. La puretť de son ‚me leur prÍtait une force qu'aucun autre mortel ne pouvait atteindre, car aucun n'avait ŗ rťsister ŗ tant de sťductions. En les surmontant, il se montrait l'homme le plus vertueux et consťquemment le plus puissant auprŤs de Dieu. C'est ŗ l'aide de cette habile flatterie qu'elle le conduisait ŗ sa volontť. Elle le faisait prier pour elle, pour lui, pour la Russie, pour la France. Elle le faisait jeŻner, donner des aumŰnes, s'imposer des privations, renoncer ŗ tous ses goŻts. Elle obtenait tout de lui dans l'espoir d'accroÓtre son crťdit dans le ciel. Elle indiquait plutŰt qu'elle n'exprimait, que _la voix_ ťtait Jťsus-Christ. Elle ne l'appelait jamais que _la voix_ et avec des torrents de larmes elle avouait que les erreurs de sa jeunesse lui interdisaient ŗ jamais l'espoir de _voir_. Il est impossible de dire avec quelle onction elle peignait le sort de celle appelťe ŗ _voir_! Sans doute, en lisant cette froide rťdaction, on dira: c'ťtait une folle ou bien une intrigante. Peut-Ítre la personne qui portera ce jugement aurait-elle ťtť sous le charme de cette brillante enthousiaste. Quant ŗ moi, peu disposťe ŗ me passionner, je me mťfiai assez de l'empire qu'elle pouvait exercer pour n'y plus retourner que de loin en loin et ses jours de rťception; elle y ťtait moins sťduisante que dans le tÍte-ŗ-tÍte. J'ai quelquefois pensť que monsieur de Talleyrand, se sentant trop brouillť avec l'empereur Alexandre pour espťrer reprendre une influence personnelle sur lui, avait trouvť ce moyen d'en exercer. Il est certain que la comtesse de KrŁdener ťtait trŤs favorable ŗ la France pendent cette triste ťpoque de 1815; et, quand elle avait fait passer plusieurs heures en priŤres ŗ l'empereur Alexandre pour qu'un nuage dťcouvert par elle sur l'ťtoile de la France s'en ťloign‚t, quand elle lui avait demandť d'employer ŗ cette oeuvre la force de sa mťdiation dans le ciel, quand elle lui avait assurť que _la voix_ l'annonÁait exaucť, il ťtait bien probable que si, ŗ la confťrence du lendemain, quelque article bien dťsastreux pour la France ťtait rťclamť par les autres puissances, l'Empereur, venant au secours du suppliant, appuierait ses priŤres mystiques du poids de sa grandeur terrestre. Ce n'ťtait pas exclusivement pour les affaires publiques que madame de KrŁdener employait Alexandre. Voici ce qui arriva au sujet de monsieur de La BťdoyŤre. Sa jeune femme, comme je l'ai dit, vint supplier la comtesse de faire demander sa gr‚ce par l'empereur Alexandre. Elle l'accueillit avec autant de bienveillance que d'ťmotion et promit tout ce qui lui serait _permis_. En consťquence, elle s'enferma dans son oratoire. L'heure se passait; l'Empereur la trouva en larmes et dans un ťtat affreux. Elle venait de livrer un long combat ŗ _la voix_ sans en obtenir la permission de prťsenter la requÍte ŗ l'Empereur. Il ne devait prendre aucun parti dans cette affaire, hťlas! Et la sentence ťtait d'autant plus rigoureuse que l'‚me de monsieur de La BťdoyŤre n'ťtait pas en ťtat de gr‚ce. L'exťcution eut lieu. Alors, madame de KrŁdener persuada ŗ l'Empereur qu'il lui restait un grand devoir ŗ remplir. Il fallait employer en faveur de ce malheureux, qu'il avait fait le sacrifice d'abandonner aux vengeances humaines, l'influence de sa puissante protection prŤs de Dieu. Elle le retint huit heures d'horloge dans son oratoire, priant, agenouillť sur le marbre. Elle le congťdia ŗ deux heures du matin; ŗ huit, un billet d'elle lui apprenait que _la voix_ lui avait annoncť que les voeux de l'Empereur ťtaient exaucťs. Elle ťcrivit en mÍme temps ŗ la dťsolťe madame de La BťdoyŤre, qu'aprŤs avoir passť quelques heures en purgatoire, son mari devait ŗ l'intercession des priŤres de l'Empereur une excellente place en paradis, qu'elle avait la satisfaction de pouvoir le lui affirmer, bien persuadťe que c'ťtait le meilleur soulagement ŗ sa douleur. J'avais eu connaissance de cette lettre et du transport de douleur, poussť presque jusqu'ŗ la fureur, qu'elle avait causť ŗ Georgine. J'interrogeai avec rťticence madame de KrŁdener ŗ ce sujet; elle l'aborda franchement et me raconta tout ce que je viens de rťpťter. Je me rappelle une scŤne assez comique dont je fus tťmoin chez elle. Nous nous y trouv‚mes sept ou huit personnes rťunies un matin. Elle nous parlait, de son ton inspirť, des vertus surnaturelles de l'empereur Alexandre et elle vantait beaucoup le courage avec lequel il renonÁait ŗ son intimitť avec madame de Narishkine, sacrifiant ainsi ŗ ses devoirs ses sentiments les plus chers et une liaison de seize annťes. ęHťlas! s'ťcria Elzťar de Sabran (avec une expression de componction inimitable), hťlas! quelquefois, en ce genre, on renonce plus facilement ŗ une liaison de seize annťes qu'ŗ une de seize journťes!Ľ Nous partÓmes tous d'un ťclat de rire, et madame de KrŁdener nous en donna l'exemple; mais bientŰt, reprenant son rŰle, elle se retira au bout de la chambre comme pour faire excuse ŗ _la voix_ de cette incongruitť. Quel que fŻt le motif qui dirige‚t madame de KrŁdener (et pour moi je la crois enthousiaste de bonne foi) elle ťtait parvenue ŗ jouer un rŰle trŤs important. AprŤs avoir protťgť la France dans tout le cours des nťgociations pour la paix, elle a ťtť la vťritable promotrice de la Sainte-Alliance. Elle a accompagnť l'Empereur au fameux camp de Vertus, et la dťclaration que les souverains y ont signťe, appelťe dŤs lors le pacte de la Sainte-Alliance, a ťtť rťdigťe par Bergasse, autre illuminť dans le mÍme genre, sous ses yeux et par ses ordres. Les russes et les entours de l'Empereur ťtaient fort contrariťs du ridicule qui s'attachait ŗ ses rapports avec madame de KrŁdener, et le comte de Nesselrode me reprocha, avec une sorte d'impatience, d'avoir ťtť chez cette intrigante, comme il la qualifiait. Au nombre de ses adeptes les plus ardents semblait Ítre Benjamin Constant. Je dis _semblait_, parce qu'il a toujours ťtť fort difficile de dťcouvrir les vťritables motifs des actions de monsieur Constant. Elle le faisait jeŻner, prier, l'accablait d'austťritťs, au point que sa santť s'en ressentit et qu'il ťtait horriblement changť. Sur la remarquť qui lui en fut faite, madame de KrŁdener rťpondit qu'il lui ťtait bon de souffrir, car il avait beaucoup ŗ expier, mais que le temps de sa probation avanÁait. Je ne sais si c'est prťcisťment _la voix_ que Benjamin cherchait ŗ se concilier, ou s'il voulait s'assurer la protection spťciale de l'Empereur, car ŗ cette ťpoque sa position en France ťtait si fausse qu'il pensait ŗ s'expatrier. Madame Rťcamier avait trouvť dans son exil la fontaine de Jouvence. Elle ťtait revenue d'Italie, en 1814, presque aussi belle et beaucoup plus aimable que dans sa premiŤre jeunesse. Benjamin Constant la voyait familiŤrement depuis nombre d'annťes, mais tout ŗ coup il s'enflamma pour elle d'une passion extravagante. J'ai dťjŗ dit qu'elle avait toujours un peu de sympathie et beaucoup de reconnaissance pour tous les hommes amoureux d'elle. Benjamin puisa amplement dans ce fonds gťnťral. Elle l'ťcoutait, le plaignait, s'affligeait avec lui de ne pouvoir partager un sentiment si ťloquemment exprimť. Il ťtait ŗ l'apogťe de cette frťnťsie au moment du retour de Napolťon. Madame Rťcamier en fut accablťe; elle craignait de nouvelles persťcutions. Benjamin, trop enthousiaste pour ne pas adopter l'impression de la femme dont il ťtait ťpris, ťcrivit, sous cette influence, une diatribe pleine de verve et de talent contre l'Empereur. Il y annonÁait son hostilitť ťternelle. Elle fut imprimťe dans le _Moniteur_ du 19 mars. Louis XVIII abandonna la capitale dans la nuit. Quand le pauvre Benjamin apprit cette nouvelle, la terreur s'empara de son coeur qui n'ťtait pas si haut placť que son esprit. Il courut ŗ la poste: point de chevaux; les diligences, les malles-postes, tout ťtait plein; aucun moyen de s'ťloigner de Paris. Il alla se cacher dans un rťduit qu'il espťrait introuvable. Qu'on juge de son effroi lorsque, le lendemain, on vint le chercher de la part de Fouchť. Il se laisse conduire plus mort que vif. Fouchť le reÁoit trŤs poliment et lui dit que l'Empereur veut le voir sur-le-champ. Cela lui paraÓt ťtrange; cependant il se sent un peu rassurť. Il arrive aux Tuileries, toutes les portes tombent devant lui. L'Empereur l'accoste de la mine la plus gracieuse, le fait asseoir et entame la conversation en lui assurant que l'expťrience n'a pas ťtť chose vaine pour lui. Pendant les longues veilles de l'Óle d'Elbe, il a beaucoup rťflťchi ŗ sa situation et aux besoins de l'ťpoque; ťvidemment les hommes rťclament des institutions libťrales. Le tort de son administration a ťtť de trop nťgliger les publicistes comme monsieur Constant. Il faut ŗ l'Empire une constitution et il s'adresse ŗ ses hautes lumiŤres pour la rťdiger. Benjamin, passant en une demi-heure de la crainte d'un cachot ŗ la joie d'Ítre appelť ŗ faire le petit Solon et ŗ voir ainsi s'accomplir le rÍve de toute sa vie, pensa se trouver mal d'ťmotion. La peur et la vanitť s'ťtaient partagť son coeur; la vanitť y demeura souveraine. Il fut transportť d'admiration pour le grand Empereur qui rendait si ample justice au mťrite de Benjamin Constant; et l'auteur de l'article du _Moniteur_ du 19 ťtait, le 22, conseiller d'…tat et prŰneur en titre de Bonaparte. Il se prťsenta, un peu honteux, chez madame Rťcamier; elle n'ťtait pas femme ŗ lui tťmoigner du mťcontentement. Peut-Ítre mÍme fut-elle bien aise de se trouver dťlivrťe de la responsabilitť qui aurait pesť sur elle s'il avait ťtť persťcutť pour des opinions qui ťtaient d'entraÓnement plus que de conviction. Les partis furent moins charitables. Les libťraux ne pardonnŤrent pas ŗ Benjamin son hymne pour les Bourbons et la lťgitimitť, les impťrialistes ses sarcasmes contre Napolťon, les royalistes sa prompte palinodie du 19 au 21 mars et le rŰle qu'il joua ŗ la fin des Cent-Jours lorsqu'il alla solliciter des souverains ťtrangers un maÓtre quelconque pourvu que ce ne fŻt pas Louis XVIII. Toutes ces variations l'avaient fait tomber dans un mťpris universel. Il le sentait et s'en dťsolait. C'ťtait dans cette disposition qu'il s'ťtait remis entre les mains de madame de KrŁdener. …tait-ce avec un but mondain ou seulement pour donner le change ŗ son imagination malade? c'est ce que je n'oserais dťcider. Il allait encore chercher des consolations auprŤs de madame Rťcamier; elle le traitait avec douceur et bontť. Mais, au fond, il lui savait mauvais grť de l'article inspirť par elle et cette circonstance avait ťtť la crise de sa grande passion. Je n'ai jamais connu personne qui sŻt, autant que madame Rťcamier, compatir ŗ tous les maux et tenir compte de ceux qui naissent, des faiblesses humaines sans en ťprouver d'irritation. Elle ne sait pas plus mauvais grť ŗ un homme vaniteux de se laisser aller ŗ un acte inconsťquent, pas plus ŗ un homme peureux de faire une l‚chetť qu'ŗ un goutteux d'avoir la goutte, ou ŗ un boiteux de ne pouvoir marcher droit. Les infirmitťs morales lui inspirent autant et peut-Ítre plus de pitiť que les infirmitťs physiques. Elle les soigne d'une main lťgŤre et habile qui lui a conciliť la vive et tendre reconnaissance de bien des malheureux. On la ressent d'autant plus vivement que son ‚me, aussi pure qu'ťlevťe, ne puise cette indulgence que par la source abondante de compassion placťe par le ciel dans ce sein si noblement fťminin. Quelques semaines plus tard, Benjamin Constant conÁut l'idťe d'ťcrire ŗ Louis XVIII une lettre explicative de sa conduite; la t‚che ťtait malaisťe. Il arriva plein de cette pensťe chez madame Rťcamier et l'en entretint longuement: Le lendemain, il y avait du monde chez elle; elle lui demanda trŤs bas: ęVotre lettre est-elle faite? --Oui. --En Ítes-vous content? --TrŤs content, je me suis presque persuadť moi-mÍme.Ľ Le Roi fut moins facile ŗ convaincre. Je crois, sans en Ítre sŻre, que cette lettre a ťtť imprimťe. Il n'y a que le parti royaliste, assez bÍte pour tenir longtemps rigueur ŗ un homme de talent. Au bout de peu de mois, Benjamin Constant ťtait un des chefs de l'opposition. CHAPITRE VIII Exigences des ťtrangers en 1815. -- Dispositions de l'empereur Alexandre au commencement de la campagne. -- Jolie rťponse du gťnťral Pozzo ŗ Bernadotte. -- Conduite du duc de Wellington et du gťnťral Pozzo. -- …tonnement de l'empereur Alexandre. -- Sťjour du Roi et des princes en Belgique. -- …nergie d'un soldat. -- Obligeance du prince de Talleyrand. -- Le duc de Wellington dťpouille le musťe. -- Le salon de la duchesse de Duras. -- Mort d'Hombert de la Tour du Pin. -- Chambre dite introuvable. -- Dťmission de monsieur de Talleyrand. -- Mon pŤre est nommť ambassadeur ŗ Londres. -- Le duc de Richelieu. -- Rťvťlation du docteur Marshall. -- Visite au duc de Richelieu. -- Dťsobligeante rťception. -- Son excuse. Je reviens ŗ mon arrivťe ŗ Paris. Quelque disposťe que je fusse ŗ partager la joie que causait le retour du Roi, elle ťtait empoisonnťe par la prťsence des ťtrangers. Leur attitude y ťtait bien plus hostile que l'annťe prťcťdente: vainqueurs de Napolťon en 1814, ils s'ťtaient montrťs gťnťreux; alliťs de Louis XVIII en 1815, ils poussŤrent les exigences jusqu'ŗ l'insulte. La force et la prospťritť de la France avaient excitť leur surprise et leur jalousie. Ils la croyaient ťpuisťe par nos longues guerres. Ils la virent, avec ťtonnement, surgir de ses calamitťs si belle et encore si puissante qu'au congrŤs de Vienne monsieur de Talleyrand avait pu lui faire jouer un rŰle prťpondťrant. Les cabinets et les peuples s'en ťtaient ťgalement ťmus et, l'occasion d'une nouvelle croisade contre nous s'ťtant reprťsentťe, ils prťtendaient bien en profiter. Mais leur haine fut aveugle, car, s'ils voulaient abaisser la France, ils voulaient en mÍme temps consolider la Restauration. Or, les humiliations de cette ťpoque infligŤrent au nouveau gouvernement une flťtrissure dont il ne s'est point relevť et qui a ťtť un des motifs de sa chute. La nation n'a jamais complŤtement pardonnť ŗ la famille royale les souffrances imposťes par ceux qu'elle appelait ses _alliťs_. Si on les avait qualifiťs d'ennemis la rancune aurait ťtť moins vive et moins longue. Ce sentiment, fort excusable, ťtait pourtant trŤs injuste. Assurťment Louis XVIII ne trouvait aucune satisfaction ŗ voir des canons prussiens braquťs sur le ch‚teau des Tuileries. L'aspect des manteaux blancs autrichiens, fermant l'entrťe du Carrousel pendant qu'on dťpouillait l'Arc de Triomphe de ses ornements, ne lui souriait point. Il ne lui ťtait pas agrťable qu'on vint, jusque dans ses appartements, enlever les tableaux qui dťcoraient son palais. Mais il ťtait forcť de supporter ces avanies et de les dťvorer en silence. D'autre part, c'est ŗ sa fermetť personnelle qu'on doit la conservation du pont d'Iťna que BlŁcher voulait faire sauter, et celle de la colonne de la place VendŰme que les Alliťs voulaient abattre et se partager. Il fut assistť dans cette derniŤre occurrence par l'empereur Alexandre. Ce souverain toujours gťnťreux, malgrť son peu de goŻt pour la famille royale et la vellťitť qu'il avait conÁue au commencement de la campagne de ne point l'assister ŗ remonter sur le trŰne, employa cependant son influence dans la coalition ŗ adoucir les sacrifices qu'on voulait nous imposer. Je n'ai jamais bien su quel avait ťtť son projet lors de la bataille de Waterloo. Peut-Ítre n'en avait-il pas d'arrÍtť et se trouvait-il dans ce vague dont Pozzo avait montrť les inconvťnients d'une maniŤre si piquante au prince royal de SuŤde en 1813. Quoique par lŗ je revienne sur mes pas, je veux rappeler cette circonstance. Pendant la campagne de Saxe, Pozzo et sir Charles Stewart avaient ťtť envoyťs en qualitť de commissaires russe et anglais ŗ l'armťe suťdoise. Les Alliťs craignaient toujours un retour de Bernadotte en faveur de l'Empereur Napolťon. Il se dťcida enfin ŗ entrer en ligne et prit part ŗ la bataille de Leipsig; la dťroute de l'armťe franÁaise fut complŤte. AussitŰt l'esprit gascon de Bernadotte se mit ŗ battre les buissons et ŗ rÍver le trŰne de France pour lui-mÍme. Il entama une conversation avec Pozzo sur ce sujet: n'osant pas l'aborder de front, il dťbuta par une longue thťorie dont le rťsultat arrivait ŗ prouver que le trŰne devait appartenir au plus digne et la France choisir son roi. ęJe vous remercie, monseigneur, s'ťcria Pozzo. --Pourquoi, gťnťral? --Parce que ce sera moi! --Vous? --Sans doute; je me crois le plus digne. Et comment me prouvera-t-on le contraire? En me tuant? D'autres se prťsenteront.... Laissez-nous tranquilles avec votre _plus digne_! Le plus digne d'un trŰne est, pour la paix du monde, celui qui y a le plus de droits.Ľ Bernadotte n'osa pas pousser plus loin la conversation mais ne l'a jamais pardonnťe ŗ Pozzo. Sous une autre forme, celui-ci donna la mÍme leÁon ŗ son impťrial maÓtre en 1815. En apprenant la victoire de Waterloo, l'empereur Alexandre enjoignit au gťnťral Pozzo, qui se trouvait auprŤs du duc de Wellington, de s'opposer ŗ la marche de l'armťe et de chercher ŗ gagner du temps afin que les anglais n'entrassent pas en France avant que les armťes austro-russe et prussienne se trouvassent en ligne. Selon lui, Louis XVIII devait attendre en Belgique la dťcision de son sort. ņ la rťception de cette dťpÍche, Pozzo ťprouva le plus cruel embarras. Il savait la malveillance de l'Empereur pour la maison de Bourbon. Elle se trouvait encore accrue par la dťcouverte d'un projet d'alliance, entre la France, l'Angleterre et l'Autriche, conclu pendant le congrŤs de Vienne par monsieur de Talleyrand dans des vues hostiles ŗ la Russie. La copie de ce traitť, oubliťe dans le cabinet du Roi, avait ťtť envoyťe par monsieur de Caulaincourt ŗ l'empereur Alexandre pendant les Cent-Jours. Il n'y avait pas attachť grande importance, croyant que c'ťtait une invention de Napolťon pour le dťtacher de l'alliance; mais une seconde copie du traitť ayant ťtť trouvťe dans les papiers enlevťs ŗ monsieur de Reinhard, il ne put conserver de doutes, et cette nouvelle cause de mťcontentement s'ťtant jointe ŗ tout ce qu'il reprochait dŤs l'annťe prťcťdente au Roi, il ťtait peu enclin ŗ souhaiter son rťtablissement. Aussi n'avait-il pas tťmoignť de rťpugnance ŗ ťcouter les nťgociateurs envoyťs de Paris, et il ťtait difficile de prťvoir ce qui pourrait en rťsulter. Pozzo n'ťtait _brin Russe_ et avait grand envie de s'arranger en France une patrie ŗ son goŻt, en y conservant un souverain qui lui avait des obligations personnelles. Il hťsita quelque peu, puis alla trouver le duc de Wellington: ęJe viens vous confier le soin de ma tÍte, lui dit-il; voilŗ la dťpÍche que j'ai reÁue, voici la rťponse que vous y avez faite.Ľ Il lui lut ce qu'il mandait ŗ l'Empereur des dispositions du duc de Wellington qui persistait ŗ avancer immťdiatement sur Paris et ŗ conduire Louis XVIII avec lui. ęVoulez-vous, ajouta-t-il, avoir fait cette rťponse et tenir cette conduite, malgrť les objections que je suis censť vous adresser?Ľ Le duc lui tendit la main. ęComptez sur moi; la confťrence a eu lieu prťcisťment comme vous la rapportez. --Alors, reprit Pozzo, il n'y a pas un moment ŗ perdre, il faut agir en consťquence.Ľ Personne ne fut mis dans la confidence. Les petites intrigues s'agitŤrent autour du Roi. Monsieur de Talleyrand bouda. Il avait un autre plan qui avait des cŰtťs spťcieux, mais dont le but principal ťtait de se tenir personnellement ťloignť de l'empereur Alexandre. Il ne savait pas la prise des papiers de monsieur Reinhard, mais il craignait toujours quelque indiscrťtion. Pozzo ne se fiait pas assez ŗ lui pour lui raconter la vťritable situation des affaires. Le duc le dťcida ŗ rejoindre le Roi qui, de son cŰtť, consentit ŗ se sťparer de monsieur de Blacas. On arriva ŗ Paris ŗ tire d'aile et le Roi fut bombardť ŗ l'improviste dans le palais des Tuileries, selon l'expression pittoresque de Pozzo quand il fait ce rťcit. ņ peine ce but atteint, il se jette dans une calŤche et court au-devant de l'Empereur. Ses logements ťtaient faits ŗ Bondy; Pozzo brŻle l'ťtape et continue sa route. Il trouve l'Empereur ŗ quelques lieues au delŗ: il est venu lui apprendre que Paris est soumis et le palais de l'…lysťe prÍt ŗ le recevoir. L'Empereur le fait monter dans sa voiture. Pozzo lui fait un tableau animť de la bataille de Waterloo, donne une grande importance ŗ la manoeuvre de BlŁcher, raconte l'entrťe en France, la facilitť de la marche, la cordialitť de la rťception, l'impossibilitť de s'arrÍter quand il n'y a pas d'obstacles, et enfin le parti pris par le duc d'occuper Paris. L'Empereur ťcoutait avec intťrÍt. ęMaintenant, dit-il, il s'agit de prendre un parti sur la situation politique. Oý avez-vous laissť le Roi? --Aux Tuileries, Sire, oý il a ťtť accueilli avec des transports universels. --Comment Louis XVIII est ŗ Paris! Apparemment que Dieu en a ainsi ordonnť. Ce qui est fait est fait, il n'y a plus ŗ s'en prťoccuper; peut-Ítre est-ce pour le mieux.Ľ On comprend combien cette rťsignation mystique soulagea l'ambassadeur. Malgrť la confiance absolue qu'il avait dans la loyautť du duc de Wellington, il ne laissait pas que d'Ítre fort tourmentť de la faÁon dont l'Empereur prendrait les ťvťnements; car, tout libťral qu'ťtait l'autocrate, il n'oubliait pas toujours ses possessions de Sibťrie lorsqu'il se croyait mal servi. L'Empereur continua sa route et vint coucher ŗ l'…lysťe. Il ne conserva de mťcontentement que contre monsieur de Talleyrand et monsieur de Metternich. L'autrichien est parvenu ŗ en triompher; le franÁais y succomba peu aprŤs. Mon oncle …douard Dillon avait accompagnť le Roi en Belgique. Il me raconta toutes les misŤres du dťpart, du voyage et du sťjour ŗ l'ťtranger. Monsieur et son fils, le duc de Berry, avaient laissť dans les boues d'Artois le peu de considťration militaire que la pieuse discrťtion des ťmigrťs aurait voulu leur conserver. La maison du Roi avait ťtť congťdiťe ŗ Bťthune avec une incurie et une duretť inouÔes; plusieurs de ses membres cependant avaient trouvť le moyen de franchir la frontiŤre. Ils ťtaient venus ŗ leurs frais et volontairement ŗ Gand former une garde au Roi qui recevait leurs services avec aussi peu d'attention qu'aux Tuileries. Monsieur de Bartillat, officier des gardes du corps, m'a dit qu'il avait ťtť ŗ Gand, qu'il y avait commandť un assez grand nombre des gardes de sa compagnie, rťunis de pur zŤle, sans que jamais ni lui ni eux eussent obtenu une parole du Roi, ni pu deviner qu'ils ťtaient remarquťs. Je crois que les princes craignaient de se compromettre, vis-ŗ-vis de leurs partisans et de prendre des engagements, dans le cas oý la nouvelle ťmigration se prolongerait. Parlerai-je de ce camp d'Alost, commandť par monsieur le duc de Berry, et si dťplorablement levť au moment oý la bataille de Waterloo ťtait engagťe? Le duc de Wellington s'en expliqua cruellement et publiquement vis-ŗ-vis du prince auquel il reprochait la rupture d'un pont. Monsieur le duc de Berry s'excusa sur des rapports erronťs qui lui faisaient croire la bataille perdue. ęRaison de plus, monseigneur; quand on se sauve il ne faut pas rendre impossible la marche de braves gens qui peuvent Ítre obligťs de faire une retraite honorable!Ľ J'aime mieux raconter la farouche ťnergie d'un soldat. …douard Dillon avait ťtť chargť par le Roi, aprŤs la bataille de Waterloo, de porter des secours aux blessťs franÁais recueillis dans les hŰpitaux de Bruxelles. Il arriva prŤs d'un lit oý on venait de faire l'amputation du bras ŗ un sous-officier de la garde impťriale. Pour rťponse ŗ ses offres, il lui jeta le membre sanglant qu'on venait de couper. ęVa dire ŗ celui qui t'envoie que j'en ai encore un au service de l'Empereur.Ľ L'un de mes premiers soins, en arrivant ŗ Paris, avait ťtť d'aller chez monsieur de Talleyrand. J'ťtais chargťe par mon pŤre de lui expliquer trŤs en dťtail la situation pťnible oý se trouvaient les franÁais en Piťmont. Je m'en acquittai assez mal; je n'ai jamais ťtť ŗ mon aise avec monsieur de Talleyrand. Il m'accueillit pourtant trŤs gracieusement et, lorsque je lui annonÁai que, vers la fin du mois, je prendrais ses ordres pour Turin, il m'engagea ŗ ne pas presser mes paquets. Je compris qu'il s'agissait d'une nouvelle destination pour mon pŤre, mais je n'osai pas m'en informer. J'ai toujours eu une extrÍme timiditť vis-ŗ-vis des gens en place, et je ne puis les supporter que lorsque j'ai la certitude morale de n'avoir jamais rien ŗ leur demander. Tant que mon pŤre ťtait employť, je me trouvais dans une sorte de dťpendance qui m'ťtait pťnible vis-ŗ-vis d'eux, malgrť la bienveillance qu'ils me tťmoignaient. Notre hťros, le duc de Wellington, se fit l'exťcuteur des spoliations matťrielles imposťes par les Alliťs. Sous prťtexte que les anglais n'avaient rien ŗ rťclamer en ce genre, il trouva gťnťreux d'aller de ses mains triomphantes dťcrocher les tableaux de nos musťes. Ceci ne doit pas Ítre pris comme une forme de rhťtorique, c'est le rťcit d'un fait. On l'a vu sur une ťchelle, donnant lui-mÍme l'exemple. Le jour oý l'on descendit les chevaux de Venise de dessus l'arc du Carrousel, il passa la matinťe perchť sur le monument, vis-ŗ-vis les fenÍtres du Roi, ŗ surveiller ce travail. Le soir il assista ŗ une petite fÍte donnťe par madame de Duras au roi de Prusse. Nous ne pouvions cacher notre indignation; il s'en moquait et en faisait des plaisanteries. Il avait tort pourtant; notre ressentiment ťtait lťgitime et plus politique que sa conduite. Les ťtrangers ťtaient prťsentťs comme alliťs; ils avaient ťtť accueillis comme tels; leurs procťdťs retombaient sur la famille rťgnante. La conduite du duc donnait le signal aux impertinences des sous-ordres. Le sang bout encore dans mes veines au propos que j'entendis tenir ŗ un certain vulgaire animal du nom de Mackenzie, intendant ou, comme cela s'appelle en anglais, _payeur_ de l'armťe. On parlait sťrieusement et tristement de la difficultť qu'ťprouverait la France ŗ acquitter les ťnormes charges imposťes par les ťtrangers. ęAh bah, reprit-il avec un gros rire, on crie un peu puis cela s'arrange. Je viens de Strasbourg; j'y ai passť le jour mÍme oý le gťnťral prussien avait frappť une contribution qu'on disait ťnorme, on avait payť. Eh bien! tout le monde dÓnait.Ľ Je l'aurais tuť d'un regard. Le duc de Duras, premier gentilhomme de la chambre, se trouvait d'annťe (de toutes les places de la Cour, c'ťtait la seule dont le service ne se fit pas par trimestre); madame de Duras logeait aux Tuileries. Liťe avec elle d'ancienne date et n'ayant pas d'ťtablissement en ce moment, je passais ma vie chez elle. Sa situation la forÁait ŗ recevoir de temps en temps beaucoup de monde, mais journellement son salon n'ťtait ouvert qu'ŗ quelques habituťs. On y causait librement et plus raisonnablement qu'ailleurs. Probablement les discours que nous tenions nous ťtonneraient maintenant. S'ils nous ťtaient rťpťtťs, nous les trouverions extravagants, mais c'ťtaient les plus sages du parti royaliste. Madame de Duras avait beaucoup plus de libťralisme que sa position ne semblait en comporter. Elle admettait toutes les opinions et ne les jugeait pas du haut de l'esprit de parti. Elle ťtait mÍme accessible ŗ celles des idťes gťnťreuses qui ne compromettaient pas trop sa position de grande dame dont elle jouissait d'autant plus vivement qu'elle l'avait attendue plus longtemps. Elle ne se consolait pas de l'exclusion donnťe ŗ monsieur de Chateaubriand au retour de Gand. Son crťdit l'y avait fait ministre de l'intťrieur du Roi fugitif, et elle ne comprenait pas comment le Roi rťtabli ne confirmait pas cette nomination. Il en rťsultait un vernis d'opposition dans son langage dont je m'accommodais trŤs bien. Sa fille, la princesse de Talmont, ne partageait pas sa modťration; son exaltation ťtait extrÍme, mais elle ťtait si jeune et si jolie que ses folies mÍme avaient de la gr‚ce. Elle avait ťpousť ŗ quinze ans en 1813, le seul hťritier de la maison de La TrťmoÔlle. Aussi Adrien de Montmorency disait-il que c'ťtaient des noces historiques et que sa grossesse serait un ťvťnement national. Les fastes du pays n'ont pas eu ŗ le recorder; monsieur de Talmont est mort en 1815 sans laisser d'enfant. Le duc de Duras s'ťcriait le jour de l'enterrement: ęIl est bien affreux de se trouver veuve ŗ dix-sept ans quand on est condamnťe ŗ ne pouvoir plus ťpouser qu'un prince souverain.Ľ La princesse de Talmont a dťrogť ŗ cette nťcessitť, mais c'est contre la volontť de son pŤre et mÍme de sa mŤre. La mort du prince de Talmont n'avait ťtť un chagrin pour personne, mais notre coterie fut profondťment affectťe par la catastrophe arrivťe dans la famille La Tour du Pin. Hombert de La Tour du Pin-Gouvernet avait atteint l'‚ge de vingt-deux ans. Il ťtait fort bon enfant et assez distinguť, quoique une charmante figure et un peu de g‚terie de ses parents lui donnassent l'extťrieur de quelque fatuitť. Dans ce temps de dťsordre oý on _s'enrŰlait dans les colonels_, suivant l'expression chagrine des vieux militaires, Hombert avait ťtť nommť, officier d'emblťe et le marťchal duc de Bellune l'avait pris pour aide de camp. On ne peut nier que ces existences de faveur ne donnassent beaucoup d'humeur aux camarades dont les grades avaient ťtť acquis ŗ la pointe de l'ťpťe. Hombert eut une discussion sur l'ordre de service avec un de ceux-ci; le jeune homme y mit un ton lťger, l'autre fut un peu grognon; cela n'alla pas trŤs loin. Toutefois, par rťflexion, Hombert conÁut quelque scrupule. Le lendemain matin, il entra chez son pŤre et lui raconta exactement ce qui s'ťtait passť; seulement il eut soin, dans le rťcit, de faire jouer son propre rŰle par Donatien de Sesmaisons, un autre de ses camarades. Il ajouta qu'il ťtait chargť par lui de consulter son pŤre sur la convenance de donner suite ŗ cette affaire. Monsieur de La Tour du Pin l'ťcouta attentivement et lui rťpondit: ęMa foi, ce sont de ces choses qu'on ne se soucie guŤre de conseiller. --Vous pensez donc, mon pŤre, qu'ils doivent se battre? --Cela n'est pas indispensable et, si Donatien avait servi, cela se terminerait tout aussi bien par une poignťe de main; mais il est tout nouvellement dans l'armťe, le capitaine a beaucoup fait la guerre; vous savez la jalousie qui existe contre vous autres. ņ la place de Donatien, je me battrais.Ľ Hombert quitta la chambre de son pŤre pour aller ťcrire un cartel. La rťponse ne se fit pas attendre. L'engagement ťtait pris de se trouver ŗ midi au bois de Boulogne. Avant que la famille se rťunit au dťjeuner, Hombert annonÁa ŗ son pŤre qu'il ťtait tťmoin de Donatien. Son trouble ťtait visible. Il combla sa mŤre de caresses. Il insista pour qu'elle lui arrange‚t elle-mÍme sa tasse de thť. Elle s'y prÍta, en riant de cette exigence. Sa soeur Cťcile ťtait dans l'habitude de le plaisanter sur l'importance qu'il attachait ŗ une certaine boucle de cheveux retombant sur son front; elle entama cette taquinerie de famille: ęHť bien, Cťcile, pour te prouver que ce n'est pas ce ŗ quoi je tiens le plus au monde, comme tu prťtends, j'y renonce, je te la donne, prends-la.Ľ Cťcile fit semblant de s'approcher avec des ciseaux. Hombert ne sourcilla pas. Elle se contenta de lui baiser le front. ęVa, mon bon Hombert, cela me ferait autant de peine qu'ŗ toi.Ľ Hombert se leva, la serra contre son coeur et s'ťloigna pour cacher son trouble. Madame de La Tour du Pin lui reprocha sa sensiblerie qui les jetait tous dans la mťlancolie. Monsieur de La Tour du Pin, croyant Ítre dans le secret d'Hombert, l'aidait ŗ cacher son agitation. Hombert sorti, Cťcile trouva sur son panier ŗ ouvrage la boucle de cheveux, elle s'ťcria: ęAh! maman, dťcidťment Hombert renonce ŗ la fatuitť, voyez quel beau sacrifice! Au fond, j'en suis bien f‚chťe.Ľ La mŤre et la fille ťchangŤrent leurs regrets, mais sans concevoir d'alarmes. Monsieur de La Tour du Pin, inquiet pour Donatien, alla se promener dans les Champs-…lysťes. BientŰt il aperÁut ce mÍme Donatien dont les regards sinistres lui rťvťlŤrent un malheur. Hťlas! c'ťtait lui qui ťtait le tťmoin. Hombert avait reÁu une balle au milieu du front, ŗ l'endroit mÍme rťcemment ombragť par cette mŤche de cheveux devenue une si prťcieuse relique. Il ťtait mort. Monsieur de La Tour du Pin avait condamnť son fils le matin. Le premier aide de camp du marťchal, homme de poids, avait voulu arranger cette affaire sur le terrain; Hombert avait ťtť rťcalcitrant. Cependant les motifs de la querelle ťtaient si lťgers que l'accommodement allait se faire, presque malgrť lui, lorsqu'il se servit malheureusement d'une expression de coterie en disant que l'humeur de son adversaire lui avait paru _insensťe_, tant il avait peu l'intention d'offenser. Entendant, par le mot _insensťe_, peu rationnelle, l'antagoniste s'ťcria: ęQuoi? vous m'appelez un insensť!Ľ Hombert haussa les ťpaules. Deux minutes aprŤs, il avait cessť de vivre. Monsieur de La Tour du Pin ne s'est jamais relevť d'un coup si affreux. On peut mÍme dire que sa raison en a ťtť altťrťe. Je ne chercherai pas ŗ peindre le dťsespoir de cette famille dťsolťe; nous partage‚mes son chagrin, et le salon de madame de Duras, oý elle ťtait dans la grande intimitť, en fut longuement assombri. Les ťlections de 1815 se firent dans un sens purement royaliste; la noblesse y siťgeait en immense majoritť. C'est la meilleure chance qu'elle ait eue, depuis quarante ans, de reprendre quelque supťrioritť en France. Si elle s'ťtait montrťe calme, raisonnable, gťnťreuse, ťclairťe, occupťe des affaires du pays, protectrice de ses libertťs, en un mot, si elle avait jouť le rŰle qui appartenait ŗ l'aristocratie d'un gouvernement reprťsentatif, dans ce moment oý elle ťtait toute-puissante, on lui en aurait tenu compte et le trŰne aurait trouvť un appui rťel dans l'influence qu'elle pouvait exercer. Mais cette Chambre, que dans les premiers temps le Roi qualifia d'_introuvable_, se montra folle, exagťrťe, ignorante, passionnťe, rťactionnaire, dominťe par des intťrÍts de caste. On la vit hurlant des vengeances et applaudissant les scŤnes sanglantes du Midi. La gentilhommerie rťussit ŗ se faire dťtester ŗ cette occasion, comme dix ans plus tard elle a achevť sa dťconsidťration dans la honteuse discussion sur l'indemnitť des ťmigrťs. Les dťputťs, en arrivant, n'ťtaient pas encore montťs au point d'exagťration oý ils parvinrent depuis. Toutefois, Fouchť tomba devant leurs inimitiťs, mÍme avant l'ouverture de la session. Ils montrŤrent aussi de grandes rťpugnances pour monsieur de Talleyrand. Peut-Ítre aurait-il osť les affronter s'il avait ťtť soutenu par la Cour. Mais Monsieur se laissait dire tout haut par le duc de Fitzjames: ęHť bien, monseigneur, le vilain boiteux va donc la danser?Ľ et approuvait du sourire ce langage contre un homme qui, deux fois en douze mois, avait remis la maison de Bourbon sur le trŰne. De son cŰtť, le roi Louis XVIII trouvait de si grands services bien pesants et ressentait le sacrifice qu'il avait dŻ faire en ťloignant le comte de Blacas. Par-dessus tout, l'empereur Alexandre, de protecteur zťlť qu'il ťtait de monsieur de Talleyrand en 1814, ťtait devenu son ennemi capital. Il cťda devant tant d'obstacles rťunis; il offrit une dťmission qui fut acceptťe avec plus d'empressement peut-Ítre qu'il n'avait comptť. Le soir, j'allai chez lui; il s'approcha de moi, et me dit que le dernier acte de son ministŤre avait ťtť de nommer mon pŤre ŗ l'ambassade de Londres. En effet, la nomination, quoique signťe Richelieu, avait ťtť faite par monsieur de Talleyrand. Il la demandait au Roi dŤs 1814, mais le comte de La Ch‚tre avait ťtť premier gentilhomme de Monsieur, comte de Provence; il avait promesse de conserver cette place chez le Roi et, comme il l'ennuyait ŗ mourir, Sa Majestť TrŤs Chrťtienne aimait mieux avoir un mauvais ambassadeur ŗ Londres qu'un serviteur incommode aux Tuileries. Il finit pourtant par cťder. Malgrť les immenses avantages faits ŗ monsieur de La Ch‚tre nommť pair, duc, premier gentilhomme de la chambre, avec une forte pension sur la Chambre des pairs et une autre sur la liste civile, il conÁut beaucoup d'humeur de ce rappel. Mon pŤre reÁut, avec sa nomination, une lettre du duc de Richelieu qui le mandait ŗ Paris. Il ne voulait cependant pas quitter Turin avant que le sort de nos compatriotes ne fŻt dťfinitivement fixť. Cette affaire l'y retint quelques semaines. Ce fut dans cet intervalle que je me trouvai dans des rapports fort dťsagrťables avec monsieur de Richelieu. DŤs la premiŤre soirťe que j'avais passťe chez madame de Duras, j'y vis entrer un grand homme d'une belle figure; ses cheveux gris contrastaient avec un visage encore assez jeune. Il avait la vue trŤs basse et clignait les yeux avec une grimace qui rendait sa physionomie peu obligeante. Il ťtait en bottes et mal tenu avec une sorte d'affectation, mais, sous ce costume, conservait l'air trŤs grand seigneur. Il se jeta sur un sopha, parla haut, d'une voix aigre et glapissante. Un lťger accent, des locutions et des formes un peu ťtrangŤres me persuadŤrent qu'il n'ťtait pas franÁais. Cependant son langage et surtout les sentiments qu'il exprimait repoussaient cette idťe. Je le voyais familier avec tous mes amis. Je me perdais en conjectures sur cet inconnu si intime: c'ťtait le duc de Richelieu, rentrť en France depuis mon dťpart. L'impression qu'il m'a faite ŗ cette premiŤre rencontre n'a jamais variť. Ses formes m'ont toujours paru les plus dťsagrťables, les plus dťsobligeantes possibles. Son beau et noble caractŤre, sa capacitť rťelle pour les affaires, son patriotisme ťclairť lui ont acquis mon suffrage, je dirais presque mon dťvouement, mais c'ťtait un succŤs d'estime plus que de goŻt. Le docteur Marshall, dont j'ai dťjŗ fait mention, arriva un matin chez moi. Il m'apportait une lettre. Elle ťtait destinťe ŗ Fouchť, alors en Belgique, et contenait, disait-il, non seulement des dťtails sur une trame qui s'ourdissait contre le gouvernement du Roi, mais encore le chiffre devant servir aux correspondances. Il ne voulait confier une piŤce si importante qu'ŗ mon pŤre et, en son absence, ŗ moi. Ses pas ťtaient suivis et, s'il s'approchait des Tuileries ou d'un ministŤre, il aurait tout ŗ craindre. Malgrť le peu de succŤs de ses rťvťlations (qui, pourtant, je crois, lui avaient ťtť bien payťes) il voulait encore rendre ce service au Roi, d'autant qu'il connaissait l'attachement que le prince rťgent lui portait. Je le pressai en vain de s'adresser au duc de Duras; comme la premiŤre fois, il s'y refusa formellement. ęLa lettre, me dit-il, ťtait cachetťe de faÁon ŗ rťclamer l'adresse des plus habiles pour l'ouvrir. J'en ferais ce que je voudrais, rien s'il me plaisait mieux; il viendrait la reprendre le lendemain matin.Ľ Il sortit, la laissant sur ma table. Je me trouvai fort embarrassťe avec cette piŤce toute brŻlante entre les mains. Je la vois encore d'ici. Elle ťtait assez grosse, sans enveloppe quoiqu'elle contÓnt ťvidemment plus d'une feuille. Cachetťe d'un pain blanc sortant ŗ moitiť en dehors du papier sur lequel ťtaient tracťs ŗ la plume trois J de cette faÁon: [Illustration.] Je savais l'importance attachťe par mon pŤre aux documents procurťs naguŤre par Marshall. Il n'y avait pas de conseil ŗ demander dans une occasion qui, avant tout, prescrivait le secret. AprŤs mŻre rťflexion, je pris mon parti. J'allai aux Tuileries; je fis prier le duc de Duras de venir me parler; il descendit et monta dans ma voiture. Je lui racontai ce qui ťtait arrivť et lui donnai la lettre pour le Roi. Le Roi ťtait ŗ la promenade et ne rentrerait pas de plusieurs heures. Il trouva plus simple que nous allassions la porter au duc de Richelieu. J'y consentis. Le duc de Richelieu nous reÁut plus que froidement et me dit qu'il n'avait personne dans ses bureaux qui eŻt l'habitude ni le talent d'ouvrir les lettres. Je me sentis courroucťe. Je lui rťpondis qu'apparemment ce talent-lŗ ne se trouvait pas plus facilement dans ma chambre, que ma responsabilitť ťtait ŗ couvert, que je n'avais pas cru pouvoir me dispenser de remettre ce document en mains compťtentes. Ce but ťtait rempli et, lorsque l'homme qui n'avait pas voulu Ítre nommť viendrait le lendemain, je lui dirais qu'elle ťtait restťe chez un ministre du Roi. Monsieur de Richelieu voulut me la rendre; je me refusai ŗ la reprendre et nous nous sťpar‚mes ťgalement mťcontents l'un de l'autre. Deux heures aprŤs, monsieur d'Herbouville (directeur des postes ŗ cette ťpoque) me rapporta cette lettre avec des hymnes de reconnaissance; elle avait ťtť ouverte et son importance reconnue. Monsieur Decazes, ministre de la police, vint deux fois dans la soirťe sans me trouver. Le lendemain matin, ma femme de chambre, en entrant chez moi, me dit que monsieur d'Herbouville attendait mon rťveil; c'ťtait pour me dire combien les renseignements de la veille avaient fait naÓtre le dťsir de se mettre en rapport direct avec l'homme qui les avait procurťs. Monsieur Decazes me priait d'y employer tous les moyens. Marshall arriva ŗ l'heure annoncťe; je m'acquittai du message dont j'ťtais chargťe. Il fit de nombreuses difficultťs et finit cependant par indiquer un lieu oý on pourrait le rencontrer _par hasard_. Je crois que, par toutes ces prťcautions, il voulait augmenter le prix soldť de ses rťvťlations. Je ne l'ai jamais revu, mais je sais qu'il a ťtť longtemps aux gages de la police. Il avait une superbe figure, une ťlocution facile et tout ŗ fait l'air d'un _gentleman_. C'ťtait, du reste, une vťritable espŤce. Je me rappelle un trait de caractŤre qui me frappa. Il m'avait annoncť que le cachet de la lettre serait fort examinť par la personne ŗ laquelle il devait la remettre. Lorsque je la lui rendis, il me fit remarquer que la queue des J tracťs sur le pain ŗ cacheter en dehors du papier avait ťtť maculťe par l'opťration de l'ouverture. ęIl me faudra, ajouta-t-il, avoir recourt aux grands moyens.Ľ Je lui demandai quels ils ťtaient. ęJe remettrai la lettre au grand jour, prŤs d'une fenÍtre, et je ne quitterai pas la personne des yeux, tout en lui parlant d'autre chose, que la lettre ne soit pas dťcachetťe. Elle n'osera pas l'examiner pendant que je la tiendrai de cette sorte en arrÍt. Cela m'a toujours rťussi.Ľ Ce honteux aveu d'une telle expťrience me fit chair de poule et me rťconcilia presque avec la maussade brusquerie dont monsieur de Richelieu m'avait accueillie la veille. Elle trouvait aussi son excuse dans les abominables intrigues qui l'entouraient. Les noms ne pouvaient avertir sa confiance, car, malheureusement, les dťlations d'amateurs ne manquaient pas dans la classe supťrieure; et, par excŤs de zŤle, on se faisait espion, parfois au service de ses passions, parfois ŗ celui de ses intťrÍts. Monsieur de Richelieu ťprouvait pour ces viles actions ces haines vigoureuses de l'homme de bien. …tranger ŗ la sociťtť, il ne pouvait apprťcier les caractŤres. Il m'avait fait l'injustice de me ranger dans la catťgorie des femmes ŗ trigauderies. J'en fus excessivement froissťe et me tins ŗ distance de lui. De son cŰtť, il fut ťclairť et f‚chť, je crois, de son injustice, mais il ťtait trop timide et n'avait pas assez d'usage du monde pour s'en expliquer franchement. Nos relations se sont toujours senties de ce mauvais dťbut. J'ťtais de son parti ŗ bride abattue, mais peu de ses amies et point de sa coterie. Nous nous rencontrions tous les jours sans jamais nous adresser la parole. Les formes acerbes du duc de Richelieu lui ont souvent valu des ennemis politiques parmi les personnes, qu'on me passe cette fatuitť, moins raisonnables que moi. CHAPITRE IX Nobles adieux de l'empereur Alexandre au duc de Richelieu. -- Sentiments patriotiques du duc. -- Ridicules de monsieur de Vaublanc. -- Arrivťe de mon pŤre ŗ Paris. -- ProcŤs du marťchal Ney. -- Son exťcution. -- Exaltation du parti royaliste. -- ProcŤs de monsieur de La Valette. -- Madame la duchesse d'AngoulÍme s'engage ŗ demander sa gr‚ce. -- On l'en dťtourne. -- Dťmarches faites par le duc de Raguse. -- Il fait entrer madame de La Valette dans le palais. -- Sa disgr‚ce. -- Fureur du parti royaliste ŗ l'ťvasion de monsieur de La Valette. Monsieur de Talleyrand s'est quelquefois vantť de s'Ítre retirť pour ne pas signer le cruel traitť imposť ŗ la France. Le fait est qu'il a succombť sous les malveillances accumulťes que j'ai dťjŗ signalťes. Monsieur de Richelieu ťtait portť aux affaires par l'empereur Alexandre, et, quelque dures qu'aient ťtť les conditions qu'on nous a fait subir, elles l'auraient ťtť beaucoup plus avec tout autre ministre. AussitŰt la nomination de monsieur de Richelieu, l'autocrate s'ťtait dťclarť hautement le champion de la France. Aussi, lorsque ŗ son dťpart il distribua des prťsents aux divers diplomates, il envoya ŗ monsieur de Richelieu une vieille carte de France, servant ŗ la confťrence et sur laquelle ťtaient tracťes les nombreuses prťtentions territoriales ťlevťes par les Alliťs et que leurs reprťsentants comptaient bien exiger. Il y joignit un billet de sa main portant que la confiance inspirťe par monsieur de Richelieu avait seule ťvitť ces ťnormes sacrifices ŗ sa patrie. Ce cadeau, ajoutait l'Empereur, lui paraissait le seul digne de son noble caractŤre et celui que, sans doute, il apprťcierait le plus haut. Un tel don honore ťgalement le souverain qui en conÁoit la pensťe et le ministre qui mťrite de l'inspirer. Malgrť ce succŤs que monsieur de Richelieu n'ťtait pas homme ŗ proclamer et qui n'a ťtť su que longtemps aprŤs, son coeur vraiment franÁais saignait de ce terrible traitť. Le son de voix avec lequel il en fit lecture ŗ la Chambre, le geste avec lequel il jeta le papier sur la tribune aprŤs ce pťnible devoir accompli sont devenus historiques et ont commencť ŗ rťconcilier tout ce qui avait de l'‚me dans le pays ŗ un choix qui d'abord apparaissait comme un peu trop russe. Rien au monde n'ťtait plus injuste; monsieur de Richelieu ťtait franÁais, exclusivement franÁais, nullement ťmigrť et point du tout plus aristocrate que les circonstances ne le permettaient. Il ťtait, dans le meilleur sens des deux termes, libťral et patriote. Pendant ce premier ministŤre, il ťprouvait l'inconvťnient de ne point connaÓtre les personnes et, pour un ministre prťpondťrant, cela est tout aussi nťcessaire que de savoir les affaires. Cette ignorance lui fit accepter sans opposition, un collŤgue donnť par Monsieur. C'ťtait monsieur de Vaublanc. Il ne tarda pas ŗ dťployer une sottise si dťlicieusement ridicule qu'il aurait fallu en p‚mer de rire s'il n'avait pas trouvť de l'appui chez les princes et dans la Chambre. Toutes les absurditťs ťtaient contagieuses dans ces parages. Monsieur de Vaublanc chercha promptement ŗ fomenter une intrigue contre monsieur de Richelieu; elle fut dťjouťe par le crťdit des ťtrangers. Ce fut vers ce temps que Monsieur donna ŗ monsieur de Vaublanc un grand cheval blanc. Il posait dessus, dans le jardin du ministŤre de l'intťrieur, pour la statue de Henri IV, personne, selon lui, ne se tenant ŗ cheval dans une ťgale perfection. Si ses prťtentions s'ťtaient bornťes lŗ, on s'en serait facilement accommodť; mais il les rťunissaient toutes, portťes ŗ une exagťration sans exemple et manifestťes avec une inconvenance incroyable dans sa naÔvetť. Quoiqu'elle soit peu digne, mÍme de la macťdoine que j'ťcris, je ne puis me refuser ŗ rapporter une saillie qui a toujours eu le don de me faire sourire. Le boeuf gras se trouva petit et maigre cette annťe; on le remarquait devant madame de Puisieux: ęJe le crois bien, s'ťcria-t-elle, la pauvre bÍte aura trop souffert des sottises de son neveu le Vaublanc.Ľ C'est cette mÍme madame de Puisieux qui, voyant monsieur de Bonnay, d'une p‚leur excessive, se verser un verre d'orgeat, l'arrÍta en lui disant: ęAh, malheureux; il allait boire son sang!Ľ Si nous avions vťcu dans un temps moins fťcond en grands ťvťnements, les mots de madame de Puisieux auraient autant de cťlťbritť que ceux de la fameuse madame de Cornuel. Mon pŤre avait terminť; tant bien que mal, l'affaire relative aux franÁais domiciliťs en Piťmont, et remis, pour satisfaire au traitť de Paris, le reste de la Savoie au roi de Sardaigne. Le roi Louis XVIII en ťtait aussi joyeux aux Tuileries qu'on pouvait l'Ítre ŗ Turin. Son ambassadeur ne partageait pas cette satisfaction et ce dernier acte de ses fonctions lui fut si dťsagrťable qu'il refusa, mÍme avec un peu d'humeur, le grand cordon qui lui fut offert ŗ l'occasion de cette restitution. ņ la vťritť, mon pŤre espťrait alors l'ordre du Saint-Esprit et, si les prťjugťs de sa jeunesse le lui faisaient dťsirer avec trop de vivacitť, ils lui inspiraient, en revanche, un grand dťdain pour toutes les dťcorations ťtrangŤres. ņ son arrivťe, monsieur de Richelieu le combla de marques de confiance. Les prťparatifs qu'il lui fallut faire pour se rendre ŗ Londres le retinrent assez longtemps pour avoir le malheur d'Ítre appelť ŗ siťger au procŤs du marťchal Ney. Je ne prťtends pas entrer dans le dťtail de cette dťplorable affaire. Elle nous tint dans un grand ťtat d'anxiťtť. Pendant les derniers jours du jugement, les pairs et tout ce qui leur appartenait reÁurent des lettres menaÁantes. Il est ŗ peu prŤs reconnu que la pairie devait condamner le marťchal. On a fort reprochť au Roi de ne lui avoir pas fait gr‚ce. Je doute qu'il le pŻt; je doute aussi qu'il le voulŻt. Quand on juge les ťvťnements de cette nature ŗ la distance des annťes, on ne tient plus assez compte des impressions du moment. Tout le monde avait eu peur, et rien n'est aussi cruel que la peur. Il rťgnait une ťpidťmie de vengeance. Je ne veux d'autre preuve de cette contagion que les paroles du duc de Richelieu en envoyant ce procŤs ŗ la Cour des pairs. Puisque ce beau et noble caractŤre n'avait pu s'en dťfendre, elle devait Ítre bien gťnťrale, et je ne sais s'il ťtait possible de lui refuser la proie qu'elle rťclamait, sans la pousser ŗ de plus grands excŤs. Nous avons vu plus tard un autre Roi s'interposer personnellement entre les fureurs du peuple et les tÍtes qu'elles exigeaient. Mais d'abord, ce Roi-lŗ, selon moi, est un homme fort supťrieur, et puis les honnÍtes gens de son parti apprťciaient et encourageaient cette modťration. Il risquait une ťmeute populaire; sa vie pouvait y succomber, mais non pas son pouvoir. En 1815, au contraire, c'ťtait, il faut bien le dire, les honnÍtes gens du parti, les princes, les ťvÍques, les Chambres, la Cour, aussi bien que les ťtrangers, qui demandaient un exemple pour effrayer la trahison. L'Europe disait: Vous n'avez pas le droit d'Ítre gťnťreux, de faire de l'indulgence au prix de nos trťsors et de notre sang. Le duc de Wellington l'a bien prouvť en refusant d'invoquer la capitulation de Paris. La gr‚ce du marťchal ťtait dans ses mains, bien plus que dans celles de Louis XVIII. Ajoutons que la peine de mort en matiŤre politique se prťsentait alors ŗ tous les esprits comme de droit naturel, et n'oublions pas que c'est ŗ la douceur du gouvernement de la Restauration que nous devons d'avoir vu croÓtre et se rťpandre aussi gťnťralement les idťes d'un libťralisme ťclairť. Je ne prťtends en aucune faÁon excuser la frťnťsie qui rťgnait ŗ cette ťpoque. J'ai ťtť aussi indignťe alors que je le serais ŗ prťsent de voir des hommes de la sociťtť prodiguer libťralement leurs services personnels pour garder le marťchal dans la chambre de sa prison, y coucher, dans la crainte qu'il ne s'ťvad‚t, d'autres s'offrir volontairement ŗ le conduire au supplice, les gardes du corps solliciter comme une faveur et obtenir comme rťcompense la permission de revÍtir l'uniforme de gendarme pour le garder plus ťtroitement et ne lui laisser aucune chance de dťcouvrir sur le visage d'un vieux soldat un regard de sympathie. Tout cela est odieux, mais tout cela est vrai. Et je veux seulement constater que, pour faire gr‚ce au marťchal Ney, il fallait plus que de la bontť, il fallait un grand courage. Or, le roi Louis XVIII n'ťtait assurťment pas sanguinaire, mais il avait ťtť trop constamment, trop exclusivement prince pour faire entrer dans la balance des intťrÍts la vie d'un homme comme d'un grand poids. Au reste, ce pauvre marťchal, dont on a fait un si triste holocauste aux passions du moment et que d'autres passions ont pris soin depuis d'entourer d'aurťole, s'il avait vťcu, n'aurait ťtť pour les impťrialistes que le traÓtre de Fontainebleau, le transfuge de Waterloo, le dťnonciateur de Napolťon. Aux yeux des royalistes, la culpabilitť de sa conduite ťtait encore plus dťmontrťe. Mais ses torts civils se sont effacťs dans son sang et il n'est restť dans la mťmoire de tous que cette intrťpiditť militaire si souvent et si rťcemment employťe, avec une vigueur surhumaine, au service de la patrie. La sagesse populaire a dit: ęIl n'y a que les morts qui ne reviennent pas.Ľ J'ťtablirais plus volontiers qu'en temps de rťvolution les morts seuls reviennent. Je me souviens qu'un jour, pendant le procŤs, je dÓnais chez monsieur de Vaublanc. Mon pŤre arriva au premier service, sortant du Luxembourg et annonÁant un dťlai accordť ŗ la demande des avocats du marťchal. Monsieur sieur de Vaublanc se leva tout en pied, jeta sa serviette contre la muraille en s'ťcriant: ęSi messieurs les Pairs croient que je consentirai ŗ Ítre ministre avec des corps qui montrent une telle faiblesse, ils se trompent bien. Encore une pareille l‚chetť et tous les honnÍtes gens n'auront plus qu'ŗ se voiler le visage.Ľ Il y avait trente personnes ŗ table dont plusieurs dťputťs, tous faisaient chorus. Il ne s'agissait pourtant que d'un dťlai lťgal, impossible ŗ refuser ŗ moins de s'ťriger en chambre ardente. On comprend quelle devait Ítre l'exaltation des gens de parti lorsque ceux qui dirigeaient le gouvernement ťtaient si cruellement intempestifs. Mon pŤre et moi ťchange‚mes notre indignation dŤs que nous fŻmes remontťs en voiture; si nous l'avions exprimťe dans la maison, on nous aurait lapidťs. Nous ťtions dťjŗ classťs au nombre des _gens mal pensants_; mais ce n'est qu'aprŤs l'ordonnance du 5 septembre qu'il fut constatť que je _pensais comme un cochon_. Ne riez pas, mes neveux, c'est l'expression textuelle de fort grandes dames, et elles la distribuaient largement. Je rencontrais partout le duc de Raguse, et surtout chez madame de Duras oý il venait familiŤrement. J'ťprouvais contre lui quelques-unes des prťventions gťnťralement ťtablies et, sans avoir jamais aimť Napolťon, je lui savais mauvais grť de l'avoir trahi. Les ťtrangers bien informťs de cette transaction furent les premiers ŗ m'expliquer combien la loyautť du marťchal avait ťtť calomniťe. Je remarquai, d'un autre cŰtť, ŗ quel point, malgrť les insultes dont l'abreuvait le parti bonapartiste, il restait fidŤle ŗ ses anciens camarades. Il les soutenait toujours fortement et vivement dŤs qu'ils ťtaient attaquťs, les louait volontiers sans aucune rťticence et se portait le protecteur actif et zťlť de tous ceux qu'on molestait. Cela commenÁa ŗ m'adoucir en sa faveur et ŗ me faire mieux goŻter un esprit trŤs distinguť et une conversation animťe et variťe, mťrites qu'on ne pouvait lui refuser. Le jour approchait oý mon affection pour lui devait ťclore. Monsieur de La Valette, fort de son innocence et persuadť qu'aux termes de la loi il n'avait rien ŗ craindre, se constitua prisonnier. Il aurait ťtť acquittť sans un document dont voici la source: le vieux monsieur Ferrand, directeur de la poste, avait ťtť saisi d'une telle terreur le jour du retour de l'Empereur qu'il n'osait plus rester ni partir. Il demanda ŗ monsieur de La Valette, son prťdťcesseur sous l'Empereur, de lui signer un permis de chevaux de poste. Celui-ci s'en dťfendit longtemps, enfin il cťda aux larmes de madame Ferrand et, pour calmer les terreurs du vieillard, il mit son nom au bas d'un permis fait ŗ celui de monsieur Ferrand, dans son cabinet, et entourť de sa famille pleine de reconnaissance. C'est la seule preuve qu'on pŻt apporter qu'il eŻt repris ses fonctions avant le terme que fixait la loi. Je suppose que la remise de cette piŤce aura beaucoup coŻtť ŗ la famille Ferrand; j'avoue que ce dťvouement royaliste m'a toujours paru hideux. Monsieur de Richelieu en fut indignť. Il avait d'ailleurs horreur des persťcutions, et, plus il s'aguerrissait aux affaires, plus il s'ťloignait des opinions de parti. Ne pouvant ťviter le jugement de monsieur de La Valette, il s'occupa d'obtenir sa gr‚ce s'il ťtait condamnť. De son cŰtť, monsieur Pasquier, quoique naguŤre garde des sceaux, alla tťmoigner vivement et consciencieusement en sa faveur. Monsieur de Richelieu demanda sa gr‚ce au Roi. Il lui rťpondit qu'il n'osait s'exposer aux fureurs de sa famille mais que, si madame la duchesse d'AngoulÍme consentait ŗ dire un mot en ce sens, il la lui accorderait avec empressement. Le duc de Richelieu se rendit chez Madame et, avec un peu de peine, il obtint son consentement. Il fut convenu qu'elle demanderait la gr‚ce au Roi le lendemain aprŤs le dťjeuner. Il en fut prťvenu. Lorsque le duc de Richelieu arriva chez le Roi, le lendemain, le premier mot qu'il lui dit fut: ęHť bien! ma niŤce ne m'a rien dit, vous aurez mal compris ses paroles. --Non, Sire, Madame m'a promis positivement. --Voyez-la donc et t‚chez d'obtenir la dťmarche, je l'attends si elle veut venir.Ľ Or, il s'ťtait passť un immense ťvťnement dans le palais des Tuileries; car, la veille au soir, on y avait manquť aux habitudes. Chaque jour aprŤs avoir dÓnť chez le Roi, Monsieur descendait chez sa belle-fille ŗ huit heures; ŗ neuf heures il retournait chez lui. Monsieur le duc d'AngoulÍme allait se coucher et Madame passait chez sa dame d'atour, madame de Choisy. C'ťtait lŗ oý se rťunissaient les plus purs, c'est-ŗ-dire les plus violents du parti royaliste. Le soir en question, Madame les trouva au grand complet. Ils avaient eu vent du projet de gr‚ce. Elle avoua Ítre entrťe dans ce complot, et dit que son beau-pŤre et son mari l'approuvaient. AussitŰt les cris, les dťsespoirs ťclatŤrent. On lui montra les dangers de la couronne si imminents aprŤs un pareil acte que, chose sans exemple, elle monta dans la voiture d'une personne de ce sanhťdrin et se rendit au pavillon de Marsan oý elle trouva Monsieur ťgalement chapitrť par son monde et fort disposť ŗ revenir sur le consentement qui lui avait ťtť arrachť. Il fut rťsolu que Madame ne ferait aucune dťmarche et que, si le ministre et le Roi voulaient se dťshonorer, du moins le reste de la famille royale n'y tremperait pas. Voilŗ ŗ quoi tenait le silence de Madame. Monsieur de Richelieu obtint une audience, mais la trouva inťbranlable. Elle ťtait trop engagťe. C'est de ce moment qu'a datť leur mutuelle rťpugnance l'un pour l'autre. Monsieur de Richelieu vint rendre compte au Roi. ęJe l'avais prťvu; ils sont implacables, dit le monarque en soupirant; mais, si je les bravais, je n'aurais plus un instant de repos.Ľ Tandis que ceci se passait chez les princes, on ťtait venu demander au duc de Raguse ce qu'il consentirait ŗ faire en faveur de monsieur de La Valette. ęTout ce qu'on voudraĽ, avait-il rťpondu. Il se rendit d'abord auprŤs du Roi, qui lui fit ce que lui-mÍme appelait son _visage de bois_, le laissa parler aussi longtemps qu'il voulut, sans donner le moindre signe d'intťrÍt et le congťdia sans avoir rťpondu une parole. Le marťchal comprit que monsieur de La Valette ťtait perdu. Ignorant les dťmarches vainement tentťes auprŤs de Madame, il n'espťra qu'en elle. Il courut avertir madame de La Valette qu'il fallait avoir recours ŗ ce dernier moyen. Mais ce danger avait ťtť prťvu, tous les accŤs lui ťtaient fermťs; elle ne pouvait arriver jusqu'ŗ la princesse. Le marťchal, qui ťtait de service comme major gťnťral de la garde, la cacha dans son appartement et, pendant que le Roi et la famille royale ťtaient ŗ la messe, il forÁa toutes les consignes et la fit entrer dans la salle des Marťchaux par oý on ne pouvait ťviter de repasser. Madame de La Valette se jeta aux pieds du Roi et n'en obtint que ces mots: ęMadame, je vous plains.Ľ Elle s'adressa ensuite ŗ madame la duchesse d'AngoulÍme et saisit sa robe; la princesse l'arracha avec un mouvement qui lui a ťtť souvent reprochť depuis et attribuť ŗ une haineuse colŤre. Je crois que cela est parfaitement injuste. Madame avait engagť sa parole; elle ne pouvait plus reculer. Probablement son mouvement a ťtť fait avec sa brusquerie accoutumťe; mais je le croirais bien plutŰt inspirť par la pitiť et le chagrin de n'oser y cťder que par la colŤre. Le malheur de cette princesse est de n'avoir pas assez d'esprit pour diriger son trop de caractŤre: la proportion ne s'y trouve pas. La conduite du marťchal fut aussi bl‚mťe parmi les courtisans qu'approuvťe du public. Il reÁut ordre de ne point reparaÓtre ŗ la Cour et partit pour sa terre. L'officier des gardes du corps qui lui avait laissť forcer la consigne fut envoyť en prison. Ces [faits] prťalables connus, on s'ťtonnera moins du long cri de rage qui s'ťleva dans tout le parti lorsqu'on apprit l'ťvasion de monsieur de La Valette. Le Roi et les ministres furent soupÁonnťs d'y avoir prÍtť les mains. La Chambre des dťputťs rugissait, les femmes hurlaient. Il semblait des hyŤnes auxquelles on avait enlevť leurs petits. On alla jusqu'ŗ vouloir sťvir contre madame de La Valette, et l'on fut obligť de la faire garder quelque temps en prison pour laisser calmer l'orage. Monsieur Decazes, fort aimť jusque-lŗ des royalistes, commenÁa ŗ leur inspirer une dťfiance qui ne tarda guŤre ŗ devenir de la haine. Quoique le gouvernement n'eŻt en rien facilitť la fuite de monsieur de La Valette, je pense qu'au fond il en fut charmť. Le Roi partagea cette satisfaction. Il rappela assez promptement le duc de Raguse et le traita bien au retour. Mais le parti fut moins indulgent et on lui montra autant de froideur qu'il trouvait d'empressement jusque-lŗ. J'en excepte toujours madame de Duras; elle faisait bande ŗ part dans ce monde extravagant. Si elle se passionnait, ce n'ťtait jamais que pour des idťes gťnťreuses, et la dťfaveur du marťchal ťtait un mťrite ŗ ses yeux. Malgrť cette disposition de la maÓtresse de la maison, l'isolement oý il se trouvait souvent dans son salon le rapprocha de moi, et nous causions ensemble. Mais ce n'est que lorsque sa conduite ŗ Lyon eut achevť de le brouiller avec le parti ultra-royaliste qu'il vint se rťfugier dans la petite coterie qui s'est formťe autour de moi, et dont il a ťtť un des piliers jusqu'ŗ ce que de nouveaux orages aient encore une fois bouleversť son aventureuse existence. J'aurai probablement souvent occasion d'en parler dorťnavant. CHAPITRE X FÍtes donnťes par le duc de Wellington. -- Monsieur le duc d'AngoulÍme. -- Refus d'une grande-duchesse pour monsieur le duc de Berry. -- On se dťcide pour une princesse de Naples. -- Traitement d'une ambassadrice d'Angleterre. -- Faveur de monsieur Decazes. -- Monsieur de Polignac refuse de prÍter serment comme pair. -- Mot de monsieur de Fontanes. -- Sťjour de la famille d'Orlťans en Angleterre. -- Demande de madame la duchesse d'Orlťans douairiŤre au marquis de RiviŤre. Mon pŤre partit pour Londres dans le commencement de 1816; ma mŤre l'y suivit. Je ne les rejoignis qu'au printemps. Les ťtrangers s'ťtaient retirťs dans les diverses garnisons qui leur avaient ťtť assignťes par le traitť de Paris. Le duc de Wellington seul, en sa qualitť de gťnťralissime de toutes les armťes d'occupation, rťsidait ŗ Paris et nous en faisait les honneurs ŗ nos frais. Il donnait assez souvent des fÍtes oý il ťtait indispensable d'assister. Il tenait ŗ avoir du monde et, notre sort dťpendant en grande partie de sa bonne humeur, il fallait supporter ses caprices souvent bizarres. Je me rappelle qu'une fois il inventa de faire de la Grassini, alors en possession de ses bonnes gr‚ces, la reine de la soirťe. Il la plaÁa sur un canapť ťlevť dans la salle de bal, ne quitta pas ses cŰtťs, la fit servir la premiŤre, fit ranger tout le monde pour qu'elle vÓt danser, lui donna la main et la fit passer la premiŤre au souper, l'assit prŤs de lui, enfin lui rendit les hommages qui d'ordinaire ne s'accordent guŤre qu'aux princesses. Heureusement, il y avait quelques grandes dames anglaises ŗ partager ces impertinences, mais elles n'ťtaient pas obligťes de les subir comme nous et leur ressentiment ne pouvait Ítre comparable. En gťnťral, le carnaval fut trŤs triste, et cela ťtait convenable de tout point. Nos princes n'allaient nulle part. Monsieur le duc de Berry se trouvait tout ŗ fait ťclipsť par son frŤre; la diffťrente conduite tenue par eux pendant les Cent-Jours justifiait cette position. Cependant monsieur le duc d'AngoulÍme montrait des vellťitťs de modťration qui commenÁaient ŗ dťplaire, et le parti dťvot ne lui pardonnait pas son ťloignement pour la politique du confessionnal. Le caractŤre de monsieur le duc d'AngoulÍme est singuliŤrement difficile ŗ peindre. C'est une rťunion si bizarre et si disparate qu'on peut, ŗ diverses ťpoques de sa vie, le reprťsenter comme un prince sage, pieux, courageux, conciliant, ťclairť, ou bien comme un bigot imbťcile et presque stupide, en disant ťgalement la vťritť. ņ mesure que les circonstances se prťsenteront, je le montrerai tel que nous l'avons vu; mais il faut commencer, pour le comprendre, par admettre qu'il a toujours ťtť dominť par la pensťe de l'obťissance illimitťe due au Roi. Plus il ťtait prŤs de la couronne, plus, selon lui, il en devait l'exemple. Tant que Louis XVIII a vťcu, cette passive obťissance ťtait un peu modifiťe, au moins pour la forme, par celle qu'il accordait ŗ Monsieur; mais, lorsque l'autoritť de pŤre et de roi a ťtť concentrťe en Charles X, elle n'a plus connu de bornes et nous avons ťtť tťmoins des tristes rťsultats qu'elle a amenťs. On s'occupait de marier monsieur le duc de Berry; dťjŗ en 1814, il en avait ťtť question. L'empereur Alexandre avait dťsirť lui voir ťpouser sa soeur; la maniŤre dont elle avait ťtť repoussťe lui avait donnť beaucoup d'humeur. Monsieur le duc de Berry souhaitait cette alliance, mais le Roi et Monsieur trouvaient la maison de Russie trop peu ancienne pour donner une mŤre aux fils de France. Madame la duchesse d'AngoulÍme partageait cette maniŤre de voir. De plus, elle redoutait une belle-soeur ŗ laquelle ses rapports politiques auraient donnť une existence indťpendante et avec laquelle il aurait fallu compter. Elle craignait aussi une princesse personnellement accomplie qui aurait pu rallier autour d'elle les personnes distinguťes par leur esprit pour lesquelles Madame a toujours ťprouvť une rťpugnance instinctive, quelles qu'aient ťtť leurs couleurs. La princesse de Naples, nťe Bourbon, appartenant ŗ une petite Cour, n'ayant reÁu aucune ťducation, rťunit tous les suffrages de la famille. Elle fut imposťe ŗ monsieur le duc de Berry qui ne s'en souciait nullement. Monsieur de Blacas fut chargť de cette nťgociation qui n'occupa pas longuement ses talents diplomatiques. Dans le mÍme temps, on conÁut l'idťe de marier Monsieur. Cela ťtait assez raisonnable, mais Madame l'en dissuada le plus qu'elle put. Elle aurait trop souffert ŗ voir une autre princesse tenir la Cour et prendre le pas sur elle; et Monsieur, qui l'aimait tendrement, n'eŻt-il pas eu d'autres motifs, n'aurait pas voulu lui donner ce chagrin. Cela me rappelle un mot heureux de Louis XVIII. Il ťtait goutteux, infirme, dans un ťtat de santť pitoyable. Un jour oý il parlait sťrieusement ŗ Monsieur de la convenance de se marier, celui-ci lui dit en ricanant et d'un ton un peu goguenard: ęMon frŤre, vous qui prÍchez si bien, pourquoi ne vous mariez-vous pas vous-mÍme? --Parce que je ferais des aÓnťs, mon frŤre,Ľ reprit le Roi trŤs sŤchement. Monsieur se tint pour battu. L'intťrieur des Tuileries n'ťtait ni confiant, ni doux; cependant, ŗ cette ťpoque, le Roi causait avec les siens des affaires publiques; la rupture n'ťtait pas encore complŤte. L'ambassadeur d'Angleterre, sir Charles Stuart, ťpousa lady …lisabeth Yorke, fille de lord Hardwick. La prťsentation de la nouvelle ambassadrice donna lieu, pour la premiŤre fois depuis la Restauration, ŗ ce qu'on appelle en terme de Cour un _traitement_. Nous fŻmes appelťes une douzaine de femmes, la plupart titrťes, ŗ nous trouver chez madame la duchesse d'AngoulÍme ŗ deux heures. La situation de mon pŤre en Angleterre me valut cette distinction. Nous ťtions toutes rťunies dans le salon de Madame, lorsqu'un huissier vint avertir madame de Damas, qui remplaÁait sa mŤre, madame de Sťrent, dans le service de dame d'honneur, que l'ambassadrice arrivait. Au mÍme instant, Madame, qui probablement, selon ses habitudes, guettait ŗ sa fenÍtre, entra par une autre porte magnifiquement parťe et, comme nous, en robe de Cour. Elle avait eu ŗ peine le temps de nous dire bonjour et de s'asseoir que madame de Damas rentra conduisant l'ambassadrice accompagnťe de la dame qui l'avait ťtť quťrir, des maÓtres des cťrťmonies, et de l'introducteur des ambassadeurs qui restŤrent ŗ la porte. Madame se leva, fit un ou deux pas au-devant de l'ambassadrice, reprit son fauteuil et la fit placer sur une chaise _ŗ dos_ prťparťe ŗ sa gauche. Les dames titrťes s'assirent derriŤre, sur des pliants, et nous autres nous nous tÓnmes debout. Cela dura assez longtemps: Madame soutint le dialogue ŗ elle toute seule. Lady …lisabeth, jeune et timide, ťtait trop embarrassťe pour rien ajouter aux monosyllabes de ses rťponses et j'admirais la maniŤre dont Madame exploita l'Angleterre et la France, l'Irlande et l'Italie d'oý arrivait lady …lisabeth pour remplir le temps qu'allongeait outre mesure la marche lente et pťnible du Roi. Enfin il entra; tout le monde se leva; le silence le plus profond rťgna. Il l'interrompit, quand il fut vers le milieu de la chambre, pour dire sans sourciller, du ton le plus grave et d'une voix sonore, la niaiserie convenue depuis le temps de Louis XIV: ęMadame, je ne vous savais pas en si bonne compagnie.Ľ Madame lui rťpondit une autre phrase, probablement ťgalement d'ťtiquette, mais que je ne me rappelle pas. Ensuite le Roi adressa quelques paroles ŗ lady …lisabeth. Elle ne lui rťpondit pas plus qu'ŗ Madame. Le Roi resta debout ainsi que tout le monde; au bout de peu de minutes, il se retira. Alors on s'assit, pour se relever immťdiatement ŗ l'entrťe de Monsieur. ęNe devrai-je pas dire que je ne vous savais pas en aussi bonne compagnie?Ľ, dit-il, en souriant; puis, s'approchant gracieusement de lady …lisabeth, il lui prit la main et lui fit un compliment obligeant. Il refusa d'accepter un siŤge que Madame lui offrit, mais fit asseoir les dames et resta bien plus longtemps que le Roi. Les dames se levŤrent ŗ sa sortie, puis se rassirent pour se relever de nouveau ŗ l'entrťe de monsieur le duc d'AngoulÍme; pour cette fois, les premiers compliments passťs, il prit une chaise _ŗ dos_ et fit la conversation. Il semblait que la timiditť de l'ambassadrice lui donn‚t du courage. Je ne conserve aucune idťe d'avoir vu monsieur le duc de Berry ŗ cette cťrťmonie. Je ne sais s'il s'en dispensait ordinairement ou s'il en ťtait absent par accident. J'ignore aussi comment cela s'est passť depuis pour madame la duchesse de Berry. Je n'ai pas eu d'autre occasion d'assister ŗ pareilles rťceptions. La sortie de monsieur le duc d'AngoulÍme fut accompagnťe du lever et du _rassied_ comme les autres; je ne pus m'empÍcher de penser aux gťnuflexions du vendredi saint. Au bout de quelques minutes, la dame d'honneur avertit l'ambassadrice qu'elle ťtait ŗ ses ordres. Madame lui fit une phrase sur la crainte de la fatiguer en la retenant plus longtemps, et elle s'en alla, escortťe comme ŗ son arrivťe. Elle remonta dans les carrosses du Roi, accompagnťe de la dame qui l'avait ťtť chercher. Sa voiture ŗ six chevaux et en grand apparat suivait ŗ vide. Madame s'entretint avec nous un instant de la nouvelle prťsentťe et rentra dans son intťrieur ŗ ma grande satisfaction, car j'ťtais depuis deux heures sur mes jambes et j'en avais assez de mes honneurs. Cependant il fallut assister au dÓner ou _traitement_. L'ambassadrice revint ŗ cinq heures. Cette fois, elle ťtait accompagnťe de son mari et de quelques dames anglaises de distinction. Toutes les franÁaises qui avaient assistť ŗ la rťception ťtaient invitťes; il y avait aussi des hommes des deux pays. Le premier maÓtre d'hŰtel, alors le duc des Cars, et la dame d'honneur de Madame firent les honneurs du dÓner qui ťtait trŤs bon et magnifique, mais sans ťlťgance comme tout ce qui se passait ŗ la Cour des Tuileries. Immťdiatement aprŤs, chacun fut enchantť de se sťparer et d'aller se reposer de toute cette ťtiquette. Les hommes ťtaient en uniforme, les femmes trŤs parťes mais point en habit de Cour. De Roi, de princesses, de princes, il n'en fut pas question; seulement j'aperÁus derriŤre un paravent Madame et son mari qui, avant de monter dÓner chez le Roi, s'amusaient ŗ regarder la table et les convives. Je n'ai jamais pu concevoir comment, lorsque les souverains ťtrangers reÁoivent constamment et familiŤrement ŗ leur table les ambassadeurs de France, ils consentaient ŗ subir, en la personne de leurs reprťsentants, l'arrogance de la famille de Bourbon. Ne pas inviter les ambassadeurs chez soi n'ťtait dťjŗ pas trop obligeant, mais les faire venir avec tout cet appareil et cet _in fiochi_ dÓner ŗ l'office m'a toujours paru de la derniŤre impertinence. Sans doute cet _office_ ťtait frťquentť par des gens de bonne maison; mais enfin c'ťtait une seconde table dans le ch‚teau, car, apparemment, celle du Roi ťtait la premiŤre. Le festin ne se passait pas mÍme dans l'appartement du premier maÓtre d'hŰtel oý cela aurait pu avoir l'apparence d'une rťunion de sociťtť; les piŤces ťtaient trop petites et il logeait trop haut. On se rťunissait dans la salle d'attente de l'appartement de Madame et on dÓnait dans l'antichambre de monsieur le duc d'AngoulÍme, de maniŤre qu'on semblait relťguť dans les piŤces extťrieures, comme lorsqu'on prÍte un local ŗ ses gens pour une fÍte qu'on leur donne. Je concevrais que les vieilles ťtiquettes de Versailles et de Louis XIV eussent pu continuer sans interruption, mais je n'imagine pas qu'on ait osť inventer de les renouveler. Louis XVIII y tenait extrÍmement et, sans l'ťtat de sa santť et l'espŤce d'humiliation que lui causaient ses infirmitťs, nous aurions revu les levers et les couchers avec toutes leurs ridicules cťrťmonies. Monsieur en avait moins le goŻt et, ŗ son avŤnement au trŰne, il a continuť l'usage ťtabli par son frŤre de borner le coucher ŗ une courte rťception des courtisans ayant les entrťes et les chefs de service qui venaient prendre le mot d'ordre. On ne disait plus: _je vais au coucher_, mais _je vais ŗ l'ordre_. Cela ťtait ŗ la fois plus digne et plus dťcent que ces habitudes de l'ancienne Cour dont le pauvre Louis XVI donnait chaque soir le spectacle. C'ťtait ŗ _l'ordre_ que les personnes de la Cour avaient occasion de parler au Roi sans Ítre obligťes de solliciter une audience. Aussi la permission d'aller ŗ _l'ordre_ ťtait-elle fort prisťe par les courtisans de la Restauration. Le favoritisme de monsieur Decazes s'ťtablissait de plus en plus; monsieur de Richelieu y poussait de toutes ses forces. Pourvu que le bien se fÓt, il lui ťtait bien indiffťrent par quel moyen et il n'ťtait pas homme ŗ trouver une mesure sage moins sage parce qu'elle s'obtenait par une autre influence que la sienne. Il ťtait trŤs sincŤrement enchantť que monsieur Decazes prÓt la peine de plaire au Roi et le voyait y rťussir avec une entiŤre satisfaction. Je crois, ŗ vrai dire, que monsieur Decazes avait le bon sens de ne s'en point targuer vis-ŗ-vis de ses collŤgues. Il mettait son crťdit en commun dans le Conseil, mais, vis-ŗ-vis du monde, il commenÁait ŗ dťployer sa faveur avec une joie de parvenu qui lui valait quelques ridicules. Le Roi, qui avait toujours eu besoin d'une idole, partageait ses adorations entre lui et sa soeur, madame Princeteau, bonne petite personne, bien bourgeoise, qu'il avait fait venir de Libourne pour tenir sa maison et qui ťtait fort gentille jusqu'ŗ ce que les fumťes de l'encens lui eussent tournť la tÍte. On a fait beaucoup d'histoires sur son compte; j'ignore avec quel fondement. Ce que je sais, c'est qu'elle paraissait uniquement dťvouťe ŗ son frŤre; et, si elle a eu un moment de crťdit personnel, elle le lui a rapportť tout entier. Pendant ce premier hiver de faveur, la maison de monsieur Decazes ťtait trŤs frťquentťe. La fuite de monsieur de La Valette avait bien apportť un lťger refroidissement; toutefois les plus chauds partisans de l'ancien rťgime y allaient assidŻment. On espťrait se servir de monsieur Decazes pour maintenir le Roi dans _la bonne voie_. La vanitť du ministre l'aurait assez volontiers poussť dans la phalange aristocratique qui, vers cette ťpoque, prit le nom d'_ultra_, si ses exigences n'ťtaient devenues de jour en jour plus grandes. Quant au monarque, il inspirait toujours beaucoup de mťfiance. Monsieur Lainť avait remplacť monsieur de Vaublanc dont les folies avaient comblť la mesure. Dans cette circonstance, monsieur de Richelieu, selon son usage, avait, en ayant raison dans le fond, mis les formes contre lui et l'avait chassť d'une faÁon qui fournissait au parti qu'il reprťsentait quelque prťtexte de plaintes. Au reste, les fureurs de monsieur de Vaublanc furent si absurdes qu'il se noya dans le ridicule. Le jour oý le nom de son successeur parut dans le _Moniteur_, je crus devoir aller faire une visite chez monsieur de Vaublanc. Je ne m'attendais pas ŗ Ítre reÁue; je fus admise quoique je n'eusse aucun rapport intime avec lui et les siens. La porte ťtait ouverte ŗ tout venant; il ťtait au milieu de ses paquets de ministre et de particulier; mÍlant les affaires d'…tat et de mťnage de la faÁon la plus comique. Un de ses commensaux vint lui raconter que son ministŤre serait partagť entre trois personnes: ęTrois, rťpondit-il sťrieusement, trois, ce n'est pas assez; ils ne peuvent pas me remplacer ŗ moins de cinq.Ľ Il ťnumťra sur ses doigts les cinq parties du ministŤre de l'intťrieur qui rťclament la vie entiŤre de tout autre homme mais que lui menait facilement toutes cinq de front, sans que rien fŻt jamais en retard; et il nous fit faire l'inventaire de ses portefeuilles pour que nous pussions tťmoigner que tout ťtait ŗ jour. Je n'ai jamais assistť ŗ scŤne plus bouffonne, d'autant que la plupart des assistants lui ťtaient aussi ťtrangers que moi. Je n'entrerai pas dans le rťcit des extravagances du parti ŗ la Chambre: elles sont trop importantes pour que l'histoire les nťglige; mais je ne puis m'empÍcher de raconter une histoire qui m'a amusťe dans le temps. Un vieux dťputť de pur sang qui, comme le roi de Sardaigne, voulait rťtablir l'ancien rťgime de tous points, rťclamait journellement et ŗ grands cris nos _anciens supplices_, comme il disait. Un collŤgue un peu plus avisť lui reprťsenta que, sans doute, cela serait fort dťsirable mais qu'il ne fallait pas susciter trop d'embarras au gouvernement du Roi et qu'il n'ťtait pas encore temps. ęAllons, mon ami, reprit le dťputť en soupirant, vous avez peut-Ítre raison, remettons la potence ŗ des temps plus heureux!Ľ On ne saurait assez dire combien ce mot: _Il n'est pas encore temps_, qui se trouvait sans cesse dans la bouche des habiles du parti royaliste en 1814 et 1815, a fait d'ennemis ŗ la royautť et l'influence qu'il a eue sur les Cent-Jours. Peut-Ítre ne l'employaient-ils que pour calmer les plus violents des leurs, mais les antagonistes y voyaient une de ces menaces vagues, d'autant plus alarmantes qu'elles sont illimitťes, et les chefs des diverses oppositions ne manquaient pas de l'exploiter avec zŤle. D'autres petites circonstances se renouvelaient sans cesse pour inspirer des doutes sur la bonne foi de la Cour. Jules de Polignac fut crťť pair; il refusa de siťger. Il ne pouvait, disait-il, lui, catholique, prÍter serment ŗ une charte reconnaissant la libertť des cultes. Le Roi nomma une commission de pairs pour l'arraisonner. Monsieur de Fontanes en ťtait, et je me rappelle qu'un jour oý on lui demandait si leurs confťrences avaient rťussi, il rťpondit avec un air de componction: ęJe ne sais ce qui en rťsultera; mais je sais qu'il faut tenir sa conscience ŗ deux mains pour ne pas cťder aux sentiments si nobles, si ťclairťs, si entraÓnants que je suis appelť ŗ ťcouter.Ľ Pour moi qui connaissais la logique de Jules, j'en conclus seulement que monsieur de Fontanes croyait ce langage de mise dans le salon, trŤs royaliste, oý il le tenait. Jules finit par cťder et prÍta serment; mais, pendant toute cette nťgociation qui dura longtemps, il ťtait ostensiblement caressť par Madame et par Monsieur, quoique ce prince eŻt prÍtť le serment que Jules refusait. Toutefois la Congrťgation, qui l'avait excitť au refus, craignit de s'Ítre trop avancťe. Elle voulait se faire connaÓtre sans se trop compromettre. Jules reÁut ordre de reculer. Monsieur le nomma publiquement adjudant gťnťral de la garde nationale, et lui confia, secrŤtement, la place de ministre de la police du gouvernement occulte, car son existence remonte jusqu'ŗ cette ťpoque, quoiqu'elle n'ait ťtť rťvťlťe que plus tard, et qu'il n'ait ťtť complŤtement organisť qu'aprŤs la dissolution de la Chambre introuvable. Le sťjour prolongť de la famille d'Orlťans en Angleterre n'ťtait pas entiŤrement volontaire. On avait contre elle de fortes prťventions au palais des Tuileries, et le cabinet commenÁait ŗ les partager. Presque tous les mťcontents invoquaient le nom de monsieur le duc d'Orlťans, et la conduite toujours un peu mťticuleuse de ce prince semblait justifier plus de dťfiance qu'elle n'en mťritait rťellement. Monsieur de La Ch‚tre, courtisan nť, favorisait des soupÁons qu'il savait plaire au Roi. Telle ťtait la situation des affaires lorsque je quittai Paris pour me rendre ŗ Londres. En ma qualitť de chroniqueur des petites circonstances, il me revient ŗ l'esprit ce qui se passa devant moi le jour oý j'allai prendre congť de madame la duchesse d'Orlťans douairiŤre. Je la trouvai trŤs prťoccupťe et fort agitťe dans l'attente du marquis de RiviŤre. Il partait le lendemain pour son ambassade de Constantinople. La princesse lui avait ťcrit deux fois dans la matinťe pour s'assurer sa visite. Monsieur de RiviŤre, mandť chez le Roi, ne pouvait disposer de lui-mÍme. Sa femme ťtait lŗ, promettant ŗ madame la duchesse d'Orlťans qu'il viendrait dŤs qu'il sortirait des Tuileries, sans pouvoir calmer son anxiťtť. Enfin il arriva. La joie que causa sa prťsence fut ťgale ŗ l'impatience avec laquelle il ťtait attendu. La princesse expliqua qu'elle avait un trŤs grand service ŗ lui demander: monsieur de Follemont prenait du cafť plusieurs fois par jour; il ťtait fort difficile et n'en trouvait que rarement ŗ son goŻt. Madame la duchesse d'Orlťans attachait un prix infini ŗ ce que l'ambassadeur de France ŗ Constantinople s'occup‚t de lui procurer le meilleur cafť de moka fourni par l'Orient. Le marquis de RiviŤre entra avec la patience exercťe d'un courtisan dans tous les dťtails les plus minutieux, enfin il ajouta: ęMadame veut-elle me dire combien elle en veut? --Mais, je ne sais pas ... beaucoup ... le cafť se garde-t-il? --Oui, madame, il s'amťliore mÍme. --Eh bien, j'en veux beaucoup ... une grande provision. --Je voudrais que madame me dÓt ŗ peu prŤs la quantitť? --Mais ... mais, j'en voudrais bien douze livres.Ľ Nous partÓmes tous d'un ťclat de rire. Elle aurait dit, tout de mÍme, douze cent mille livres. Malgrť l'ťmigration, elle n'avait acquis aucune idťe de la valeur des choses ou de l'argent. Les femmes de son ‚ge, avant la Rťvolution, conservaient une ignorance du matťriel de la vie qui aujourd'hui nous paraÓt fabuleuse. Il n'ťtait pas mÍme nťcessaire d'Ítre princesse. Madame de Preninville, femme d'un fermier gťnťral immensťment riche, s'informant de ce qu'ťtait devenu un joli petit enfant, fils d'un de ses gens, qu'elle voyait quelquefois jouer dans son antichambre, reÁut pour rťponse qu'il allait ŗ l'ťcole. ęAh! vous l'avez mis ŗ l'ťcole, et combien cela vous coŻte-t-il? --Un ťcu par mois, madame. --Un ťcu! C'est bien cher! J'espŤre au moins qu'il est bien nourri!Ľ J'entendais rťvoquer en doute, il y a quelques jours, que madame Victoire pŻt avoir eu la pensťe de nourrir le peuple de croŻte de p‚tť pendant une disette. Pour moi, j'y crois, d'abord parce que ma mŤre m'a dit que madame AdťlaÔde en plaisantait souvent sa soeur qui avait horreur de la croŻte de p‚tť, au point d'ťprouver de la rťpugnance ŗ en voir servir, et puis parce que j'ai encore vu et su tant de traits de cette ingťnuitť vraie et candide sur la vie rťelle que cela m'ťtonne beaucoup moins que la gťnťration nouvelle. SIXI»ME PARTIE L'ANGLETERRE ET LA FRANCE 1816-1820 CHAPITRE I Retour en Angleterre. -- Aspect de la campagne. -- Londres. -- Concert ŗ la Cour. -- Ma prťsentation. -- La reine Charlotte. -- …gards du prince rťgent pour elle. -- La duchesse d'York. -- La princesse Charlotte de Galles. -- Miss Mercer. -- Intrigue dťjouťe par le prince Lťopold de Saxe-Cobourg. -- La marquise d'Hertford. -- Habitudes du prince rťgent. -- DÓners ŗ Carlton House. AprŤs une absence de douze annťes, je revis l'Angleterre avec un vif intťrÍt. J'y retrouvais le charme des souvenirs. Je rentrais dans la patrie de ma premiŤre jeunesse; chaque dťtail m'ťtait familier et pourtant suffisamment ťloignť de ma pensťe journaliŤre pour avoir acquis le piquant de la nouveautť. C'ťtait un vieil ami, revenu de loin, qu'on retrouve avec joie et qui rappelle agrťablement le temps jadis, ce temps oý la vie, chargťe de moins d'ťvťnements, se porte plus lťgŤre et laisse, avec plus de regrets peut-Ítre, un penser bien plus doux ŗ repasser dans la mťmoire. Je fus trŤs frappťe de l'immense prospťritť du pays. Je ne crois pas qu'elle fŻt sensiblement augmentťe; mais l'habitude m'avait autrefois blasťe sur l'aspect qu'il prťsente au voyageur et l'absence m'y avait rendue plus attentive. Ces chemins si bien soignťs, sur lesquels des chevaux de poste, tenus comme nos plus ťlťgants attelages, vous font rouler si agrťablement, cette multitude de voitures publiques et privťes, toutes charmantes, ces innombrables ťtablissements qui ornent la campagne et donnent l'idťe de l'aisance dans toutes les classes de la sociťtť, depuis la cabane du paysan jusqu'au ch‚teau du seigneur, ces fenÍtres de la plus petite boutique offrant aux rares rayons du soleil des vitres dont l'ťclat n'est jamais terni par une lťgŤre souillure, ces populations si propres se transportant d'un village ŗ un autre par des sentiers que nous envierions dans nos jardins, ces beaux enfants si bien tenus et prenant leurs ťbats dans une libertť qui contraste avec le maintien rťservť du reste de la famille, tout cela m'ťtait familier et pourtant me frappait peut-Ítre plus vivement que si c'eŻt ťtť la premiŤre fois que j'en ťtais tťmoin. Je fis la route de Douvres ŗ Londres par un beau dimanche du mois de mai et dans un continuel enchantement. Il s'y mÍlait de temps en temps un secret sentiment d'envie pour ma patrie. Le Ciel lui a ťtť au moins aussi favorable; pourquoi n'a-t-elle pas acquis le mÍme degrť de prospťritť que ses voisins insulaires? Lorsque les chevaux de poste, suspendant leur course rapide, prirent cette allure fastidieuse qu'ils affectent dans Londres, que l'atmosphŤre lourde et enfumťe de cette grande ville me pesa sur la tÍte, que je vis ses silencieux habitants se suivant l'un l'autre sur leurs larges trottoirs comme un cortŤge funŤbre, que les portes, les fenÍtres, les boutiques fermťes semblŤrent annoncer autant de tristesse dans l'intťrieur des maisons que dans les rues, je sentis petit ŗ petit tout mon ťpanouissement de coeur se resserrer et, lorsque je descendis ŗ l'ambassade, mon enthousiasme sur l'Angleterre avait dťjŗ reÁu un ťchec. Quelque prodigieuse que soit la prospťritť commerciale de Londres et le luxe qu'on y dťploie dans toutes les classes de la sociťtť, je crois que son aspect paraÓtra bien moins remarquable ŗ un ťtranger que celui du reste de l'Angleterre. Cette grande citť, composťe de petites maisons pareilles et de larges rues tirťes au cordeau, toutes semblables les unes aux autres, est frappťe de monotonie et d'ennui. Aucun monument ne vint rťveiller l'attention fatiguťe. Quand on s'est promenť cinq minutes, on peut se promener cinq jours dans des quartiers toujours diffťrents et toujours pareils. La Tamise, aussi bien que son immense mouvement qui attacherait un caractŤre particulier ŗ cette capitale du monde britannique, est soigneusement cachťe de toute part. Il faut une volontť assez intelligente pour parvenir ŗ l'apercevoir, mÍme en l'allant chercher. On a pu voir partout des rues qui ressemblent ŗ celles de Londres, mais je ne crois pas qu'aucun autre pays puisse donner idťe de la campagne en Angleterre. Je n'en connais point oý elle soit autant en contraste avec la ville. On y voit un autre ciel; on y respire un autre air. Les arbres y ont un autre aspect; les plantes s'y montrent d'une autre couleur. Enfin c'est une autre population, quoique l'habitant du Northumberland ou du Devonshire soit parfaitement semblable ŗ celui du promeneur de Piccadilly. On conÁoit, au reste, que le nuage orange, striť de noir, de brun, de gris, saturť de suie, qui semble un vaste ťteignoir placť sur la ville, influe sur le moral de la population et agisse sur ses dispositions. Aussi n'y a-t-il aucune langue oý l'on vante les charmes de la campagne, en vers et en prose, avec une passion plus vive et plus sincŤre que dans la littťrature anglaise. Quiconque aura passť trois mois ŗ Londres comprendra le bien-Ítre tout matťriel qu'on ťprouve en en sortant. Malgrť les vertiges qu'elle cause aux nouveaux dťbarquťs, cette atmosphŤre si triste n'est pas malsaine; on s'y accoutume bientŰt assez pour ne plus s'apercevoir qu'on en souffre. J'ai entendu attribuer la salubritť de Londres au mouvement que la marťe apporte quatre fois le jour dans la Tamise. Ce grand dťplacement forme un ventilateur naturel qui agite et assainit cet air qui paraÓt ťpais, mÍme ŗ la vue, et laisse sur les vÍtements les preuves positives que l'oeil ne s'est pas trompť. La robe blanche, mise le matin, porte avant la fin de la journťe des traces de souillures qu'une semaine ne lui infligerait pas ŗ Paris. L'extrÍme recherche des habitants, leur propretť, rendue indispensable par de telles circonstances, ont tirť parti de ces nťcessitťs pour en combattre la mauvaise influence; et l'aspect des maisons aussi bien que des personnes n'offre que les apparences de la plus complŤte nettetť. Si ma longue absence m'avait rendue plus sensible aux charmes de la route, je l'ťtais davantage aussi aux inconvťnients de Londres qui ne m'avaient guŤre frappťe jusque-lŗ. Dans la premiŤre jeunesse, on s'occupe peu des objets extťrieurs. Le surlendemain de mon arrivťe, le prince rťgent donnait un concert ŗ la Reine sa mŤre. Pour Ítre admis, il fallait Ítre prťsentť. La Reine, me sachant ŗ Londres, eut la bontť de se souvenir que je l'avais ťtť autrefois et me fit inviter. Mes parents dÓnaient ŗ Carlton House. J'y arrivai seule le soir, pensant me mÍler inaperÁue dans la foule. Il ťtait un peu tard; le concert ťtait dťjŗ commencť. La salle, en galerie, ťtait partagťe par des colonnes en trois parties ŗ peu prŤs ťgales. Celle du milieu se trouvait exclusivement occupťe par la Cour et les musiciens placťs vis-ŗ-vis de la Reine, des princesses, de leurs dames, des ambassadrices et de quelques autres femmes ayant les grandes entrťes qui ťtaient assises. Tout le reste de la sociťtť se tenait dans les parties latťrales, sťparťes par les colonnes, et restait debout. On circulait dans les autres salons, selon l'usage gťnťral du pays, oý un concert ŗ banquettes paraÓtrait horriblement ennuyeux. Je trouvai ŗ la porte lady Macclesfield, une des dames du palais. Elle m'attendait pour me conduire ŗ la Reine et, sans me donner un instant pour respirer, me mena ŗ travers tout ce monde, toute cette musique, tout ce silence et tout ce vide jusqu'ŗ Sa Majestť. Je n'avais pas encore eu le temps d'avoir grand'peur; mais, au moment oý j'approchai, la Reine se leva en pied, et les quarante personnes qui l'entouraient imitŤrent son mouvement. Ce froufrou, auquel je ne m'attendais pas, commenÁa ŗ m'intimider. La Reine fut trŤs bonne et trŤs gracieuse, je crois; mais, pendant tout le temps qu'elle me parlait, je m'ťtais occupťe que de l'idťe de mťnager ma retraite. Lady Macclesfield m'avait quittťe pour reprendre sa place parmi ses compagnes. Lorsque la Reine fit la petite indication de tÍte qui annonÁait l'audience terminťe, je sentis le parquet s'effondrer sous mes pas. J'ťtais lŗ, seule, abandonnťe, portant les yeux de toute l'Angleterre braquťs sur ma personne et ayant un vťritable voyage ŗ faire pour regagner, dans cet isolement, les groupes placťs derriŤre les colonnes. Je ne sais pas comment j'y arrivai. J'avais ťtť prťsentťe ŗ bien des Cours et ŗ bien des potentats. Je n'ťtais plus assez jeune pour conserver une grande timiditť; j'avais l'habitude du monde et pourtant il me reste de cette soirťe et de cette prťsentation de faveur un souvenir formidable. Ce n'est pas que la reine Charlotte fut d'un aspect bien imposant. Qu'on se figure un pain de sucre couvert de brocart d'or et on aura une idťe assez exacte de sa tournure. Elle n'avait jamais ťtť grande et, depuis quelques annťes, elle ťtait rapetissťe et complŤtement dťformťe. Sa tÍte, placťe sur un col extrÍmement court, prťsentait un visage renfrognť, jaune, ridť, accompagnť de cheveux gris poudrťs ŗ frimas. Elle ťtait coiffťe en bonnet, en turban, en toque, selon l'occasion, mais toujours je lui ai vu une petite couronne fermťe, en pierreries, ajoutťe ŗ sa coiffure. J'ai entendu dire qu'elle ne la quittait jamais. Malgrť cette figure hťtťroclite, elle ne manquait pourtant pas d'une sorte de dignitť; elle tenait sa cour ŗ merveille, avec une extrÍme politesse et des nuances fort variťes. SťvŤre pour la conduite des femmes, elle se piquait d'une grande impartialitť; et souvent un regard froid, ou une parole moins obligeante de la Reine ŗ une de ses protťgťes, a suffi pour arrÍter une jeune personne sur les bords du prťcipice. Pour les femmes divorcťes, elle ťtait inexorable. Jamais aucune, quelque excuse que le public lui donn‚t, quelque bonne que fŻt sa conduite ultťrieure, n'a pu franchir le seuil du palais. Lady Holland en a ťtť une preuve bien marquante: son esprit, son influence politique, la domination qu'elle exerÁait sur son mari, lui avaient reconquis une existence sociale. Refuser d'aller ŗ Holland House aurait paru une bťgueulerie ŗ peine avouable. Lady Holland y tenait une cour frťquentťe par tout ce qu'il y avait de plus distinguť en anglais et en ťtrangers; mais, quelques soins qu'elle se soit donnťs, quelques nťgociateurs qu'elle ait employťs, et le prince rťgent a ťtť du nombre, jamais, tant que la vieille Reine a vťcu, elle n'a pu paraÓtre ŗ celle de Saint-James. Je n'oserais dire que la Reine fŻt aimťe, mais elle ťtait vťnťrťe. Le prince rťgent donnait l'exemple des ťgards. Il ťtait trŤs soigneux et trŤs tendre pour elle en particulier. En public, il la comblait d'hommages. Je fus frappťe, le soir de ce concert, de voir un valet de chambre apporter un petit plateau, avec une tasse de thť, un sucrier et un pot ŗ crŤme et le remettre au Rťgent qui le prťsenta lui-mÍme ŗ sa mŤre. Il resta debout devant elle pendant tout le temps qu'elle arrangea sa tasse, sans se lever, sans se presser, sans interrompre sa conversation. Seulement elle lui disait toujours en anglais, quelque langue qu'elle parl‚t dans le moment: _Thank you, George._ Elle rťpťtait le mÍme remerciement dans les mÍmes termes lorsque le prince rťgent reprenait le plateau des mains du valet de chambre pour recevoir la tasse vide. C'ťtait l'usage constant. Cette cťrťmonie se renouvelait deux ŗ trois fois dans la soirťe, mais n'avait lieu que lorsque la Reine ťtait chez le prince. Chez elle, c'ťtait ordinairement une des princesses, quelquefois un des princes, jamais le Rťgent, mais toujours un de ses enfants qui lui prťsentait sa tasse de thť. Tous les autres membres de la famille royale, y compris le Rťgent, partageaient les rafraÓchissements prťparťs pour le reste de la sociťtť, sans aucune distinction. En gťnťral, autant l'ťtiquette ťtait sťvŤrement observťe pour la Reine, autant il en existait peu pour les autres. Les princes et princesses recevaient et rendaient des visites comme de simples particuliers. Je me rappelle que, ce mÍme soir, oý j'avais subi la prťsentation ŗ la Reine, me trouvant peu ťloignťe d'une petite femme trŤs blonde que douze annťes d'absence avaient effacťe de mon souvenir, elle dit ŗ lady Charlotte Greville avec laquelle je parlais: ęLady Charlotte, nommez-moi ŗ madame de Boigne.Ľ C'ťtait la duchesse d'York; elle resta longtemps ŗ causer avec nous sur tout et de toutes choses, avec une grande aisance et sans aucune forme princiŤre. Le lendemain, ma mŤre me mena faire des visites ŗ toutes les princesses; nous laiss‚mes des cartes chez celles qui ne nous admirent pas et la prťsentation fut faite. La princesse Charlotte de Galles, mariťe au prince de Cobourg, ťtait encore plongťe dans les douceurs de la lune de miel et ne quittait pas la campagne. Ma mŤre avait assistť ŗ son mariage, bťni dans un salon de Carlton House. Lorsque, plus tard, je lui dis combien je regrettais n'avoir pas partagť cet honneur, elle me rťpondit: ęVous avez raison; c'est un spectacle rare que l'hťritiŤre d'un royaume faisant un mariage d'amour et donnant sa main lŗ oý son coeur est dťjŗ engagť. En tout, le bonheur parfait n'est pas commun; je serai charmťe que vous veniez souvent en Ítre tťmoin ŗ Claremont.Ľ Pauvre princesse!... Je ne fis connaissance avec elle qu'ŗ un autre voyage. En ce moment, j'en entendais beaucoup parler. Elle ťtait fort populaire, affectait les maniŤres brusques attribuťes ŗ la reine …lisabeth qu'elle portait mÍme jusqu'ŗ avoir adoptť ses jurons. Elle ťtait trŤs tranchťe dans ses opinions politiques, accueillait avec des serrements de main les plus affectueux tous les hommes, jeunes ou vieux, qu'elle regardait comme de son parti, ne manquait pas une occasion de marquer de l'opposition au gouvernement de son pŤre et de l'hostilitť personnelle ŗ sa grand'mŤre et ŗ ses tantes. Elle professait une vive tendresse pour sa mŤre qu'elle regardait comme sacrifiťe aux malveillances de sa famille. La princesse Charlotte recherchait avec soin les occasions d'Ítre impertinente pour les femmes qui composaient la sociťtť particuliŤre du Rťgent. On lui avait persuadť que son pŤre avait eu le dťsir de faire casser son mariage et de nier la lťgitimitť de sa naissance. Je ne sais si cela a quelque fondement; en tout cas ses droits ťtaient inscrits sur son visage: elle ressemblait prodigieusement au prince. Elle ťtait nťe neuf mois aprŤs le mariage dont l'intimitť n'avait pas durť beaucoup de jours. Il est certain que le prince de Galles avait tenu ŗ cette ťpoque beaucoup de mauvais propos que la conduite de sa femme n'a que trop justifiťs; mais je ne sache pas qu'il ait jamais pensť ŗ attaquer l'existence de la princesse Charlotte. Il accusait miss Mercer d'avoir montť la tÍte de la jeune princesse en lui racontant cette fable; il l'avait expulsťe du palais et la dťtestait cordialement. Miss Mercer conservait une correspondance clandestine avec la princesse Charlotte. Elle avait excitť ses rťpugnances contre le prince d'Orange que le cabinet anglais dťsirait lui faire ťpouser et encouragť le goŻt que la grande-duchesse Catherine de Russie avait cherchť ŗ lui faire prendre pour le prince Lťopold de Saxe-Cobourg. Cette intrigue avait ťtť conduite par ces deux femmes jusqu'au point d'amener la princesse Charlotte ŗ dťclarer qu'elle voulait ťpouser le prince Lťopold et ťtait dťcidťe ŗ refuser tout autre parti. L'opposition l'appuyait. Miss Mercer, fille de lord Keith, riche hťritiŤre mais fort laide, prťtendait de son cŰtť ťpouser le duc de Devonshire et lui apporter en dot son crťdit sur la future souveraine. Tout le parti whig, applaudissant ŗ cette alliance, s'ťtait liguť pour y dťterminer le duc. Je ne sais s'il y aurait rťussi; mais, lorsque le mariage de la princesse semblait avoir assurť le succŤs de cette longue intrigue, elle ťchoua complŤtement devant le bon sens du prince Lťopold. Il profita de la passion qu'il inspirait ŗ sa femme pour l'ťloigner de la coterie dont elle ťtait obsťdťe, la rapprocher de sa famille et changer son attitude politique et sociale. Ce ne fut pas l'affaire d'un jour, mais il s'en occupa tout de suite et, dŤs la premiŤre semaine, miss Mercer, s'ťtant rendue ŗ Claremont aprŤs y avoir ťcrit quelques billets restťs sans rťponse, y fut reÁue si froidement qu'elle dut abrťger sa visite, au point d'aller rechercher au village sa voiture qu'elle y avait renvoyťe. Des plaintes amenŤrent des explications dont le rťsultat fut que la princesse manquerait de respect ŗ son pŤre en recevant chez elle une personne qu'il lui avait dťfendu de voir. Miss Mercer fut outrťe; le parti de l'opposition cessa d'attacher aucun prix ŗ son mariage avec le duc de Devonshire et tout le monde se moqua d'elle d'y avoir prťtendu. Pour cacher sa dťconvenue, elle affecta de s'ťprendre d'une belle passion pour monsieur de Flahaut que ses succŤs auprŤs de deux reines du sang impťrial bonapartiste avaient inscrit au premier rang dans les fastes de la galanterie. Il ťtait prťcisťment ce qu'on peut appeler un charmant jeune homme et habile dans l'art de plaire. Il dťploya tout son talent. Miss Mercer se trouva peut-Ítre plus engagťe qu'elle ne comptait d'abord. Lord Keith se dťclara hautement contre cette liaison; elle en acquit plus de prix aux yeux de sa fille. Quelques mois aprŤs, elle ťpousa monsieur de Flahaut, malgrť la volontť formelle de son pŤre qui ne lui a jamais tout ŗ fait pardonnť et l'a privťe d'une grande partie de sa fortune. Madame de Flahaut n'a pas dťmenti les prťcťdents de miss Mercer: elle a conservť le goŻt le plus vif pour les intrigues politiques et les tracasseries sociales. Le prince rťgent menait la vie d'un homme du monde. Il allait dÓner chez les particuliers et assistait aux rťunions du soir. Ces habitudes donnaient une existence ŗ part aux ambassadeurs; ils ťtaient constamment priťs dans les mÍmes lieux que le prince et il en ťtait presque exclusivement entourť. ņ tous les dÓners, il ťtait toujours ŗ table entre deux ambassadrices; dans les soirťes, il se plaÁait ordinairement sur un sopha ŗ cŰtť de lady Hertford et appelait une ambassadrice de l'autre cŰtť. Lady Hertford, qu'on nommait _la marquise_ par excellence, ťtait alors la reine de ses pensťes. Elle avait ťtť trŤs belle, mais elle avait la cinquantaine bien sonnťe et il y paraissait, quoiqu'elle fŻt trŤs parťe et trŤs pomponnťe. Elle avait le maintien rigide, la parole empesťe, le langage pťdant et chaste, l'air calme et froid. Elle imposait au prince et exerÁait sur lui beaucoup d'empire, ťtait trŤs grande dame, avait un immense ťtat et trouvait qu'en se laissant quotidiennement ennuyer par le souverain elle lui accordait grande faveur. La princesse Charlotte avait essuyť ses dťdains envers elle, mais elle lui avait rendu impertinence pour impertinence. La vieille Reine l'accueillait avec des ťgards qui tťmoignaient de la bonne opinion qu'elle lui conservait et lady Hertford promenait son _torysme_ dans les salons avec toute la hauteur d'une sultane. Le prince se levait extrÍmement tard; sa toilette ťtait ťternelle. Il restait deux heures entiŤres en robe de chambre. Dans cet intťrieur, il admettait quelques intimes, ses ministres et les ambassadeurs ťtrangers lorsqu'ils lui faisaient demander ŗ entrer. C'ťtait ce qui lui plaisait le mieux. Si on ťcrivait pour obtenir une audience ou qu'on la lui demand‚t d'avance, il recevait habillť et dans son salon, mais cela dťrangeait ses habitudes et le gÍnait. En se prťsentant ŗ sa porte sans avoir prťvenu, il ťtait rare qu'on ne fŻt pas admis. Il commenÁait la conversation par une lťgŤre excuse sur le dťsordre oý on le trouvait, mais il en ťtait de meilleure humeur et plus disposť ŗ la causerie. Il n'achevait sa toilette qu'au dernier moment, lorsqu'on lui annonÁait ses chevaux. Il montait ŗ cheval, suivi d'un seul palefrenier, et allait au Parc oý il se laissait aborder facilement. ņ moins qu'il ne dÓt: ęPromenons-nous ensembleĽ, on se bornait ŗ en recevoir un mot en passant sans essayer de le suivre. Quand il s'arrÍtait, c'ťtait une grande politesse, mais elle excluait la familiaritť et on ne l'accompagnait pas. La premiŤre annťe, il s'arrÍtait pour mon pŤre, mais, lorsqu'il le traita plus amicalement, ou il l'engageait ŗ se promener avec lui, ou il lui faisait un signe de la main en passant sans jamais s'arrÍter. Du Parc il se rendait chez lady Hertford oý il achevait sa matinťe. Plus habituellement sa voiture l'y venait prendre, quelquefois il revenait ŗ cheval. Il fallait Ítre trŤs avant dans sa faveur pour que lady Hertford engage‚t ŗ venir chez elle ŗ l'heure du prince, et encore trouvait-on souvent la porte fermťe. Les ministres y allaient frťquemment. Lady Hertford sans avoir beaucoup d'esprit, avait un grand bon sens, n'entrait dans aucune intrigue, ne voulait rien pour elle ni pour les siens; elle ťtait au fond la meilleure intimitť que le prince, ŗ qui la sociťtť des femmes ťtait nťcessaire, pŻt choisir. Les ministres ont eu occasion de s'en persuader encore davantage lorsque le Rťgent, devenu roi, a remplacť cette affection, toute de convenance, par une fantaisie pour lady Conyngham dont le ridicule n'a pas ťtť le seul inconvťnient. Le prince rťgent avait trois maniŤres d'inviter ŗ dÓner. Sur une ťnorme carte, le grand chambellan prťvenait _par ordre_ qu'on ťtait conviť _pour rencontrer la Reine_. Alors, on ťtait en grand uniforme. Le secrťtaire intime, sir Benjamin Bloomfield, avertissait par un petit billet personnel, ťcrit ŗ la main, que le prince priait pour tel jour. Alors, c'ťtait en frac et la forme la plus ordinaire. Elle s'adressait aux femmes comme aux hommes. Les dÓners n'ťtaient jamais de plus de vingt et ordinairement de douze ŗ quinze personnes. La troisiŤme maniŤre ťtait rťservťe pour les intimes. Le prince envoyait, le matin mÍme, un valet de pied dire verbalement que, si monsieur un tel ťtait tout ŗ fait libre et n'avait rien ŗ faire, le prince l'engageait ŗ venir dÓner ŗ Carlton House, mais il le priait surtout de ne pas se gÍner. Il ťtait bien entendu cependant qu'on n'avait jamais autre chose ŗ faire, et je crois que le prince aurait trouvť trŤs ťtrange qu'on ne se rendit pas ŗ cette invitation. Mon pŤre avait fini par la recevoir trŤs frťquemment. Elle ne s'adressait jamais aux femmes. Ces dÓners n'ťtaient que de cinq ŗ six personnes et la liste des invitťs ťtait fort limitťe. CHAPITRE II Le corps diplomatique. -- La comtesse de Lieven. -- La princesse Paul Esterhazy. -- Vie des femmes anglaises. -- Leur enfance. -- Leur jeunesse. -- Leur ‚ge mŻr. -- Leur vieillesse. -- Leur mort. -- Sort des veuves. La ligne de dťmarcation entre les ambassadeurs et les ministres plťnipotentiaires est plus marquťe ŗ la Cour d'Angleterre qu'ŗ aucune autre. Les ambassadeurs ťtaient de tout, les ministres de rien. Je ne pense pas qu'aucun d'entre eux, si ce n'est peut-Ítre le ministre de Prusse et encore bien rarement, ait dÓnť ŗ Carlton House. Ils n'allaient pas aux soirťes de la Reine oý l'on admettait pourtant quelquefois les ťtrangers de distinction qu'ils avaient prťsentťs et, dans les salons, ils ne jouissaient d'aucune prťrogative, tandis que les ambassadeurs prenaient le pas sur tout le monde. Cette grande diffťrence dťplaisait ŗ une partie du corps diplomatique, sans nuire pourtant ŗ sa bonne intelligence qui n'a pas ťtť troublťe pendant mon sťjour en Angleterre. La comtesse de Lieven y tenait la premiŤre place: ťtablie depuis longtemps dans le pays, elle y avait une importance sociale et une influence politique toute personnelle qu'on ne pouvait lui disputer. L'arrivťe de la princesse Paul Esterhazy lui avait causť de vives inquiťtudes. L'Autriche ťtait alors l'alliťe la plus intime du cabinet anglais. Lord Castlereagh subissait l'influence du prince de Metternich. Paul Esterhazy, fort bien traitť par le Rťgent, ťtait dŤs longtemps trŤs accueilli dans la sociťtť. La jeune femme qu'il ramenait se trouvait petite niŤce de la Reine, propre niŤce de la duchesse de Cumberland, cousine et bientŰt favorite de la princesse Charlotte. C'ťtaient bien des moyens de succŤs. La comtesse de Lieven en frťmit et ne put cacher son dťpit, car, en outre de ses autres avantages, la nouvelle ambassadrice ťtait plus jeune, plus jolie, et avait un impertinent embonpoint qui offusquait la dťsespťrante maigreur de sa rivale. Cependant elle s'aperÁut promptement que la princesse ne profiterait pas de sa brillante position. Toute aux regrets d'une absence forcťe de Vienne, elle pťrissait de chagrin ŗ Londres et, au bout de fort peu de mois, elle obtint la permission de retourner en Allemagne. Elle ťtait ŗ cette ťpoque fort gentille et fort bonne enfant; nous la voyions beaucoup, elle se rťfugiait dans notre intťrieur contre les ennuis du sien et contre les politesses hostiles et perfides de la comtesse de Lieven. Je dois convenir lui en avoir vu exercer envers la princesse Esterhazy. Pour nous, elle a ťtť uniformťment gracieuse et obligeante; nous n'offusquions en rien ses prťtentions. La France, ťcrasťe par une occupation militaire et les sommes ťnormes qui lui ťtaient imposťes, avait besoin de tout le monde pour l'aider ŗ soulever quelque peu de ce fardeau et n'ťtait en mesure de disputer le pavť ŗ personne. La comtesse, devenue princesse de Lieven, a un esprit extrÍmement distinguť, exclusivement appliquť ŗ la diplomatie plus encore qu'ŗ la politique. Pour elle tout se rťduit ŗ des questions de personnes. Un long sťjour en Angleterre n'a pu, sous ce point de vue, ťlargir ses premiŤres idťes russes, et c'est surtout cette faÁon d'envisager les ťvťnements qui lui a acquis et peut-Ítre mťritť la rťputation d'Ítre trŤs intrigante. En 1816, elle ťtait peu aimťe mais fort redoutťe ŗ Londres. On y tenait beaucoup de mauvais propos sur sa conduite personnelle, et la vieille Reine tťmoignait parfois un peu d'humeur de la nťcessitť oý elle se trouvait de l'accueillir avec distinction. Madame de Lieven n'aurait pas tolťrť la moindre nťgligence en ce genre. Je ne saurais dire ce qu'est monsieur de Lieven, certainement homme de fort bonne compagnie et de trŤs grandes maniŤres, parlant peu mais ŗ propos, froid mais poli. Quelques-uns le disent trŤs profond, le plus grand nombre le croient trŤs creux. Je l'ai beaucoup vu et j'avoue n'avoir aucune opinion personnelle. Il ťtait complŤtement ťclipsť par la supťrioritť incontestťe de sa femme qui affectait cependant de lui rendre beaucoup et semblait lui Ítre ťgalement soumise et attachťe. On ne la voyait presque jamais sans lui: ŗ pied, en voiture, ŗ la ville, ŗ la campagne, dans le monde, partout on les trouvait ensemble; et pourtant personne ne croyait ŗ l'union sincŤre de ce mťnage. Le prince Paul Esterhazy, grand seigneur, bon enfant, ne manque ni d'esprit, ni de capacitť dans les affaires. Il est infiniment moins nul qu'un rire assez niais a autorisť ses dťtracteurs ŗ le publier pendant longtemps. Il est difficile de se prťsenter dans le monde avec autant d'avantages de position sans y exciter des jalousies. Parmi les hommes du corps diplomatique, le comte Palmella ťtait le seul remarquable. Il a jouť un assez grand rŰle dans les vicissitudes du royaume de Portugal pour que l'histoire se charge du soin d'apprťcier tout le bien et tout le mal que les partis en ont dit. Je n'ai aucun renseignement particulier sur lui: on m'a souvent avertie qu'il avait beaucoup d'esprit; je n'en ai jamais ťtť frappťe. Il ťtait joueur et menait ŗ Londres une vie dťsordonnťe qui l'ťloignait de l'intimitť de ses collŤgues et lui causait du malaise vis-ŗ-vis d'eux. Je me retrouvai ŗ peu prŤs ťtrangŤre dans le monde anglais; la sociťtť s'ťtait presque entiŤrement renouvelťe. La mort y avait fait sa cruelle rťcolte; beaucoup de mes anciennes amies avaient succombť. Un assez grand nombre voyageaient sur le continent que la paix avait enfin rouvert ŗ l'humeur vagabonde des insulaires britanniques; d'autres ťtaient ťtablies ŗ la campagne. Les plus jeunes se livraient aux soins de l'ťducation de leurs enfants; celles plus ‚gťes subissaient la terrible corvťe de mener leurs filles ŗ la quÍte d'un mari. Je ne connais pas un mťtier plus pťnible. Il faut beaucoup d'esprit pour pouvoir y conserver un peu de dignitť; aussi est-il assez gťnťralement admis que les mŤres peuvent en manquer impunťment dans cette phase de leur carriŤre. La vie des anglaises est mal arrangťe pour l'‚ge mŻr; cette indťpendance de la famille dont le poŤte a si bien peint le rťsultat: That independence Briton's prize so high, Keeps man from man, and breaks the social tye, pŤse principalement sur les femmes. L'enfance, trŤs soignťe, est ordinairement heureuse; elle est censťe durer jusqu'ŗ dix-sept ou dix-huit ans. ņ cet ‚ge, on quitte la _nursery_; on est prťsentť ŗ la Cour; le nom de la fille est gravť sur la carte de visite de la mŤre; elle est menťe en tout lieu et passe immťdiatement de la retraite complŤte ŗ la plus grande dissipation. C'est le moment de la chasse au mari. Les filles y jouent aussi leur rŰle, font des avances trŤs marquťes et ordinairement ont grand soin de _tomber amoureuses_, selon l'expression reÁue, des hommes dont la position sociale leur paraÓt la plus brillante. S'il joint un titre ŗ une grande fortune, alors tous les coeurs de dix-huit ans sont ŗ sa disposition. L'habiletť du chaperon consiste ŗ laisser assez de libertť aux jeunes gens pour que l'homme ait occasion de se laisser sťduire et engager, et pas assez pour que la demoiselle soit compromise, si on n'obtient pas de succŤs. Toutefois, le remŤde est ŗ cŰtť du mal. Un homme qui rendrait des soins assidus ŗ une jeune fille pendant quelques mois et qui se retirerait sans _proposer_, comme on dit, serait bl‚mť, et, s'il rťpťtait une pareille conduite, trouverait toutes les portes fermťes. On a accusť quelques jeunes gens ŗ la mode d'avoir su _proposer_ avec une telle adresse qu'il ťtait impossible _d'accepter_; mais cela est rare. Ordinairement, les _assiduitťs_, pour me servir toujours du vocabulaire convenu, amŤnent une dťclaration d'amour en forme ŗ la demoiselle et, par suite, une demande en mariage aux parents. C'est pour arriver ŗ ces _assiduitťs_ qu'il faut souvent jeter la ligne plusieurs campagnes de suite. Cela est tellement dans les moeurs du pays que, lorsqu'une jeune fille a atteint ses dix-huit ans et que sa mŤre, pour une cause quelconque, ne peut la mener, on la confie ŗ une parente, ou mÍme ŗ une amie, pour la conduire ŗ la ville, aux eaux, dans les lieux publics, en un mot lŗ oý elle peut trouver des _chances_. Les parents qui s'y refuseraient seraient hautement bl‚mťs comme manquant ŗ tous leurs devoirs. Il est ťtabli qu'ŗ cet ‚ge une demoiselle entre en vente et qu'on doit la diriger sur les meilleurs marchťs. J'ai entendu une tante, ramenant une charmante jeune niŤce qu'elle avait conduite ŗ des eaux trŤs frťquentťes, dire ŗ la mŤre devant elle: ęWe have had no bite as yet this season, but several glorious nibblesĽ, et proposer de l'y ramener l'annťe suivante, si l'hameÁon n'avait pas rťussi ailleurs. Comme on est toujours censť se marier par amour, et qu'ordinairement il y en a un peu, du moins d'un cŰtť, les premiŤres annťes de mariage sont celles oý les femmes vivent le plus dans leur intťrieur. Si leur mari a un goŻt dominant, et les anglais en professent presque toujours, elles s'y associent. Elles sont trŤs maÓtresses dans leur mťnage, et souvent, ŗ l'aide de quelques phrases banales de soumission, dominent mÍme la communautť. Les enfants arrivent. Elles les soignent admirablement; la maison s'anime. Le mari, l'amour passť, conserve quelque temps encore les habitudes casaniŤres. L'ennui survient ŗ son tour. On va voyager. Au retour, on se dit qu'il faut rťtablir des relations nťgligťes, afin de produire dans le monde plus avantageusement les filles qui grandissent. C'est lŗ le moment de la coquetterie pour les femmes anglaises, et celui oý elles succombent quelquefois. C'est alors qu'on voit des mŤres de famille, touchant ŗ la quarantaine, s'ťprendre de jeunes gens de vingt-cinq ans et fuir avec eux le domicile conjugal oý elles abandonnent de nombreux enfants. Lorsqu'elles ont ťchappť ŗ ce danger, et assurťment c'est la grande majoritť, arrive ce mťtier de promeneuse de filles qui me paraÓt si dur. Pour les demoiselles, la situation est supportable; elles ont des distractions. La dissipation les amuse souvent; elles y prennent [goŻt] naturellement et gaiement. Mais, pour les pauvres mŤres, on les voit toujours ŗ la besogne, s'inquiťtant de tous les bons partis, de leurs allures, de leurs habitudes, de leurs goŻts, les suivant ŗ la piste, s'agitant pour les faire rencontrer ŗ leurs filles. Leur visage s'ťpanouit quand un frŤre aÓnť vient les prier ŗ danser; si elles causent avec un cadet, en revanche, les mŤres s'agitent sur leurs banquettes et paraissent au supplice. Sans doute les plus spirituelles dissimulent mieux cet ťtat d'anxiťtť perpťtuel, mais il existe pour toutes. Et qu'on ne me dise pas que ce n'est que dans la classe vulgaire de la sociťtť, c'est dans toutes. En 1816, aucune demoiselle anglaise ne valsait. Le duc de Devonshire arriva d'un voyage en Allemagne; il raconta un soir, ŗ un grand bal, qu'une femme n'ťtait complŤtement ŗ son avantage qu'en valsant, que rien ne la faisait mieux valoir. Je ne sais si c'ťtait malice de sa part, mais il rťpťta plusieurs fois cette assertion. Elle circula et, au bal prochain, toutes les demoiselles valsaient. Le duc les admira beaucoup, dit que cela ťtait charmant et animait parfaitement un bal, puis ajouta nťgligemment que, pour lui, il ne se dťciderait jamais ŗ ťpouser une femme qui valserait. C'est ŗ la duchesse de Richemond et ŗ Carlton House qu'il fit cette rťvťlation. La pauvre duchesse, la plus maladroite de ces mŤres ŗ projets, pensa tomber ŗ la renverse. Elle la rťpťta ŗ ses voisines qui la redirent aux leurs; la consternation gagna de banquette en banquette. Les rires des personnes dťsintťressťes et malveillantes ťclatŤrent. Pendant tout ce temps, les jeunes ladys valsaient en sŻretť de conscience; les vieilles enrageaient; enfin la malencontreuse danse s'acheva. Avant la fin de la soirťe, la bonne duchesse de Richemond avait ťtabli que ses filles ťprouvaient une telle rťpugnance pour la valse qu'elle renonÁait ŗ obtenir d'elles de la surmonter. Quelques jeunes filles plus fiŤres continuŤrent ŗ valser; le grand nombre cessa. Les habiles dťcidŤrent qu'on valsait exclusivement ŗ Carlton House pour plaire ŗ la vieille Reine qui aimait cette danse nationale de son pays. Il est certain que, malgrť son excessive pruderie, elle semblait prendre grand plaisir ŗ retrouver ce souvenir de sa jeunesse. La rude t‚che de la mŤre se prolonge, plus ou moins, selon le nombre de ses filles et la facilitť qu'elle trouve ŗ les placer. Une fois mariťes, elles lui deviennent ťtrangŤres, au point qu'on s'invite rťciproquement ŗ dÓner, par ťcrit, huit jours d'avance. En aucun pays le prťcepte de l'…vangile: _PŤre et mŤre quitteras pour suivre ton mari_, n'est entrť plus profondťment dans les moeurs. D'un autre cŰtť, dŤs que le fils aÓnť a atteint ses vingt et un ans, son premier soin est de se faire un ťtablissement ŗ part. Cela est tellement convenu que le pŤre s'empresse de lui en faciliter les moyens. Quant aux cadets, la nťcessitť de prendre une carriŤre, pour acquťrir de quoi vivre, les a depuis longtemps ťloignťs de la maison paternelle. Suivons la mŤre. La voilŗ rentrťe dans son intťrieur devenu complŤtement solitaire, car, pendant le temps, de ces dissipations forcťes, le mari a pris l'habitude de passer sa vie au club. Que fera-t-elle? Supportera-t-elle cet isolement dans le moment de la vie oý on a le plus besoin d'Ítre entourť? On ne saurait l'exiger. Elle ira augmenter ce nombre de vieilles femmes qui peuplent les assemblťes de Londres, se parant chaque jour, veillant chaque nuit, jusqu'ŗ ce que les infirmitťs la forcent ŗ s'enfermer dans sa chambre, oý personne n'est admis, et ŗ mourir dans la solitude. Qu'on ne reproche donc pas aux femmes anglaises de courir aprŤs les plaisirs dans un ‚ge assez avancť pour que cela puisse avoir l'apparence d'un manque de dignitť. Les moeurs du pays ne leur laissent d'autre alternative que le grand nombre ou la solitude, l'extrÍme dissipation ou l'abandon. Si elles perdent leur mari, leur sort est encore bien plus cruel car une pťnurie relative, suivant leur condition, vient l'aggraver. La belle-fille arrive, accompagnant son mari, prend immťdiatement possession du ch‚teau, donne tous les ordres. La mŤre s'occupe de faire ses paquets et, au bout de fort peu de jours, se retire dans un modeste ťtablissement que souvent la sollicitude du feu lord lui a prťparť. Il est rare que son revenu excŤde le dixiŤme de celui qu'elle a ťtť accoutumťe ŗ partager, et elle voit son fils hťriter, de son vivant, de la fortune qu'elle-mÍme a apportťe. C'est la loi du pays: ŗ moins de prťcautions prises dans le contrat de mariage, la dot de la femme appartient tellement au mari que ses hťritiers y ont droit, mÍme pendant la vie de la veuve dont gťnťralement toutes les prťtentions se rťsolvent en une pension viagŤre. Nos demoiselles franÁaises ne doivent pas trop envier ŗ leurs jeunes compagnes anglaises la libertť dont elles jouissent et leurs mariages soi-disant d'inclination. Cette indťpendance de la premiŤre jeunesse a pour rťsultat de les laisser sans protection contre la tyrannie d'un mari s'il veut l'exercer, et de leur assurer l'isolement de l'‚ge mŻr si elles y arrivent. S'il est permis de se servir de cette expression, les anglaises me semblent avoir un nid plutŰt qu'un intťrieur, des petits plutŰt que des enfants. CHAPITRE III Indťpendance du caractŤre des anglais. -- DÓner chez la comtesse Dunmore. -- Jugement portť sur lady George Beresford. -- Salons des grandes dames. -- Comment on comprend la sociťtť en Angleterre et en France. -- Bal donnť chez le marquis d'Anglesey. -- Lady Caroline Lamb. -- Mariage de monsieur le duc de Berry. -- Rťponse du prince de Poix. J'examinais les usages d'un oeil plus curieux ŗ ce retour que lorsque, plus jeune, je n'avais aucun autre point de comparaison, et je trouvais que, si l'Angleterre avait l'avantage bien marquť dans le matťriel de la vie, la sociabilitť ťtait mieux comprise en France. Personne n'apprťcie plus haut que moi le noble caractŤre, l'esprit public qui distinguent la nation. Avec cet admirable bon sens qui fait la force du pays, l'anglais, malgrť son indťpendance personnelle, reconnaÓt la hiťrarchie des classes. En traversant un village, on entend souvent un homme sur le pas de sa chaumiŤre dire ŗ sa petite fille: ęCurtsey to your betters, BetsyĽ, expression qui ne peut se traduire exactement en franÁais. Mais ce mÍme homme n'admet point de supťrieur lŗ oý son droit lťgal lui paraÓt atteint. Il a ťgalement recours ŗ la loi contre le premier seigneur du comtť par lequel il se pense molestť et contre le voisin avec lequel il a une querelle de cabaret. C'est sur cette confiance qu'elle le protŤge dans toutes les occurrences de la vie qu'est fondť le sentiment d'indťpendance d'oý naÓt ce respect de lui-mÍme, cachet des hommes libres. D'autre part, cette indťpendance, ennemie de la sociabilitť et qui porterait avec elle un caractŤre un peu sauvage, est modifiťe par la passion qu'a la classe infťrieure de ne rien faire qui ne soit _genteel_, et la classe plus ťlevťe rien qui ne soit _gentlemanlike_. C'est lŗ le lien qui unit les anglais entre eux. Quant ŗ la fantaisie d'Ítre _fashionable_, c'est le but du petit nombre. Elle est poussťe souvent jusqu'au ridicule. En observant les deux pays de prŤs, on remarque combien des gens, ťgalement dťlicats dans le fond de leurs sentiments, peuvent pourtant se blesser rťciproquement dans la maniŤre de les exprimer, je dirai presque de les concevoir. Cette pensťe me vient du souvenir d'un dÓner que je fis chez une de mes anciennes amies, lady Dunmore, en trŤs petit comitť. On s'y entretint de la nouvelle du jour, la condamnation de lord Bective par la cour ecclťsiastique de Doctors Commons. Voici ŗ quelle occasion: Lady George Beresford ťtait, l'annťe prťcťdente, une des plus charmantes, des plus distinguťes, des plus heureuses femmes de Londres. ņ la suite d'une couche, le lait lui monta ŗ la tÍte et elle devint folle. Son mari fut dťsespťrť. La nťcessitť de rechercher quelques papiers d'affaires le forÁa ŗ ouvrir une cassette appartenant ŗ sa femme; elle contenait une correspondance qui ne laissait aucun doute sur le genre de son intimitť avec lord Bective. Le mari devint furieux. Quoique la femme rest‚t folle et fŻt enfermťe, il entama une procťdure contre elle. Des tťmoins, qui la traÓnŤrent dans la boue, furent entendus; et lord Bective condamnť ŗ douze mille louis de dommages envers lord George. C'ťtait sur la quotitť de cette somme qu'on discutait ŗ la table oý je me trouvais assise. Elle paraissait aux uns disproportionnťe au mťrite de lady George; les autres ne la trouvaient qu'ťquivalente. Elle ťtait si blanche, d'une si belle tournure, tant de talents, si gracieuse!--Pas tant, et puis elle n'ťtait plus trŤs jeune.--Elle lui avait donnť de si beaux enfants!--Sa santť s'altťrait, son teint se g‚tait.--Elle avait tant d'esprit!--Elle devenait triste et assez maussade depuis quelques mois. La discussion se soutenait, avec un avantage ŗ peu prŤs ťgal, lorsque la maÓtresse de la maison la termina en disant: ęJe vous accorde que douze mille louis est une bien grosse somme, mais le pauvre lord George l'aimait tant!Ľ La force de cet argument parut irrťsistible et concilia toutes les opinions. J'ťcoutais avec ťtonnement. Je me sentais froissťe d'entendre des femmes de la plus haute volťe ťnumťrer et discuter les mťrites d'une de leurs compagnes comme on aurait pu faire des qualitťs d'un cheval et ensuite apprťcier en ťcus le chagrin que sa perte avait dŻ causer ŗ son mari qui, dťjŗ, me paraissait odieux en poursuivant devant les tribunaux la mŤre de ses enfants frappťe par la main de Dieu de la plus grande calamitť ŗ laquelle un Ítre humain puisse Ítre condamnť. Faut-il conclure de lŗ que la haute sociťtť en Angleterre manque de dťlicatesse! Cela serait aussi injuste que d'ťtablir que les femmes franÁaises sont sans modestie parce qu'elles emploient quelques locutions proscrites de l'autre cŰtť du canal. Ce qui est vrai, c'est que les diffťrents usages prťsentent les objets sous d'autres faces, et qu'il ne faut pas se h‚ter de juger les ťtrangers sans avoir fait un profond examen de leurs moeurs. Quelle sociťtť ne prťsente pas des anomalies choquantes pour l'observateur qui n'y est pas accoutumť? J'admirais en thťorie le respect des anglais pour les hiťrarchies sociales, et puis ma sociabilitť franÁaise s'irritait de les voir en action dans les salons. Les grandes dames ouvrent leurs portes une ou deux fois dans l'annťe ŗ tout ce qui, par une relation quelconque mais surtout par celles qui se rapportent aux ťlections, a l'honneur d'oser se faire ťcrire chez elles en arrivant ŗ Londres. Cette visite se rend par l'envoi d'une trŤs grande carte sur laquelle est imprimť: la duchesse *** _at home_, tel jour, ŗ la date de plusieurs semaines. Le nom des personnes auxquelles elle s'adresse est ťcrit derriŤre, ŗ la main. Dieu sait quel mouvement on se donne pour en recevoir une, et toutes les courses, toutes les manoeuvres, pour faire valoir ses droits ŗ en obtenir. Le jour arrivť, la maÓtresse de la maison se place debout ŗ la porte de son salon; elle y fait la rťvťrence ŗ chaque personne qui entre; mais quelle rťvťrence, comme elle leur dit: ęQuoique vous soyez chez moi, vous comprenez bien que je ne vous connais pas et ne veux pas vous connaÓtre!Ľ Cela est rendu encore plus marquť par l'accueil diffťrent accordť aux personnes de la sociťtť fashionable. Hť bien, dans ce pays de bons sens, personne ne s'en choque: chacun a eu ce qu'il voulait: les familiers la bonne rťception, les autres la joie de l'invitation. La carte a ťtť fichťe pendant un mois sur la glace; elle y a ťtť vue par toutes les visites. On a la possibilitť de dire dans sa sociťtť secondaire comment sont meublťs les salons de la duchesse ***, la robe que portait la marquise ***, et autres remarques de cette nature. Le but auquel ces invitťs prťtendent est atteint, et peut-Ítre seraient-ils moins fiers d'Ítre admis chez la duchesse *** si elle ťtait plus polie. Chez nous, personne ne supporterait un pareil traitement. J'ai quelquefois pensť que la supťrioritť de la sociťtť franÁaise sur toutes les autres tenait ŗ ce que nous ťtablissons que la personne qui reÁoit, celle qui fait les frais d'une soirťe ou d'un dÓner, est l'obligťe des personnes qui s'y rendent et que, partout ailleurs, c'est le contraire. Si on veut y rťflťchir, on trouvera, je crois, combien cette seule diffťrence doit amener de facilitť dans le commerce et d'urbanitť dans les formes. Les immenses raouts anglais sont si peu en proportion avec la taille des maisons qu'ordinairement le trop plein des salons s'ťtend dans l'escalier et quelquefois jusque dans la rue oý les embarras de voitures ajoutent encore ŗ l'ennui de ces rťunions. La libertť anglaise (et lŗ je ne reconnais pas la haute judiciaire du pays) n'admet pas qu'on ťtablisse aucun ordre dans les files. C'est ŗ coup de timon et en lanÁant les chevaux les uns contre les autres qu'on arrive, ou plutŰt qu'on n'arrive pas. Il n'y a pas de soirťe un peu ŗ lŗ mode oý il ne reste deux ou trois voitures brisťes sur le pavť. Cela ťtonne encore plus ŗ Londres oý elles sont si belles et si soignťes. Les raouts ont exaltť le sentiment que je portais dťjŗ ŗ nos bons et utiles gendarmes; mon amour pour la libertť a toujours flťchi devant eux. Je me rappelle entre autre les avoir appelťs de tous mes voeux un soir oý nous fŻmes sept quarts d'heure en perdition, prÍts ŗ Ítre broyťs en cannelle ŗ chaque instant, pour arriver chez lady Hertford. Nous partions de Portman square; elle demeurait dans Manchester square: il y a bien pour une minute de chemin, lorsqu'il est libre. Pour ťviter au prince rťgent l'ennui de ces embarras; il arrivait dans le salon de la marquise en traversant un petit jardin et par la fenÍtre. C'ťtait fort simple assurťment, mais, quand cette fenÍtre s'ťlevait ŗ grand bruit pour le laisser entrer, un sourire involontaire passait sur toutes les figures. En outre de la fatigue de ces assemblťes, ce qui les rend odieuses aux ťtrangers c'est l'heure oý elles commencent. J'en avais perdu le souvenir. Engagťe ŗ un bal le lendemain du raout de lady Hertford, j'avais vu sonner minuit sans que ma mŤre songe‚t ŗ partir. Je la pressai de s'y dťcider. ęVous le voulez, j'y consens, mais nous gÍnerons.Ľ Pour cette fois, nous ne trouv‚mes pas de file; nous ťtions les premiŤres, les salons n'ťtaient pas achevťs d'ťclairer. La maÓtresse de la maison entra tirant ses gants; sa fille n'eut achevť sa toilette qu'une demi-heure plus tard, et la foule ne commenÁa ŗ arriver qu'ŗ prŤs d'une heure du matin. Je me suis laissť raconter que beaucoup de femmes se couchent entre leur dÓner et l'heure oý elles vont dans le monde pour Ítre plus fraÓches. Je crois que c'est un conte, mais certainement beaucoup s'endorment par ennui. Pendant que je suis sur l'article des bals, il me faut parler d'un trŤs beau et trŤs bizarre par la situation des gens qui le donnaient. Le marquis d'Anglesey, aprŤs avoir ťtť mariť vingt et un ans ŗ une Villiers et en avoir eu une multitude d'enfants, avait divorcť en …cosse oý la loi admet les infidťlitťs du mari comme cause suffisante. Il venait d'ťpouser lady …milie Wellesley qui, divorcťe pour son compte en Angleterre, laissait aussi une quantitť d'enfants ŗ un premier mari. La marquise d'Anglesey avait, de son cŰtť, ťpousť le duc d'Argyll. Elle n'ťtait pas dans la catťgorie des femmes divorcťes et continuait ŗ Ítre admise chez la Reine et dans le monde. Toutefois ce second mariage avait ťtť si prompt qu'on tenait qu'elle ťtait, tout au moins, d'accord avec lord d'Anglesey pour amener leur divorce. Plusieurs filles (les ladys Paget) de dix-huit ŗ vingt-deux ans rťsidaient chez leur pŤre, mais allaient dans le monde menťes par la duchesse. Lord d'Anglesey avait eu la jambe emportťe ŗ la bataille de Waterloo. Son ťtat trŤs alarmant pendant longtemps avait excitť un vif intťrÍt dans la sociťtť; il en avait reÁu des preuves soutenues. Pour tťmoigner de sa reconnaissance, il imagina de donner une grande fÍte ŗ ses nombreux amis ŗ l'occasion de son rťtablissement. On construisit une salle de bal ŗ la suite des beaux appartements d'Uxbridge House, et tous les prťparatifs furent faits par le marquis et la nouvelle lady d'Anglesey sur le pied de la plus grande magnificence. Les billets, dans une forme trŤs inusitťe, n'ťtaient au nom de personne. Lord d'Anglesey, en adressant ses remerciements ŗ monsieur et madame un tel de leurs soins obligeants, espťraient qu'ils viendraient passer la soirťe du ... ŗ Uxbridge House. Un moment avant l'arrivťe de la sociťtť, lady d'Anglesey, femme divorcťe qu'on ne voyait pas, aprŤs avoir veillť ŗ tous les arrangements, partit pour la campagne. Lord d'Anglesey, trop tendre et trop galant pour laisser son ťpouse dans la solitude, l'accompagna. De sorte qu'il n'y avait plus ni maÓtre, ni maÓtresse de maison lŗ oý se donnait cette grande fÍte. Les filles de la premiŤre femme en faisaient les honneurs et, par courtoisie, elles s'ťtaient associť mesdemoiselles Wellesley, filles de la seconde par son premier mari avec lequel elles demeuraient. Il faut avouer qu'on ne pouvait guŤre concevoir une idťe plus ťtrange que celle d'appeler le public chez soi dans de pareils prťdicaments. Ce bal fut illustrť par une autre singularitť. Lady Caroline Lamb avait fait paraÓtre quelques jours avant le roman de _Glenarvon_. C'ťtait le rťcit de ses aventures avec le fameux lord Byron, aventures poussťes le plus loin possible. Elle avait fait entrer dans le cadre de son roman tous les personnages marquants de la sociťtť et surtout les membres de sa propre famille, y compris son mari William Lamb (devenu depuis lord Melbourne). ņ la vťritť, elle lui accordait un trŤs beau caractŤre et une fort noble conduite; elle avait ťtť moins bťnťvole pour beaucoup d'autres, et, comme les noms ťtaient supposťs, on se disputait encore sur les personnes qu'elle avait prťtendu peindre. ņ ce bal d'Uxbridge House, je l'ai vue, pendue amoureusement au bras de son mari et distribuant la _clef_, comme elle disait, de ses personnages fort libťralement. Elle avait eu le soin d'en faire faire de nombreuses copies oý le nom supposť et le nom vťritable ťtaient en regard, et c'ťtaient ceux de gens prťsents ou de leurs parents et amis. Cette scŤne complťtait la bizarrerie de cette singuliŤre soirťe. Je renonÁai bien vite ŗ mener la vie de Londres; en outre qu'elle m'ennuyait, j'ťtais souffrante. J'avais rapportť de GÍnes une douleur rhumatismale dans la tÍte qui n'a cťdť que quatre ans aprŤs, ŗ l'effet des eaux d'Aix, et qui me rendait incapable de prendre part aux plaisirs bruyants. Aussi n'ťprouvai-je aucun regret de ne point assister aux fÍtes donnťes en France pour le mariage de monsieur le duc de Berry. Les rťcits qui nous en arrivaient les reprťsentaient comme ayant ťtť aussi magnifiques que le permettait la dťtresse gťnťrale du royaume. Elles avaient ťtť plus animťes qu'on ne devait s'y attendre dans de si pťnibles circonstances. La plupart de ceux appelťs ŗ y figurer appartenaient ŗ une classe de personnes qui regardent la Cour comme nťcessaire au complťment de leur existence. Quand une circonstance quelconque de disgr‚ce ou de politique les tire de cette atmosphŤre, il manque quelque chose ŗ leur vie. Un grand nombre d'entre elles avaient ťtť privťes d'assister ŗ des fÍtes de Cour par les ťvťnements de la Rťvolution; elles y portaient un entrain de dťbutantes et un zŤle de nťophytes qui simulaient au moins la gaietť si elle n'ťtait pas complŤtement de bon aloi. Je ne sais jusqu'ŗ quel point le public s'identifia ŗ ces joies; j'ťtais absente et les rapports furent contradictoires. De tous les rťcits, il n'est restť dans ma mťmoire qu'un mot du prince de Poix. Le jour de l'entrevue ŗ Fontainebleau, le duc de Maillť, s'adressant ŗ un groupe de courtisans qui, comme lui, sortaient des appartements, leur dit: ęSavez-vous, messieurs, que notre nouvelle princesse a un oeil plus petit que l'autre. --Je n'ai pas du tout vu celaĽ, reprit vivement le prince de Poix. Mais aprŤs avoir rťflťchi, il ajouta: ęPeut-Ítre madame la duchesse de Berry a-t-elle l'oeil gauche un peu plus grand.Ľ Cette rťponse est trop classique en son genre pour nťgliger de la rapporter. Je reviens ŗ Londres. Je ne sortais guŤre de l'intťrieur de l'ambassade, oý nous avions fini par attirer quelques habituťs, que pour aller chez les collŤgues du corps diplomatique, chez les ministres et ŗ la Cour dont je ne pouvais me dispenser. CHAPITRE IV La famille d'Orlťans ŗ Twickenham. -- Espionnage exercť contre elle. -- Division entre le roi Louis XVIII et monsieur le duc d'Orlťans ŗ Lille en 1815. -- Intťrieur de Twickenham. -- Mots de la princesse Marie. -- La comtesse de Vťrac. -- Naissance d'une princesse d'Orlťans. -- La comtesse Mťlanie de Montjoie. -- Le baron de Montmorency. -- Le comte Camille de Sainte-Aldegonde. -- Le baron Athalin. -- Monsieur le duc de Bourbon. -- La princesse Louise de Condť. Je ne mets pas au rang des devoirs, car ce m'ťtait un plaisir, de frťquentes visites ŗ Twickenham. Monsieur le duc d'Orlťans y ťtait retirť avec les siens; il y menait une vie simple, exclusivement de famille. Avant l'arrivťe de mon pŤre, la sottise courtisane de monsieur de La Ch‚tre l'avait entourť d'espions ŗ gages qui empoisonnaient ses actions les plus innocentes et le tourmentaient de toutes faÁons. Mon pŤre mit un terme ŗ ces ignobles tracasseries et les exilťs de Twickenham lui en surent grť, d'autant qu'en montrant leur conduite telle qu'elle ťtait en effet, il leur ouvrait les portes de la France oý ils aspiraient ŗ rentrer. Un des agents rťtribuťs par la police franÁaise vint dire ŗ mon pŤre, un beau matin, que monsieur le duc d'Orlťans se dťmasquait enfin. Des proclamations factieuses s'imprimaient clandestinement ŗ Twickenham et des ballots allaient s'expťdier sur les cŰtes de France. Le rťvťlateur assurait pouvoir s'en procurer. ęHť bien, lui dit mon pŤre, apportez-moi, je ne dis pas seulement une proclamation, mais une publication bien moins grave, sortie d'une presse ťtablie ŗ Twickenham et je vous compte cent guinťes sur-le-champ.Ľ Il attendit vainement. Le dimanche suivant, allant faire une visite le soir ŗ madame la duchesse d'Orlťans, nous trouv‚mes toute la famille autour d'une table, composant une page d'impression. On avait achetť, pour divertir les enfants, une petite imprimerie portative, un vťritable joujou, et on les en amusait le dimanche. Dťjŗ on avait tirť quelques exemplaires d'une fable d'une vingtaine de vers, faite par monsieur le duc de Montpensier dans son enfance; c'ťtait le travail d'un mois: et voilŗ la presse clandestine destinťe ŗ bouleverser le monde! Ces niaises persťcutions ne servaient qu'ŗ irriter monsieur le duc d'Orlťans. Louis XVIII l'a constamment abreuvť de dťgoŻts, en France et ŗ l'ťtranger. La rencontre ŗ Lille, oý le dissentiment sur la conduite ŗ tenir fut si public, avait achevť de fomenter leur mutuelle intimitť. ņ la premiŤre nouvelle du dťbarquement de l'Empereur ŗ Cannes, monsieur le duc d'Orlťans avait accompagnť Monsieur ŗ Lyon. Revenu ŗ Paris avec ce prince, il ťtait reparti seul pour Lille oý il avait prťparť, avec le marťchal Mortier, la dťfense de la place. Quand le Roi y fut arrivť, il l'engagea ŗ y ťtablir le siŤge de son gouvernement. Le Roi, aprŤs quelque hťsitation, le promit; il donna parole tout au moins de ne point abandonner le sol franÁais. Ce furent ses derniers mots ŗ monsieur le duc d'Orlťans lorsque celui-ci se retira dans l'appartement qu'il occupait. Trois heures aprŤs, on vint le rťveiller pour lui apprendre que le Roi ťtait parti et prenait la route de Belgique; les ordres ťtaient dťjŗ donnťs lorsqu'il assurait vouloir rester en France. Monsieur le duc d'Orlťans, courroucť de ce secret gardť envers lui, ťcrivit au Roi pour se plaindre amŤrement, au marťchal Mortier pour le dťgager de toutes ses promesses et, renonÁant ŗ suivre le Roi, s'embarqua pour rejoindre sa famille en Angleterre. Il loua une maison ŗ Twickenham, village qu'il avait dťjŗ habitť lors de la premiŤre ťmigration. AussitŰt que la famille d'Orlťans se fut bien persuadťe que le successeur de monsieur de La Ch‚tre ne suivrait pas ses errements et qu'elle n'avait aucune tracasserie ŗ craindre de mon pŤre, la confiance la plus loyale s'ťtablit et monsieur le duc d'Orlťans ne fit aucune dťmarche que d'accord avec lui. Il poussa la dťfťrence envers le gouvernement du Roi jusqu'ŗ ne recevoir personne ŗ Twickenham sans en donner avis ŗ l'ambassadeur et toutes ses dťmarches en France furent combinťes avec lui. L'espionnage tomba de lui-mÍme. Monsieur Decazes rappela les agents que monsieur de La Ch‚tre lui avait reprťsentťs comme nťcessaires; et, puisque je dis tout, peut-Ítre la crainte de voir retirer les fonds secrets qu'il recevait pour ce service rendait-elle l'ambassadeur plus mťticuleux. Mademoiselle fut la derniŤre ramenťe ŗ la confiance, mais aussi elle le fut complŤtement et ŗ jamais. C'est pendant ces longues journťes de campagne que j'ai eu occasion d'apprťcier la distinction de son esprit et la franchise de son caractŤre. Mon tendre dťvouement pour son auguste belle-soeur se dťveloppait chaque jour de plus en plus. La conversation de monsieur le duc d'Orlťans n'a peut-Ítre jamais ťtť plus brillante qu'ŗ cette ťpoque. Il avait passť l'‚ge oý une ťrudition aussi profonde et aussi variťe paraissait un peu entachťe de pťdantisme. L'impartialitť de son esprit lui faisait comprendre toutes les situations et en parler avec la plus noble modťration. Son bonheur intťrieur calmait ce que sa position politique pouvait avoir d'irritant, et, au fond, je ne l'ai jamais vu autant ŗ son avantage, ni peut-Ítre aussi content, que dans le petit salon de Twickenham, aprŤs d'assez mauvais dÓners que nous partagions souvent. De leur cŰtť, les princes habitants de Twickenham n'avaient point d'autre pied-ŗ-terre ŗ Londres que l'ambassade dans les courses assez rares qu'ils y faisaient. Monsieur le duc de Chartres, quoique bien jeune, ťtait dťjŗ un bon ťcolier, mais n'annonÁait ni l'esprit, ni la charmante figure que nous lui avons vus. Il ťtait dťlicat et un peu ťtiolť comme un enfant nť dans le Midi. Ses soeurs avaient ťchappť ŗ cette influence du soleil de Palerme. L'aÓnťe, distinguťe dŤs le berceau par l'ťpithŤte de la _bonne Louise_, a constamment justifiť ce titre en marchant sur les traces de son admirable mŤre: elle ťtait fraÓche, couleur de rose et blanc, avec une profusion de cheveux blonds. La seconde, trŤs brune et plus mutine, ťtait le plus dťlicieux enfant que j'aie jamais rencontrť: _Marie_ n'ťtait pas si parfaite que _Louise_, mais ses sottises ťtaient si intelligentes et ses reparties si spirituelles qu'on avait presque l'injustice de leur accorder la prťfťrence. Ma mŤre en raffolait. Un jour oý elle avait ťtť _bien mauvaise_, madame la duchesse d'Orlťans la fit gronder par elle. La petite princesse fut dťsolťe. ņ notre prochaine visite madame de Vťrac, dame d'honneur de madame la duchesse d'Orlťans, dit ŗ ma mŤre: ęVous n'avez que des compliments ŗ faire aujourd'hui, madame d'Osmond; la princesse Marie a ťtť sage toute la semaine. Elle a appris ŗ faire la rťvťrence, voyez comme elle la fait bien; elle a ťtť polie; elle a bien pris ses leÁons, enfin madame la duchesse d'Orlťans va vous dire qu'elle en est trŤs contente.Ľ Ma mŤre caressa le joyeux enfant; ses parents ťtaient ŗ la promenade; un instant aprŤs nous vÓmes la petite princesse ŗ genoux ŗ cŰtť de madame de Vťrac: ęQue faites-vous lŗ, princesse Marie? --Je vous fais de la reconnaissance, et puis au bon Dieu.Ľ Qu'on me passe encore deux histoires de la princesse Marie. L'annťe suivante, on donnait sur le thť‚tre de Drury Lane une de ces arlequinades oý les anglais excellent; tous les enfants de la famille d'Orlťans devaient y assister aprŤs avoir passť la journťe ŗ l'ambassade. On arriva un peu trop tŰt; le dernier acte d'une tragťdie oý jouait mademoiselle O'Neil n'ťtait pas achevť. Au bout de quelques minutes, la princesse Marie se retourna ŗ sa gouvernante: ęDonnez-moi mon mouchoir, madame Mallet. Je ne suis pas mťchante je vous assure, mais mes yeux pleurent malgrť moi; cette dame a la voix si malheureuse!Ľ Plus tard, lorsqu'elle avait prŤs de six ans, je me trouvai un soir au Palais-Royal; la princesse Marie s'amusait ŗ ťlever des fortifications avec des petits morceaux de bois taillťs ŗ cet effet, et recevait les critiques d'un gťnťral dont elle avait sollicitť le suffrage. Elle releva son joli visage et avec sa petite mine si piquante, lui dit: ęAh! sans doute, gťnťral, ce n'est pas du Vauban.Ľ Monsieur le duc de Nemours, ou plutŰt _Moumours_, comme il commenÁait ŗ s'appeler lui-mÍme, ťtait beau comme le jour. Madame la duchesse d'Orlťans ťtait accouchťe ŗ Twickenham d'une petite princesse qu'elle nommait _la fille de monsieur d'Osmond_, parce que mon pŤre avait ťtť appelť ŗ constater son ťtat civil. Ce maillot complťtait la famille. Tout le monde dans l'intťrieur s'entendait pour que ces enfants reÁussent dŤs le berceau la meilleure ťducation qu'il fŻt possible d'imaginer; je n'en ai jamais connu de plus soignťs et de moins g‚tťs. Le reste des habitants se composait ainsi: La comtesse de Vťrac, nťe Vintimille, dame d'honneur de madame la duchesse d'Orlťans dŤs Palerme, excellente personne, dťvouťe ŗ sa princesse et dont la mort a ťtť une perte rťelle pour le Palais-Royal; madame de Montjoie, aussi distinguťe par les qualitťs du coeur que par celles de l'esprit, ťtait attachťe ŗ Mademoiselle depuis leur premiŤre jeunesse ŗ toutes deux et identifiťe de telle faÁon qu'elle n'a ni autre famille ni autres intťrÍts. Raoul de Montmorency et Camille de Sainte-Aldegonde, aides de camp de monsieur le duc d'Orlťans, se partageant entre la France et Twickenham. Monsieur Athalin y rťsidait ŗ poste fixe. Avant 1814, il ťtait officier d'ordonnance de l'Empereur. Monsieur le duc d'Orlťans, suivant son systŤme d'amalgame, l'avait pris pour aide camp avec l'agrťment du Roi; mais, en 1815, il ťtait retournť prŤs de son ancien chef en ťcrivant au prince une lettre fort convenable. Les Cent-Jours terminťs, monsieur le duc d'Orlťans rťpondit ŗ cette lettre en l'engageant ŗ venir le rejoindre. Monsieur Athalin profita de cette indulgence. Elle fut trŤs mal vue ŗ la Cour des Tuileries, mais elle a fondť le dťvouement sans bornes qu'il porte ŗ ses nobles protecteurs. La gouvernante des princesses et l'instituteur de monsieur le duc de Chartres, monsieur du Parc, homme de mťrite, complťtaient les commensaux de cet heureux intťrieur. On y menait la vie la plus calme et la plus rationnelle. Si on y conspirait, c'ťtait assurťment ŗ bien petit bruit et d'une faÁon qui ťchappait mÍme ŗ l'activitť de la malveillance. Je voudrais pouvoir parler en termes ťgalement honorables du pauvre duc de Bourbon; mais, si toutes les vertus familiales semblaient avoir ťlu domicile ŗ Twickenham, toutes les inconvenances habitaient avec lui dans une mauvaise ruelle de Londres oý il avait pris un appartement misťrable. Un seul domestique l'y servait; il n'avait pas de voiture. Mon pŤre ťtait chargť de le faire renoncer ŗ cette maniŤre de vivre, mais il ne put y rťussir. AprŤs sa triste apparition dans la Vendťe, il s'ťtait embarquť et ťtait arrivť ŗ Londres pendant les Cent-Jours. Monsieur le prince de Condť le rappelait auprŤs de lui et mettait ŗ sa disposition toutes les sommes dont il pouvait avoir besoin; mais lui persistait ŗ continuer la mÍme existence. Il dÓnait dans une boutique de cŰtelettes, _Chop house_, car cela ne mťrite pas le nom de restaurateur, se rendait alternativement ŗ un des thť‚tres, attendait en se promenant sous les portiques que l'heure du demi-prix fŻt arrivťe, entrait dans la salle et en ressortait ŗ la fin du spectacle avec une ou deux mauvaises filles qui variaient tous les jours et qu'il menait souper dans quelque tabagie, alliant ainsi les dťsordres grossiers avec ses goŻts parcimonieux. Quelquefois, lord William Gordon ťtait de ces parties, mais plus souvent il allait seul: C'ťtait pour jouir de cette honorable vie qu'il s'obstinait ŗ rester en Angleterre, et toutes les supplications ne purent le dťcider ŗ partir ŗ temps pour recevoir le dernier soupir de son pŤre. Par d'autres motifs, la princesse sa soeur refusait aussi de rentrer en France; c'ťtait ŗ cause de sa haine pour le Concordat. J'avais une grande vťnťration spťculative pour cette jeune Louise de Condť, pleurant au pied des autels les crimes de son pays et offrant en sacrifice un si pur holocauste pour les expier. Je m'en ťtais fait un roman; mais il fallait ťviter d'en apercevoir l'hťroÔne, commune, vulgaire, ignorante, banale dans ses pensťes, dans ses sentiments, dans ses actions, dans ses paroles, dans sa personne. On ťtait tentť de plaindre le bon Dieu d'Ítre si constamment importunť par elle; elle l'appelait en aide dans toutes les circonstances les plus futiles de sa puťrile existence. Je lui ai vu dire oraison pour retrouver un peloton de laine tombť sous sa chaise: c'ťtait la caricature d'une religieuse de comťdie. Mon pŤre fut obligť de lui faire presque violence pour la dťcider ŗ partir. CHAPITRE V Lord Castlereagh. -- Lady Castlereagh. -- Cray Farm. -- Dťvouement de lady Castlereagh pour son mari. -- Accident et prudence. -- Soupers de lady Castlereagh. -- Partie de campagne chez lady Liverpool. -- Ma toilette ŗ la Cour de la Reine. -- Beautť de cette assemblťe. -- BaptÍme de la petite princesse d'Orlťans. -- La princesse de Talleyrand. -- Elle consent ŗ se sťparer du prince de Talleyrand. -- La comtesse de Pťrigord. -- La duchesse de Courlande. -- La princesse Tyszkiewicz. -- Mariage de Jules de Polignac. J'ai dťjŗ dit que je n'avais eu aucune connaissance dťtaillťe des affaires par mon pŤre. Je n'en ai su que ce qui est assez public pour qu'il n'y ait point d'intťrÍt ŗ le raconter. Chaque semaine, il recevait deux courriers de Paris toujours chargťs d'une longue lettre particuliŤre du duc de Richelieu. Il lui rťpondait aussi directement, de sorte que les bureaux et la lťgation n'ťtaient pas initiťs au fond de ces nťgociations dont le but, pourtant, ťtait patent pour tout le monde. Il s'agissait d'obtenir quelque soulagement ŗ l'oppression de notre pauvre patrie. Le coeur du ministre et de l'ambassadeur battaient ŗ l'unisson; leur vie entiŤre y ťtait consacrťe. Lord Castlereagh ťtait un homme d'affaires avec de l'esprit, de la capacitť, du talent mÍme, mais sans haute distinction. Il connaissait parfaitement les hommes et les choses de son pays; il s'en occupait depuis l'‚ge de vingt ans; mais il ťtait parfaitement ignorant des intťrÍts et des rapports des puissances continentales. Lorsqu'ŗ la fin de 1813 une mission, confiťe ŗ Pozzo, l'attira au quartier gťnťral des souverains alliťs, il savait seulement que le blocus minait l'Angleterre, qu'il fallait abattre la puissance en position de concevoir une pareille idťe, ou du moins la mettre hors d'ťtat de la rťaliser, et que l'Autriche devait Ítre l'alliťe naturelle de l'Angleterre. Il n'en fallait pas davantage pour le livrer ŗ l'habiletť du prince de Metternich. Lord Castlereagh est une des premiŤres mťdiocritťs puissantes sur laquelle il ait exercť sa complŤte domination. Toujours et en tout temps les affaires anglaises se font exclusivement par les anglais et ŗ Londres; mais, pour tout ce qui tenait ŗ la politique extťrieure, Downing Street se trouvait sous la surveillance de la chancellerie de Vienne; et je crois que cette situation s'est prolongťe autant que la vie de lord Castlereagh. Lorsque je l'ai connu, il ne donnait aucun signe de la fatale maladie hťrťditaire qui l'a portť au suicide. Il ťtait, au contraire, uniformťment calme et doux, discutant trŤs bien les intťrÍts anglais, mais sans passion et toujours parfaitement _gentlemanlike_. Il parlait assez mal franÁais; une de ses phrases habituelles dans les confťrences ťtait: ęMon cher ambassadeur, il faut terminer cela ŗ _l'aimable_Ľ; mais, si le mot ťtait peu exact, le sentiment qui l'inspirait se montrait sincŤre. Lord Castlereagh avait une grande considťration pour le caractŤre loyal du duc de Richelieu, et la confiance qu'il inspirait a, partout, facilitť les nťgociations dans ces temps de nťfaste mťmoire. J'avais connu lady Castlereagh assez belle: devenue trŤs forte et trŤs grasse, elle avait perdu toute distinction en conservant de beaux traits. Elle avait peu d'esprit mais beaucoup de bienveillance, et une politesse un peu banale sans aucun usage du monde. Au congrŤs de Vienne, elle avait inventť de se coiffer avec les ordres en diamants de son mari et avait placť la jarretiŤre en bandeau sur son front. Le ridicule de cette exhibition l'avait empÍchťe de la renouveler, et les boÓtes, que les traitťs faisaient abonder de toutes parts, fournissaient suffisamment ŗ son goŻt trŤs vif pour la parure et les bijoux. Toutefois, il ťtait dominť par celui de la campagne, des fleurs, des oiseaux, des chiens et des animaux de toute espŤce. Elle n'ťtait jamais si heureuse qu'ŗ Cray oý lord Castlereagh avait une vťritable maison de curť. On descendait de voiture ŗ une petite barriŤre qui, ŗ travers deux plates-bandes de fleurs communes, donnait accŤs ŗ une maison composťe de trois piŤces. L'une servait de salon et de cabinet de travail au ministre, l'autre de salle ŗ manger, la plus petite de cabinet de toilette. Au premier, il y avait trois chambres ŗ coucher: l'une appartenait au mťnage Castlereagh, les deux autres se donnaient aux amis parmi lesquels on comptait quelques ambassadeurs. Mon pŤre a ťtť plusieurs fois ŗ demeure, pendant quelques jours, ŗ Cray farm; il m'a dit que l'ťtablissement n'ťtait guŤre plus magnifique que le local. Lady Castlereagh avait le bon goŻt d'y renoncer ŗ ses atours. On l'y trouvait en robe de mousseline, un grand chapeau de paille sur la tÍte, un tablier devant elle et des ciseaux ŗ la main ťmondant ses fleurs. DerriŤre cette maison, dont l'entrťe ťtait si prodigieusement mesquine mais qui ťtait situťe dans un charmant pays et jouissait d'une vue magnifique, il y avait un assez grand enclos, des plantes rares, une mťnagerie et un chenil qui partageaient, avec les serres, les sollicitudes de lady Castlereagh. Jamais elle ne s'ťloignait de son mari. Elle ťtait prŤs de son bureau pendant qu'il travaillait. Elle le suivait ŗ la ville, ŗ la campagne; elle l'accompagnait dans tous ses voyages; mais aussi jamais elle ne paraissait dťrangťe ni contrariťe de quoi que ce fŻt. Elle passait les nuits, supportait le froid, la faim, la fatigue, les mauvais gÓtes sans se plaindre et sans mÍme avoir l'air d'en souffrir. Enfin elle s'arrangeait pour Ítre le moins incommode possible dans la prťsence rťelle qu'elle semblait lui imposer. Je dis semblait, parce que les plus intimes croyaient qu'en cela elle suivait sa propre volontť plus que celle de lord Castlereagh. Jamais, pourtant, il ne faisait la moindre objection. Avait-elle dťcouvert quelque signe de cette maladie, qu'une si affreuse catastrophe a rťvťlťe au monde, et voulait-elle Ítre prťsente pour en surveiller les occasions et en attťnuer les effets? Je l'ai quelquefois pensť depuis. Ce serait une explication bien honorable de cette prťsence persťvťrante qui paraissait quelquefois un peu ridicule et dont nous nous moquions dans le temps. Quoi qu'il en soit, jamais lady Castlereagh ne permettait ŗ son mari une sťparation d'une heure, et cependant on ne l'a point accusťe de chercher ŗ exercer une influence politique. J'ai ťtť tťmoin d'une occasion oý elle montra beaucoup de caractŤre. Parmi tous ses chiens, elle possťdait un _bull-dog_. Il se jeta un jour sur un petit ťpagneul qu'il s'apprÍtait ŗ ťtrangler lorsque lord Castlereagh interposa sa mťdiation. Il fut cruellement mordu ŗ la jambe et surtout ŗ la main. Il fallut du secours pour faire l‚cher prise au _bull-dog_ qui ťcumait de colŤre. Lady Castlereagh survint; son premier soin fut de caresser le chien, de le calmer. Les bruits de rage ne tardŤrent pas ŗ circuler; elle n'eut jamais l'air de les avoir entendus. Le _bull-dog_ ne quittait pas la chambre oý lord Castlereagh ťtait horriblement souffrant de douleurs qui attaquŤrent ses nerfs. Les indiffťrents s'indignaient des caresses que lady Castlereagh prodiguait ŗ une si mťchante bÍte. Elle ne s'en inquiťtait nullement et faisait vivre son mari familiŤrement avec cet ennemi domestique, ťvitant ainsi toutes les inquiťtudes que l'imagination aurait pu lui causer. Ce n'est qu'au bout de quatre mois, quand lord Castlereagh fut complŤtement guťri, que, d'elle-mÍme, elle se dťbarrassa du chien que jusque-lŗ elle avait comblť de soins et de caresses. Lady Castlereagh n'ťtait pas une personne brillante, mais elle avait un bon sens ťminent. ņ Londres, elle donnait ŗ souper le samedi aprŤs l'opťra. Elle avait prťfťrť ce jour-lŗ parce qu'elle n'aimait pas ŗ veiller et que, le rideau tombant ŗ minuit prťcis, pour que la reprťsentation n'entam‚t pas sur la journťe du dimanche, on arrivait plus tŰt chez elle qu'on n'aurait fait tout autre jour de la semaine; ce qui, pour le dire en passant, donne l'idťe des heures tardives que la mode imposait aux fashionables de Londres quoique tout le monde s'en plaignÓt. Ces soupers de lady Castlereagh, moins cohue que ses raouts, ťtaient assez agrťables. Le corps diplomatique y ťtait admis de droit, ainsi que les personnes du gouvernement; les autres ťtaient invitťes de vive voix et pour chaque fois. Au nombre des choses changťes, ou que j'avais oubliťes, pendant mon absence, se trouvait le costume que les femmes portaient ŗ la campagne. Je l'appris ŗ mes dťpens. J'avais ťtť assez liťe avec lady Liverpool dans notre mutuelle jeunesse. Elle m'engagea ŗ venir dÓner ŗ quelques milles de Londres oý lord Liverpool avait une maison fort mťdiocre, quoique trŤs supťrieure au _Cray_ de son collŤgue Castlereagh. Elle me recommanda d'arriver de bonne heure pour me montrer son jardin et faire une bonne journťe de campagne. J'y allai avec mon pŤre. Des affaires le retinrent et nous n'arriv‚mes qu'ŗ cinq heures et demie. Lady Liverpool nous gronda de notre retard puis nous promena dans son jardin, ses serres, son potager, sa basse-cour, son poulailler, son toit ŗ porcs, tout cela mťdiocrement soignť. Lord Liverpool arriva de Londres; nous le laiss‚mes avec mon pŤre et prÓmes le chemin de la maison. J'ťtais vÍtue, il m'en souvient d'une redingote de gros de Tours blanc garnie de ruches tout autour; j'avais un chapeau de paille de riz avec des fleurs, je me croyais trŤs belle. En entrant dans la maison, lady Liverpool me dit: ęVoulez-vous venir dans ma chambre pour Űter votre pelisse et votre chapeau. Avez-vous amenť votre femme de chambre ou voulez-vous vous servir de la mienne?Ľ Je lui rťpondis un peu embarrassťe, que je n'avais pris aucune prťcaution pour changer de toilette: ęAh! cela ne fait rien du tout, reprit-elle, voilŗ un livre pendant que je vais faire la mienne.Ľ ņ peine j'ťtais seule que j'entendis arriver une voiture et bientŰt je vis entrer lady Mulgrave, en robe de satin, coiffťe en cheveux avec des bijoux et des plumes, puis parut miss Jenkinson, la niŤce de la maison, avec une robe de crÍpe, des souliers blancs et une guirlande de fleurs, puis enfin lady Liverpool elle-mÍme, vÍtue je ne sais comment, mais portant sur sa tÍte un voile ŗ l'Iphigťnie retenu avec un diadŤme d'or incrustť de pierreries. Je ne savais oý me fourrer. Je crus qu'il s'agissait d'un grand dÓner diplomatique et que nous allions voir arriver successivement toutes les ťlťgantes de Londres. Nous nous mÓmes ŗ table huit personnes dont cinq ťtaient de la maison. On n'attendait pas d'autres convives; mais c'est l'usage de s'habiller, pour dÓner seul ŗ la campagne, comme on le serait pour aller dans le grand monde. Je me le tins pour dit, et, depuis, je n'ai plus commencť les _bonnes journťes de campagne_ avant sept heures et demie, et vÍtue en costume de ville. Pendant que je suis sur l'article toilette, il me faut raconter celle avec laquelle j'allai ŗ la Cour. Peut-Ítre, dans vingt ans, sera-t-elle aussi commune qu'elle me parut ťtrange lorsque je la portai. CommenÁons par la tÍte. Ma coiffure ťtait surmontťe du _panache_ de rigueur. J'avais obtenu ŗ grand'peine du plumassier ŗ la mode, Carberry, qu'il ne fut composť que de sept ťnormes plumes, c'ťtait le moins possible. Les _panaches_ modťrťs en avaient de douze ŗ quinze et quelques-uns jusqu'ŗ vingt-cinq. Au-dessous du _panache_ (c'est le nom technique), je portais une guirlande de roses blanches qui surmontait un bandeau de perles. Des agrafes et un peigne de diamants, des barbes de blonde achevaient la coiffure. Ce mťlange de bijoux, de fleurs, de plumes, de blondes choquait fort ŗ cette ťpoque notre goŻt restť classique depuis les costumes grecs. Mais ce n'est encore rien. Le buste ťtait ŗ peu prŤs arrangť comme ŗ l'ordinaire. Lorsque le corsage fut ajustť, on me passa un ťnorme panier de trois aunes de tour qui s'attachait ŗ la taille avec des aiguillettes. Ce panier ťtait de toile gommťe, soutenue par des baleines, qui lui donnaient une forme trŤs large devant et derriŤre et trŤs ťtroite des cŰtťs. Le mien avait, sur une jupe de satin, une seconde jupe de tulle garnie d'un grand falbala de dentelle d'argent. Une troisiŤme un peu moins longue en tulle lamť d'argent, garnie d'une guirlande de fleurs, ťtait relevťe en draperie, de sorte que la guirlande traversait en biais tout le panier. Les ouvertures des poches ťtaient garnies de dentelles d'argent et surmontťes d'un gros bouquet. J'en portais un devant moi de faÁon que j'avais l'air de sortir d'une corbeille de fleurs. Du reste, tous les bijoux possibles ŗ accumuler. Le bas de robe de satin blanc bordť en argent ťtait retroussť en festons et n'atteignait pas au bas de la jupe, c'ťtait l'ťtiquette. La Reine seule le portait traÓnant, les princesses dťtachť mais ŗ peine touchant terre. Lorsque j'avais vu les immenses apprÍts de cette toilette, j'ťtais restťe partagťe entre l'envie de rire de leur ťnormitť, qui me paraissait bouffonne, et le chagrin de m'affubler si ridiculement. Je dois avouer que, lorsqu'elle fut achevťe, je me trouvai assez ŗ mon grť et que ce costume me sembla seyant. Comme je suivais ma mŤre, je profitai des privilŤges diplomatiques; il nous amenŤrent par des routes rťservťes au pied du grand escalier. On y avait ťtabli tout du long une espŤce de palissade qui le sťparait en deux. D'un cŰtť de cette balustrade, nous montions trŤs ŗ l'aise; de l'autre, nous voyions les lords et les ladys s'ťcraser et s'ťtouffer avec une violence dont les foules anglaises donnent seules l'exemple. Je pensais, ŗ part moi, que cette distinction, en pleine vue, dťplairait bien chez nous. Au haut de l'escalier, la sťparation se refit plus discrŤte; les personnes ayant les entrťes passŤrent dans une salle ŗ part. Elles furent admises les premiŤres dans le salon de la Reine. On lui avait fabriquť une espŤce de fauteuil oý, montťe sur un marchepied et appuyťe sur des coussins, elle paraissait Ítre debout. Avec son ťtrange figure, elle avait tout l'air d'une petite pagode de Chine. Toutefois, elle tenait trŤs bien sa Cour. Les princesses, suivant l'ordre de l'ťtiquette, ťtaient placťes de chaque cŰtť. En l'absence de la princesse Charlotte qui aurait eu le premier rang, il ťtait occupť par la duchesse d'York. Le prince rťgent se tenait debout vis-ŗ-vis de la Reine, entourť de ses frŤres et de sa maison. Il s'avanÁait pour parler aux femmes, aprŤs qu'elles avaient passť devant la Reine. Les ambassadrices avaient ou _prenaient_ (car on accusait la comtesse de Lieven d'une usurpation) le droit de se mettre ŗ la suite des princesses, aprŤs avoir fait leur cour et d'assister au reste de la rťception. Je fus charmťe de profiter de cet usage pour voir bien ŗ mon aise dťfiler toute cette riche et brillante procession. Comme ŗ cette ťpoque de la vie de la Reine la Cour n'avait lieu qu'une ou deux fois par an, la foule ťtait considťrable et les prťsentations trŤs nombreuses. Nulle part la beautť des anglaises n'ťtait plus ŗ son avantage. Le plein jour de deux immenses fenÍtres, devant lesquelles elles stationnaient, faisait valoir leur teint animť par la chaleur et un peu d'ťmotion. Les jeunes filles de dix-huit ans joignaient ŗ l'ťclat de leur ‚ge la timiditť d'un premier dťbut qui n'est pas encore de la gaucherie, et les mŤres, en grand nombre, conservaient une fraÓcheur que le climat d'Angleterre entretient plus longuement qu'aucun autre. ņ la vťritť, quand elles s'avisent d'Ítre laides, elles s'en acquittent dans une perfection inimitable. Il y avait des caricatures ťtranges; mais, en masse, je n'ai jamais vu une plus belle assemblťe. Ce costume insolite, en laissant aux femmes tous leurs avantages, les dispensait de la gr‚ce dont, pour la plupart, elles sont dťpourvues, de sorte que, loin d'y perdre, elles y gagnaient de tout point. L'usage des paniers a cessť depuis la mort de la vieille reine Charlotte. On a adoptť le costume de la Cour de France pendant la Restauration. J'avais ťtť prťsentťe lors de mon mariage, mais c'ťtait dans un autre local et avec des formes diffťrentes. D'ailleurs, j'ťtais dans ce temps-lŗ plus occupťe de moi-mÍme que de remarquer les autres et j'en conserve un trŤs faible souvenir. Au lieu que la matinťe que je passai, en 1816, ŗ Buckingham House m'amusa extrÍmement. Le baptÍme de la petite princesse d'Orlťans donna lieu ŗ Twickenham ŗ une fÍte telle que le permettait un pareil local. L'empereur d'Autriche, reprťsentť par son ambassadeur, le prince Paul Esterhazy, ťtait parrain. Il y eut un grand dťjeuner oý assistŤrent le prince rťgent, le duc et la duchesse d'York, les ducs de Kent et de Glocester. La vieille Reine et les princesses y vinrent, de Frogmore, faire une visite. Je m'ťtais flattťe d'y voir la princesse Charlotte, mais le prince Lťopold arriva seul, chargť de ses excuses; un gros rhume servit de prťtexte. Le vťritable motif ťtait sa rťpugnance ŗ se trouver avec sa grand'mŤre et ses tantes. Elle l'avoua plus tard ŗ madame la duchesse d'Orlťans. Elle l'aimait beaucoup et venait souvent faire des courses ŗ Twickenham, mais je ne l'y ai jamais rencontrťe. On comprend que la journťe du baptÍme fut lourde et fatigante. _Ce diable chargť de princes_, dans une modeste maison bourgeoise, se portait sur les ťpaules de tout le monde. On fit un grand soupir de soulagement quand la derniŤre voiture emporta la derniŤre Altesse Royale et la derniŤre Excellence et que, selon l'expression obligeante de madame la duchesse d'Orlťans, nous nous retrouv‚mes en famille. En outre des affaires de l'…tat, mon pŤre ťtait encore chargť d'une autre nťgociation. Le prince de Talleyrand l'avait priť de faire ce qu'il appelait _entendre raison_ ŗ sa femme. Elle s'ťtait rťfugiťe en Angleterre pendant les Cent-Jours et, depuis, il l'y retenait sous divers prťtextes. Le fait ťtait que monsieur de Talleyrand, amoureux comme un homme de dix-huit ans de sa niŤce, la comtesse Edmond de Pťrigord, se serait trouvť gÍnť par la prťsence de la princesse. On comprend, du reste, qu'il ne fit pas cette confidence ŗ mon pŤre et qu'il chercha d'autres raisons. Cependant cette commission lui ťtait fort dťsagrťable; il la trouva beaucoup plus facile qu'il ne s'y attendait. Madame de Talleyrand, malgrť sa bÍtise, avait un bon sens et une connaissance du monde qui lui firent comprendre que ce qu'il y aurait de plus f‚cheux pour le prince et pour elle, serait d'amuser le public de leurs dissensions intťrieures. Madame Edmond ťtant logťe dans sa maison, elle ne serait plus tenable pour elle ŗ moins de parvenir ŗ la chasser, ce qui ne pourrait s'accomplir sans scŤnes violentes. Elle prit donc son parti de bonne gr‚ce et consentit ŗ s'ťtablir pour les ťtťs dans une terre en Belgique, que monsieur de Talleyrand lui abandonna, et ŗ passer ses hivers ŗ Bruxelles. Elle n'est revenue ŗ Paris que plusieurs annťes aprŤs, lorsque la sťparation ťtait trop bien constatťe pour que cela fŻt remarquť. Elle fut trŤs douce, trŤs raisonnable, et pas trop avide dans toute cette transaction oý elle joua entiŤrement le beau rŰle. Elle dit ŗ ma mŤre ces paroles remarquables: ęJe porte la peine d'avoir cťdť ŗ un faux mouvement d'amour-propre. Je savais l'attitude de madame Edmond chez monsieur de Talleyrand ŗ Vienne; je n'ai pas voulu en Ítre tťmoin. Cette susceptibilitť m'a empÍchťe d'aller le rejoindre, comme je l'aurais dŻ, lorsque le retour de l'Óle d'Elbe m'a forcťe de quitter Paris. Si j'avais ťtť ŗ Vienne, au lieu de venir ŗ Londres, monsieur de Talleyrand aurait ťtť forcť de me recevoir; et je le connais bien, il m'aurait parfaitement accueillie. Plus cela l'aurait contrariť, moins il y aurait paru.... Au contraire, il aurait ťtť charmant pour moi.... Je le savais bien, mais j'ai cette femme en horreur.... J'ai cťdť ŗ cette rťpugnance, j'ai eu tort.... Oý je me suis trompťe, c'est que je le croyais trop faible pour jamais oser me chasser. Je n'ai pas assez calculť le courage des _poltrons dans l'absence_! J'ai fait une faute; il faut en subir la consťquence et ne point aggraver la position en se raidissant contre.... Je me soumets, et monsieur de Talleyrand me trouvera trŤs disposťe ŗ ťviter tout ce qui pourrait augmenter le scandale.Ľ Sous ce rapport elle a complŤtement tenu parole. La douceur inespťrťe de madame de Talleyrand ťtait compensťe pour monsieur de Talleyrand par les tourments que lui causait madame Edmond. Elle s'ťtait passionnťe pour un autrichien, le comte de Clam, et, pendant que la femme lťgitime lui abandonnait la rťsidence de la rue Saint-Florentin, elle la fuyait sous l'escorte du comte. Monsieur de Talleyrand en perdait la tÍte. Il ťtait, d'un autre cŰtť, persťcutť par les dťsespoirs de la duchesse de Courlande, mŤre de madame Edmond, qui mourait de jalousie des succŤs de sa fille auprŤs de lui. En revanche, la princesse Tyszkiewicz, ťgalement passionnťe pour monsieur de Talleyrand, n'ťtait occupťe qu'ŗ lui adoucir la vie et ŗ faire la cour la plus assidue ŗ l'heureuse rivale ŗ laquelle elle transfťrait ses hommages aussi souvent que monsieur de Talleyrand transfťrait son coeur, et, jusqu'ŗ ce que madame Edmond, et peut-Ítre les annťes, l'eussent fixť dťfinitivement, cela ťtait frťquent. Jules de Polignac passa une grande partie de cet ťtť en Angleterre. Il y ťtait retenu pour accomplir son mariage avec une ťcossaise qu'il avait rencontrťe ŗ Paris. Quoiqu'elle port‚t le beau nom de Campbell, il fallait peu s'arrÍter sur la naissance qui n'ťtait pas lťgitime, mais elle ťtait belle et fort riche. Sa soeur ťtait mariťe ŗ monsieur Macdonald. Mademoiselle Campbell avait ťtť fiancťe ŗ un jeune officier tuť ŗ la bataille de Waterloo. L'hiver suivant, elle ťtait venue chercher ŗ Paris des distractions ŗ son chagrin. Elle y trouva monsieur de Polignac; il rťussit ŗ lui plaire, et obtint la promesse de sa main. Mais cela ne suffisait pas; miss Campbell ťtait protestante. Une pareille union aurait dťrangť l'avenir de Jules; il fallait donc obtenir d'elle de se faire catholique. C'ťtait pour travailler ŗ cette abjuration, et l'instruire dans les dogmes qu'elle consentait ŗ adopter qu'il avait transportť son sťjour ŗ Londres. Pendant ce temps, il vivait ŗ l'ambassade dans la mÍme commensalitť qu'ŗ Turin, y dťjeunant et y dÓnant tous les jours. Les ťvťnements n'avaient guŤre modifiť ses opinions, mais son langage ťtait plus mesurť que l'annťe prťcťdente. Le mariage civil se fit dans le salon de mon pŤre. Nous nous rendÓmes ensuite ŗ la chapelle catholique, puis ŗ l'ťglise protestante. Cela est nťcessaire en Angleterre oý il n'y a pas d'autres registres de l'ťtat civil que ceux tenus dans les paroisses. Je crois d'ailleurs que miss Campbell n'avait pas encore dťclarť son abjuration. Elle a fait payer chŤrement au pauvre Jules les sacrifices qu'il lui imposait de son pays et de sa religion. Il est impossible d'Ítre plus maussade, plus bizarre et plus dťsobligeante. Elle est morte de la poitrine, trois ans aprŤs son mariage, laissant deux enfants qui paraissent avoir hťritť de la santť de leur mŤre aussi bien que de sa fortune. Jules s'ťtait conduit trŤs libťralement au moment de son mariage au sujet des biens de sa femme. Les Macdonald s'en louaient extrÍmement. Il a ťtť le meilleur et le plus soigneux des maris pour sa quinteuse ťpouse. L'homme privť, en lui, est toujours facile, obligeant et honorable. CHAPITRE VI Ordonnance qui casse la Chambre. -- Rťflexion de la vicomtesse de Vaudreuil ŗ ce sujet. -- Nťgociation avec les ministres anglais. -- Opposition du duc de Wellington. -- Embarras pour fonder le crťdit. -- Mon retour ŗ Paris. -- Exaltation des partis. -- Brochure de monsieur Guizot. -- Regrets d'une femme du parti ultra-royaliste. -- Monsieur Lainť qualifiť de bonnet rouge. -- Griefs des royalistes. -- Licenciement des corps de la maison du Roi. -- Le colonel Pothier et monsieur de Girardin. -- Les quasi-royalistes. -- Soirťe chez madame de Duras. -- La coterie dite ęle ch‚teauĽ. -- Monsieur de Chateaubriand veut quitter la France. -- Il vend le Val du Loup au vicomte de Montmorency. -- Propos tenu par le prince de Poix ŗ monsieur Decazes. L'ordonnance du 5 septembre qui cassait la _Chambre introuvable_ de 1815 nous causa plus de joie que de surprise. Ses exagťrations furibondes ťtaient incompatibles avec le gouvernement sage de Louis XVIII. Le parti ťmigrť, qui avait conservť quelques reprťsentants en Angleterre, en eut des accŤs de rage. Je ne puis m'empÍcher de raconter un colloque qui eut lieu entre mon pŤre et la vicomtesse de Vaudreuil (soeur du duc de Caraman), dame de madame la duchesse d'AngoulÍme. Elle se trouvait alors comme voyageuse ŗ Londres. Elle arriva toute tremblante d'agitation ŗ l'ambassade. AprŤs avoir reÁu la confirmation de cette incroyable nouvelle, elle s'adressa ŗ mon pŤre: ęJe vous plains bien, monsieur d'Osmond, vous allez vous trouver dans une situation terrible. --Pourquoi donc, madame? --Comment pouvez-vous annoncer ici un pareil ťvťnement? Casser une Chambre! Les anglais ne voudront jamais croire que ce soit possible?Ľ Mon pŤre lui affirma que rien n'ťtait plus commun dans les usages britanniques et qu'il n'en rťsulterait pas mÍme de surprise. ęVous m'accorderez bien au moins que, si on cassait le Parlement, on n'oserait pas avoir assez peu de pudeur pour annoncer en mÍme temps des ťlections et en convoquer un autre?Ľ Voilŗ oý en ťtait l'ťducation de nos dames du palais sur les gouvernements reprťsentatifs. Madame de Vaudreuil passait pour avoir de l'esprit et exercer quelque influence sur madame la duchesse d'AngoulÍme. Elle ťtait une des ouailles favorites de l'abbť Latil. Je pense que toute sa sociťtť n'ťtait guŤre plus habile qu'elle sur la pondťration des pouvoirs constitutionnels. Je ne me rappelle pas, si je l'ai su, comment les nťgociations s'entamŤrent avec les cabinets de la Sainte-Alliance. Elles ťtaient arrivťes au point qu'on ťtait ŗ peu prŤs d'accord que l'occupation de notre territoire pouvait Ítre abrťgťe en avanÁant le terme des payements imposťs; mais atteindre ce but ťtait fort difficile. Le duc de Wellington s'opposait ŗ voir diminuer l'armťe d'occupation, en reconnaissant pourtant que la dťpense qu'elle occasionnait ťcrasait le pays et rendait plus difficile le remboursement des contributions, rťclamťes par les puissances, avant de consentir ŗ l'ťvacuation complŤte de la France. L'armťe d'occupation ťtait ŗ peine suffisante, selon le duc, pour se faire respecter. Vainement on lui reprťsentait qu'elle ťtait surtout imposante par sa force morale et qu'une diminution numťrique, en calmant les esprits, en tťmoignant de l'intention de libťrer le sol, assurerait mieux la sťcuritť de l'armťe contre le mauvais vouloir du pays que ne pourrait faire l'entrťe de nouveaux bataillons. Le duc ne voulait pas admettre ces arguments auxquels le ministre anglais se montrait moins rťcalcitrant. Il vint exprŤs ŗ Londres pour s'en expliquer. Il ťtablit surtout qu'en diminuant le contingent anglais on laisserait trop d'importance relative aux troupes des autres nations, qu'il lui serait difficile alors de conserver sa suprťmatie et d'empÍcher les abus qui, en exaspťrant les habitants, rendraient le danger plus imminent. Le cabinet russe ťtait disposť ŗ se prÍter ŗ toutes les facilitťs qu'on voudrait nous accorder, mais ceux de Vienne et surtout de Berlin se montraient trŤs rťcalcitrants. Il fallait d'ailleurs s'entendre entre soi et, lorsqu'on fait la conversation ŗ six cents lieues de distance, les conclusions sont longues ŗ arriver. On en vint cependant ŗ peu prŤs ŗ ce rťsultat que la libťration du territoire s'effectuerait en proportion de l'argent prťalablement payť. Maintenant oý trouver l'argent? C'ťtait un second point ťgalement difficile ŗ rťsoudre. Il ťtait impossible de l'enlever directement aux contribuables sans ruiner le pays, et, depuis cinquante ans, la France n'avait pas de crťdit. Comment le crťer, et l'exploiter tout ŗ la fois, dans un moment de crise et de dťtresse? Cette position occupait les veilles du cabinet Richelieu; mon pŤre s'associait ŗ ses inquiťtudes et ŗ ses agitations avec un entier dťvouement. Tel ťtait l'ťtat politique de la situation lorsque je me dťcidai ŗ venir passer quelques semaines ŗ Paris. Mon frŤre y ťtait retenu par son service auprŤs de monsieur le duc d'AngoulÍme. Il logeait chez moi, de faÁon qu'en arrivant ŗ l'a fin de dťcembre 1816, je me trouvai en mťnage avec lui. Il me prťvint que les opinions ultras avaient redoublť de violence, depuis l'ordonnance du 5 septembre. J'en eus la preuve quelques instants aprŤs. La vicomtesse d'Osmond, ma tante, arriva chez moi; je la savais le type du parti ťmigrť de Paris, comme son mari l'ťtait du parti ťmigrť des gentilshommes de province. J'ťvitai soigneusement tout ce qui pouvait engager une discussion; mais, croyant rester sur un terrain neutre, je m'avisai de vanter un ťcrit de monsieur Guizot que j'avais lu en route et qui se trouvait sur ma table. Il ťtait dans les termes de la plus grande modťration et sur des questions de pure thťorie. La vicomtesse s'enflamma sur-le-champ. ęQuoi! le pamphlet de cet affreux monsieur Guizot? Il n'est pas possible, chŤre petite, que vous approuviez une pareille horreur!Ľ Mon frŤre tťmoigna son ťtonnement de la maniŤre dont elle en parlait. Il n'avait pas lu la brochure, mais il avait entendu monsieur le duc d'AngoulÍme en faire grand ťloge. ęMonsieur le duc d'AngoulÍme! Ah! je le crois bien! peut-Ítre mÍme ne l'a-t-il pas trouvťe assez jacobine, assez insultante pour les royalistes...Ľ Et, s'ťchauffant dans son harnois, elle finit par dťclarer le livre atroce et son auteur pendable. Quant aux lecteurs bťnťvoles, ils lui paraissaient ťgalement odieux. Je vis que Rainulphe m'avait bien renseignťe. Les folies ťtaient encore grandies pendant mon absence. Je me tins pour avertie; mais mes soins pour ťviter des discussions, dont je reconnaissais la complŤte inutilitť, avec un parti oý les personnalitťs insultantes arrivent toujours au troisiŤme argument, furent insuffisants. Une prompte retraite ťtait le seul moyen ŗ employer contre les querelles. J'y avais recours toutes les fois que cela ťtait possible, mais je ne pouvais pas toujours ťviter les attaques; alors il fallait bien rťpondre, car, si je consentis ŗ fuir avant l'action, mes concessions n'allaient pas au delŗ. Je ne prťtends pas n'avoir point modifiť frťquemment mes opinions, mais j'ai toujours eu le courage de celles du moment. Ce fut bien peu de jours aprŤs mon arrivťe que, causant sťrieusement avec une femme d'esprit, trŤs bonne au fond, qui voulait m'effrayer sur la tendance modťrťe et conciliante du ministŤre Richelieu, elle me dit: ęEnfin, voyez, chŤre amie, les sacrifices qu'on nous impose et combien cela doit exaspťrer! Les Cent-Jours coŻtent plus de dix-huit cents millions. Eh bien, que nous a-t-on donnť pour tout cela, et encore avec quelle peine? la tÍte de deux hommes.Ľ Je fis un mouvement en arriŤre. ęMa chŤre, rťflťchissez ŗ ce que vous venez de dire; vous en aurez horreur vous-mÍme, j'en suis sŻre.Ľ Elle fut un peu embarrassťe et voulut expliquer qu'assurťment ce n'ťtait pas dans des idťes sanguinaires ni mÍme de vengeance, mais qu'il fallait inspirer un salutaire effroi aux factieux et rassurer les honnÍtes gens (car ce sont toujours les _honnÍtes gens_ au nom desquels on rťclame des rťactions) en leur montrant qu'on les protťgeait efficacement. Au fond, le vťritable crime du ministŤre Richelieu ťtait de laisser en repos les fonctionnaires de l'Empire qui remplissaient bien leurs places. Le parti ťmigrť voulait tout accaparer. La Chambre introuvable et son ministre, Vaublanc, avaient travaillť ŗ cette _ťpuration_ (cela s'appelait ainsi) avec un zŤle que la sagesse du cabinet avait arrÍtť. Aussi monsieur Lainť, le successeur de monsieur de Vaublanc, ťtait-il en butte ŗ une animadversion forcenťe. On avait ťtabli qu'il ťtait enfant naturel, de sang de couleur, et qu'il avait dressť la guillotine ŗ Bordeaux. De sorte que, dans les salons, on l'appelait indiffťremment le B‚tard, le Mul‚tre, ou le Bonnet rouge. Il est devenu plus tard l'idole du parti qui l'avait dťcorť de ces titres, tous ťgalement inventťs et sans aucun fondement. Il faut reconnaÓtre, toutefois, que les royalistes n'ťtaient pas sans quelques griefs ŗ faire valoir; mais ils tenaient, en grande partie, ŗ la maladresse de leurs propres chefs. Ainsi, par exemple, en 1814, on avait formť les compagnies rouges de la maison du Roi. Je conviens, tout d'abord, combien il ťtait absurde d'ajouter aux armťes, les plus actives et les plus militaires du monde connu, un corps d'ťlite, composť de jeunes gens qui n'avaient jamais rien fait que des voeux contre l'Empire du fond de leur castel. Mais il n'en est pas moins vrai que la gentilhommerie franÁaise avait achevť de s'ťpuiser, dans un moment de dťtresse gťnťrale, pour parvenir ŗ ťquiper ses fils, les armer, les monter ŗ ses frais et les envoyer garder le monarque de ses affections. La plupart de ces jeunes gens avaient trouvť le moyen de se rendre ŗ Gand pendant les Cent-Jours. Ils furent licenciťs sans recevoir mÍme des remerciements. Les chefs tirŤrent bon et utile parti de leur situation, mais les simples gardes en furent pour leurs frais. Je ne prťtends pas qu'on dŻt conserver les compagnies rouges, mais il ne fallait pas les renvoyer avec cette _dťsinvolture_. Autre exemple: messieurs les capitaines des gardes du corps dťcidŤrent, tout ŗ coup, que leurs compagnies n'ťtaient pas assez belles et n'avaient pas l'air suffisamment militaire. Un beau matin ils les assemblŤrent, firent sortir des rangs ceux d'entre eux qui n'atteignaient pas une taille fixťe et les avertirent qu'ils ne faisaient plus partie du corps. Le hasard fit que cette rťforme tomba principalement sur des gardes ayant fait le service ŗ Gand. On leur donna, ŗ la vťritť, un brevet ŗ la suite d'une armťe encombrťe d'officiers. Ils devaient aller en solliciter l'exťcution dans des bureaux qui ne leur ťtaient nullement favorables, et les commis leur tenaient peu compte de la campagne ŗ Gand qu'ils appelaient _le voyage sentimental_. Une circonstance particuliŤre donna lieu ŗ beaucoup de clabauderie. Le colonel Pothier, voulant se marier, demanda, suivant l'usage, l'agrťment du ministre de la guerre. Au bout de quelques jours, on lui rťpondit qu'il ne pouvait pas se marier, attendu qu'il ťtait mort. Fort ťtonnť de cette rťvťlation, il sortait pour aller aux informations lorsqu'il vit entrer chez lui le comte Alexandre de Girardin qui lui prťsenta, de la faÁon la plus obligeante, des lettres de gr‚ce. Le colonel fut indignť et s'emporta vivement. Pendant les Cent-Jours, il avait ťtť retrouver le Roi ŗ Gand. Monsieur de Girardin, qui commandait dans le dťpartement du Nord pour l'Empereur, avait prťsidť un conseil de guerre qui condamnait le colonel Pothier et une douzaine d'autres officiers ŗ mort, pour dťsertion ŗ l'ťtranger. Il avait oubliť cet incident que, dans la rapiditť des ťvťnements, les parties les plus intťressťes avaient elles-mÍmes ignorť. Monsieur de Girardin devait ŗ son talent incontestable pour organiser les ťquipages de chasse une existence toute de faveur, et inťbranlable par aucune circonstance politique, auprŤs des princes de la Restauration. Il eut vent le premier de la rťvťlation faite au colonel Pothier et se h‚ta d'avoir recours au Roi, espťrant que la gr‚ce, portťe tout de suite, assoupirait cette affaire. Mais Pothier n'ťtait pas homme ŗ prendre la chose si doucement: il dťclara qu'il ne voulait pas Ítre graciť; il ne reconnaissait pas avoir _dťsertť ŗ l'ťtranger_. C'ťtait un acte infamant dont il ne voulait pas laisser la tache ŗ ses enfants. Monsieur de Girardin eut beau faire; il ne put empÍcher les criailleries et les haines du parti royaliste de se dťchaÓner contre lui; mais son talent pour placer les guerrards et faire braconner les oeufs de perdrix au profit des chasses royales l'a toujours soutenu en dťpit des passions auxquelles, du reste, il a amplement sacrifiť par la suite. Il se vantait, dŤs lors, de n'avoir repris de service auprŤs de l'Empereur, pendant les Cent-Jours, que pour le trahir et d'avoir conservť une correspondance active avec monsieur le duc de Berry, espŤce d'excuse qui m'a toujours paru beaucoup plus odieuse que la faute dont on l'accusait. Le parti royaliste avait donc bien quelques plaintes rationnelles ŗ faire valoir et il les exploitait avec l'aigreur qui lui est propre. Il acceptait assez volontiers le nom d'_ultra-royaliste_; mais, comme monsieur Decazes ťtait devenu sa bÍte noire, et qu'il avait peine ŗ tolťrer les personnes qui conservaient des rapports avec lui, il nous donnait en revanche celui de _quasi-royalistes_. Les quolibets ne lui ont guŤre manquť; celui-ci ťtait assez drŰle; mais souvent il en adopta de grossiers qui semblaient devoir Ítre repoussťs par des gens se proclamant les organes exclusifs du bon goŻt. J'eus bientŰt occasion de voir jusqu'oý l'animadversion ťtait portťe contre le favori du Roi. Je fis ma rentrťe dans le monde parisien ŗ une grande soirťe chez madame de Duras. Je circulais dans le salon, donnant le bras ŗ la vicomtesse de Noailles, lorsque j'aperÁus madame Princeteau. Je l'abordai, lui pris la main, et causai avec elle. Pendant ce temps, madame de Noailles l‚chait mon bras et s'ťloignait. Elle s'arrÍta ŗ quelques pas, auprŤs de la duchesse de Maillť. Je rejoignis ces dames avec lesquelles j'ťtais extrÍmement liťe. ęNous vous admirons de parler ainsi ŗ madame Princeteau ŗ la face d'IsraŽl. --Ah! c'est un courage de dťbutante; si elle ťtait ici depuis huit jours, elle n'oserait pas. --Comment voulez-vous que j'aie l'impertinence de passer ŗ cŰtť d'elle sans lui faire politesse? je dÓne chez son frŤre demain. --Cela ne fait rien, on va chez le ministre et on ne parle ni ŗ madame Princeteau, ni mÍme ŗ monsieur Decazes quand on les rencontre ailleurs. --Jamais je n'aurai cette grossiŤretť. --Nous verrons. --Je vous jure que vous ne verrez pas. --Hť bien, vous aurez un courage de lion.Ľ Ces dames avaient raison, car, pour ne point faire une absurde l‚chetť, il fallait affronter tout, jusqu'ŗ _la mode_! Je me dois la justice de lui avoir rťsistť. J'ai toujours eu un grain d'indťpendance dans ma nature qui s'opposait ŗ ces exigences de coteries. ņ propos de coterie, il s'en ťtait formť pendant mon absence une des plus compactes. Elle n'avait rien de politique ni de sťrieux, on l'avait appelťe, ou elle s'ťtait appelťe, _le ch‚teau_. Quelques femmes, retenues ŗ Paris pendant l'ťtť, avaient pris l'habitude de passer toutes leurs soirťes ensemble, comme elles l'auraient fait dans un ch‚teau de campagne, et y avaient attirť les hommes de leur sociťtť. Rien n'ťtait plus naturel. Mais, lorsque l'hiver avait ramenť le monde et les assemblťes nombreuses, elles avaient eu la prťtention d'y transporter leurs nouvelles habitudes. Elles arrivaient ensemble, s'ťtablissaient en rond dans un salon, entourťes de quelques hommes admis ŗ leur familiaritť, et ne communiquaient plus avec les vulgaires mortels. On me fit de grandes avances pour entrer dans ce sanhťdrin, composť de mes relations les plus habituelles. Non seulement je m'y refusai, mais je m'y dťclarai hostile ouvertement et en face. Mon argument principal pour le combattre (et je pouvais le soutenir sans offenser) ťtait que cette coalition enlevait ŗ la sociťtť les personnes les plus faites pour la parer et la rendre aimable. Petit ŗ petit les hommes de quelque distinction se retirŤrent du _ch‚teau_ qui fut pris en haine par tout ce qui n'en faisait pas partie. Quelques dames s'obstinŤrent encore un peu de temps ŗ le soutenir, mais il se dťmolit graduellement. Toutes en ťtaient dťjŗ bien ennuyťes lorsqu'elles y renoncŤrent. L'exclusif a quelque chose d'insociable qui ne rťussira jamais en France, pas plus pour les jeunes femmes que pour les savants ou les gens de lettres, encore moins pour les hommes politiques. Madame de Duras s'ťtait placťe vis-ŗ-vis du _ch‚teau_ dans la mÍme position que moi. Elle s'en tenait en dehors, quoique personnellement liťe avec tout ce qui le composait. Le duc de Duras n'ťtant plus de service, elle avait quittť les Tuileries. J'allais toujours beaucoup chez elle, mais moins journellement. Elle logeait dans la rue de Varenne et la distance m'arrÍtait quelquefois. J'y trouvais aussi une opposition assez vive au ministŤre pour me gÍner. Les mťcomptes de monsieur de Chateaubriand s'ťtaient prolongťs et aggravťs au point de le rendre trŤs hostile. Ses embarras pťcuniaires s'accroissaient chaque jour et sa mťchante humeur suivait la mÍme progression. Il conÁut l'idťe d'aller en Angleterre ťtablir un journal d'opposition, la presse ne lui paraissant pas suffisamment libre ŗ Paris pour attaquer le gouvernement du Roi. Mon pŤre redoutait fort cet incommode visiteur. Heureusement, les rťpugnances de madame de Chateaubriand, d'une part, et les sollicitations des _Madames_, de l'autre, le firent renoncer ŗ ce projet. Le dťsir de faire effet, autant que le besoin d'argent, l'engagŤrent ŗ vendre son habitation du Val-du-Loup. Son mťcontentement fut portť ŗ l'excŤs lorsqu'il reconnut que personne ne s'occupait d'un si grand ťvťnement; il avait pourtant cherchť ŗ lui donner le plus de publicitť possible. La maison avait ťtť mise en loterie ŗ mille francs le billet. Madame de Duras, aussi bien que lui, se persuadait que les souscripteurs arriveraient de toutes les parties du monde connu et que l'ingratitude de la maison de Bourbon pour son protecteur serait tellement ťtablie devant le public que les indemnitťs en argent, en places et en honneurs, allaient pleuvoir sur la tÍte de monsieur de Chateaubriand. Au lieu de cela, la loterie annoncťe, prŰnťe, colportťe, ne procura pas de souscripteurs, personne ne voulut de billet; je crois qu'il n'y en eut que trois de placťs. Mathieu de Montmorency acheta le Val-du-Loup en remboursement d'un prÍt fait prťcťdemment ŗ monsieur de Chateaubriand. La Cour, le gouvernement, le public, l'ťtranger, personne ne s'en ťmut, et monsieur de Chateaubriand se trouva dťpouillť de sa petite maison sans avoir produit l'effet qu'il en espťrait. L'irritation ťtait restťe fort grande dans son coeur. Il la fallait bien vive pour le dťcider, plus tard, ŗ s'associer aux autres fondateurs du _Conservateur_. Il n'avait rien de commun avec eux, ni leurs prťjugťs, ni leurs sentiments, ni leurs regrets, ni leurs espťrances, ni leur sottise, ni mÍme leur honnÍtetť. Il n'y a aucun moment de sa vie oý ses convenances de position l'aient plus ťcartť de ses opinions, de ses goŻts et de ses tendances personnelles. La plupart des thŤmes qu'ils soutenaient rťpugnaient ŗ son jugement; il les aurait bien mieux et plus volontiers rťfutťs s'il s'ťtait trouvť au pouvoir et appelť ŗ les combattre. Au demeurant, il ťtait bien maussade ŗ cette ťpoque et il m'en voulait terriblement d'Ítre ministťrielle. Au reste, ce n'ťtait pas la mode parmi ceux qui se prťtendaient les royalistes par excellence. Je me souviens qu'ŗ un grand bal chez le duc de Castries, le prince de Poix, qui pourtant honorait monsieur Decazes de sa bienveillance, lui frappa sur l'ťpaule en lui disant tout haut: ęBonsoir, cher traÓtre.Ľ Monsieur Decazes parut assez surpris de l'interpellation pour embarrasser le prince de Poix qui, pour raccommoder cette premiŤre gaucherie, ajouta, avec son intelligence accoutumťe: ęMais, que voulez-vous, ils vous appellent tous comme cela.Ľ Au fond, le prince de Poix disait la vťritť, mais la naÔvetť ťtait un peu forte. Monsieur Decazes fut trŤs dťconcertť et probablement fort irritť. S'il est vrai, comme je le crois, qu'il se soit un peu trop jetť dans une rťaction vers la gauche dans les annťes 1817 et 1818, certes le parti royaliste peut bien se reprocher de l'y avoir poussť. Il est impossible que des insultes aussi rťitťrťes ne finissent pas par exaspťrer; et, sans en avoir la conscience, l'homme d'…tat ne rťsiste pas constamment au besoin de dťfendre, peut-Ítre mÍme de venger, l'homme privť. Monsieur Decazes aurait trouvť de grandes facilitťs ŗ exercer des reprťsailles s'il avait voulu, car, ŗ cette ťpoque, le Roi ne lui aurait rien refusť; mais sa nature est bienveillante. CHAPITRE VII Nťgociations pour un emprunt. -- Ouvrard va en Angleterre. -- Il amŤne monsieur Baring chez mon pŤre. -- Confťrence avec lord Castlereagh. -- Arrivťe de messieurs Baring et LabouchŤre ŗ Paris. -- Espťrances trompťes. -- DÓner chez la marťchale Moreau. -- Brochure de Salvandy. -- Influence du gťnťral Pozzo sur le duc de Wellington. -- Soirťe chez la duchesse d'Escars. -- Monsieur Rubichon. -- L'emprunt ťtant conclu, l'opposition s'en plaint. J'ai dťjŗ dit que toutes les sollicitudes du gouvernement portaient sur la libťration du territoire et que cette nťgociation se trouvait ramenťe ŗ une question d'argent. Ouvrard, le plus intelligent s'il n'est le plus honnÍte des hommes de finance, s'offrit ŗ la traiter. Il proposa plusieurs plans. Les capitalistes franÁais, consultťs, dťclarŤrent unanimement qu'il n'y avait aucun fond ŗ faire sur le crťdit. Monsieur Laffite, entre autres, se moqua hautement de la pensťe d'un emprunt et dit textuellement ŗ Pozzo, dont il ťtait le banquier et qui s'ťtait chargť de le sonder, que la France ne trouverait pas un petit ťcu ŗ emprunter sur aucune place de l'Europe. Cet esprit de la Bourse de Paris dťsolait notre cabinet plus encore comme symptŰme que comme rťsultat. Car les puissances, et surtout la Prusse, n'acceptaient pas la garantie de capitalistes franÁais et voulaient que l'emprunt fŻt consenti par des ťtrangers. Si donc les banquiers franÁais s'ťtaient prťsentťs, il y aurait eu une difficultť d'un autre genre ŗ les ťconduire. Ouvrard seul persistait ŗ soutenir la possibilitť de rťtablir le crťdit. On lui donna mission pour s'en occuper et il partit pour Londres. Il se mit en rapport avec mon pŤre qu'il sťduisit par des aperÁus les plus spťcieux et, en apparence, les plus clairs. Il ne doutait jamais de rien. Au bout de peu de semaines, Ouvrard l'avertit que l'emprunt ťtait fait ŗ des conditions fort avantageuses dont il envoyait le dťtail ŗ monsieur Corvetto. Les maisons Baring et LabouchŤre s'en chargeaient; il ne restait plus qu'une difficultť; elle n'ťtait pas de sa compťtence. Messieurs Baring et LabouchŤre ne demandaient en aucune faÁon la garantie de l'…chiquier, mais seulement l'assurance qu'en se chargeant de l'opťration ils ne feraient rien de contraire aux intentions du gouvernement et qui pŻt nuire aux intťrÍts anglais. Ils dťsiraient s'en expliquer avec mon pŤre. La confťrence eut lieu. Monsieur Baring y fut conduit par Ouvrard. Il se dťclara prÍt ŗ traiter dŤs que lord Castlereagh l'y aurait autorisť. Mon pŤre se rendit chez le ministre; ils tombŤrent d'accord de ce qu'il convenait de faire pour mťnager les autres puissances, et principalement les susceptibilitťs du duc de Wellington. Le lendemain, mon pŤre conduisit messieurs Baring et LabouchŤre chez lord Castlereagh; il les y laissa. Peu de temps aprŤs, ces messieurs revinrent lui demander leurs passeports. Non seulement le ministre avait autorisť mais il avait approuvť et avait ťtť jusqu'ŗ dire que ęces messieurs feraient un acte de bon citoyen anglais en se chargeant de cette transaction, qu'ils rendraient un service ťminent ŗ l'Europe entiŤre.Ľ Ils ťtaient enchantťs. Monsieur Baring ajouta que lord Castlereagh lui avait recommandť, en souriant, de dťbarquer chez le duc de Wellington et de prendre ses conseils, attendu que Sa Gr‚ce avait des prťtentions toutes particuliŤres ŗ l'habiletť en matiŤre de finances et y attachait infiniment plus de prix qu'ŗ ses talents militaires. Ils partirent le soir mÍme en compagnie d'Ouvrard qui les devanÁa et arriva en courrier. Quoique le secret fŻt essentiel, j'ťtais au courant de ce qui se passait et bien heureuse comme on peut croire, d'autant que Pozzo m'annonÁait les dispositions du duc excellentes et qu'on ne semblait avoir aucun autre obstacle ŗ vaincre. Aussi c'ťtait avec une satisfaction que je dissimulais de mon mieux, que j'entendais chaque jour [discuter] sur l'absurde crťdulitť du cabinet qui avait eu la folle idťe de pouvoir faire un emprunt. Chacun avait connaissance d'un banquier, ou d'un agent de change, qui lui avait dťmontrť la vanitť d'un tel projet. Il est vrai qu'on en riait ŗ la Bourse. Deux heures aprŤs son arrivťe ŗ Paris, Ouvrard ťtait chez moi. Il avait vu nos ministres; il avait vu le duc de Wellington; il avait vu Pozzo: il ťtait radieux. Ce dernier ne tarda pas ŗ nous rejoindre, enchantť de sa propre visite au duc. Je me rappelle que nous dÓnions en trŤs petit comitť chez monsieur Decazes; je laisse ŗ penser si nous ťtions joyeux. Le lendemain matin, je reÁus un billet de Pozzo qui me disait de l'attendre afin de pouvoir ťcrire ŗ Londres aprŤs l'avoir vu. Le duc l'avait envoyť chercher. Il entra chez moi la figure toute dťcomposťe. Messieurs Baring et LabouchŤre ťtaient arrivťs; rien n'ťtait conclu; Ouvrard avait pris ses voeux pour des faits accomplis: ou il s'ťtait trompť, ou il avait voulu tromper pour faire un coup de Bourse, ce dont il ťtait bien capable. Mais enfin, loin que ces messieurs eussent consenti les arrangements qu'il avait apportťs comme conclus, ils dťclaraient n'avoir ni acceptť, ni mÍme discutť aucune proposition. Ils ne venaient que pour ťcouter ce qu'on leur demanderait. Ils avaient au moment mÍme une confťrence avec monsieur Corvetto; mais, d'aprŤs ce qu'ils avaient laissť entendre au duc des bases sur lesquelles ils consentiraient ŗ traiter, elles ťtaient toutes diffťrentes des paroles portťes par Ouvrard et tellement onťreuses qu'il ťtait presque aussi impossible de les accepter que de se passer d'un emprunt. La chute ťtait profonde de notre joie de la veille. Je la sentis doublement et pour Paris et pour Londres. C'ťtait un grand dťboire pour mon pŤre qui semblait pris pour dupe. Je crois bien qu'Ouvrard avait jouť tout le monde en rťussissant avec beaucoup d'adresse ŗ ťviter des paroles explicites sur l'ťtat de la nťgociation; mais, lui-mÍme, je pense, s'ťtait trompť dans ses propres finesses et avait espťrť que ces messieurs, aprŤs leur dťmarche vis-ŗ-vis du cabinet anglais et leur voyage ŗ Paris, se trouveraient trop engagťs pour reculer et accepteraient, ou ŗ peu prŤs, ses plans sur l'emprunt. Je crois aussi que monsieur Baring, avec lequel il s'ťtait principalement abouchť ŗ Londres et qui ťtait bien plus facile en affaires que monsieur LabouchŤre, s'ťtait montrť plus disposť ŗ la transaction telle qu'elle ťtait offerte. Il est assez probable que, pendant le voyage qu'ils firent dans la mÍme voiture, monsieur LabouchŤre n'avait pas employť inutilement son ťloquence ŗ engager son collŤgue ŗ profiter des nťcessitťs de la France pour lui imposer de plus rudes conditions. Ce qu'il y a de sŻr, c'est que les trois confťrences que mon pŤre avait eues avec ces messieurs, en prťsence d'Ouvrard ŗ la vťritť, lui avaient laissť l'impression que les bases de la transaction ťtaient arrÍtťes. Cela ťtait si peu exact que, lorsqu'ils sortirent du cabinet de monsieur Corvetto, le jour de leur arrivťe ŗ Paris, tout ťtait rompu. Je ne suivrai pas le dťtail de la maniŤre dont la nťgociation fut renouťe. Le duc de Wellington ne s'y ťpargna pas. Quand une fois on lui avait fait adopter une idťe et qu'on parvenait ŗ la lui persuader _sienne_, il la suivait avec persťvťrance. Pozzo excellait dans cet art, et c'est un des grands services qu'il a rendus ŗ la France dans ces temps de douloureuse mťmoire oý notre sort dťpendait des caprices d'un vieil enfant g‚tť. Je me rappelle une circonstance oý ce jeu eut lieu devant nous d'une faÁon assez plaisante. Monsieur de Barante, parlant ŗ la tribune comme commissaire du Roi dans je ne sais quelle occasion, dťsigna l'armťe d'occupation par l'ťpithŤte de _cent cinquante mille garnisaires_. L'expression ťtait juste, mais le duc de Wellington fut courroucť ŗ l'excŤs et on eut grand'peine ŗ l'apaiser. Peu de jours aprŤs, je dÓnai chez la marťchale Moreau avec une partie de nos ministres. Ils arrivŤrent dťsolťs. Il avait paru le matin une petite brochure intitulťe _La France et la Coalition_, c'ťtait le premier ouvrage d'un trŤs jeune homme, Salvandy. Il ťtait ťcrit avec un patriotisme plein de coeur et de talent, et tout franchement il appelait la nation aux armes contre les cent cinquante mille garnisaires. On ťtait en pleine nťgociation pour l'emprunt et pour la rťduction de l'armťe d'occupation. Pour rťussir, il fallait maintenir la bonne humeur du duc et on redoutait l'effet que cette brochure allait produire sur lui. Le duc de Richelieu ťtait consternť; monsieur Decazes partageait son inquiťtude. Il avait la brochure dans sa poche; il en montra quelques phrases ŗ Pozzo: elles lui parurent bien violentes. ęCependant, dit-il, si le duc n'en a pas encore entendu parler, nous nous en tirerons.Ľ AprŤs s'Ítre fait attendre une heure, suivant son usage, le duc arriva avec son sourire impassible sur son ci-devant beau visage, et son: ęAh! oui! Ah! oui!Ľ au service de tout le monde; c'ťtait signe de bonne humeur. Pozzo me dit: ęLe duc ne sait rien.Ľ Puis, s'adressant au duc de Richelieu qui ťtait ŗ cŰtť de moi: ęSoyez tranquille; je me charge de votre affaire.Ľ Il s'ťloigna des ministres avec une sorte d'affectation, prit l'air trŤs grognon, dit ŗ peine un mot pendant le dÓner et eut soin de laisser remarquer sa maussaderie. ņ peine le cafť pris, il entraÓna le duc sur un canapť et lui parla avec fureur de cette affreuse brochure et de la nťcessitť de se rťunir pour en porter les plaintes les plus amŤres. Il n'y avait plus moyen de supporter de pareilles insolences, etc. Le duc, tout ťpouffť de cette sortie, lui demanda des dťtails sur la brochure. Il lui en rapporta des phrases dont il eut soin d'envenimer les expressions. Le duc s'occupa ŗ calmer les violences de l'ambassadeur, le pria de ne faire aucune dťmarche sans Ítre entendu avec lui, promit de lire la brochure et lui donna rendez-vous pour le lendemain matin. Pozzo vint reprendre son chapeau qui se trouvait prŤs de moi et me dit: ęPrťvenez-les que tout est accommodťĽ, et partit sans avoir ťchangť une parole avec nos ministres. Le duc, en revanche, se rapprocha d'eux et fit mille frais pour compenser la mauvaise humeur de son collŤgue de Russie. Le lendemain matin, Pozzo se rendit chez le duc. Celui-ci avait lu la brochure; sans doute elle ťtait inconvenante, mais moins que le gťnťral Pozzo ne l'avait annoncť. Les phrases rťpťtťes la veille ťtaient moins offensantes, l'ťpithŤte la plus insultante ne s'y trouvait pas; puis c'ťtait l'oeuvre d'un tout jeune homme qui n'avait aucune importance personnelle; enfin la lecture n'avait pas excitť la colŤre du duc autant que celle de Pozzo. Celle-ci s'ťtait un peu apaisťe pendant la nuit. Il se laissa persuader par l'ťloquence du duc et consentit ŗ ne point faire d'ťclat, d'autant qu'il avait appris que le gouvernement franÁais ťtait indignť et dťsolť de cette intempestive publication. Il fut donc convenu qu'on la tiendrait pour non avenue; tout au plus en ferait-on mention _amiablement_ pour tťmoigner en avoir connaissance et n'en tenir aucun compte. Nous nous amus‚mes fort de cette espŤce de proverbe. On comprend que Pozzo n'abusait pas de ces formes et qu'il en usait assez sobrement pour que le duc ne pŻt jamais se douter de l'empire qu'il exerÁait sur lui. Il ne faut pourtant pas croire que le duc de Wellington fŻt un homme nul. D'abord, il avait l'instinct de la guerre ŗ un haut degrť quoiqu'il en sŻt mal la thťorie, et le jugement sain dans les grandes affaires quoique dťpourvu de connaissances acquises. Avec peu de moralitť dans quelques parties de sa conduite, il ťtait ťminemment loyal et franc, c'est-ŗ-dire qu'il ne cherchait jamais ŗ dissimuler sa pensťe du jour, ni son engagement de la veille; mais une fantaisie suffisait pour faire changer sa volontť du tout au tout. C'ťtait ŗ combattre ses frťquents caprices, ŗ empÍcher qu'ils ne dirigeassent ses actions, que le gťnťral Pozzo s'employait habilement, et souvent avec succŤs. Le duc l'ťcoutait d'autant plus volontiers qu'il le savait dans sa dťpendance par l'ťvťnement de 1815 dont j'ai dťjŗ rendu compte. Les nťgociations pour l'emprunt avaient ťtť reprises et tout ťtait conclu; on devait signer le lendemain. J'allai passer la soirťe chez la duchesse d'Escars, aux Tuileries (son mari ťtait premier maÓtre d'hŰtel). Je fus frappťe, en arrivant, de voir un groupe nombreux au milieu du salon. Un homme y pťrorait. C'ťtait un certain Rubichon, espŤce de mauvais fou, qui avait fait des banqueroutes ŗ peu prŤs frauduleuses dans plusieurs contrťes, mais qui n'en ťtait pas moins l'oracle du parti ultra et le financier du pavillon de Marsan. Pour se mieux faire entendre, il ťtait montť sur les barreaux d'une chaise et dominait la foule de la moitiť de sa longue et maigre personne. Il prophťtisait malheur au gouvernement du Roi, accumulait argument sur argument pour prouver le dťsordre des finances, l'impossibilitť de payer l'impŰt et la banqueroute immanquable avant quinze jours. Pour complťter le scandale de cette parade, dans le palais mÍme du Roi et ŗ la clartť des bougies qu'il payait, monsieur Rubichon avait pour auditeurs monsieur Baring et monsieur LabouchŤre. Je remarquai en cette occasion l'attitude diffťrente de ces deux hommes. Baring haussait les ťpaules et, au bout de peu d'instants, s'ťloigna. Monsieur LabouchŤre ťcoutait avec une grande attention, hochait la tÍte, sa physionomie se rembrunissait et il ťprouvait ou feignait de l'anxiťtť. Je sus que le lendemain, lorsqu'il s'agit de signer, il voulut faire valoir les inquiťtudes de Rubichon pour aggraver les conditions; mais la franche loyautť de Baring s'y opposa, et il combattit lui-mÍme les arguments de son associť. Il n'en restait pas moins vrai que les plus intimes serviteurs du Roi avaient fait tout ce qui dťpendait d'eux pour augmenter les embarras de la position. Ils continuŤrent leurs manoeuvres. Ils avaient, la veille, dťclarť l'emprunt impossible ŗ aucun taux; le lendemain, ils le trouvŤrent trop onťreux; et, aprŤs avoir proclamť l'augmentation imminente de l'armťe d'occupation qui devait, selon eux, s'emparer de nos places fortes, ils se plaignirent amŤrement que la conclusion de l'emprunt n'amen‚t qu'une rťduction de trente mille hommes. Voilŗ le langage des soi-disant amis. L'opposition, de son cŰtť, faisait des phrases sur ce qu'on ne devait pas expulser les ťtrangers avec de l'_or_ mais avec du _fer_. C'ťtaient autant de nouveaux Camilles. Cela ťtait assurťment d'un fort beau patriotisme; mais, hťlas! il y avait autour de nos frontiŤres un million de _Brennus_ tout prÍts ŗ leur rťpondre: _Malheur aux vaincus!_ ņ la Bourse, les mÍmes gens, qui se riaient de pitiť quand monsieur Corvetto avait annoncť le dťsir de faire un emprunt et le dťclaraient impossible ŗ aucun prix, se plaignaient de n'en Ítre pas chargťs et protestaient qu'ils l'auraient pris ŗ des termes moins onťreux, de maniŤre que ce succŤs inespťrť fut tellement attťnuť par les haines de parti qu'il n'en resta presque rien au gouvernement du Roi. J'en fus aussi surprise que dťsappointťe. Depuis plusieurs mois, je voyais nťgocier cette affaire; je l'avais sue faite et manquťe plusieurs fois. J'avais suivi les craintes et les espťrances de tous ces bons esprits, de tous ces coeurs patriotiques. Je savais les insomnies qu'ils avaient ťprouvťes, les anxiťtťs avec lesquelles on avait attendu un courrier de Berlin..., un assentiment de Vienne.... Je voyais l'emprunt fait ŗ un taux supportable par des capitalistes ťtrangers inspirant assez de confiance aux puissances pour qu'elles consentissent ŗ des termes de payements qui le rendaient possible. Elles nous donnaient un tťmoignage immťdiat de leur bonne foi en retirant trente mille hommes de l'armťe d'occupation. Il ťtait prťsumable, dŤs lors, que l'ťvacuation complŤte du territoire suivrait prochainement, et la suite l'a prouvť. C'ťtait assurťment le plus beau succŤs qu'une administration, placťe dans une position aussi difficile, pŻt obtenir; mais il lui fallait interroger sa propre conscience pour en jouir, car, amis et ennemis, tout le monde l'avait si bien escomptť par avance que l'effet en fut fort attťnuť. Le duc de Richelieu ťtait un des hommes qui pouvait le mieux se replier sur son noble coeur et se trouver suffisamment payť par les services qu'il rendait. Je dis _lui_, particuliŤrement, parce que la confiance inspirťe par sa loyautť avait contribuť plus qu'aucune autre chose au succŤs de la nťgociation; mais ses collŤgues avaient partagť ses veilles et ses travaux; ils mťritaient une part de reconnaissance si les nations savaient en avoir quand elles souffrent. Pour moi, qui ne me piquais pas d'autant de philosophie, je fus indignťe de cette ingratitude; Pozzo en rugissait. CHAPITRE VIII Madame la duchesse de Berry. -- La duchesse de Reggio. -- Le mariage de mon frŤre avec mademoiselle DestilliŤres est convenu. -- ScŤne aux Tuileries. -- Le Roi est malade. -- Le _Manuscrit de Sainte-HťlŤne_. -- Lectures chez mesdames de Duras et d'Escars. -- SuccŤs de cette publication apocryphe. J'avais fait ma cour en arrivant, mais je n'avais pas vu madame la duchesse de Berry qu'un commencement de grossesse retenait chez elle. Je l'aperÁus pour la premiŤre fois au bal chez le duc de Wellington; elle me parut infiniment mieux que je ne m'y attendais. Sa taille, quoique petite, ťtait agrťable; ses bras, ses mains, son col, ses ťpaules d'une blancheur ťclatante et d'une forme gracieuse; son teint beau et sa tÍte ornťe d'une forÍt de cheveux blond cendrť admirables. Tout cela ťtait portť par les deux plus petits pieds qu'on pŻt voir. Lorsqu'elle s'amusait ou qu'elle parlait et que sa physionomie s'animait, le dťfaut de ses yeux ťtait peu sensible; je l'aurais ŗ peine remarquť si je n'en avais pas ťtť prťvenue. Son ťtat l'empÍchait de danser; mais elle se promena plusieurs fois dans le bal donnant le bras ŗ son mari. Elle n'avait ni gr‚ce, ni dignitť. Elle marchait mal et les pieds en dedans; mais ils ťtaient si jolis qu'on leur pardonnait, et son air d'excessive jeunesse dissimulait sa gaucherie. ņ tout prendre, je la trouvai bien. Son mari en paraissait fort occupť ainsi que Monsieur (le comte d'Artois) et madame la duchesse d'AngoulÍme. Quant ŗ monsieur le duc d'AngoulÍme, il s'y trouvait si mal ŗ son aise que, dŤs qu'il entrait dans un salon, sa seule pensťe ťtait le dťsir d'en sortir et qu'il n'y restait jamais plus d'un quart d'heure, se contentant de faire acte de prťsence quand cela ťtait indispensable. Madame la duchesse de Berry ťtait arrivťe en France complŤtement ignorante sur tout point. Elle savait ŗ peine lire. On lui donna des maÓtres. Elle aurait pu en profiter, car elle avait de l'esprit naturel et le sentiment des beaux-arts; mais personne ne lui parla raison, et, si on chercha ŗ lui faire apprendre ŗ ťcorcher un clavier ou ŗ barbouiller une feuille de papier, on ne pensa guŤre, en revanche, ŗ lui enseigner son mťtier de princesse. Son mari s'amusait d'elle comme d'un enfant et se plaisait ŗ la g‚ter. Le Roi ne s'en occupait pas sťrieusement. Monsieur y portait sa facilitť accoutumťe. Madame la duchesse d'AngoulÍme, seule, aurait voulu la diriger, mais elle y mettait des formes acerbes et dominatrices. Madame la duchesse de Berry commenÁa par la craindre, et bientŰt la dťtesta. Madame la duchesse d'AngoulÍme ne fut pas longtemps en reste sur ce sentiment que monsieur le duc de Berry combattit faiblement; car, tout en rendant justice aux vertus de sa belle-soeur, il n'avait aucun goŻt pour elle. Menant, d'ailleurs, une vie plus que lťgŤre, il ne se souciait pas de contrarier sa femme et lui soldait en complaisances les torts qu'il avait d'un autre cŰtť. C'ťtait un bien mauvais calcul pour tous deux, car la petite princesse avait fini par devenir aussi exigeante que maussade. Son mari lui rťpťtait sans cesse qu'elle ne devait faire que ce qui l'amusait et lui plaisait, ne se gÍner pour personne et se moquer de ce qu'on en dirait. De toutes les leÁons qu'on lui prodiguait, c'ťtait celle dont elle profitait le plus volontiers et dont elle ne s'est guŤre ťcartťe. Il ťtait curieux de lui voir tenir sa Cour, ricanant avec ses dames et n'adressant la parole ŗ personne. Il n'y a pas de pensionnaire qui ne s'en fŻt mieux tirťe, et pourtant, je le rťpŤte, il y avait de l'ťtoffe dans madame la duchesse de Berry. Une main habile en aurait pu tirer parti. Rien de ce qui l'entourait n'y ťtait propre, exceptť peut-Ítre la duchesse de Reggio, sa dame d'honneur; mais elle n'avait aucun crťdit. Cette nomination avait fait honneur au bon jugement de monsieur le duc de Berry et ŗ la sagesse du Roi. Madame la marťchale Oudinot, duchesse de Reggio, reprťsentait le rťgime impťrial ŗ la nouvelle Cour d'une faÁon si convenable et si digne que personne n'osait se plaindre de la situation oý on l'avait placťe, quoique les charges de Cour excitassent particuliŤrement l'envie du parti royaliste qui les regardait comme sa propriťtť exclusive. Il avait fallu ŗ la duchesse beaucoup de tact et d'esprit pour fonder sa position dans un monde tout nouveau et tout hostile. Elle y avait rťussi sans aucune assistance, car le marťchal Oudinot, brave soldat s'il en fut, ne savait que jouer, fumer, courir les petites filles et faire des dettes. Il fallait donc que sa femme eŻt de la considťration pour deux et elle y rťussissait. Ajoutons que le marťchal avait de grands enfants d'une premiŤre femme dont elle avait su se faire adorer. Il aurait ťtť bien heureux qu'elle prit de l'ascendant sur madame la duchesse de Berry; cela n'arriva pas. La duchesse de Reggio lui inspirait du respect; elle avait recours ŗ elle pour rťparer ses gaucheries, mais elle la gÍnait: elle n'avait pas de confiance en elle et, ŗ proportion que sa conduite est devenue plus lťgŤre, elle s'en est ťloignťe davantage. Je ne comptais rester que peu de semaines ŗ Paris; un ťvťnement de famille m'y retint plus longtemps que je n'avais prťsumť. J'avais trouvť mon frŤre en grande coquetterie avec mademoiselle DestilliŤres. Nous l'avions connue dans sa trŤs petite enfance. Elle ťtait ravissante et ma mŤre en raffolait. Il paraÓt que, dŤs lors, elle disait ne vouloir ťpouser que monsieur d'Osmond. La mort de ses parents l'avait laissťe hťritiŤre d'une immense fortune et maÓtresse de son sort. Sa main ťtait demandťe par les premiers partis de France, et mon frŤre ne songeait point ŗ se mettre sur les rangs; mais elle lui fit de telles avances qu'il en devint sincŤrement ťpris et s'engagea, quoique avec rťticence, dans le bataillon des prťtendants. Elle ne l'y laissa pas longuement dans la foule. Au bout de peu de temps, elle l'autorisa ŗ charger mon pŤre de la demander en mariage, pour la forme, ŗ son oncle qui ťtait son tuteur mais dont elle ne dťpendait en aucune faÁon. Cet oncle s'ťtait accoutumť ŗ l'idťe qu'elle resterait fille et qu'il continuerait ŗ disposer de sa fortune. Ce sort lui paraissait assez doux pour en souhaiter la prolongation indťfinie. Ainsi, loin de combattre les rťpugnances de mademoiselle DestilliŤres ŗ accepter les partis qu'on lui avait jusqu'alors proposťs, il cherchait ŗ les accroÓtre en lui faisant insinuer, par des personnes ŗ sa dťvotion, que sa santť, trŤs dťlicate, lui rendait le cťlibat nťcessaire. Lors donc que la lettre _officielle_ de mon pŤre lui fut remise, par un ami commun, monsieur de Bongard articula trŤs poliment un refus absolu et alla rendre compte ŗ sa niŤce de la demande et de la rťponse, fondťe, comme ŗ l'ordinaire, sur ce qu'elle ne voulait pas se marier. ęVous vous Ítes trompť, mon oncle, je ne voulais pas ťpouser les autres; mais je veux ťpouser monsieur d'Osmond.Ľ Monsieur de Bongard pensa tomber ŗ la renverse. Il fallut bien reprendre ses paroles, mais tous ses soins furent employťs ŗ retarder le mariage. Soit qu'il se flatt‚t de quelque circonstance qui pŻt le faire rompre, soit qu'il eŻt besoin d'un long intervalle pour rťgulariser l'illťgalitť de la gestion de sa tutelle, portťe ŗ un point fabuleux autant, je crois, par incurie que par malversation, il ťpuisait tous les prťtextes pour gagner du temps. Les jeunes gens, en revanche, ťtaient trŤs pressťs et me demandaient de rester de jour en jour, prťtendant que mon dťpart fournirait un argument de plus ŗ monsieur de Bongard pour ťloigner la noce. Il en vint pourtant ŗ ses fins, car le mariage, arrangť au mois de fťvrier et qui devait, s'accomplir le premier, le dix, le vingt de chaque mois, n'eut lieu qu'en dťcembre. Quoique le mariage de mademoiselle DestilliŤres fŻt de toutes les nouvelles du jour celle qui m'intťressait le plus, je m'occupais encore cependant des ťvťnements publics; et je fus trŤs consternťe, un matin, en apprenant que le roi Louis XVIII ťtait trŤs mal. Il donna de vives inquiťtudes pendant un moment. La loi d'ťlection se discutait ŗ la Chambre des dťputťs. Les princes ťtaient en opposition directe au gouvernement, car alors le cabinet ťtait composť de gens raisonnables. Monsieur le duc de Berry ameutait contre la loi et, dans une soirťe chez lui, cabala tout ouvertement pour grossir l'opposition. Le Roi en fut informť, le fit appeler, et le tanÁa vertement. Monsieur le duc de Berry se plaignit ŗ son pŤre et ŗ sa belle-soeur. Ils mirent en commun leurs griefs, s'ťchauffŤrent les uns les autres, et enfin, le soir aprŤs le dÓner, Monsieur, portant la parole, les exposa durement au Roi. Le Roi rťpondit vivement. Madame et le duc de Berry s'en mÍlŤrent; la querelle s'exalta ŗ tel point que Monsieur dit qu'il quitterait la Cour avec ses enfants. Le Roi rťpondit qu'il y avait des forteresses pour les princes rebelles. Monsieur rťpliqua que la charte n'admettait pas de prison d'…tat (car cette pauvre charte est invoquťe par ceux qui l'aiment le moins) et on se quitta sur ces termes amicaux. Monsieur le duc d'AngoulÍme avait seul gardť un complet silence. Le respect dŻ au pŤre rachetait en lui le respect dŻ au Roi, de faÁon qu'il se serait fait scrupule de donner tort ou raison ŗ aucun des deux. La colŤre une fois passťe, tous furent f‚chťs de la violence des paroles. Le pauvre Roi pleurait le soir en en parlant ŗ ses ministres; mais cette scŤne l'avait tellement ťprouvť qu'elle avait arrÍtť la digestion de son dÓner. La goutte dans l'estomac s'y ajouta; il pensa ťtouffer dans la nuit et, pendant plusieurs jours consťcutifs, il fut assez mal. Ce fut une occasion pour sa famille de lui tťmoigner une affection ŗ laquelle il feignait de croire pour acquťrir un peu de repos, mais dont il faisait peu d'ťtat. Le public savait aussi bien que le Roi l'opposition des princes; et la plaisanterie du moment ťtait d'appeler les boules noires mises au scrutin les _prunes de Monsieur_. Je m'applique ŗ ne point parler des ťvťnements connus sur lesquels je ne sais aucun dťtail particulier. Ainsi je ne dirai rien de la reprťsentation de _Germanicus_, tragťdie de monsieur Arnault, alors proscrit de France, qui exalta au dernier degrť les passions des partis impťrialiste et royaliste. Les sages prťcautions prises par l'autoritť pour empÍcher une collision entre les jeunes gens de l'ancienne armťe et les gardes du corps leur parurent ŗ tous entachťes de partialitť, et les deux partis se proclamŤrent lťsťs et persťcutťs par l'autoritť. On pourrait peut-Ítre en conclure qu'elle avait ťtť seulement sage et paternelle; mais les hommes, quand ils sont animťs par la passion, ne jugent pas si froidement et la fermentation ťtait restťe grande. C'est dans ce moment que je reÁus de Londres le premier exemplaire du _Manuscrit de Sainte-HťlŤne_. Je le lus avec un extrÍme intťrÍt; mais je me rappelle avoir mandť ŗ ma mŤre qu'il arrivait trop ŗ propos et rťpondait trop bien aux passions du moment pour me permettre de croire ŗ son authenticitť. C'ťtait le manifeste du parti bonapartiste tel qu'il existait en ce moment ŗ Paris, et il ťtait presque impossible de penser que, tracť au delŗ de l'Atlantique, il pŻt arriver prťcisťment ŗ l'instant opportun. Au reste, il me parut tellement propre ŗ servir de mŤche que je ne voulus prendre aucune part ŗ faciliter l'explosion. Ce livre, renfermť sous clef, ne sortit pas de chez moi et je n'en soufflai mot. Le surlendemain, madame de Duras me demanda si mes lettres de Londres parlaient d'un ťcrit de l'Empereur. Je rťpondis hardiment que non. Au bout d'une dizaine de jours, je reÁus un petit billet d'elle pour me recommander de ne pas manquer ŗ venir passer la soirťe chez elle. J'y trouvai une cinquantaine de personnes rťunies, la table, les bougies, le verre d'eau sucrťe de rigueur pour le lecteur; on allait commencer. Quoi? le _Manuscrit de Sainte-HťlŤne_! La mÍme reprťsentation se renouvela le lendemain chez la duchesse d'Escars. Pendant ces soirťes, j'ťtais poursuivie d'une idťe que je ne pouvais chasser. Je voyais Bonaparte apprenant que, chez le marťchal Duroc, une troupe de chambellans et de dames du palais ťtaient rťunis pour entendre et se passionner du rťcit bien pathťtique de l'expulsion de Louis XVIII de Mitau, des gardes du corps pleurant sur ses mains, de Madame leur distribuant ses diamants pour les empÍcher de mourir de faim, de leur vieux Roi les bťnissant, de l'abbť Marie quittant volontairement un monde oý l'injustice seule triomphait, etc., et toute la sociťtť impťrialiste, ťmue jusqu'aux larmes, surprise par l'entrťe de l'Empereur au milieu d'elle! Quelles auraient ťtť ses frayeurs! Comme Vincennes aurait ťtť peuplť le lendemain! Au reste, personne ne s'y serait risquť. Gr‚ce au ciel, et honneur en soit rendu ŗ la Restauration, la lecture, chez les dames que je viens de citer, pouvait Ítre dťplacťe, inconvenante, dangereuse mÍme pour le pays; mais elle ne pouvait troubler la sťcuritť de ceux qui y assistaient. Jamais aucune publication, de mon temps, n'a fait autant d'effet. Il n'ťtait plus permis d'ťlever un doute sur son authenticitť, et, plus on avait approchť l'Empereur, plus on soutenait l'ouvrage de lui. Monsieur de Fontanes reconnaissait chaque phrase. Monsieur Molť entendait le son de sa voix disant ces mÍmes paroles. Monsieur de Talleyrand le voyait les ťcrire. Le marťchal Marmont retrouvait des expressions de leur mutuelle jeunesse dont lui seul avait pu se servir, etc. Et tous et chacun ťtaient ťlectrisťs par cette ťmanation directe du grand homme. Je finis par me laisser persuader, tout en conservant mon ťtonnement de l'ŗ-propos de la publication: tant de gens plus compťtents affirmaient reconnaÓtre l'auteur qu'il y aurait eu de l'obstination ŗ en douter. Je restais persuadťe de l'inopportunitť de ces lectures. Toutefois, les gens qui s'y prÍtaient ťtaient de nature ŗ lever tous les scrupules que j'avais conÁus. Je possťdais deux exemplaires de la brochure, et je trouvai qu'il n'y avait plus que de la dťsobligeance ŗ les tenir enfermťs. Je les prÍtai donc et ne tardai pas ŗ m'en repentir, car chaque matin je recevais vingt billets qui me les demandaient. On se faisait inscrire ŗ tour de rŰle pour les obtenir. Aucune mystification n'a eu un succŤs plus complet ni plus utile ŗ un parti. La semi-publicitť ajoutait tout le prix de la mode et du fruit dťfendu ŗ un ouvrage devenu une sorte de manifeste; et les lectures faites en commun, appelant cette espŤce d'ťlectricitť que les hommes rťunis exercent les uns sur les autres, le rendaient d'autant plus propre ŗ exciter toutes les passions. Je n'ai jamais assistť ŗ une de ces reprťsentations dans une sociťtť impťrialiste; mais, ŗ en juger par l'effet qu'elles faisaient dans nos salons bourbonniens, on peut supposer qu'elles remuaient profondťment les ‚mes, exaltaient toutes les haines et tous les regrets. Le manuscrit de Sainte-HťlŤne restera au moins fameux dans les cabinets des bibliophiles comme contrefaÁon. Il est de monsieur Bertrand de Novion qui n'a aucune autre rťputation littťraire, n'a jamais vu l'Empereur de prŤs et n'a eu de rapports avec lui que pendant les Cent-Jours. Je sais bien que, depuis que l'auteur est connu, on a beaucoup dit qu'il ťtait impossible de s'y mťprendre; mais, au moment oý cette brochure parut, il ťtait encore plus impossible d'ťlever un doute sans se faire lapider. (_Note de 1841_).--AprŤs avoir profitť vingt-cinq ans du succŤs de cette publication et en avoir mÍme reÁu le salaire, monsieur Bertrand de Novion vient d'en restituer l'honneur ŗ son vťritable auteur, monsieur de Ch‚teauvieux. J'avais eu rťvťlation de son nom dans le temps; mais les habitudes, les relations, les opinions de monsieur de Ch‚teauvieux, toutes hostiles ŗ l'Empire, m'avaient ťloignťe d'y attacher aucune importance. Il faut son assertion, la reproduction du manuscrit ťcrit de sa main et l'aveu de monsieur Bertrand de Novion pour y croire ŗ l'heure qu'il est. CHAPITRE IX Monsieur de VillŤle. -- Intrigue de Cour pour ramener monsieur de Blacas. -- La duchesse de Narbonne. -- Martin et la soeur Rťcolette. -- Arrivťe de monsieur de Blacas. -- Dťjeuner aux Tuileries. -- La petite chienne de Madame. -- Sagesse de monsieur le duc d'AngoulÍme. -- Agitation des courtisans. -- Trouble de monsieur Molť. -- Bonne contenance de monsieur Decazes. -- Dťlais multipliťs de monsieur de Blacas. -- Il est congťdiť par le Roi. L'exaltation des bonapartistes, loin de calmer, servait mÍme de stimulant ŗ celle des ultras. Ils accusaient la longanimitť du Roi et la modťration du ministŤre. Selon eux, de sťvŤres rťpressions, des procŤs, des condamnations, des ťchafauds, mais surtout des destitutions auraient assis la Restauration sur des bases bien autrement solides. Monsieur de Chateaubriand avait, depuis longtemps, fait paraÓtre sa _Monarchie selon la charte_ ou il ne demandait que sept hommes dťvouťs par dťpartement, au nombre desquels il plaÁait le grand prťvŰt, et la libertť de la presse avec la peine de mort largement affectťe ŗ ses dťlits. Ces concessions paraissaient encore trop libťrales aux ultras, et il ťtait obligť de modifier ses doctrines pour rester un de leurs chefs. ņ plus petit bruit, il s'en ťlevait un autre bien moins brillant mais plus habile, monsieur de VillŤle. Son humble origine, ses formes vulgaires, sa tournure hťtťroclite, sa voix nasillarde le tenaient encore ťloignť des salons; mais il commenÁait ŗ avoir une grande influence ŗ la Chambre des dťputťs et ŗ grouper autour de lui le bataillon de l'opposition ultra. Toutefois, la Cour n'ťtait pas d'humeur ŗ attendre les rťsultats des manoeuvres constitutionnelles et elle en prťpara une pour son compte. Depuis le mariage de madame la duchesse d'AngoulÍme, madame de Sťrent et ses deux filles, les duchesses de Damas et de Narbonne, ťtaient restťes constamment auprŤs d'elle. Madame de Narbonne avait tout l'esprit que sa soeur croyait possťder. Le roi Louis XVIII n'avait pas manquť de saisir la diffťrence qui existait entre le prťtentieux bel esprit de madame de Damas et la distinction de bon aloi de madame de Narbonne. Il avait pris ŗ Hartwell l'habitude de causer assez confidentiellement avec cette derniŤre. Il aimait la sociťtť des femmes spirituelles; madame de Balbi lui en avait donnť le goŻt. Les deux soeurs ťtaient, quoique ŗ des degrťs diffťrents, liťes avec monsieur de Blacas. Son absence affligeait l'une et dťplaisait ŗ l'autre qui se voyait privťe du crťdit qu'elle exerÁait pendant son ministŤre. Tant que monsieur de Blacas avait ťtť tout-puissant prŤs du Roi, Monsieur et Madame l'avaient en horreur. Son expulsion les avait charmťs. Mais _mal passť n'est que songe_; on dťtestait encore plus les ministres prťsents. Le favoritisme du bourgeois et impťrialiste Decazes fit regretter le noble et ťmigrť Blacas. Avec celui-lŗ du moins, on s'entendait sur bien des points et la langue ťtait commune. Madame de Narbonne n'eut donc pas grand'peine ŗ faire reconnaÓtre aux princes qu'ils avaient beaucoup perdu au change. Restait ŗ ramener le Roi ŗ ses anciennes prťfťrences; elle entreprit de l'accomplir. Louis XVIII, homme du temps de sa jeunesse, ťtait, en matiŤre de religion, philosophe du dix-huitiŤme siŤcle. Les pratiques auxquelles il s'astreignait trŤs exactement n'ťtaient pour lui que de pure ťtiquette. Toutefois, malgrť son scepticisme ťtabli, il ne manquait pas d'une sorte de superstition. Il croyait, assez volontiers, que, si le bon Dieu existait et qu'il s'occup‚t de quelque chose, ce devait Ítre sans aucun doute du chef de la maison de Bourbon. Madame de Narbonne profita de l'accŤs qu'elle avait auprŤs de lui pour lui parler d'une certaine soeur Marthe, religieuse, et d'un cultivateur des environs de Paris, nommť Martin, qui, tous deux, avaient des visions tellement ťtranges par leur importance et leur similitude qu'elle se faisait un devoir d'en avertir le Roi. Dťjŗ, selon elle, toutes les consciences timorťes ťtaient bouleversťes par ces dťnonciations de l'abÓme vers lequel on s'avanÁait. Elle revint plusieurs fois ŗ la charge; le Roi consentit ŗ voir la soeur Marthe. Bien stylťe, probablement par les entours immťdiats du Roi, elle lui fit des rťvťlations intimes sur son passť, et parla comme il le fallait, pour le prťsent et l'avenir. Le Roi fut ťbranlť. Madame de Narbonne manda ŗ monsieur de Blacas, alors ambassadeur ŗ Rome, de venir sur-le-champ n'importe sous quel prťtexte; elle ťtait autorisťe ŗ lui promettre l'appui des princes et elle ne doutait pas de son succŤs auprŤs du Roi. En consťquence, un beau matin un valet de chambre du Roi, trŤs dťvouť ŗ monsieur de Blacas, remit ŗ Sa Majestť, en entrant dans sa chambre, un billet de monsieur de Blacas. Ne pouvant plus rťsister au besoin de son coeur, il ťtait arrivť ŗ Paris uniquement pour voir le Roi, le regarder, entendre sa voix, se prosterner ŗ ses pieds et repartir, ayant fait provision de bonheur pour quelques mois. Monsieur de Blacas avait trop spťculť sur la faiblesse qu'il connaissait ŗ Louis XVIII du besoin d'Ítre aimť pour lui-mÍme. Le Roi rťpondit sŤchement et verbalement: ęJe ne reÁois les ambassadeurs que conduits par le ministre des affaires ťtrangŤres.Ľ Monsieur de Blacas se trouva donc forcť d'aller d'abord chez le duc de Richelieu. Fort ťtonnť de voir entrer un ambassadeur qu'il croyait ŗ Rome, il ne douta pas que Louis XVIII ne l'eŻt mandť. Il lui demanda s'il avait vu le Roi. ęMais non, reprit monsieur de Blacas, vous pensez bien que je ne m'y serais pas prťsentť sans vous.Ľ Cette dťfťrence inattendue parut singuliŤre au duc qui, malgrť toute sa loyautť, dťmÍlait bien une intrigue au fond de ce retour inopinť. Il fut confirmť dans cette opinion lorsqu'en arrivant le Roi ne tťmoigna aucune surprise de voir monsieur de Blacas, et la froideur qu'il lui montra ne lui parut qu'un jeu concertť entre eux. Monsieur de Blacas, en jugea autrement, et comprit, dŤs lors, qu'il avait ťtť mal conseillť. Le Roi dÓnait toujours exclusivement avec la famille royale; mais les dťjeuners se passaient plus sociablement aux Tuileries, hormis pour Monsieur qui prenait seul, chez lui, sa tasse de chocolat. Monsieur le duc d'AngoulÍme dťjeunait avec son service du jour, le duc de Damas et le duc de Guiche. Monsieur le duc de Berry ajoutait aux personnes de sa maison celles de sa familiaritť et souvent mÍme faisait des invitations de politesse. Le Roi avait tous les matins une table de vingt couverts. En outre du service du jour, les grandes charges de la maison y assistaient quand elles voulaient, toujours sans invitation. Madame la duchesse d'AngoulÍme, accompagnťe de la dame de service, dťjeunait chez son oncle. Messieurs de Richelieu et de Blacas avaient le droit de s'asseoir ŗ cette table, en leur qualitť, de premier gentilhomme de la chambre et de premier maÓtre de la garde-robe; car, comme ministre et ambassadeur, ils n'y auraient pas ťtť admis, et le Roi aurait passť dans la salle ŗ manger sans leur dire de le suivre. Leur audience avait eu lieu peu avant l'heure du dťjeuner; ils accompagnaient le Roi lorsqu'il entra dans le salon oý les convives se trouvaient assemblťs. La surprise ťgala le malaise en voyant monsieur de Blacas qu'on croyait ŗ Rome. On cherchait ŗ lire sur la figure du Roi l'accueil qu'il lui fallait faire, mais sa physionomie ťtait impassible. La prťsence de monsieur de Richelieu gÍnait aussi ceux qui auraient voulu montrer les espťrances que peut-Ítre ils ressentaient. Tout le monde, selon l'usage, ťtait rťuni lorsque Madame arriva prťcťdťe d'une petite chienne que monsieur de Blacas lui avait autrefois donnťe; celle-ci sauta autour de son ancien protecteur et le combla de caresses. ęCette pauvre Thisbť, dit le Roi, je lui sais grť de si bien vous reconnaÓtre.Ľ Le duc d'Havrť se pencha ŗ l'oreille de son voisin et lui dit: ęIl faut faire comme Thisbť, il n'y a pas ŗ hťsiter.Ľ Et monsieur de Blacas fut entourť des plus affectueuses dťmonstrations. Madame ne montra pas plus de surprise que le Roi, mais accueillit monsieur de Blacas avec grande bienveillance. Il y a ŗ parier qu'elle n'ignorait pas l'intrigue qui se manoeuvrait. Monsieur le duc d'AngoulÍme dťjeunait plus tard que le Roi, et la princesse en sortant de chez son oncle venait toujours assister ŗ la fin de son repas oý elle mangeait, toute l'annťe, une ou deux grappes de raisin. Ce jour-lŗ elle raconta l'arrivťe de monsieur de Blacas. ęTant pisĽ, rťpondit sŤchement monsieur le duc d'AngoulÍme. Elle ne rťpliqua pas. Mon frŤre, qui, en sa qualitť d'aide de camp, dťjeunait chez son prince, fut frappť de l'idťe qu'il y avait dissidence dans le royal mťnage sur cet ťvťnement. Au reste, cela arrivait trŤs habituellement. Monsieur le duc d'AngoulÍme rendait une espŤce de culte ŗ sa femme qui avait pour lui la plus tendre affection, mais ils ne s'entendaient pas en politique. Sous ce rapport, Madame ťtait bien plus en sympathie avec Monsieur, et ni l'un ni l'autre n'exerÁaient d'influence sur monsieur le duc d'AngoulÍme. Lorsque Madame commenÁait une de ses diatribes d'ultra-royalisme, il l'arrÍtait tout court: ęMa chŤre princesse (c'est ainsi qu'il l'appelait) ne parlons pas de cela; nous ne pouvons nous entendre ni nous persuader rťciproquement.Ľ Aussi toutes les intrigues du parti s'arrÍtaient-elles devant la sagesse de monsieur le duc d'AngoulÍme qui refusait constamment de tťmoigner aucune opposition au gouvernement du Roi. Elles trouvaient, en revanche, des auxiliaires bien actifs dans les autres princes et leurs entours, y compris ceux du Roi. La nouvelle de l'arrivťe de monsieur de Blacas fit grand bruit, comme on peut penser. Je sus promptement le peu d'ťtonnement tťmoignť par le Roi, l'histoire de Thisbť et le _tant pis_ de monsieur le duc d'AngoulÍme. Selon le parti auquel on appartenait, on brodait le fond de diverses couleurs. Les courtisans avaient remarquť qu'aprŤs le dťjeuner monsieur de Blacas ayant parlť bas au Roi, il avait rťpondu tout haut de sa voix sťvŤre: ęC'est de droit, vous n'avez pas besoin de permission.Ľ On sut qu'il s'agissait de s'installer dans l'appartement du premier maÓtre de la garde-robe aux Tuileries. Cet appartement, arrangť pour monsieur de Blacas dans le plus fort de sa faveur, communiquait avec celui du Roi par l'intťrieur. On se rappela que le major gťnťral de la garde y avait ťtť logť provisoirement pendant qu'on travaillait ŗ son appartement, mais que les rťparations avaient ťtť poussťes avec un redoublement d'activitť depuis quelque temps; et que, deux jours avant, il avait pu s'installer [chez lui] et laisser libre l'appartement de monsieur de Blacas. J'avoue que cette circonstance, de la facilitť des communications, me parut grave. La franchise du monarque n'ťtait pas assez bien ťtablie pour que la froideur de la rťception sembl‚t tout ŗ fait rassurante. Monsieur de Blacas affecta de passer la matinťe tout entiŤre au Salon du Louvre oý il y avait alors exposition de tableaux; il ne parla pas d'autre chose pendant le dÓner chez le duc d'Escars. Il jeta en avant quelques phrases qui indiquaient le projet d'un prompt dťpart pour Rome. TrŤs anxieuse de savoir ce qui se passait, j'allai le soir chez monsieur Decazes. Le mÍme sentiment y avait amenť quelques personnes, la malice quelques autres, la curiositť encore davantage, si bien qu'il y avait foule. Tous les esprits y paraissaient fort agitťs, hormis celui du maÓtre de la maison. Lui semblait dans son assiette naturelle. Je n'en pourrais dire autant de monsieur Molť, alors ministre de la marine; il ťtait dans un trouble impossible ŗ dissimuler. Je le vois encore assis sur un petit sopha, dans le recoin d'une cheminťe, et avanÁant un ťcran sous prťtexte de se dťfendre de la lumiŤre, mais ťvidemment pour ťviter les regards ŗ sa figure renversťe. Ordinairement monsieur Decazes n'allait pas faire sa visite quotidienne au Roi les jours de ses rťceptions; cette fois il s'ťchappa de son salon. Peu aprŤs, quelqu'un (monsieur de Boisgelin, je crois), arrivant de l'ordre, me raconta que monsieur de Blacas, reprenant ses anciennes habitudes, avait suivi le Roi dans son intťrieur lorsqu'il y ťtait rentrť. L'absence du ministre de la police ne fut pas longue; son attitude ťtait parfaitement calme au retour; et je fis la remarque qu'avec moins d'esprit de conversation et bien moins d'ťlťgance de formes que monsieur Molť il avait, dans cette occasion, beaucoup plus le maintien d'un homme d'…tat. Le monde s'ťtant ťcoulť, je m'approchai de lui et je lui dis: ęQue dois-je mander demain ŗ mon pŤre? le courrier part. --Que je suis son plus dťvouť serviteur, aussi bien que le vŰtre. --Vous savez bien que ce n'est pas vaine curiositť qui me fait faire cette demande. Les gazettes ultras vont entonner la trompette; rťpondez-moi sťrieusement ce qu'il convient de dire ŗ l'ambassadeur. --Hť bien, sťrieusement, mandez-lui que monsieur de Blacas est arrivť aujourd'hui vendredi de Rome ŗ Paris et qu'il repartira jeudi de Paris pour Rome. --Jeudi! et pourquoi pas demain? --Parce que ce serait faire un ťvťnement de ce voyage et qu'il vaut infiniment mieux qu'il reste un ridicule. --Je comprends la force de cet argument, mais ne craignez-vous pas de voir prolonger la facilitť de ces communications entre les deux appartements? --Je ne crains rien; faites comme moi.Ľ Et il accompagna ces derniers mots d'un sourire pas mal arrogant. J'avoue que j'ťtais loin de partager sa sťcuritť, connaissant la faiblesse du Roi et la cabale qui l'entourait. Toutefois, monsieur Decazes avait raison. Le Roi ťtait capable d'intriguer contre ses ministres, mais il se serait fait scrupule de faire infidťlitť ŗ ses favoris. Toutes les fois qu'ils lui ont ťtť enlevťs, c'est par force majeure et jamais il n'en avait ťtť complice. Au dťjeuner du lendemain, le Roi affecta de parler du dťsir qu'il avait que le temps s'adoucÓt pour rendre le retour de monsieur de Blacas [plus agrťable]. Au moment oý on allait se sťparer, il lui dit tout haut: ęComte de Blacas, si vous avez ŗ me parler ce soir, venez avant l'ordre; aprŤs, c'est l'heure du ministre de la police.Ľ Or, la famille royale quittait le Roi ŗ huit heures; l'ordre ťtait ŗ huit heures un quart, ainsi le tÍte-ŗ-tÍte ne pouvait se prolonger d'une faÁon bien intime. Monsieur de Blacas s'inclina profondťment, mais on sentit le coup et, dans ce moment, Thisbť l'aurait caressť sans trouver d'imitateurs. Nťanmoins le parti dit du pavillon de Marsan, toujours prompt ŗ se flatter, affirmait et croyait peut-Ítre qu'il y avait un dessous de carte, que les froideurs n'ťtaient qu'apparentes, qu'une faveur intime en dťdommageait et ferait prochainement explosion. Je le croyais un peu, et surtout lorsque, la veille du jour fixť pour son dťpart, monsieur de Blacas se dťclara malade. Il garda sa chambre quarante-huit heures, puis reparut avec une extinction de voix qui ne permettait pas d'entreprendre un grand voyage. Il gagna une dizaine de jours par divers prťtextes. Le dernier qu'il employa fut le dťsir d'accompagner le Roi dans la promenade du 3 mai, anniversaire de son entrťe ŗ Paris. Il parcourait les rues en calŤche, sous la seule escorte de la garde nationale; cela plaisait ŗ la population. Monsieur de Blacas espťrait que le droit de sa charge le placerait dans la voiture du Roi; mais celui-ci fit un grand travail d'ťtiquette pour lui enlever cette satisfaction. Je ne me rappelle plus quelle en fut la manoeuvre, mais monsieur de Blacas ne figura que dans une voiture de suite. En rentrant, le Roi s'arrÍta ŗ la porte de son appartement, et, la tenant lui-mÍme ouverte, ce qui ťtait sans exemple, il dit bien haut: ęAdieu, mon cher Blacas, bon voyage, ne vous fatiguez pas en allant trop vite; je recevrai avec plaisir de vos nouvelles de Rome.Ľ Et _pan_, il frappa la porte ŗ la figure du comte qui s'apprÍtait ŗ le suivre. Monsieur de Blacas, trŤs dťconcertť de la briŤvetť de ce congť amical, partit le soir. Le rťsultat de ce voyage fut de faire nommer un ministre de la maison du Roi. Sans en Ítre prťcisťment titulaire, monsieur de Blacas en touchait les appointements, en conservait le patronage; et la charge ťtait faite par un homme ŗ sa dťvotion, monsieur de Pradel. En revanche, quelque temps aprŤs, il fut fait duc et premier gentilhomme de la chambre. L'intrigue ayant manquť, on ne s'occupa plus alors de Martin, d'autant que le Roi l'avait fait remettre entre les mains de monsieur Decazes. Il passa quelques semaines ŗ Charenton sans que les mťdecins osassent affirmer dans son exaltation un ťtat de folie constatťe. On le renvoya dans son village d'oý la Congrťgation l'a ťvoquť plusieurs fois depuis. Une de ses principales visions portait sur l'existence de Louis XVII dont, de temps en temps, on voulait effrayer la famille royale. Il ŗ ťtť question de lui pour la derniŤre fois pendant le sťjour de Charles X ŗ Rambouillet, en 1830. Je ne sais si ce fut tout ŗ fait volontairement que la duchesse de Narbonne alla rejoindre son mari qu'elle avait fait nommer ambassadeur ŗ Naples. Le rŰle actif qu'elle venait de jouer dans cette intrigue Blacas avait dťplu au Roi, plus encore ŗ monsieur Decazes; et, quoiqu'il n'y eŻt plus d'exil sous le rťgime de la Charte, on sut gťnťralement qu'elle avait reÁu l'ordre de ne point paraÓtre ŗ la Cour et le conseil de s'ťloigner. CHAPITRE X Faveur de monsieur Decazes. -- Son genre de flatterie. -- Affaires de Lyon. -- Le duc de Raguse apaise les esprits. -- Discours de monsieur Laffitte. -- Monsieur le duc d'Orlťans revient ŗ Paris. -- Histoire inventťe sur ma mŤre. -- Ma colŤre. -- Arrivťe de toute la famille d'Orlťans. -- Dťjeuner au Palais-Royal. -- Calomnies absurdes. Le favoritisme de monsieur Decazes se trouva mieux ťtabli que jamais. Le Roi ne voyait que par ses yeux, n'entendait que par ses oreilles, n'agissait que par sa volontť. Les souverains ne se gouvernent guŤre que par la flatterie. Louis XVIII ťtait trop accoutumť ŗ celles des courtisans d'origine pour y prendre grand goŻt; il en avait besoin pour lui servir d'atmosphŤre et y respirer ŗ l'aise, mais elles ne suffisaient pas ŗ son imagination. Sa fantaisie ťtait d'Ítre aimť pour lui-mÍme; c'ťtait le moyen employť par tous les favoris prťcťdents, exceptť par madame de Balbi, je crois, qui se contentait de se laisser adorer et ne se piquait que d'Ítre aimable et d'amuser, sans feindre un grand sentiment. Monsieur Decazes inventa un nouveau moyen de soutenir sa faveur; il se reprťsenta comme l'ouvrage du Roi, non seulement socialement mais politiquement. Il feignit d'Ítre son ťlŤve bien plus que son ministre. Il passait des heures ŗ se faire endoctriner par lui. Il apprenait, sous son royal professeur, les langues anciennes aussi bien que les modernes, le droit, la diplomatie, l'histoire et surtout la littťrature. L'ťlŤve ťtait d'autant plus perspicace qu'il savait mieux que le maÓtre ce qu'on lui enseignait; mais son ťtonnement de tout ce qu'on lui dťcouvrait dans les sciences et les lettres ne tarissait jamais et ne cťdait qu'ŗ la reconnaissance qu'il ťprouvait. De son cŰtť, le Roi s'attachait chaque jour davantage ŗ ce brillant ťcolier qui, ŗ la fin de la classe, lui faisait signer et approuver tout le contenu de son portefeuille ministťriel; aprŤs avoir bien persuadť ŗ S. M. T. C. que d'elle seule en ťmanaient toutes les volontťs. L'espŤce de sentiment que le Roi portait ŗ monsieur Decazes s'exprimait par les appellations qu'il lui donnait. Il le nommait habituellement _mon enfant_, et les derniŤres annťes de sa faveur _mon fils_. Monsieur Decazes aurait peut-Ítre supportť cette ťlťvation, sans en avoir la tÍte trop tournťe, s'il n'avait ťtť excitť par les impertinences des courtisans. Le besoin de rendre insolence pour insolence lui avait fait prendre des formes hautaines et dťsobligeantes qui, jointes ŗ sa lťgŤretť et ŗ sa distraction, lui ont fait plus d'ennemis qu'il n'en mťritait. On signala vers ce temps une conspiration ŗ Lyon qui donna de vives inquiťtudes. L'agitation ťtait notoire dans la ville et les environs, et les dťsordres imminents. On y envoya le marťchal Marmont muni de grands pouvoirs. Les royalistes l'ont accusť d'avoir montrť trop de condescendance pour les bonapartistes. Je n'en sais pas les dťtails. En tout cas, il souffla sur ce fantŰme de conspiration; car, trois jours aprŤs son arrivťe, tout ťtait rentrť dans la tranquillitť et il n'en fut plus question. Les troubles mieux constatťs de Grenoble avaient rapportť l'annťe prťcťdente de si grands avantages au gťnťral Donnadieu que les autoritťs de Lyon furent soupÁonnťes d'avoir fomentť les dťsordres pour obtenir de semblables rťcompenses. La rťputation du gťnťra Canuel rendait cette grave accusation possible ŗ croire; il pouvait aspirer ŗ se montrer digne ťmule du gťnťral Donnadieu. Le prťfet de police, homme peu estimť, s'ťtait rťuni ŗ lui pour entourer et ťpouvanter monsieur de Chabrol, prťfet du dťpartement, qui n'agissait plus que sous leur bon plaisir. La vťritť sur la conspiration de Lyon est restťe un problŤme historique. Les uns l'ont complŤtement niťe; les autres l'ont montrťe tout ŗ fait flagrante. Probablement ni les uns ni les autres n'ont complŤtement raison. Les opinions toujours vives dans cette ville, et encore exaltťes depuis les Cent-Jours, ťtaient disposťes ŗ faire explosion. Quelques excitations des chefs de parti, ou quelques gaucheries de l'administration, pouvaient ťgalement amener des catastrophes. Dans cette occasion, elles furent conjurťes par la prťsence du marťchal. Il recueillit pour salaire l'animadversion des deux partis et mÍme le mťcontentement du gouvernement. Il le mťrita un peu par la publicitť intempestive qu'il laissa donner aux ťvťnements dont il avait ťtť tťmoin, en rejetant tout le bl‚me sur l'administration. Il crut mÍme devoir personnellement certifier de leur exactitude. Au reste, j'ťtais absente lorsque cela eut lieu; je ne sais qu'en gros les circonstances de cet ťvťnement. Les gťnťraux Donnadieu, Canuel et surtout Dupont, qui ont ťtť triťs sur le volet par la Restauration comme gens de haute confiance, ťtaient sous l'Empire trŤs peu considťrťs. Leur faveur a toujours fait un fort mauvais effet dans l'armťe. Les nťgociations pour le retour de monsieur le duc d'Orlťans avaient rťussi; le prince ťtait venu seul t‚ter le terrain. Cette course avait ťtť assez mal prťparťe par un discours d'un dťputť de l'opposition, monsieur Laffitte, oý il avait fait entrer trŤs inconvenablement le nom de Guillaume III d'Orange, de maniŤre ŗ soulever les clameurs de tout le parti royaliste. Malheureusement, monsieur le duc d'Orlťans s'ťtait dťjŗ annoncť et il y aurait eu encore plus d'inconvťnient ŗ reculer devant ces cris qu'ŗ les braver. Il arriva donc. Le Roi le reÁut avec sa maussaderie accoutumťe, madame la dauphine poliment, Monsieur et ses deux fils amicalement et madame la duchesse de Berry, qui se souvenait de Palerme et ne l'avait pas vu depuis son mariage, avec une joie et une affection (l'appelant _mon cher oncle_ ŗ chaque instant) qui la firent gronder dans son intťrieur. Elle pleura beaucoup ŗ la suite de cette visite et, depuis, ses faÁons ont tout ŗ fait changť avec le prince qu'elle n'a plus appelť que: Monseigneur. Elle avait toujours conservť le _ma tante_ pour madame la duchesse d'Orlťans. La conduite toute simple du prince fit tomber les mauvais bruits qui ne trouvaient nulle part plus d'ťcho que chez la duchesse sa mŤre. Son entourage ťtait bruyamment hostile et elle ťtait trop faible pour s'y opposer, ou trop sotte pour s'en apercevoir. ņ mon retour d'Angleterre, j'avais ťtť lui faire ma cour, et, parce que j'avais cherchť ŗ la distraire des inquiťtudes que lui causait la maladie de l'ťpagneul de monsieur de Follemont en lui parlant de ses petits-enfants que je venais de quitter ŗ Twickenham, le noyau d'ultras qui formaient sa commensalitť m'avait dťclarťe _orlťaniste_ et avait rťpandu ce bruit qui m'impatientait fort, non pour moi, j'ťtais de trop peu de consťquence, mais pour mon pŤre. Il importait aussi, dans l'intťrÍt de monsieur le duc d'Orlťans, que l'impartialitť de l'ambassadeur fŻt reconnue. Cette accusation tomba comme tant d'autres. Il n'y en avait pas de moins fondťe, car, si monsieur le duc d'Orlťans avait voulu lier quelque intrigue ŗ cette ťpoque en Angleterre, il aurait trouvť mon pŤre trŤs peu disposť ŗ lui montrer la moindre indulgence. Pendant le peu de jours que monsieur le duc d'Orlťans passa ŗ Paris, il vint deux fois chez moi. Quelque honorťe que je fusse de ces visites, je craignais qu'elles ne fissent renouveler les propos de l'hiver, mais cela ťtait usť. La malveillance excitťe au plus haut point par le succŤs obtenu par mon frŤre auprŤs de la jeune hťritiŤre, courtisťe par beaucoup et enviťe par tous, avait trouvť un autre texte. Pensant probablement que la situation de mon pŤre avait influť sur ce mariage, on raconta qu'ŗ la suite d'une espŤce d'orgie oý ma mŤre s'ťtait _grisťe_ avec le prince rťgent, il avait voulu prendre des libertťs auxquelles elle avait rťpondu par un soufflet, que les autres femmes s'ťtaient levťes de table; que le prince s'ťtait plaint ŗ notre Cour, que depuis ce temps mon pŤre et ma mŤre n'ťtaient point sortis de chez eux et qu'ils allaient Ítre remplacťs ŗ Londres. Cette charmante anecdote, inventťe et colportťe ŗ Paris, fut renvoyťe ŗ Londres. Quelques gazettes anglaises y firent allusion et il y eut recrudescence de cabale ŗ Paris. Tous mes excellents amis venaient ŗ tour de rŰle me demander ce qui en ťtait au _juste_ ... sur quoi l'histoire ťtait fondťe ... quel ťtait le canevas sur lequel on avait brodť, etc.; et, lorsque je rťpondais, conformťment ŗ la plus exacte vťritť, qu'il n'y avait jamais eu que des politesses, des obligeances et des respects ťchangťs entre le prince et ma mŤre et que rien n'avait pu donner lieu ŗ cette ťtrange histoire, on faisait un petit sourire d'incrťdulitť qui me transportait de fureur. J'ai peu ťprouvť d'indignation plus vive que dans cette occasion. Ma mŤre ťtait le modŤle non seulement des vertus, mais des convenances et des bonnes maniŤres. Inventer une pareille absurditť sur une femme de soixante ans, pour se venger d'un succŤs de son fils, m'a toujours paru une l‚chetť dont, encore aujourd'hui, je ne parle pas de sang-froid. Le prince rťgent fut d'une extrÍme bontť. Il rencontra mon pŤre au Parc, le retint prŤs de lui pendant toute sa promenade, s'arrÍta longuement dans un groupe nombreux de seigneurs anglais ŗ cheval et ne s'ťloigna qu'aprŤs avoir donnť un amical _shake-hand_ ŗ l'ambassadeur. Mon pŤre s'expliqua ces faveurs inusitťes en apprenant plus tard les sots bruits rťpandus ŗ Paris et rťpťtťs obscurťment ŗ Londres. Le dťgoŻt que j'en ťprouvais me donna un vif dťsir de m'ťloigner. Le mariage de mon frŤre ťtant dťcidťment reculť jusqu'ŗ l'automne, je me dťcidai ŗ retourner ŗ Londres pour en attendre l'ťpoque. Pendant que cette odieuse histoire s'inventait et se propageait, toute la famille d'Orlťans vint s'ťtablir au Palais-Royal. Elle arriva tard le soir; j'y allai le lendemain matin. Le dťjeuner attendait les princes; ils avaient ťtť faire leur cour ŗ la famille royale. Je les vis revenir, et il ne me fut pas difficile de voir que cette visite avait ťtť pťnible. Madame la duchesse d'Orlťans avait l'air triste, son mari sťrieux; mademoiselle se trouva mal en entrant dans la salle ŗ manger. Elle venait d'Ítre extrÍmement malade et ŗ peine remise. Nous nous empress‚mes autour d'elle; elle revint ŗ elle et me dit en me serrant la main: ęMerci, ma chŤre, ce n'est rien, je vais mieux; mais je suis encore faible et cela m'ťprouve toujours.Ľ Le nuage rťpandu sur les visages se dissipa ŗ l'entrťe d'un grand plat d'ťchaudťs tout fumants: ęAh! des ťchaudťs du Palais-Royal!Ľ s'ťcria-t-on; et l'amour du sol natal, la joie de la patrie, effaÁa l'impression qu'avait laissťe la rťception des Tuileries. Je passai une grande partie du peu de journťes que je restai encore ŗ Paris auprŤs de ces aimables princesses qui m'accueillaient avec une extrÍme bontť et partageaient mon indignation des fables dťbitťes sur ma mŤre. Au reste, elles connaissaient par expťrience toute la fťconditť des inventions calomnieuses. On rťpandait alors le bruit du mariage secret de Mademoiselle avec Raoul de Montmorency dont elle aurait facilement pu Ítre mŤre, tant la disproportion d'‚ge ťtait grande. Lorsqu'il ťpousa madame Thibaut de Montmorency, il fallut bien renoncer ŗ ce conte. Je ne sais pas si on remplaÁa immťdiatement Raoul par monsieur Athalin; ce n'est que longtemps aprŤs que j'en ai entendu parler. La seconde version n'a pas plus de vťritť que la premiŤre; elles sont ťgalement absurdes et calomnieuses. CHAPITRE XI Tom Pelham. -- Inauguration du pont de Waterloo. -- DÓner ŗ Claremont. -- Maussaderie de la princesse Charlotte. -- Son obligeance. -- Un nouveau caprice. -- Conversation avec elle. -- Mort de cette princesse. -- Affliction gťnťrale. -- CaractŤre de la princesse Charlotte. -- Ses goŻts, ses habitudes. -- Suicide de l'accoucheur. -- Singulier conseil de lord Liverpool. -- Maxime de lord Sidmouth. Quelque horreur que j'aie pour la mer, je fus amplement payťe des fatigues du voyage par le bonheur que mon retour ŗ Londres causa ŗ mes parents. Je trouvai grande joie ŗ me reposer prŤs d'eux des petites tracasseries d'un monde toujours disposť ŗ faire payer, argent comptant, le genre de succŤs qu'il apprťcie le plus, parce qu'il est ŗ la portťe de toutes les intelligences. Il n'y a personne qui ne comprenne vite combien il eŻt ťtť agrťable pour son fils, son frŤre, ou son ami d'ťpouser une riche hťritiŤre, et qui ne trouve la prťfťrence accordťe ŗ un autre une espŤce de passe-droit. J'ai remarquť depuis, lorsque cela me touchait de moins prŤs, qu'aucune circonstance ne dťveloppe davantage l'envie et l'animadversion de la sociťtť. Ce que tout le monde veut, c'est de la fortune. Il n'y a guŤre de faÁon moins pťnible et plus prompte d'en acquťrir; chacun regrette de voir un autre l'ťlu du sort. Je me rappelle, ŗ ce propos, les projets d'un de mes camarades d'enfance, le jeune Pelham. Il ťtait cadet, avait atteint sa seiziŤme annťe et rentrait ŗ la maison paternelle pour la derniŤre fois avant de quitter le collŤge. Le lendemain de son arrivťe, son pŤre, lord Yarborough, petit homme sec, le plus froid, le plus sťrieux, le plus empesť que j'aie connu, le fit entrer dans son cabinet et lui dit: ęTom, le moment est arrivť oý vous devez choisir une profession; quelle qu'elle soit, je vous y soutiendrai de mon mieux. Je ne cherche pas ŗ vous influencer; mais, si vous prťfťriez l'…glise, je dois vous avertir que j'ai ŗ ma disposition des bťnťfices qui vous mettront tout de suite dans une grande aisance. Je le rťpŤte, je vous laisse une entiŤre libertť; seulement je vous prťviens que, lorsque vous aurez dťcidť, je n'admettrai pas de fantasque changement. Songez-y donc bien. Ne me rťpondez pas ŗ prťsent; je vous questionnerai la veille de votre retour au collŤge. Soyez prÍt alors ŗ m'apprendre votre choix. --Oui, monsieur.Ľ ņ la fin des vacances oý Tom s'ťtait trŤs bien diverti et oý son pŤre ne lui avait peut-Ítre pas adressť une seule fois la parole, il l'appela derechef ŗ cette confťrence de cabinet, effroi de toute la famille, et, de la mÍme faÁon solennelle, il l'interrogea de nouveau: ęHť bien, Tom, avez-vous mŻrement rťflťchi ŗ votre sort futur? --Oui, monsieur. -- tes-vous dťcidť? --Oui, monsieur. --Songez que je n'admettrai pas de caprice et qu'il vous faudra suivre rigoureusement la profession que vous adopterez. --Je le sais, monsieur. --Hť bien, donc parlez. --S'il vous plaÓt, monsieur, j'ťpouserai une hťritiŤre.Ľ Tout le flegme de lord Yarborough ne put rťsister ŗ cette rťponse, faite avec un sťrieux imperturbable. Il ťclata de rire. Au reste, mon ami Tom n'ťpousa pas une hťritiŤre; il entra dans la marine et mourut bien jeune de la fiŤvre jaune dans les Antilles. C'ťtait un fort beau, bon et aimable garÁon. Mais je raconte lŗ une aventure de l'autre siŤcle; je reviens au dix-neuviŤme. Le 18 juin 1817, deuxiŤme anniversaire de la bataille de Waterloo, on fit avec grande pompe l'inauguration du pont, dit de Waterloo. Le prince rťgent, ayant le duc de Wellington prŤs de lui, suivi de tous les officiers ayant pris part ŗ la bataille et des rťgiments des gardes, y passa le premier. On avait fait ťlever des tribunes pour les principaux personnages du pays. Sachant qu'on prťparait une tribune diplomatique, mon pŤre avait fait prťvenir qu'il dťsirait n'Ítre pas invitť ŗ cette cťrťmonie ŗ laquelle il avait dťcidť de ne point assister. Ses collŤgues du corps diplomatique dťclarŤrent qu'ils ne voulaient pas se sťparer de lui dans cette circonstance et que cette cťrťmonie, ťtant purement nationale, ne devait point entraÓner d'invitation aux ťtrangers. Le cabinet anglais se prÍta de bonne gr‚ce ŗ cette interprťtation. Mon pŤre fut trŤs sensible ŗ cette dťfťrence de ses collŤgues, d'autant qu'il n'aurait pas manquť de gens aux Tuileries mÍme pour lui faire un tort de la manifestation de ses sentiments franÁais. Il ťtait pourtant bien dťcidť ŗ ne point sacrifier ses rťpugnances patriotiques ŗ leur malignes interprťtations. Ce fut le prince Paul Esterhazy qui, spontanťment, ouvrit l'avis de refuser la tribune prťparťe. Il ne rencontra aucune difficultť et vint annoncer ŗ mon pŤre la dťcision du corps diplomatique et le consentement du cabinet anglais. C'est en 1817 que je dois placer mes rapports avec la princesse Charlotte de Galles. Sous prťtexte que sa maison n'ťtait pas arrangťe, elle s'ťtait dispensťe de venir ŗ Londres, et, quoique ce fŻt le moment de la rťunion du grand monde, elle restait sous les frais ombrages de Claremont qu'elle disait plus salutaires ŗ un ťtat de grossesse assez avancť. Je fus comprise dans une invitation adressťe ŗ mes parents pour aller dÓner chez elle. La curiositť que m'inspirait cette jeune souveraine d'un grand pays ťtait encore excitťe par de frťquents dťsappointements. J'avais toujours manquť l'occasion de la voir. Nous fŻmes reÁus ŗ Claremont par lady Glenlyon, dame de la princesse, et par un baron allemand, aide de camp du prince, qui, seul, ťtait commensal du ch‚teau. Une partie des convives nous avaient prťcťdťs, d'autres nous suivirent. Le prince Lťopold fit une apparition au milieu de nous et se retira. AprŤs avoir attendu fort longtemps, nous entendÓmes dans les piŤces adjacentes un pas lourd et retentissant que je ne puis comparer qu'ŗ celui d'un tambour-major. On dit autour de moi: ęVoilŗ la princesseĽ. En effet, je la vis entrer donnant le bras ŗ son mari. Elle ťtait trŤs parťe, avait bon air; mais ťvidemment il y avait de la prťtention _ŗ la grande …lisabeth_ dans cette marche si bruyamment dťlibťrťe et ce port de tÍte hautain. Comme elle entrait dans le salon d'un cŰtť, un maÓtre d'hŰtel se prťsentait d'un autre pour annoncer le dÓner. Elle ne fit que traverser sans dire un mot ŗ personne. Arrivťe dans la salle ŗ manger, elle appela ŗ ses cŰtťs deux ambassadeurs; le prince se plaÁa vis-ŗ-vis, entre deux ambassadrices. AprŤs avoir vainement cherchť ŗ le voir en se penchant de droite et de gauche du plateau, la princesse prit bravement son parti et fit enlever l'ornement du milieu. Les nuages qui s'ťtaient amoncelťs sur son front s'ťclaircirent un peu. Elle sourit gracieusement ŗ son mari, mais elle n'en fut guŤre plus accorte pour les autres. Ses voisins n'en tirŤrent que difficilement de rares paroles. J'eus tout le loisir de l'examiner pendant que dura un assez mauvais dÓner. Je ne puis parler de sa taille, sa grossesse ne permettait pas d'en juger. On voyait seulement qu'elle ťtait grande et fortement construite. Ses cheveux ťtaient d'un blond presque filasse, ses yeux bleu porcelaine, point de sourcils, point de cils, un teint d'une blancheur ťgale sans aucune couleur. On doit s'ťcrier: ęQuelle fadeur! elle ťtait donc d'une figure bien insipide?Ľ Pas du tout. J'ai rarement rencontrť une physionomie plus vive et plus mobile; son regard ťtait plein d'expression. Sa bouche vermeille, et ornťe de dents comme des perles, avait les mouvements les plus agrťables et les plus variťs que j'aie jamais vus, et l'extrÍme jeunesse des formes compensant de manque de coloris de la peau lui donnait un air de fraÓcheur remarquable. Le dÓner achevť, elle fit un lťger signal de dťpart aux femmes et passa dans le salon; nous l'y suivÓmes. Elle se mit dans un coin avec une de ses amies d'enfance, nouvellement mariťe et grosse comme elle, dont j'oublie le nom. Leur chuchotage dura jusqu'ŗ l'arrivťe du prince, restť ŗ table avec les hommes. Il trouva toutes les autres femmes ŗ une extrťmitť du salon et la princesse ťtablie dans son tÍte-ŗ-tÍte de pensionnaire. Il chercha vainement ŗ la remettre en rapport avec ses convives. Il rapprocha des fauteuils pour les ambassadrices et voulut ťtablir une conversation qu'il t‚cha de rendre gťnťrale; mais cela fut impossible. Enfin la comtesse de Lieven, fatiguťe de cette exclusion, alla s'asseoir, sans y Ítre appelťe, sur le mÍme sopha que la princesse et commenÁa ŗ voix basse une conversation qui, apparemment, lui inspira quelque intťrÍt car elle en parut entiŤrement absorbťe. Les efforts du prince pour lui faire distribuer ses politesses un peu plus ťgalement restŤrent complŤtement infructueux. Chacun attendait avec impatience l'heure du dťpart. Enfin on annonÁa les voitures et nous partÓmes, aussi lťgŤrement congťdiťs que nous avions ťtť accueillis. Quant ŗ moi, je n'avais pas mÍme reÁu un signe de tÍte lorsque ma mŤre m'avait prťsentťe ŗ la princesse. En montant en voiture, je dis: ęJ'ai voulu voir, j'ai vu. Mais j'en ai plus qu'assez.Ľ Ma mŤre m'assura que la princesse ťtait ordinairement plus polie; je dus convenir que l'agitation du prince en faisait foi. Probablement il lui reprocha sa maussaderie; car, peu de jours aprŤs, lorsque nous mťditions, ŗ regret, notre visite de remerciements de l'obligeant accueil qu'elle nous avait fait, nous reÁŻmes une nouvelle invitation. Cette fois, la princesse fit mille frais; elle distribua ses gr‚ces plus ťgalement entre les convives; cependant les prťfťrences furent pour nous. Elle nous retint jusqu'ŗ minuit, causant familiŤrement de tout et de tout le monde, de la France et de l'Angleterre, de la rťception des Orlťans ŗ Paris, de leurs rapports avec les Tuileries, des siens avec Windsor, des faÁons de la vieille Reine, de cette ťtiquette qui lui ťtait insupportable, de l'ennui qui l'attendait lorsqu'il faudrait enfin avouer sa maison de Londres prÍte et aller y passer quelques mois. Ma mŤre lui fit remarquer qu'elle serait bien mieux logťe que dans l'hŰtel oý elle avait ťtť au moment de son mariage: ęC'est vrai, dit-elle; mais, quand on est aussi parfaitement heureuse que moi, on craint tous les changements, mÍme pour Ítre mieux.Ľ La pauvre princesse comptait pourtant bien sur ce bonheur! Elle disait, ce mÍme soir, qu'elle ťtait bien sŻre d'avoir un garÁon, car rien de ce qu'elle dťsirait ne lui avait jamais manquť. On vint ŗ parler de Claremont et de ses jardins. Je les connaissais d'ancienne date; monsieur de Boigne avait ťtť sur le point d'acheter cette habitation. La princesse Charlotte assura qu'elle ťtait bien changťe depuis une douzaine d'annťes, et nous engagea fort ŗ venir un matin pour nous la montrer en dťtail. Le jour fut pris _s'il faisait beau_, sinon pour la premiŤre fois que le temps et les affaires de mon pŤre le permettraient. Elle ne sortait plus que pour se promener ŗ pied dans le parc et, de deux ŗ quatre heures, nous la trouverions toujours enchantťe de nous voir. Nous nous sťpar‚mes aprŤs des shake-hand rťitťrťs et d'une violence ŗ dťmettre le bras, accompagnťs de protestations d'affection exprimťs d'une voix qui aurait ťtť naturellement douce si les mťmoires du seiziŤme siŤcle ne nous avaient appris que la reine …lisabeth avait le verbe haut et bref. Je ne nie pas que la princesse Charlotte ne me parut infiniment plus aimable et mÍme plus belle qu'au dÓner prťcťdent. Le prince Lťopold respirait plus ŗ l'aise et semblait jouir du succŤs de ses sermons. Le matin fixť pour la visite du parc de Claremont, il plut ŗ torrent. Il fallut la retarder de quelques jours; aussi, lorsque nous arriv‚mes, la fantaisie de la princesse Charlotte ťtait changťe. Elle nous reÁut plus que froidement, s'excusa sur ce que son ťtat lui permettait ŗ peine de faire quelques pas, fit appeler l'aide de camp allemand pour nous accompagner dans ces jardins qu'elle devait prendre tant de plaisir ŗ nous montrer, et eut ťvidemment grande presse ŗ se dťbarrasser de notre visite. Lorsque nous fŻmes tout ŗ l'extrťmitť du parc, nous la vÓmes de loin donnant le bras au prince Lťopold et dťtalant comme un lťvrier. Elle fit une grande pointe, puis arriva vers nous. Cette recherche d'impolitesse, presque grossiŤre nous avait assez choquťs pour Ítre disposťs ŗ lui rendre froideur pour froideur. Mais le vent avait tournť. Lťopold, nous dit-elle, l'avait forcťe ŗ sortir, l'exercice lui avait fait du bien et mise plus en ťtat de jouir de la prťsence de _ses amis_. Elle fut la plus gracieuse et la plus obligeante du monde. Elle s'attacha plus particuliŤrement ŗ moi qui marchais plus facilement que ma mŤre, me prit par le bras et m'entraÓnant ŗ la suite de ses grands pas, se mit ŗ me faire des confidences sur le bonheur de son mťnage et sur la profonde reconnaissance qu'elle devait au prince Lťopold d'avoir consenti ŗ ťpouser l'hťritiŤre d'un royaume. Elle fit avec beaucoup de gaietť, de piquant et d'esprit, la peinture de la situation du _mari de la reine_; mais, ajouta-t-elle en s'animant: ęMon Lťopold ne sera pas exposť ŗ cette humiliation, ou mon nom n'est pas CharlotteĽ, et elle frappa violemment la terre de son pied (assez gros par parenthŤse) ęsi on voulait m'y contraindre, je renoncerais plutŰt au trŰne et j'irais chercher une chaumiŤre oý je puisse vivre, selon les lois naturelles, sous la domination de mon mari. Je ne veux, je ne puis rťgner sur l'Angleterre qu'ŗ condition qu'il rťgnera sur nous deux. Il sera roi, roi reconnu, roi indťpendant de mes caprices; car, voyez-vous, madame de Boigne, je sais que j'en ai, vous m'en avez vu, et c'ťtait bien pire autrefois.... Vous souriez.... Cela vous paraÓt impossible....; mais, sur mon honneur, c'ťtait encore pire avant que mon Lťopold eŻt entrepris la t‚che assez difficile, de me rendre une bonne fille (a good girl), bien sage et bien raisonnable, dit-elle avec un sourire enchanteur. Ah! oui, il sera roi oý je ne serai jamais reine, souvenez-vous de ce que je vous dis en ce moment et vous verrez si Charlotte est fidŤle ŗ sa parole.Ľ Elle s'appelait volontiers Charlotte en parlant d'elle-mÍme, et prononÁait ce nom avec une espŤce d'emphase, comme s'il avait dťjŗ acquis la cťlťbritť qu'elle lui destinait. Hťlas! la pauvre princesse! ses rÍves d'amour et de gloire ont ťtť de bien courte durťe! C'est dans cette conversation, dont la fin se tenait sous la colonnade du ch‚teau oý nous ťtions arrivťes avant le reste de la sociťtť, qu'elle me dit cette phrase que j'ai dťjŗ citťe sur le bonheur parfait dont Claremont ťtait l'asile et qu'elle m'engageait ŗ venir souvent visiter. Je ne l'ai jamais revue. Lŗ se sont terminťes mes relations avec la brillante et spirituelle hťritiŤre des trois royaumes. J'avais dťjŗ quittť l'Angleterre lorsque, peu de semaines aprŤs, la mort vint enlever en une seule heure deux gťnťrations de souverains: la jeune mŤre et le fils qu'elle venait de mettre au monde. Ils pťrirent victimes des caprices de la princesse. Le prince Lťopold avait rťussi ŗ la raccommoder avec son pŤre le prince rťgent, mais toute son influence avait ťchouť devant l'animositť qu'elle ťprouvait contre sa grand'mŤre et ses tantes. Dans la crainte qu'elles ne vinssent assister ŗ ses couches, elle voulut tenir ses douleurs cachťes le plus longtemps possible. Cependant, le travail fut si pťnible qu'il fallut bien qu'on en fŻt informť. La vieille Reine, trompťe volontairement par les calculs de la princesse, ťtait ŗ Bath, le Rťgent chez la marquise d'Hertford ŗ cent milles de Londres. La princesse n'avait auprŤs d'elle que son mari auquel l'accoucheur Crofft persuada qu'il n'y avait rien ŗ craindre d'un travail qui durait depuis soixante heures. La facultť, rťunie dans les piŤces voisines, demandait ŗ entrer chez la princesse. Elle s'y refusait pťremptoirement, et l'inexpťrience du prince, trompť par Crofft, l'empÍcha de l'exiger. Enfin, elle mit au monde un enfant trŤs bien constituť et mort uniquement de fatigue; l'ťpuisement de la mŤre ťtait extrÍme. On la remit au lit. Crofft assura qu'elle n'avait besoin que de repos; il ordonna que tout le monde quitt‚t sa chambre. Une heure aprŤs, sa garde l'entendit faiblement appeler: ęFaites venir mon mari,Ľ dit-elle, et elle expira. Le prince, couchť sur un sopha dans la piŤce voisine, put douter s'il avait reÁu son dernier soupir. Sa dťsolation fut telle qu'on peut le supposer; il perdait tout. Je ne sais si, par la suite, le caractŤre de la princesse Charlotte lui prťparait un avenir bien doux; mais elle ťtait encore sous l'influence d'une passion aussi violente qu'exclusive pour lui, et lui en prodiguait toutes les douceurs avec un charme que ses habitudes un peu farouches rendaient encore plus grand. Il l'apprivoisait, s'il est permis de se servir de cette expression; et les soins qu'il lui fallait prendre pour adoucir cette nature sauvage, vaincue par l'amour, devaient, tant qu'ils ťtaient accompagnťs de succŤs, paraÓtre trŤs piquants. On voyait cependant qu'il lui fallait prendre des prťcautions pour ne pas l'effaroucher et qu'il craignait que le jeune tigre ne se souvÓnt qu'il avait des griffes. La princesse aurait-elle toujours invoquť cette loi de droit naturel, qui soumet la femme ŗ la domination de son mari? Je me suis permis d'en douter; mais, au moment oý elle me l'assurait, elle le croyait tout ŗ fait, et peut-Ítre le prince le croyait aussi. Probablement, aprŤs l'avoir perdue, il n'a retrouvť dans sa mťmoire que les belles qualitťs de sa noble ťpouse. Il est sŻr que, lorsqu'elle voulait plaire, elle ťtait parfaitement sťduisante. Avec tout ses travers, rien ne peut donner l'idťe de la popularitť dont elle jouissait en Angleterre: c'ťtait la fille du pays. Depuis sa plus petite enfance, on l'avait vue ťlever comme l'hťritiŤre de la couronne; et elle avait tellement l'instinct de ce qui peut plaire aux peuples que les prťjugťs nationaux ťtaient comme incarnťs en elle. Dans son application ŗ faire de l'opposition ŗ son pŤre, elle avait pris l'habitude d'une grande rťgularitť dans ses dťpenses et une extrÍme exactitude dans ses payements. Lorsqu'elle allait dans une boutique ŗ Londres et que les marchands cherchaient ŗ la tenter par quelque nouveautť bien dispendieuse, elle rťpondait: ęNe me montrez pas cela, c'est trop cher pour moi.Ľ Cent gazettes rťpťtaient ces paroles, et les louaient d'autant plus que c'ťtait la critique du dťsordre du Rťgent. Claremont faisait foi de la simplicitť dont la princesse affectait de donner l'exemple. Rien n'ťtait moins recherchť que son mobilier. Il n'y avait d'autre glace dans tout l'appartement que son miroir de toilette et une petite glace ovale, de deux pieds sur trois, suspendue en biais dans le grand salon. Les meubles ťtaient ŗ l'avenant du dťcor. Je vois d'ici le grand lit, ŗ quatre colonnes, de la princesse. Les rideaux pendaient tout droit sans draperies, sans franges, sans ornements; ils ťtaient de toile ŗ ramages doublťs de percale rose. Nul dťgagement ŗ cette chambre oý des meubles, plus utiles qu'ťlťgants, deux fois rťpťtťs, prouvaient les habitudes les plus conjugales, selon l'usage du pays. Cette extrÍme simplicitť, dans l'habitation d'une jeune et charmante femme, contrastait trop avec les magnificences, les recherches, le luxe presque exagťrť dont le Rťgent ťtait entourť ŗ Carlton House et ŗ Brighton pour ne pas lui dťplaire, d'autant qu'on savait, d'autre part, la princesse gťnťreuse et donnant au mťrite malheureux ce qu'elle refusait ŗ ses fantaisies. Elle avait assurťment de trŤs belles qualitťs et un amour de la gloire bien rare ŗ son ‚ge et dans sa position. Sa mort jeta l'Angleterre dans la consternation, et, lorsque j'y revins au mois de dťcembre, la population entiŤre, jusqu'aux postillons de poste, jusqu'aux balayeurs des rues, portait un deuil qui dura six mois. L'accoucheur Crofft ťtait devenu l'objet de l'exťcration publique, au point qu'il finit par en perdre la raison et se brŻler la cervelle. Je me rappelle deux propos de genre divers qui me furent tenus par des ministres anglais. Cette annťe, ma mŤre ťtait souffrante le jour de la Saint-Louis; je fis les honneurs du dÓner donnť ŗ l'ambassade pour la fÍte du Roi. Milord Liverpool ťtait ŗ cŰtť de moi. Un petit chien que j'aimais beaucoup, ayant ťchappť ŗ sa consigne, vint se jeter tout ŗ travers du dÓner officiel ŗ ma grande contrariťtť. Les gens voulaient l'emporter mais il se rťfugiait sous la table. Afin de faciliter sa capture, je l'attirai en lui offrant ŗ manger. Lord Liverpool arrÍta mon bras et me dit: ęNe le trahissez pas, vous pervertiriez ses principes (You will spoil its morals).Ľ Je levai la tÍte en riant, mais je trouvai une expression si solennelle sur la physionomie du noble lord que j'en fus dťconcertťe. Le chien _trahi_ fut emportť, et je ne sais encore ŗ l'heure actuelle quel degrť de sťrieux il y avait dans la remarque du ministre, car il ťtait mťthodiste jusqu'au puritanisme. On ne saurait imaginer, lorsqu'on n'a pas ťtť a mÍme de l'apprťcier, ŗ quel point, dans l'esprit d'un anglais, l'homme privť sait se sťparer de l'homme d'…tat. Tandis que l'un se refuse avec indignation ŗ la moindre dťmarche qui blesse la dťlicatesse la plus susceptible, l'autre se jette sans hťsiter dans l'acte le plus machiavťlique et propre ŗ troubler le sort des nations, s'il peut en rťsulter la chance d'un profit quelconque pour la vieille Angleterre. De la mÍme main dont lord Liverpool arrÍtait la mienne dans ma trahison du petit chien, il aurait signť hardiment la reddition de Parga, au risque de la tragťdie qui s'en est suivie. L'autre propos me fut tenu par lord Sidmouth, assis ŗ ma gauche le mÍme jour; il m'est souvent revenu ŗ la mťmoire et mÍme m'a fait rŤgle de conduite. Nous parlions de je ne sais quel jeune mťnage auquel un petit accroissement de revenu serait nťcessaire pour Ítre ŗ son aise. ęCela se peut dire, rťpondit lord Sidmouth, cependant je leur conseillerais volontiers de se contenter de ce qu'ils ont; car ils n'y gagneraient rien s'ils obtenaient davantage. Je n'ai jamais connu personne, dans aucune circonstance ni dans aucune position, qui n'eŻt besoin d'un peu plus pour en avoir assez (A little more to make enough).Ľ Cette morale pratique m'a paru trŤs ťminemment sage et bonne ŗ se rappeler pour son compte. Toutes les fois que je me suis surprise ŗ regretter la privation de quelque fantaisie, je me suis rťpťtť que tout le monde rťclamait ęa little more to make enoughĽ et me suis tenue pour _satisfaite_. CHAPITRE XII Le roi de Prusse veut ťpouser Georgine Dillon. -- Rupture de ce mariage. -- Dťsobligeance du roi Louis XVIII pour les Orlťans. -- Il la tťmoigne en diverses occasions. -- Irritation qui en rťsulte. -- Le comte de La Ferronnays. -- Son attachement pour monsieur le duc de Berry. -- Madame de Montsoreau et la layette. -- ScŤne entre monsieur le duc de Berry et monsieur de La Ferronnays. -- Irritation de la famille royale. -- Madame de Gontaut nommťe gouvernante. -- Conseils du prince de Castelcicala. -- Madame de Noailles. Mon frŤre sollicitait vivement mon retour qu'il croyait devoir h‚ter l'ťpoque de son mariage. J'en jugeais autrement, mais je cťdai ŗ ses voeux et ne tardai guŤre ŗ m'en repentir. J'arrivai ŗ Paris vers le milieu de septembre. C'est le moment oý la ville est la plus dťserte, car c'est l'ťpoque de l'annťe oý les personnes qui ne la quittent jamais en sortent en foule et oý ceux qui habitent longuement la campagne se gardent bien d'y revenir. Mon sťjour en ťtait d'autant plus remarquable; et je m'aperÁus bientŰt que ma prťsence ne servirait qu'ŗ faire mieux apprťcier des longueurs qui devenaient un ridicule lorsqu'il s'agissait d'ťpouser une riche hťritiŤre ne dťpendant en apparence que d'elle seule. Quelque dťserte que fŻt la ville, je trouvais encore de bons amis pour me rťpťter: ęPrenez-y garde, la petite est capricieuse. Dťjŗ plusieurs mariages ont ťtť arrangťs par elle, elle les a fait traÓner et les a rompus ŗ la veille de se faire. Pour celui de monsieur de Montesquiou, la corbeille ťtait achetťe, etc.Ľ J'avais au service de tout le monde la rťponse banale que, si elle devait se repentir d'ťpouser mon frŤre, il valait mieux que ce fŻt la veille que le lendemain. Mais ces propos, auxquels des retards qu'il ťtait impossible d'expliquer et qui se renouvelaient de quinze jours en quinze jours, donnaient une apparence de fondement quoiqu'ils n'en eussent aucun et que la jeune personne fŻt aussi contrariťe que nous, me firent prendre la rťsolution de vivre en ermite. MÍme lorsque la sociťtť commenÁa ŗ se reformer pour l'hiver, ma porte ťtait habituellement fermťe et je n'allai nulle part. Ma famille occupait aussi le public par un autre bruit de mariage qui ne m'ťtait guŤre plus agrťable. Le roi de Prusse ťtait devenu trŤs amoureux de ma cousine Georgine Dillon fille d'…douard Dillon, jeune personne charmante de figure et de caractŤre. Il voulait ŗ toute force l'ťpouser. Madame Dillon avait la tÍte tournťe de cette fortune; mon oncle en ťtait assez flattť. Georgine seule, qui, avec peu de brillant dans l'esprit, avait un grand bon sens et tout le tact qui peut venir du coeur le plus simple, le plus naÔf, le plus honnÍte, le plus ťlevť, le plus gťnťreux que j'aie jamais rencontrť, sentait ŗ quel point la position qu'on lui offrait ťtait fausse et repoussait l'honneur que le prince Radziwill ťtait chargť de lui faire accepter. Elle devait Ítre duchesse de Brandebourg et avoir un brillant ťtablissement pour elle et ses enfants. Mais enfin cette main royale qu'on lui prťsentait ne pouvait Ítre que la gauche; ses enfants du Roi mariť ne seraient pas des enfants lťgitimes. Sa position personnelle, au milieu de la famille royale, ne serait jamais simple, et elle avait trop de candeur pour Ítre propre ŗ la soutenir. Le Roi obtint cependant qu'elle vÓnt passer huit jours ŗ Berlin avec ses parents. Ils furent admis deux fois au souper de famille et les princes les comblŤrent de caresses. Le mariage paraissait imminent; ils retournŤrent ŗ Dresde oý mon oncle ťtait ministre de France. Tout ťtait rťglť. Le Roi demanda que la duchesse de Brandebourg se fit luthťrienne; Georgine refusa pťremptoirement. Il se rabattit ŗ ce qu'elle suivit les cťrťmonies extťrieures du culte rťformť; elle s'y refusa encore. Du moins, elle ne serait catholique qu'en secret et ne pratiquerait pas ostensiblement, nouveau refus de la sage Georgine, malgrť les voeux secrets de sa mŤre, trop pieuse pour oser insister formellement. Son pŤre la laissait libre. Les nťgociations traÓnŤrent en longueur; la fantaisie que le Roi avait eue pour elle se calma. On lui dťmontra l'inconvťnient d'ťpouser une ťtrangŤre, une franÁaise, une catholique; et, aprŤs avoir fait jaser toute l'Europe avec assez de justice comme on voit, ce projet de mariage tomba sans querelle et sans rupture. La petite ne donna pas un soupir ŗ ces fausses grandeurs; sa mŤre qui l'adorait se consola en la voyant contente. Mon oncle demanda ŗ quitter Dresde pour ne pas se trouver exposť ŗ des relations directes avec le roi de Prusse. Cela aurait ťtť gauche pour tout le monde aprŤs ce qui s'ťtait passť. Sa Majestť Prussienne avait l'habitude de venir tous les ans ŗ Carlsbad, et une nouvelle rencontre aurait pu amener une reprise de passion dont personne ne se souciait. Mon oncle sollicita et obtint de passer de Dresde ŗ Florence. Cette rťsidence lui plaisait; elle convenait ŗ son ‚ge, ŗ ses goŻts et elle ťtait favorable pour achever l'ťducation de sa fille; car cette Reine ťlue n'avait pas encore dix-sept annťes accomplies. Je trouvais les Orlťans trŤs irritťs de leur situation ŗ la Cour. Le Roi ne perdait pas une occasion d'Ítre dťsobligeant pour eux. Il cherchait ŗ ťtablir une diffťrence de traitement entre madame la duchesse d'Orlťans, son mari et sa belle-soeur, fondťe en apparence sur le titre d'Altesse Royale qu'elle portait, mais destinťe au fond ŗ choquer les deux derniers qu'il n'aimait pas. Tant qu'avait durť l'ťmigration, il avait protťgť monsieur le duc d'Orlťans contre les haines du parti royaliste, mais, depuis sa rentrťe en France, lui-mÍme en avait adoptť toutes les exagťrations, et, surtout depuis ce qui s'ťtait passť ŗ Lille en 1815, il poursuivait le prince avec une animositť persťvťrante. La famille d'Orlťans avait ťtť successivement exclue de la tribune royale ŗ la messe du ch‚teau, de la loge au spectacle dans les jours de reprťsentation, enfin de toute distinction princiŤre, ŗ ce point qu'ŗ une cťrťmonie publique ŗ Notre-Dame, Louis XVIII fit enlever les carreaux sur lesquels monsieur le duc d'Orlťans et Mademoiselle ťtaient agenouillťs pour les faire mettre en dehors du tapis sur lequel ils n'avaient pas droit de se placer. Il faut Ítre prince pour apprťcier ŗ quel point ces petites avanies blessent. Monsieur le duc d'Orlťans me raconta lui-mÍme ce qui lui ťtait arrivť ŗ l'occasion de la naissance d'un premier enfant de monsieur le duc de Berry qui ne vťcut que quelques heures. On dressa l'acte de naissance. Il fut apportť par le chancelier dans le cabinet du Roi oý toute la famille et une partie de la Cour se trouvaient rťunies. Le chancelier donna la plume au Roi pour signer, puis ŗ Monsieur, ŗ Madame, ŗ messieurs les ducs d'AngoulÍme et de Berry. Le tour de monsieur le duc d'Orlťans arrivť, le Roi cria du plus haut de cette voix de tÍte qu'il prenait quand il voulait Ítre dťsobligeant: ęPas le chancelier, pas le chancelier, les cťrťmonies.Ľ Monsieur de Brťzť, grand maÓtre des cťrťmonies, qui ťtait prťsent s'avanÁa: ęPas monsieur de Brťzť, les cťrťmonies.Ľ Un maÓtre des cťrťmonies se prťsenta. ęNon, non, s'ťcria le Roi de plus en plus aigrement, un aide des cťrťmonies, un aide des cťrťmonies!Ľ Monsieur le duc d'Orlťans restait devant la table, la plume devant lui, n'osant pas la prendre, ce qui aurait ťtť une incongruitť, et attendant la fin de ce maussade ťpisode. Il n'y avait pas d'aide des cťrťmonies prťsent; il fallut aller en chercher un dans les salons adjacents. Cela dura un temps qui parut long ŗ tout le monde. Les autres princes en ťtaient eux-mÍmes trŤs embarrassťs. Enfin l'aide des cťrťmonies arriva et la signature, qui avait ťtť si gauchement interrompue, s'acheva, mais non sans laisser monsieur le duc d'Orlťans trŤs ulcťrť. En sortant, il dit ŗ monsieur le duc de Berry: ęMonseigneur, j'espŤre que vous trouverez bon que je ne m'expose pas une seconde fois ŗ un pareil dťsagrťment. --Ma fois, mon cousin, je vous comprends si bien que j'en ferais autant ŗ votre place.Ľ Et ils ťchangŤrent une cordiale poignťe de main. Monsieur le duc d'Orlťans disait ŗ juste titre que, si telle ťtait l'ťtiquette et que le Roi tÓnt autant ŗ la faire exťcuter dans toute sa rigueur, il fallait avoir la prťcaution de la faire rťgler d'avance. Il lui importait peu que ses carreaux fussent sur le tapis, ou que la plume lui fŻt donnťe par l'un ou par l'autre, mais cela avait l'air de lui prťparer volontairement des humiliations publiques. C'est par ces petites tracasseries, sans cesse renouvelťes, qu'en aliťnant les Orlťans on se les rendait hostiles. Je suis trŤs persuadťe que jamais ils n'ont sťrieusement conspirť; mais, lorsqu'ils rentraient chez eux, blessťs de ces procťdťs qui, je le rťpŤte, sont doublement sensibles ŗ des princes et qu'ils se voyaient entourťs des hommages et des voeux de tous les mťcontents, certainement ils ne les repoussaient pas avec la mÍme vivacitť qu'ils l'eussent fait si le Roi et la famille royale les avaient accueillis comme des parents et des amis. D'un autre cŰtť, les gens de l'opposition affectaient d'entourer monsieur le duc d'Orlťans et de le proclamer comme leur chef, et, ŗ mon sens, il ne refusait pas assez hautement ce dangereux honneur. …videmment ce rŰle lui plaisait. Y voyait-il le chemin de la couronne? Peut-Ítre en perspective, mais de bien loin, pour ses enfants, et seulement dans la pensťe d'accommoder la lťgitimitť avec les besoins du siŤcle. L'existence ťphťmŤre de la petite princesse de Berry donna lieu ŗ une autre aventure trŤs f‚cheuse. Je ne me souviens plus si, dans ces pages dťcousues, le nom de monsieur de La Ferronnays s'est dťjŗ trouvť sous ma plume, cela est assez probable, car j'ťtais liťe avec lui depuis de longues annťes. Il avait toujours accompagnť monsieur le duc de Berry, lui ťtait tendrement et sincŤrement dťvouť, savait lui dire la vťritť, quelquefois avec trop d'emportement, mais toujours avec une franchise d'amitiť que le prince ťtait capable d'apprťcier. Les relations entre eux ťtaient sur le pied de la plus parfaite intimitť. Monsieur de La Ferronnays, aprŤs avoir reprochť ses sottises ŗ monsieur le duc de Berry, aprŤs lui en avoir ťvitť le plus qu'il pouvait, employait sa vie entiŤre ŗ pallier les autres et ŗ chercher ŗ en dťrober la connaissance au public. Il avait vainement espťrť qu'aprŤs son mariage le prince adopterait un genre de vie plus rťgulier; loin de lŗ, il semblait redoubler le scandale de ses liaisons subalternes. Jamais monsieur de La Ferronnays n'avait prÍtť la moindre assistance aux goŻts passagers de monsieur le duc de Berry; mais, ŗ prťsent, il en tťmoignait hautement son mťcontentement, tout en veillant jour et nuit ŗ sa sŻretť, et les relations ťtaient devenues hargneuses entre eux. Monsieur de La Ferronnays ťtait premier gentilhomme de la chambre ostensiblement et de fait maÓtre absolu de la maison oý il commandait plus que le prince. Sa femme ťtait dame d'atour de madame la duchesse de Berry; ils habitaient un magnifique appartement ŗ l'…lysťe et y semblaient ťtablis ŗ tout jamais. Lors de la grossesse de madame la duchesse de Berry, on s'occupa du choix d'une gouvernante. Monsieur le duc de Berry demanda et obtint que ce fŻt madame de Montsoreau, la mŤre de madame de La Ferronnays. L'usage ťtait que le Roi donnait la layette des enfants des Fils de France; elle fut envoyťe et d'une grande magnificence. La petite princesse n'ayant vťcu que peu d'heures, la liste civile rťclama la layette. Madame de Montsoreau fit valoir les droits de sa place qui lui assuraient les _profits de la layette_. On rťpliqua qu'elle n'appartenait ŗ la gouvernante que si elle avait servi. Il y eut quelques lettres ťchangťes. Enfin on en ťcrivit directement ŗ monsieur le duc de Berry (je crois mÍme que le Roi lui en parla). Il fut transportť de fureur, envoya chercher madame de Montsoreau et la traita si durement qu'elle remonta chez elle en larmes. Elle y trouva son gendre et eut l'imprudence de se plaindre de faÁon ŗ exciter sa colŤre. Il descendit chez le prince. Monsieur le duc de Berry vint ŗ lui en s'ťcriant: ęJe ne veux pas que cette femme couche chez moi. --Vous oubliez que cette femme est ma belle-mŤre.Ľ On n'en entendit pas davantage; la porte se referma sur eux. Trois minutes aprŤs, monsieur de La Ferronnays sortit de l'appartement, alla dans le sien, ordonna ŗ sa femme de faire ses paquets et quitta immťdiatement l'…lysťe oý il n'est plus rentrť. Je n'ai jamais su prťcisťment ce qui s'ťtait passť dans ce court tÍte ŗ tÍte; mais la rupture a ťtť complŤte et il en est restť dans tous les membres de la famille royale une animadversion contre monsieur de La Ferronnays qui a survťcu ŗ monsieur le duc de Berry, et mÍme au bouleversement des trŰnes. Je n'ai jamais pu tirer de monsieur de La Ferronnays ni de monsieur le duc de Berry d'autre rťponse, si ce n'est qu'il ne fallait pas leur en parler. Si monsieur de La Ferronnays perdait une belle existence, monsieur le duc de Berry perdait un ami vťritable, et cela ťtait bien irrťparable. Monsieur de La Ferronnays tint une conduite parfaite, modeste et digne tout ŗ la fois. Il ťtait sans aucune fortune et chargť d'une nombreuse famille. Monsieur de Richelieu, toujours accessible ŗ ce qui lui paraissait honorable, s'occupa de son sort et le nomma ministre en SuŤde. Lorsqu'il en prťvint monsieur le duc de Berry, il se borna ŗ rťpondre: ęJe ne m'y oppose pas.Ľ Les autres princes en furent trŤs mťcontents et cette nomination accrut encore le peu de goŻt qu'ils avaient pour monsieur de Richelieu, d'autant que bientŰt aprŤs monsieur de La Ferronnays fut nommť ambassadeur ŗ Pťtersbourg. La joie de son ťloignement compensait un peu le chagrin de sa fortune. Nous le retrouverons ministre des affaires ťtrangŤres et toujours dans la disgr‚ce des Tuileries. Une nouvelle grossesse de madame la duchesse de Berry ayant forcť ŗ remplacer madame de Montsoreau, monsieur le duc de Berry demanda madame de Gontaut pour gouvernante de ses enfants. Ce choix ne laissa pas de surprendre tout le monde et de scandaliser les personnes qui avaient ťtť tťmoins des jeunes annťes de madame de Gontaut, mais il faut se presser d'ajouter qu'elle l'a pleinement justifiť. L'ťducation de Mademoiselle a ťtť aussi parfaite qu'il a dťpendu d'elle, et il aurait ťtť bien heureux pour monsieur le duc de Bordeaux qu'elle eŻt ťtť son unique instituteur. Madame de Gontaut ťtait depuis bien longtemps dans l'intimitť de Monsieur et de son fils, cependant elle n'a jamais ťtť ni exaltťe ni intolťrante en opinion politique. L'habitude de vivre presque exclusivement dans la sociťtť anglaise, un esprit sage et ťclairť, l'avaient tenue ŗ l'ťcart des prťjugťs de l'ťmigration. Sa grande faveur du moment auprŤs de monsieur le duc de Berry venait de ce qu'elle ťloignait de sa jeune ťpouse les rapports indiscrets qui troublaient leur mťnage. Madame la duchesse de Berry ťtait fort jalouse et, quoique le prince ne voulŻt rien cťder de ses habitudes, il ťtait trop bon homme dans le fond pour ne pas attacher un grand prix ŗ rendre sa femme heureuse et ŗ avoir la paix ŗ la maison. Il savait un grť infini ŗ madame de Gontaut, qui pendant un moment remplaÁa madame de La Ferronnays comme dame d'atour, de chercher ŗ y maintenir le calme. Le prince de Castelcicala avait amorti les premiŤres colŤres de madame la duchesse de Berry. Il racontait, avec ses gestes italiens et ŗ faire mourir de rire, la conversation oý, en rťponse ŗ ses plaintes et ŗ ses fureurs, il lui avaient assurť d'une faÁon si pťremptoire que tous les hommes avaient des maÓtresses, que leurs femmes le savaient et en ťtaient parfaitement satisfaites, qu'elle n'avait plus osť se rťvolter contre une situation qu'il affirmait si gťnťrale et ŗ laquelle il ne faisait exception absolument que pour monsieur le duc d'AngoulÍme. Or, la princesse napolitaine aurait eu peu de goŻt pour un pareil ťpoux. Elle s'ťtait particuliŤrement enquise de monsieur le duc d'Orlťans, et le prince Castelcicala n'avait pas manquť de rťpondre de lui: ęIndubitablement, madame, pour qui le prenez-vous? --Et ma tante le sait? --Assurťment, madame; madame la duchesse d'Orlťans est trop sage pour s'en formaliser.Ľ Malgrť ces bonnes instructions de son ambassadeur, la petite princesse reprenait souvent des accŤs de jalousie, et madame de Gontaut ťtait ťgalement utile pour les apaiser et pour ťcarter d'elle les rťvťlations que l'indiscrťtion ou la malignitť, pouvait faire pťnťtrer. Elle continua ŗ jouer ce rŰle tant que dura la vie de monsieur le duc de Berry. Madame la comtesse Juste de Noailles fut nommťe dame d'atour; monsieur le duc de Berry vint lui-mÍme la prier d'accepter. Ce choix rťunit tous les suffrages; personne n'ťtait plus propre ŗ remplir une pareille place avec convenance et dignitť. L'ťminent savoir-vivre de madame de Noailles lui tient lieu d'esprit et sa politesse l'a toujours rendue trŤs populaire, quoiqu'elle ait ťtť successivement dame des impťratrices Josťphine et Marie-Louise et dame d'atour de madame la duchesse de Berry dont elle n'a jamais ťtť favorite mais qui l'a toujours traitťe avec beaucoup d'ťgards. CHAPITRE XIII Je refuse d'aller chez une devineresse. -- Aventure du chevalier de Mastyns. -- …lections de 1817. -- Le parti royaliste sous l'influence de monsieur de VillŤle. -- Le duc de Broglie et Benjamin Constant. -- Monsieur de Chateaubriand appelle l'opposition de gauche _les libťraux_. -- Mariage de mon frŤre. -- Visite ŗ Brighton. -- Soigneuse hospitalitť du prince rťgent. -- Usages du pavillon royal. -- Rťcit d'une visite du Rťgent au roi George III. -- Dťjeuner sur l'escalier. -- Le grand-duc Nicolas ŗ Brighton. Le mariage de mon frŤre se remettait de jour en jour. J'ťtais au plus fort de l'impatience de ces retards incomprťhensibles, lorsqu'un soir une comtesse de Schwitzinoff, dame russe avec laquelle madame de Duras s'ťtait assez liťe, nous parla d'une visite qu'elle avait faite ŗ mademoiselle Lenormand, la devineresse, et de toutes les choses extraordinaires qu'elle lui avait annoncťes. J'avais bien quelque curiositť d'apprendre si le mariage de mon frŤre se ferait enfin cette annťe; mais la duchesse en avait encore beaucoup davantage de se faire dire si elle rťussirait ŗ empÍcher le mariage de sa fille, la princesse de Talmont, avec le comte de La Rochejacquelein, car la seule pensťe de cette union faisait le tourment de sa vie. Elle me pressa fort de l'accompagner chez l'habile sibylle, en nous donnant parole de ne lui adresser qu'une seule question. J'aurais peut-Ítre cťdť sans la promesse que j'avais faite ŗ mon pŤre de n'avoir jamais recours ŗ la nťcromancie, sous quelque forme qu'elle se prťsent‚t. Le motif qui lui avait fait exiger cet engagement est assez curieux pour que je le rapporte ici. Lorsque mon pŤre entra au service, il eut pour mentor le lieutenant-colonel de son rťgiment, le chevalier de Mastyns, ami de sa famille, qui le traitait paternellement. C'ťtait un homme d'une superbe figure; il avait fait la guerre avec distinction et son caractŤre bon et indulgent sans faiblesse le rendait cher ŗ tout le rťgiment. Dans un cantonnement d'une petite ville en Allemagne, pendant une des campagnes de la guerre de Sept Ans, une bohťmienne s'introduisit dans la salle oý se tenait le repas militaire. Sa prťsence offrit quelques distractions ŗ l'oisivetť du corps d'officiers dont le chevalier de Mastyns, fort jeune alors, faisait partie. Il ťprouva d'abord de la rťpugnance contre elle et fit quelques remontrances ŗ ses camarades, puis il cťda et finit par livrer sa main ŗ l'inspection de la bohťmienne. Elle l'examina attentivement et lui dit: ęVous avancerez rapidement dans la carriŤre militaire; vous ferez un mariage au-dessus de vos espťrances; vous aurez un fils que vous ne verrez pas, et vous mourrez d'un coup de feu avant d'avoir atteint quarante ans.Ľ Le chevalier de Mastyns n'attacha aucune importance ŗ ces pronostics. Cependant, lorsqu'en peu de mois il obtint deux grades consťcutifs, dus ŗ sa brillante conduite ŗ la guerre, il rappela les paroles de la diseuse de bonne aventure ŗ ses camarades. Elles lui revinrent aussi ŗ la mťmoire quand il ťpousa, quelques annťes plus tard, une jeune fille riche et de bonne maison. Sa femme ťtait au moment d'accoucher; il avait obtenu un congť pour aller la rejoindre. La veille du jour oý il devait partir, il dit: ęMa foi, la sorciŤre n'a pas dit toute la vťritť, car j'aurai quarante ans dans cinq jours, je pars demain et il n'y a guŤre d'apparence d'un coup de feu en pleine paix.Ľ La chaise de poste dans laquelle il devait partir ťtait arrÍtťe devant son logis, une charrette l'accrocha, brisa l'essieu; il fallait plusieurs heures pour le raccommoder. Le chevalier de Mastyns se dťsolait devant sa porte; quelques officiers de la garnison passŤrent en ce moment; ils allaient ŗ la chasse ŗ l'affŻt. Le chevalier l'aimait beaucoup; il se dťcida ŗ les suivre pour employer le temps qu'il lui fallait attendre. On se plaÁa; la chasse commenÁa, le chevalier ťtait seul en habit brun. Un des chasseurs l'oubliant, ou l'ignorant, et se fiant sur le vÍtement blanc de ses camarades, tira sur quelque chose de foncť qu'il vit remuer dans un buisson. Le chevalier de Mastyns reÁut plusieurs chevrotines dans les reins; on le transporta ŗ la ville. La blessure quoique trŤs grave n'ťtait pas mortelle; on le saigna plusieurs fois; il se rťtablit assez pour que le chirurgien rťpondÓt de sa guťrison et fix‚t mÍme le jour oý il pourrait partir, ŗ une ťpoque assez rapprochťe. On lui apporta les lettres arrivťes pour lui pendant son ťtat de souffrance. Il en ouvrit une de sa mŤre; elle lui annonÁait que sa femme ťtait accouchťe, plutŰt qu'on ne comptait, d'un fils bien portant: ęAh! s'ťcria-t-il, la maudite sorciŤre aura eu raison! Je ne verrai pas mon fils!Ľ Soudain les convulsions le prirent; le tťtanos suivit, et, douze heures aprŤs, il expira dans les bras de mon pŤre. Les mťdecins dťclarŤrent que l'impression morale avait seule causť une mort que l'ťtat de sa blessure ne donnait aucun lieu d'apprťhender. Cette aventure, dont mon pŤre avait ťtť presque acteur dans sa premiŤre jeunesse, lui avait laissť une impression trŤs vive du danger de fournir ŗ l'imagination une aussi f‚cheuse p‚ture. Le chevalier de Mastyns ťtait homme de coeur et d'esprit, plein de raison dans l'habitude de la vie. En bonne santť, il se riait des dťcrets de la bohťmienne; mais, affaibli par les souffrances, il succomba devant cette prťvention fatale. Mon pŤre avait donc exigť de nous de ne jamais nous exposer ŗ courir le risque de cette dangereuse faiblesse. Mon sťjour forcť ŗ Paris me rendit spectatrice des ťlections de 1817. C'ťtaient les premiŤres depuis la nouvelle loi; elles ne furent pas de nature ŗ rassurer. Les mťcontents, qu'ŗ cette ťpoque nous qualifiions de jacobins, se montrŤrent trŤs actifs et eurent assez de succŤs pour donner de vives inquiťtudes au gouvernement. Il appela ŗ son secours les royalistes de toutes les observances afin de combattre les difficultťs que leurs propres extravagances avaient amenťes. Comme ils avaient peur, ils ťcoutŤrent un moment la voix de la sagesse et se conduisirent suffisamment bien ŗ ces ťlections pour conjurer le plus fort du danger. J'avais quelquefois occasion de rencontrer monsieur de VillŤle: il s'exprimait avec une modťration qui lui faisait grand honneur dans mon esprit. On l'a depuis accusť de souffler en dessous les feux qu'il semblait vouloir apaiser. Je n'ai lŗ-dessus que des notions vagues, venant de ses ennemis. Ce qu'il y a de sŻr c'est qu'il commenÁait ŗ prendre l'attitude de chef. Il tenait un langage aussi et peut-Ítre plus modťrť qu'on ne pouvait l'attendre d'un homme qui aspirait ŗ diriger un parti soumis ŗ des intťrÍts passionnťs. Il influa beaucoup sur la bonne conduite des royalistes aux ťlections. L'opposition n'eut pas tous les succŤs dont elle s'ťtait flattťe; mais elle ťtait redevenue fort menaÁante. Monsieur Benjamin Constant rťpondait au duc de Broglie qui, avec sa candeur accoutumťe, quoique trŤs avant dans l'opposition, faisait l'ťloge du Roi et disait que, tout considťrť, peut-Ítre serait-il difficile d'en trouver un d'un caractŤre plus appropriť aux besoins du pays: ęJe vous accorderai lŗ-dessus tout ce que vous voudrez; oui, Louis XVIII est un monarque qui peut convenir ŗ la France telle qu'elle est, mais ce n'est pas celui qu'il nous faut. Voyez-vous, messieurs, nous devons vouloir un roi qui rŤgne par nous, un roi de notre faÁon qui tombe nťcessairement si nous l'abandonnons et qui en ait la conscience.Ľ Le duc de Broglie lui tourna le dos, car lui ne voulait pas de rťvolution; mais il ťtait bien jeune. Il ťtait et sera toujours trop honnÍte, pour Ítre chef de parti. Malheureusement, il y avait plus de gens dans sa sociťtť pour propager les doctrines de monsieur Constant que celles toutes spťculatives et d'amťliorations progressives de monsieur de Broglie. Ce fut vers cette ťpoque que monsieur de Chateaubriand, dans je ne sais quelle brochure, honora les hommes de la gauche du beau nom de _libťraux_. Ce parti rťunissait trop de gens d'esprit pour qu'il n'apprťci‚t pas immťdiatement toute la valeur du prťsent; il l'accepta avec empressement, et il a fort contribuť ŗ son succŤs. Bien des personnes honorables, qui auraient rťpugnť ŗ se ranger d'un parti dťsignť sous le nom de jacobin, se jetŤrent tÍte baissťe, en sŻretť de conscience, parmi les libťraux et y conspirŤrent sans le moindre scrupule. C'est surtout en France, oý la puissance des mots est si grande, que les qualifications exercent de l'influence. Ma prťsence n'ayant pas suffi pour amener la cťlťbration du mariage dťcidť depuis huit mois, les jeunes gens rťclamŤrent celle de mon pŤre. Il obtint un congť de quinze jours. AprŤs des tracasseries et des ennuis qui durŤrent encore cinq semaines, tous les prťtextes de retard ťtant enfin ťpuisťs, il assista le 2 dťcembre 1817 au mariage de son fils avec mademoiselle DestilliŤres. Huit jours aprŤs, il conduisit le nouveau mťnage ŗ Londres oý ma mŤre ťtait restťe et nous attendait avec impatience. Le deuil de la princesse Charlotte ťtait portť par toutes les classes et ajoutait encore ŗ la tristesse de Londres ŗ cette ťpoque de l'annťe oý la sociťtť y est toujours fort peu animťe. Ma jeune belle-soeur n'y prit pas grand goŻt et fŻt charmťe, je pense, de revenir au bout d'un mois retrouver sa patrie et ses habitudes avec un mari qu'elle aimait et qui la chťrissait. Je prolongeai quelque peu mon sťjour en Angleterre, promettant d'aller la rejoindre pour lui faire faire ses visites de noces et la prťsenter ŗ la Cour et dans le monde. Mes parents avaient dťjŗ ťtť deux fois ŗ Brighton pendant mes frťquentes absences. Me trouvant ŗ Londres cette annťe, je fus comprise dans l'invitation. ņ la premiŤre visite qu'ils y avaient faite, un maÓtre d'hŰtel du prince ťtait venu ŗ l'ambassade s'informer des habitudes et des goŻts de ses habitants, pour que rien ne leur manqu‚t au _pavillon_. Il est impossible d'Ítre un maÓtre de maison plus soigneux que le Rťgent et de prodiguer plus de coquetteries quand il voulait plaire. Lui-mÍme s'occupait des plus petits dťtails. ņ peine avait-on dÓnť trois fois ŗ sa table qu'il connaissait les goŻts de chacun et se mettait en peine de les satisfaire. On est toujours sensible aux attentions des gens de ce parage, surtout les personnes qui font grand bruit de leur indťpendante indiffťrence. Je n'en ai jamais rencontrť aucune qui n'en fŻt trŤs promptement sťduite. Le deuil encore rťcent pour la princesse Charlotte ne permettait pas les plaisirs bruyants ŗ Brighton, mais les regrets, si toutefois le Rťgent en avait eu de bien vifs, ťtaient passťs, et le pavillon royal se montrait plus noir que triste. Ce pavillon ťtait un chef-d'oeuvre de mauvais goŻt. On avait, ŗ frais immenses, fait venir des quatre parties du monde toutes les magnificences les plus hťtťroclites pour les entasser sous les huit ou dix coupoles de ce bizarre et laid palais, composť de piŤces de rapports ne prťsentant ni ensemble ni architecture. L'intťrieur n'ťtait pas mieux distribuť que l'extťrieur et assurťment l'art avait tout ŗ y reprendre; mais lŗ s'arrÍtait la critique. Le confortable y ťtait aussi bien entendu que l'agrťment de la vie, et, aprŤs avoir, pour la conscience de son goŻt, bl‚mť l'amalgame de toutes ces ťtranges curiositťs, il y avait fort ŗ s'amuser dans l'examen de leur recherche et de leur dispendieuse ťlťgance. Les personnes logťes au pavillon ťtaient invitťes pour un certain nombre de jours qui, rarement, excťdaient une semaine. On arrivait de maniŤre ŗ faire sa toilette avant dÓner. On trouvait ses appartements arrangťs avec un soin qui allait jusqu'ŗ la minutie des habitudes personnelles de chaque convive. Presque toujours l'hŰte royal se trouvait le premier dans le salon. S'il ťtait retardť par quelque hasard et que les femmes l'y eussent prťcťdť, il leur en faisait une espŤce d'excuse. La sociťtť du dÓner ťtait nombreuse. Elle se composait des habitants du palais et de personnes invitťes dans la ville de Brighton, trŤs brillamment habitťe pendant les mois d'hiver. Le deuil n'admettait ni bals, ni concerts. Cependant le prince avait une troupe de musiciens, sonnant du cor et jouant d'autres instruments bruyants, qui faisaient une musique enragťe dans le vestibule pendant le dÓner et toute la soirťe. L'ťloignement la rendait supportable mais trŤs peu agrťable selon moi. Le prince y prenait grand plaisir et s'associait souvent au gong pour battre la mesure. AprŤs le dÓner, il venait des visites. Vers onze heures, le prince passait dans un salon oý il y avait une espŤce de petit souper froid prťparť. Il n'y ťtait suivi que par les personnes qu'il y engageait, les dames ŗ demeure dans la maison et deux ou trois hommes de l'intimitť. C'ťtait lŗ que le prince se mettait ŗ son aise. Il se plaÁait sur un sopha, entre la marquise de Hertford et une autre femme ŗ qui il voulait faire politesse, prenait et conservait le dť dans la conversation. Il savait merveilleusement toutes les aventures galantes de la Cour de Louis XVI, aussi bien que celles d'Angleterre qu'il racontait longuement. Ses rťcits ťtaient semťs parfois de petits madrigaux, plus souvent de gravelures. La marquise prenait l'air digne, le prince s'en tirait par une plaisanterie qui n'ťtait pas toujours de bien bon goŻt. Somme toute, ces soirťes, qui se prolongeaient jusqu'ŗ deux ou trois heures du matin, auraient paru assommantes si un particulier en avait fait les frais; mais le parfum de la couronne tenait toute la sociťtť ťveillťe et la renvoyait enchantťe des gr‚ces du prince. Je me rappelle pourtant avoir ťtť trŤs intťressťe un soir par une de ces causeries. Le Rťgent nous raconta sa derniŤre visite au Roi son pŤre; il ne l'avait pas vu depuis plusieurs annťes. La Reine et le duc d'York, chargťs du soin de sa personne, ťtaient seuls admis ŗ le voir. Je me sers du mot propre en disant _le voir_, car on ne lui parlait jamais. Le son d'une voix, connue ou ťtrangŤre, le mettait dans une agitation qu'il fallait des jours et quelquefois des semaines pour calmer. Le vieux Roi avait eu des accŤs tellement violents que, par prťcaution, tous ses appartements ťtaient matelassťs. Il ťtait servi avec un extrÍme soin, mais dans un silence profond; on ťtait ainsi parvenu ŗ lui procurer assez de tranquillitť. Il ťtait complŤtement aveugle. Une maladie de la Reine l'ayant empÍchťe d'accomplir son pieux devoir, le Rťgent la supplťa. Il nous dit qu'on l'avait fait entrer dans un grand salon oý, sťparť par une rangťe de fauteuils, il avait aperÁu son vťnťrable pŤre trŤs proprement vÍtu, la tÍte entiŤrement chauve et portant une longue barbe blanche qui lui tombait sur la poitrine. Il tenait conseil en ce moment et s'adressait ŗ monsieur Pitt en termes fort raisonnables. On lui fit apparemment des objections, car il eut l'air d'ťcouter et, aprŤs quelques instants de silence, reprit son discours en insistant sur son opinion. Il donna ensuite la parole ŗ un autre qu'il ťcouta de mÍme, puis ŗ un troisiŤme conseiller, le dťsignant par son nom que j'ai oubliť. Enfin il avertit dans les termes officiels que le conseil ťtait levť, appela son page et alla faire des visites ŗ ses enfants, causant avec eux longuement, surtout avec la princesse Amťlie, sa favorite (dont la mort inopinťe avait contribuť ŗ cette derniŤre crise de sa maladie). En la quittant, il lui dit: ęJe m'en vais parce que la Reine, vous savez, n'aime pas que je m'absente trop longtemps.Ľ En effet, il suivit cette idťe et revint chez la Reine. Toutes ces promenades se faisaient appuyť sur le bras d'un page et sans sortir du mÍme salon. AprŤs un bout de conversation avec la Reine, il se leva et alla tout seul, bien que suivi de prŤs, au piano oý il se mit ŗ improviser et ŗ jouer de souvenir de la musique de Hśndel en la chantant d'une voix aussi touchante que sonore. Ce talent de musique (il l'avait toujours passionnťment aimťe) ťtait singuliŤrement augmentť depuis sa cruelle maladie. On prťvint le prince que la sťance au piano se prolongeait ordinairement au delŗ de trois heures, et, en effet, aprŤs l'avoir longuement ťcoutť, il l'y laissa. Ce qu'il y avait de remarquable c'est que ce respectable vieillard, que rien n'avertissait de l'heure, pas mÍme la lumiŤre du jour, avait un instinct d'ordre qui le poussait ŗ faire chaque jour les mÍmes choses aux mÍmes heures, et les devoirs de la royautť passaient toujours avant ceux de famille. Sa complŤte cťcitť rendait possible le silence dont on l'environnait et que les mťdecins, aprŤs avoir essayť de tous les traitements, jugeaient indispensable. Je dois au Rťgent la justice de dire qu'il avait les larmes aux yeux en nous faisant ce rťcit, un soir bien tard oý nous n'ťtions plus que quatre ou cinq, et qu'elles coulaient le long de ses joues en nous parlant de cette voix, chantant ces beaux motets de Hśndel, et de la violence qu'il avait dŻ se faire pour ne pas serrer dans ses bras le vťnťrable musicien. Le roi George III ťtait aussi aimť que respectť en Angleterre. Son cruel ťtat pesait sur le pays comme une calamitť publique. Il est ŗ remarquer que, dans un pays oý la presse se permet toutes les licences et ne se fait pas faute d'appeler un _chat_ un _chat_, jamais aucune allusion dťsobligeante n'a ťtť faite ŗ la position du Roi, et, jusqu'ŗ Cobbet, tout le monde en a parlť avec convenance et respect. Les vertus privťes servent ŗ cela, mÍme sur le trŰne, lorsqu'on n'est pas en temps de rťvolution. Toutefois ce respect n'a pas empÍchť sept tentatives d'assassinat sur George III. Les invitťs du pavillon avaient l'option de dťjeuner dans leur intťrieur ou de prendre part ŗ un repas en commun dont sir Benjamin et lady Bloomfield faisaient les honneurs. ņ moins d'indisposition, on prťfťrait ce dernier parti, exceptť, toutefois, quelques-unes des anciennes amies du prince qui, cherchant encore ŗ cacher du temps l'_irrťparable outrage_, ne paraissaient jamais qu'ŗ la lumiŤre, soin fort superflu et sacrifice trŤs mal rťcompensť. La marquise d'Hertford en donnait l'exemple. Je fus trŤs ťtonnťe en sortant de mon appartement de trouver le couvert mis sur le palier de l'escalier. Mais quel palier et quel couvert! tous les tapis, tous les fauteuils, toutes les tables, toutes les porcelaines, toutes les vaisselles, toutes les recherches de tout genre que le luxe et le bon goŻt peuvent offrir ŗ la magnificence y ťtaient dťployťs. Le prince mettait d'autant plus d'importance ŗ ce que ce repas fŻt extrÍmement soignť qu'il n'y assistait jamais, et qu'aucune dťlicatesse de bon goŻt pour ses hŰtes ne lui ťchappait. Il menait ŗ Brighton ŗ peu prŤs la mÍme vie qu'ŗ Londres, restait dans sa chambre jusqu'ŗ trois heures et montait ŗ cheval ordinairement seul. Si, avant de commencer sa promenade, il rencontrait quelques nouveaux dťbutants au pavillon, il se plaisait ŗ le leur montrer lui-mÍme et surtout ses cuisines entiŤrement chauffťes ŗ la vapeur sur un plan, tout nouveau ŗ cette ťpoque, dont il ťtait enchantť. En rentrant, le prince descendait de cheval ŗ la porte de lady Hertford qui habitait une maison sťparťe mais communiquant ŗ couvert avec le pavillon royal. Il y restait jusqu'au moment oý commenÁait la toilette du dÓner. Pendant la semaine que nous pass‚mes ŗ Brighton, la mÍme vie se renouvela chaque jour. C'ťtait l'habitude. Je m'y retrouvai l'annťe suivante avec le grand-duc, devenu depuis empereur Nicolas. Il ťtait trop jeune pour que le Rťgent se gÍn‚t beaucoup pour lui. La seule diffťrence que je remarquai, c'est qu'au lieu de laisser chacun libre de sa matinťe en mettant chevaux et voitures ŗ sa disposition, le Rťgent faisait arranger une _partie_ tous les jours pour le jeune prince, ŗ laquelle, hormis lui, tous les habitants du pavillon se rťunissaient. On visitait ainsi les lieux un peu remarquables ŗ quinze milles ŗ la ronde. Je me rappelle que, dans une de ces promenades, le grand-duc adressa une question ŗ l'amiral sir Edmund Nagle que le rťgent avait spťcialement attachť ŗ sa personne. Celui-ci Űta son chapeau pour rťpondre: ęMettez donc votre chapeau.Ľ Et, en disant ces mots, le grand-duc donna un petit coup de cravache au chapeau. L'amiral le tenait mal apparemment; il lui ťchappa et le vent bien carabinť sur la falaise ťlevťe de Brighton l'emporta en tourbillonnant dans un champ voisin, sťparť de nous par une haie et une haute barriŤre devant laquelle nous ťtions arrÍtťs pour examiner un point de vue. Avant que l'amiral, gros, court et assez ‚gť, eŻt pu descendre de cheval, l'Altesse Impťriale ťtait sautťe ŗ terre, avait deux fois franchi lestement et gracieusement la barriŤre et rapportait le chapeau ŗ sir Edmund en lui adressant ses excuses. Cette prouesse de bonne gr‚ce et de bonne compagnie donna beaucoup de popularitť au grand-duc dans notre coterie de Brighton qui rťunissait ŗ cette ťpoque le corps diplomatique presque en entier. L'ťtiquette plaÁa ma mŤre constamment auprŤs du grand-duc Nicolas pendant tout son voyage. Avec ses habitudes de Cour et sa vocation pour les princes, elle ne tarda pas ŗ lui plaire. Ils ťtaient trŤs joliment ensemble; il l'appelait sa gouvernante et la consultait plus volontiers que la comtesse de Lieven dont il avait peur. Ma mŤre en ťtait, de son cŰtť, toute affolťe et nous le vantait beaucoup. Pour moi, qui ne partage pas son goŻt pour les princes en gťnťral, il me faut plus de temps pour m'apprivoiser aux personnes de cette espŤce que ne dura le sťjour du grand-duc. Je le trouvai trŤs beau; mais sa physionomie me semblait dure, et surtout il me dťplut par la faÁon dont il parlait de son frŤre, l'empereur Alexandre. Son enthousiasme, portť jusqu'ŗ la dťvotion, s'exprimait en vťritables tirades de mťlodrame et d'un ton si exagťrť que la faussetť en sautait aux yeux. Je n'ai guŤre vu de jeune homme plus complŤtement privť de naturel que le grand-duc Nicolas; mais aurait-il ťtť raisonnable d'en exiger d'un prince et du frŤre d'un souverain absolu? Je ne le crois pas. Aussi ne prťtends-je pas lui en faire reproche, seulement je m'explique pourquoi, malgrť sa belle figure, ses belles faÁons, sa politesse et les ťloges de ma mŤre, il n'est pas restť gravť d'un burin fort admirateur dans mon souvenir. CHAPITRE XIV Je fais naufrage sur la cŰte entre Boulogne et Calais. -- Effet de cet accident. -- Excellent propos de Monsieur. -- SinguliŤre conversation de Monsieur avec …douard Dillon. -- Les pairs ayant des charges chez le Roi votent contre le ministŤre. -- Rťponse de monsieur Canning ŗ ce sujet. -- Le Pape et monsieur de Marcellus. Si j'avais l'intention de faire le rťcit des petits ťvťnements de ma vie privťe, ou plutŰt si j'avais le talent nťcessaire pour les rendre intťressants, j'aurais dŻ placer en 1800 un combat naval que le b‚timent sur lequel je revenais d'Hambourg soutint ŗ la hauteur du Texel et, en 1804, la description d'un orage qui m'assaillit ŗ l'entrťe de la Meuse. On me fit grand honneur, dans ces deux occasions, de mon courage. Je suis forcťe de l'expliquer d'une faÁon excessivement peu poťtique; j'avais abominablement le mal de mer. Peut-Ítre pourrais-je rťclamer ŗ plus juste titre quelque ťloge pour avoir montrť du sang-froid dans une position trŤs pťrilleuse qu'amena la courte traversťe de Douvres ŗ Calais, au mois de fťvrier 1818. Par la coupable incurie du capitaine, nous ťchou‚mes sur une petite langue de sable placťe entre deux rochers ŗ un quart de lieue de la cŰte. Chaque lame nous soulevait un peu, mais nous retombions plus engravťs que jamais. C'ťtait encore heureux, car, si nous avions heurtť de cette faÁon sur les rochers dont nous ťtions bien rapprochťs, peu de secondes auraient suffi ŗ nous dťmolir. Le b‚timent ťtait encombrť de passagers. La seule petite chaloupe qu'il pŻt mettre ŗ la mer ne contenant que sept personnes, dont deux matelots pour la conduire, je compris tout de suite que le plus grand danger de notre situation pťrilleuse ťtait l'effroi qui pouvait se mettre parmi nous et l'empressement ŗ se jeter dans cette embarcation. Ma qualitť de fille d'ambassadeur me donnait d'autant plus d'importance ŗ bord que j'ťtais accompagnťe d'un courrier de cabinet pour lesquels les capitaines des paquebots ont des ťgards tout particuliers. J'en profitai pour venir au secours du commandant. Il voulait me faire passer la premiŤre; je l'engageai ŗ placer dans le bateau une mŤre accompagnťe de cinq petits enfants qui jetaient les hauts cris. Un monsieur (je suis f‚chťe de dire que c'ťtait un franÁais) s'y prťcipita sous prťtexte de porter les enfants, et le bateau s'ťloigna. Je ne nierai pas que les quarante minutes qui s'ťcoulŤrent jusqu'ŗ son retour ne me parussent fort longues. Toutefois le parti que j'avais pris m'avait donnť quelque autoritť sur mes compagnons de malheur, et j'obtins qu'il n'y aurait ni cris, ni mouvement impťtueux. Tout le monde se conduisit trŤs bien. Les femmes qui restaient, nous ťtions cinq et deux enfants, devaient s'embarquer au second voyage. Les hommes tirŤrent au sort pour les suivants. Tout s'exťcuta comme il avait ťtť convenu. Le capitaine m'avait expliquť que le moment du plus grand danger serait celui oý la marťe tournerait. Si alors le vent poussait ŗ terre, avant que son b‚timent fŻt gouvernable, il y avait fort ŗ craindre qu'il ne se bris‚t sur les rochers, si, d'un autre cŰtť, il ťtait assez engravť pour ne pouvoir se relever, il serait rempli par la marťe montante. Les deux chances ťtaient ťgalement admissibles, mais nous avions encore un peu de temps devant nous. Au reste, la nuit s'approchait et il neigeait ŗ gros flocons. Lorsque je quittai le b‚timent, il ťtait tellement penchť que les matelots eux-mÍmes ne pouvaient traverser le pont qu'ŗ l'aide d'une ťchelle qu'on avait couchťe dessus. Notre dťpart se conduisit avec un grand ordre et un entier silence. Une jeune femme refusa pťremptoirement de se sťparer de son mari. Il avait tirť un des derniers numťros, mais un officier qui devait partir par le prochain bateau fut tellement touchť de ce dťvouement, fait au plus petit bruit possible, qu'il exigea du mari de prendre sa place. Je pourrais faire un volume de toutes les circonstances touchantes et ridicules qui accompagnŤrent cet ťpisode de mes voyages, depuis le moment oý le b‚timent toucha jusqu'ŗ celui oý, aprŤs une route de sept heures au milieu de la nuit, de la neige, et par des chemins impraticables, la charrette qui nous portait pÍle-mÍle sur la paille nous fit faire notre entrťe dans Calais. Le capitaine, dťbarrassť de ses passagers, manoeuvra fort judicieusement. Il lui arriva enfin quelques secours de la cŰte et il parvint ŗ relever son b‚timent et ŗ l'amener ŗ Calais, quoique trŤs avariť. Le lendemain, il me fit faire des excuses et de grands remerciements sur l'exemple que j'avais donnť et qui, assurait-il, avait tout sauvť. J'ai remarquť que les grands dangers trouvent toujours du sang froid, et les grandes affaires du secret. Les cris et les caquets sont pour les petites circonstances. J'ťtais partie de Londres malade; j'arrivai ŗ Paris trŤs bien portante. Je payai cher ce faux bien-Ítre; la rťaction ne tarda pas ŗ se faire sentir. J'eus d'abord un anthrax qui fut prťcurseur d'une fiŤvre maligne; les mťdecins l'attribuŤrent ŗ avoir eu ce qui s'appelle vulgairement le _sang tournť_. Plus on prend sur soi dans un danger ťvident et apprťciť, plus ce rťsultat peut arriver. Toutefois j'ťtais souffrante depuis fort longtemps et aurais peut-Ítre ťtť malade sans mon naufrage. Je prťsentai ma belle-soeur le lendemain de mon arrivťe. Je me rappelle particuliŤrement ce jour-lŗ parce que c'est le seul mouvement patriotique que j'aie vu ŗ Monsieur et que j'aime ŗ lui en faire honneur. On conÁoit qu'un _naufrage_ est un argument trop commode pour que les princes ne l'exploitent pas ŗ fond. J'avais fait ma cour ŗ ses dťpens chez le Roi, chez Madame, et mÍme chez monsieur le duc d'AngoulÍme. Arrivťe chez Monsieur, aprŤs quelques questions prťliminaires, il me dit d'un ton assez triste: ęC'ťtait un paquebot franÁais. --Non, monseigneur, c'ťtait un anglais. --Oh! que j'en suis aise!Ľ Il se retourna ŗ son service qui le suivait, et rťpťta aux dames qui m'environnaient: ęCe n'ťtait pas un capitaine franÁaisĽ avec un air de satisfaction dont je lui sus un grť infini. S'il avait souvent exprimť de pareils sentiments, il aurait ťtť bien autrement populaire. Je prťcťdai de peu de jours ŗ Paris mon oncle, …douard Dillon, qui y passait en se rendant de Dresde ŗ sa nouvelle rťsidence de Florence. Il ťtait de la maison de Monsieur, et, je crois l'avoir dťjŗ dit, dans des habitudes de familiaritť qui dataient de leur jeunesse ŗ tous deux. Un matin, oý il quittait Monsieur, il me raconta une conversation qui venait d'avoir lieu. Elle avait roulť sur l'inconvenance des propos tenus par l'opposition et plus encore par le parti ministťriel sur le prince. On cherchait, selon lui, ŗ le dťjouer parce qu'il ťtait royaliste et avertissait le Roi des prťcipices oý on entraÓnait la monarchie, etc. …douard, qui se trouvait une des personnes les plus raisonnables pouvant l'approcher, combattit ces impressions de Monsieur. Il lui assura qu'il lui serait bien facile de se faire adorer, s'il voulait se montrer moins exclusivement chef d'un parti. ęMais je ne suis pas chef d'un parti. --Monseigneur, on vous en donne les apparences. --C'est ŗ tort, mais comment l'ťviter? --En ťtant moins exclusif. --Jamais je n'accueillerai les jacobins, c'est pour cela qu'on me dťteste. --Mais les gens qui vous servent bien ne sont pas des jacobins. --C'est selon. Vois-tu, Ned, le vieux levain rťvolutionnaire, cela reparaÓt toujours, fŻt-ce au bout de vingt ans. Quand on a servi les autres, on ne vaut rien pour nous. --Je suis f‚chť d'entendre tenir ce langage ŗ Monseigneur; cela confirme ce que l'on dit. --Ah! ah! et que dit-on? conte-moi cela, toi. --Hť bien, Monseigneur, on dit que vous avez envie de faire Mathieu ou Jules ministre.Ľ Monsieur qui se promenait dans son cabinet, s'arrÍta tout court, partit d'un grand ťclat de rire. ęAh! parbleu, celui-lŗ est trop amusant, ce n'est pas sťrieusement que tu me dis cela? --Sťrieusement, Monseigneur. --Mais tu connais trop Jules pour que j'aie besoin de te dire ce que c'est; hť bien, Mathieu c'est la mÍme espŤce tout juste, un peu moins h‚bleur peut-Ítre, mais pas plus de fond ni de valeur. Puisqu'on veut bien me prÍter des intentions, il faudrait au moins qu'elles fussent de nature ŗ ce que quelqu'un pŻt y ajouter foi. Allons, allons, mon vieil ami, tranquillise-toi; si on ne fait jamais d'autre fable sur mon compte, cela n'est pas bien alarmant. Mathieu! Jules! Ah! bon Dieu, quels ministres? on me croit donc extravagant! mais il faudrait Ítre fou ŗ lier! Il n'est pas possible que qui que ce soit y ait cru sťrieusement; on s'est moquť de toi.Ľ …douard lui tťmoigna grande satisfaction des dispositions oý il se trouvait. Il vint en toute h‚te me conter la sagesse de son prince. J'ai souvent repensť ŗ cette conversation, sur laquelle je ne puis avoir aucun doute, lorsque plus tard Mathieu de Montmorency d'abord et Jules de Polignac ensuite ont ťtť successivement ministres des affaires ťtrangŤres. Monsieur avait-il changť d'opinion sur leur compte, ou bien trompait-il …douard en 1818? Il peut y avoir de l'un et de l'autre. Il est indubitable que, dŤs lors, Jules ťtait dans sa plus intime confiance et jouait le rŰle de ministre de la police du gouvernement occulte. L'opposition au Roi avait gagnť toute la Cour, et pour conserver un peu de tranquillitť dans l'intťrieur de sa famille, il n'osait pas en tťmoigner de ressentiment. La loi de recrutement dťplaisait particuliŤrement ŗ la noblesse. De tout temps, elle regardait l'armťe comme son patrimoine. C'ťtait bien ŗ titre onťreux, il faut l'accorder, car elle l'avait exploitťe, plus honorablement que lucrativement, pendant bien des siŤcles, mais elle tenait ŗ en jouir exclusivement et ne voulait pas comprendre combien les temps ťtaient changťs. Elle s'opposa donc au systŤme d'avancement par l'anciennetť avec une extrÍme passion. La loi fut emportťe ŗ la Chambre des dťputťs; on savait qu'elle ne parviendrait ŗ passer ŗ celle des pairs qu'ŗ une faible majoritť. Le Roi, n'osant pas se prononcer hautement, emmena ŗ sa promenade accoutumťe les pairs de service auprŤs de lui qui, tous, devaient voter contre son gouvernement. Le Roi ne sortait pas le dimanche ni le mercredi oý il tenait conseil. Pour les cinq autres jours de la semaine, il avait cinq promenades, toujours les mÍmes, qui revenaient ŗ jour fixe chaque semaine. Celle de la matinťe oý l'on devait voter ťtait une des plus courtes et les pairs y avaient comptť; mais le Roi, ce qui ťtait sans exemple, avait changť les ordres pour les relais et, de plus, commandť d'aller doucement. En gťnťral, il voulait aller excessivement vite et toujours sur le pavť. Quelque poussiŤre, quelque verglas qu'il pŻt y avoir, il ne ralentissait jamais son allure. Il en rťsultait des accidents graves pour les escortes, mais cela le laissait complŤtement impassible. Quand un homme ťtait tombť on le ramassait; cela ne faisait aucun ťmoi. Si c'ťtait un officier, on envoyait savoir de ses nouvelles, et, si son cheval ťtait estropiť, on lui en donnait un. Il n'en n'ťtait pas davantage. Il fallait un motif politique pour influer sur les usages ťtablis; mais la niche du Roi n'eut pas de succŤs. Ses zťlťs serviteurs avaient eu la prťcaution de demander leur voiture dans la cour des Tuileries. Ils s'y jetŤrent, en descendant du carrosse royal, et arrivŤrent encore au Luxembourg ŗ temps pour donner leur _non_ aux demandes des ministres. Ils n'en furent pas plus mal traitťs dans les grands appartements, et beaucoup mieux au pavillon de Marsan. Nous autres, constitutionnels ministťriels, ťtions indignťs; mais les ultras, et mÍme les courtisans plus raisonnables, ťtaient enchantťs de cet acte d'indťpendance. Monsieur Canning se trouvait alors pour quelques jours ŗ Paris. Je me souviens que, le soir mÍme oý la discussion sur ce procťdť ťtait assez animťe, il entra chez madame de Duras. Elle l'interpella: ęN'est-ce pas qu'en Angleterre les personnes attachťes au Roi votent selon leur conscience et ne sont nullement forcťes de soutenir le ministŤre? --Je ne comprends pas bien. --Mais, par exemple, si le grand chambellan trouve une loi mauvaise, il est libre de voter contre? --Assurťment, trŤs libre, chacun est complŤtement indťpendant dans son vote.Ľ Madame de Duras triomphait. ęMais, ajouta monsieur Canning, il enverrait sa dťmission avant de prendre ce parti; sans cela on la lui demanderait tout de suite.Ľ Le triomphe fut un peu moins agrťable. Toutefois, comme elle avait de l'esprit, elle se rabattit sur ce que notre ťducation constitutionnelle n'ťtait pas assez faite pour appeler cela de l'indťpendance, et, ramenant la discussion ŗ une thŤse gťnťrale, tourna le terrain oý elle s'ťtait engagťe si malencontreusement. Le parti soi-disant royaliste ťtait tombť dans une telle aberration d'idťes que, lorsque monsieur de Marcellus, alors dťputť, fut nommť de la commission pour examiner la loi qui devait accompagner le concordat et garantir les libertťs de l'…glise gallicane, il n'imagina rien de mieux que d'en rťfťrer au Pape en lui envoyant la copie du projet de loi et de tous les documents confiťs ŗ la commission. Le Pape lui rťpondit qu'il fallait s'opposer ŗ la promulgation de cette loi par tous les moyens possibles, l'autorisant mÍme textuellement ŗ employer en sŻretť de conscience la _ruse_ et l'_astuce_. Monsieur de Marcellus, plus bon que mťchant dans le fond, profita mal du conseil car il alla porter ce singulier bref au duc de Richelieu qui entra dans une fureur extrÍme. Il le menaÁa de le traduire devant les tribunaux pour avoir rťvťlť le secret d'…tat ŗ une Cour ťtrangŤre, lui dit que, si cet ancien rťgime, qu'il affectait de regretter, subsistait encore, on le ferait pourrir dans une prison d'…tat et, par gr‚ce encore, pour ťviter que le Parlement ne le dťcrťt‚t de prise de corps et ne lui fÓt un plus mauvais parti, etc. Monsieur de Marcellus fut tout ťbahi d'une scŤne si bien carabinťe; il comprit mÍme son tort; mais le parti jťsuite, trŤs puissant et tout ultramontain, lui donna de grands ťloges. Monsieur le prit sous sa protection spťciale et le bruit s'apaisa. Seulement, il me semble que les nťgociations ŗ Rome furent retirťes ŗ monsieur de Blacas, soupÁonnť d'avoir eu connaissance de cette intrigue, et qu'on y envoya monsieur Portalis. Celui-ci parvint ŗ faire signer un concordat oý les libertťs gallicanes ťtaient aussi bien mťnagťes que les circonstances le permettaient. Le roi Louis XVIII n'y tenait pas assez pour les dťfendre vivement contre son frŤre. CHAPITRE XV Coup de pistolet tirť au duc de Wellington. -- On trouve l'assassin. -- Inquiťtude de Monsieur sur la retraite des ťtrangers. -- Agitation dans les esprits. -- TťnŤbres ŗ la chapelle des Tuileries. -- Le duc de Rohan ŗ Saint-Sulpice. -- Ses ridicules. -- Le duc de Rohan se fait prÍtre. -- Une aventure ŗ Naples. -- Faveur du prince de Talleyrand. -- Bal chez le duc de Wellington. -- Testament de la reine Marie-Antoinette. -- Mort de la petite princesse d'Orlťans, nťe ŗ Twickenham. -- Mort de monsieur le prince de Condť. -- Son oraison funŤbre. Peu de jours aprŤs mon arrivťe ŗ Paris, nous fŻmes tous mis en grand ťmoi par une tentative d'assassinat commise sur la personne du duc de Wellington. Un coup de pistolet avait ťtť tirť sur sa voiture au milieu de la nuit, comme il rentrait dans son hŰtel de la rue des Champs-…lysťes. Cet ťvťnement pouvait avoir les plus f‚cheuses consťquences. Le duc de Wellington ťtait le personnage le plus important de l'ťpoque; tout le monde en ťtait persuadť, mais personne autant que lui. Son mťcontentement aurait ťtť une calamitť. Tout ce qui tenait au gouvernement fit donc une trŤs grosse affaire de cet attentat et le lendemain le duc ťtait d'assez bonne humeur. Mais on ne dťcouvrait rien. Personne n'avait ťtť blessť; on ne retrouvait point de balle; le coup avait ťtť tirť en pleine obscuritť contre une voiture allant grand train. Tout cela paraissait suspect. L'opposition rťpandit le bruit que le duc, d'accord avec le parti ultra, s'ťtait fait tirer un coup de pistolet ŗ poudre pour saisir ce prťtexte de prolonger l'occupation. Il faut rendre justice au duc de Wellington; il ťtait incapable d'entrer dans une pareille machination; mais il conÁut beaucoup d'humeur de ces propos, et, il le faut rťpťter, notre sort dťpendait en grande partie de ses bonnes dispositions, car, lui seul pouvait prendre l'initiative et affirmer aux souverains que la prťsence en France de l'armťe d'occupation, dont il ťtait gťnťralissime, avait cessť d'Ítre nťcessaire au repos de l'Europe. Toute la police ťtait en mouvement sans rien dťcouvrir. Les ultras se frottaient les mains et assuraient que les ťtrangers sťjourneraient cinq annťes de plus. Enfin on eut des rťvťlations de Bruxelles. Milord Kinnaird, fort avant dans le parti rťvolutionnaire mais en deÁŗ pourtant de l'assassinat, dťnonÁa l'envoi d'un nommť Castagnon par le comitť rťvolutionnaire sťant ŗ Bruxelles oý tous les anciens jacobins, prťsidťs par les rťgicides expulsťs du royaume, s'ťtaient rťfugiťs. On acquit la preuve que ce Castagnon avait tirť contre le duc. Il fut dťfťrť aux tribunaux et sťvŤrement puni et le duc se tint pour satisfait. Il entrait consciencieusement dans le projet de libťrer la France des troupes sous ses ordres, mais on pouvait toujours redouter ses caprices. La diminution de l'armťe obtenue l'annťe prťcťdente donnait droit ŗ de grandes espťrances. Toutefois, les traitťs portaient cinq ans de cette occupation, si onťreuse et si humiliante, et la troisiŤme ťtait ŗ peine commencťe. Tous les soins du gouvernement ťtaient employťs ŗ obtenir notre dťlivrance. Il ťtait contrecarrť par le parti ultra qui ťprouvait, ou feignait, une grande alarme de voir l'armťe ťtrangŤre quitter la France. Monsieur avait dit au duc de Wellington, et malheureusement assez haut pour que cela fŻt entendu et rťpťtť: ęSi vous vous en allez, je veux m'en aller aussi. --Oh! que non, Monseigneur, avait rťpondu le duc; vous y penserez mieux.Ľ Quelques semaines plus tard, un petit ťcrit professant la convenance de prolonger l'occupation, loin de chercher ŗ l'abrťger, fut distribuť ŗ profusion; il ťtait anonyme, mais l'enveloppe portait pour timbre: _Chambre de Monsieur_. On l'attribua ŗ monsieur de Bruges. C'ťtait le prťcurseur de la fameuse _Note secrŤte_. Toutes ces petites circonstances fondaient l'immense impopularitť sous laquelle Charles X a succombť en trois jours, quelques annťes aprŤs. Ces intrigues agissaient mÍme sur les personnes qui n'y prenaient aucune part. Il rťgnait une inquiťtude gťnťrale qui ne paraissait pas justifiťe par la situation oý nous nous trouvions. DŤs en arrivant, j'avais eu les oreilles rabattues par l'annonce de la _grande conspiration_. Je demandais qui en faisait partie, on me rťpondait: ęJe n'en sais rienĽ, mais on ajoutait avec un air capable: ęTenez pour sŻr que nous marchons sur un volcan, et certes ce n'est pas monsieur Decazes qui nous sauvera!Ľ Il ťtait, de plus en plus, en butte ŗ la haine du parti de la Cour. ņ force d'entendre rťpťter ces paroles, je finissais par Ítre ťbranlťe ŗ mon tour, lorsqu'une circonstance puťrile me rťtablit dans mon assiette en me montrant sur quels fondements fragiles on ťchafaudait les nouvelles. J'assistais ŗ tťnŤbres ŗ la chapelle des Tuileries; on frappe un coup lťger ŗ la porte de la tribune royale. Une fois; pas de rťponse; Madame jette un coup d'oeil irritť derriŤre elle. Une seconde; pas encore de rťponse. Une troisiŤme; le Roi ordonne d'ouvrir. On lui remet un billet, il le lit, fait signe au major gťnťral de la garde royale, lui dit quelques mots tout bas. Celui-ci sort et tťnŤbres s'achŤvent au milieu de l'agitation de la Congrťgation. Plus de doute, la grande conspiration a ťclatť. Des courtisans trouvent moyen de sortir de la chapelle pour aller en rťpandre la nouvelle, mÍme ŗ la Bourse, assure-t-on. Rendu dans ses appartements, le Roi annonce que la salle de l'Odťon a pris feu et que le ministre de la police demande des troupes pour maintenir l'ordre. AussitŰt les dťvots de se rťcrier sur le scandale de troubler le service divin pour un thť‚tre qui brŻle et les courtisans de s'indigner qu'on vienne dťranger le Roi pour si mince affaire. ęComment trouvez-vous monsieur Decazes? Il fait passer ses ordres par le Roi ŗ prťsent! C'est une nouvelle mťthode assurťment!Ľ Le soir, il ťtait rťpandu dans la ville que l'incendie de l'Odťon ťtait le commencement d'exťcution d'une grande conspiration; et, ŗ la Cour, oý on ťtait un peu mieux informť quoique beaucoup plus bÍte, il n'ťtait question que de l'insolence de ces coups rťpťtťs frappťs ŗ la porte de la tribune royale. Il semblait qu'on l'eŻt abattue ŗ coups de hache. C'ťtait aux Tuileries un bien plus grand ťvťnement que la destruction d'un des beaux monuments de la capitale. Cette scŤne de la chapelle me rafraÓchit la mťmoire d'un incident dont je fus tťmoin ŗ Saint-Sulpice, ce mÍme carÍme, un jour oý l'abbť Frayssinous y prÍchait. Les sermons ťtaient fort courus et, le ministre de la police ayant annoncť le projet d'y assister, le banc de l'oeuvre lui fut rťservť. Un ťquipage avec plusieurs valets en grande livrťe s'arrÍta au portail. Un homme en uniforme en sortit, c'ťtait ťvidemment le ministre. Le suisse arriva en toute h‚te, hallebarde en main, ouvrant la route ŗ Monseigneur. Le bedeau suivait; il s'adressa ŗ Alexandre de Boisgelin (passablement gobeur de son mťtier) pour lui demander s'il ťtait de la suite de Son Excellence. ęDe quelle Excellence? --Du ministre de la police. --Oý est-il? --Lŗ, le suisse prťcŤde. --Mais ce n'est pas le comte Decazes, c'est le duc de Rohan.Ľ AussitŰt voilŗ le bedeau au petit galop courant aprŤs le suisse pour le ramener ŗ son poste du portail, et le duc de Rohan, dťpouillť de ses honneurs usurpťs, laissť tout seul au milieu de l'ťglise, obligť d'ťtablir son habit de pair sur une simple chaise de paille, ŗ nos cŰtťs, comme le plus humble d'entre nous. Les rieurs furent contre monsieur de Rohan, en dťpit des prťjugťs aristocratiques qui lui auraient volontiers donnť prťcťdence sur monsieur Decazes. Ses ridicules ťtaient trop flagrants. Auguste de Chabot, jeune homme qui ne manquait ni d'esprit, ni d'instruction, avait ťtť _presque_ forcť d'Ítre chambellan de l'Empereur. Il se conduisit avec dignitť, convenance et simplicitť ŗ la Cour impťriale. ņ la Restauration, il prit le titre de prince de Lťon et les fumťes de la vanitť lui montŤrent ŗ la tÍte. Il perdit sa femme, mademoiselle de Sťrent, riche hťritiŤre, par un horrible accident, et peu de mois avant [l'ťpoque ŗ] laquelle je suis arrivťe, la mort de son pŤre l'avait mis en possession du titre de duc de Rohan et de la pairie. Ces honneurs, bien prťvus pourtant, achevŤrent de l'enivrer d'orgueil. Il devint le vťritable ťmule du marquis de TuffiŤres. Il portait ses prťtentions aristocratiques jusqu'ŗ l'extravagance. Son ch‚teau de la Roche-Guyon fut dťcorť de tous les emblŤmes de la fťodalitť. Ses gens l'appelaient monseigneur. Il ťtait toujours en habit de pair, et en avait fait adopter le collet et les parements brodťs ŗ une robe de chambre dans laquelle il donnait ses audiences le matin, rappelant ainsi feu le marťchal de Mouchy qui s'ťtait fait faire un cordon bleu en tŰle pour le porter dans son bain. Aussi madame de Puisieux disait-elle, en voyant un portrait fort ressemblant du duc de Rohan: ęOh! c'est bien Auguste; et puis voyez, ajoutait-elle en indiquant un ťcusson de ses armes peint dans le coin du tableau, voyez, voilŗ l'expression de sa physionomie.Ľ Le duc de Rohan vint ťtaler son importance en Angleterre dans l'espoir que son titre lui procurerait la main d'une riche hťritiŤre. Celle de ma belle-soeur avait ťtť demandťe par lui l'annťe prťcťdente et, pour ennoblir cette alliance qui lui paraissait bien un peu indigne de lui, il s'ťtait servi de l'intermťdiaire du Roi. Cet auguste nťgociateur ayant ťchouť auprŤs de mademoiselle DestilliŤres, le duc n'avait plus vu en France de parti assez riche pour aspirer ŗ l'honneur de partager son nom et son rang. Le voyage de spťculation matrimoniale en Angleterre ťtant restť ťgalement sans succŤs, il se dťcida ŗ embrasser l'ťtat ecclťsiastique. Il s'entoura de jeunes prÍtres et fit son sťminaire dans les salons de la Roche-Guyon. Je ne sais comment cela put s'arranger, mais il est avec le ciel des accommodements. Les mauvaises langues prťtendaient que le cťlibat n'imposait pas trop de gÍne ŗ monsieur de Rohan. J'ai su trŤs positivement un fait dont chacun tirera les consťquences qu'il lui plaira. En 1813, Auguste de Chabot, alors chambellan de l'Empereur, d'une jolie figure, plein de talent, dessinant trŤs bien, chantant ŗ ravir, assez spirituel et surtout franÁais arrivant de Paris, obtint ŗ Naples de doux regards de la Reine, femme de Murat et rťgente en l'absence de son mari. Une vive coquetterie s'ťtablit entre eux. Des apartťs, des promenades solitaires, des lettres, des portraits s'ensuivirent. La Reine avait la tÍte tournťe et ne s'en cachait pas. Les choses allŤrent si loin, quoique monsieur de Chabot profess‚t dŤs lors les principes d'une certaine dťvotion ostensible, qu'il reÁut la clef d'une porte dťrobťe conduisant ŗ l'appartement de la Reine. Le moment de l'entrevue fut fixť ŗ la nuit suivante. Auguste s'y rendit. Le lendemain matin, il reÁut un passeport pour quitter Naples dans la journťe. Un messager plus intime vint en mÍme temps lui redemander l'ťlťgante petite boÓte qui contenait la clef. Depuis ce jour, la Reine, qui en paraissait sans cesse occupťe jusque-lŗ, n'a plus prononcť son nom. Monsieur de Chabot n'a jamais pu comprendre le motif de cette disgr‚ce, car il se rendait la justice d'avoir ťtť parfaitement respectueux. Le portrait lui resta, et je l'ai vu entre les mains de la personne confidente de cette intrigue ŗ laquelle il en fit don au moment oý il entra dans les ordres. Quoi qu'il en soit, son choix de l'ťtat ecclťsiastique ne l'empÍcha pas de conserver toutes les habitudes du _dandysme_ le plus outrť; ses recherches de toilette ťtaient sans nombre. Il entama avec la Cour de Rome une longue et vive nťgociation pour faire donner ŗ la chasuble une coupe nouvelle qui lui paraissait ťlťgante. Au reste, il faut reconnaÓtre qu'il disait la messe plus gracieusement qu'aucune autre personne et pourtant trŤs convenablement. Ces ambitions futiles n'arrÍtaient pas les autres. Il devint promptement archevÍque et cardinal; je crois qu'au fond c'ťtait lŗ le secret vťritable de sa vocation. Les carriŤres civiles et militaires se trouvaient encombrťes; il se croyait de la capacitť, avec raison jusqu'ŗ un certain point, et s'ťtait jetť dans celle de l'…glise. Mais j'anticipe; revenons au printemps de 1818. J'avais laissť monsieur de Talleyrand honni au pavillon de Marsan; je le retrouvai dans la plus haute faveur de Monsieur et de son monde. Elle ťclata surtout aux yeux du public ŗ un bal donnť par le duc de Wellington oý les princes assistŤrent. Je me le rappelais l'annťe prťcťdente dans cette mÍme salle, se traÓnant derriŤre les banquettes pour arriver jusqu'ŗ la duchesse de Courlande; elle lui avait rťservť une place ŗ ses cŰtťs oý personne ne vint le troubler. Monsieur le duc d'AngoulÍme, seul de tous les princes, lui adressa quelques mots en passant; mais, cette fois, l'attitude ťtait bien changťe. Il traversait la foule qui s'ťcartait devant lui; les poignťes de main l'accueillaient et le conduisaient droit sur Monsieur; monsieur le duc de Berry s'emparait de cette main si courtisťe pour ne la cťder qu'ŗ Monsieur. Les entours ťtaient ťgalement empressťs. Je n'ai pas suivi le fil de cette intrigue dont le rťsultat se dťployait avec tant d'affectation sous nos yeux. J'ai peine ŗ croire que monsieur de Talleyrand eŻt flattť les voeux de Monsieur qui, ŗ cette ťpoque, dťsirait par-dessus tout le maintien de l'occupation. Monsieur de Talleyrand ťtait trop habile ŗ t‚ter le pouls du pays pour ne pas reconnaÓtre que la fiŤvre d'indťpendance s'accroissait chaque jour et ferait explosion si on ne la prťvenait; mais certainement il s'unissait ŗ toutes les intrigues pour chasser le duc de Richelieu, et c'ťtait lŗ un suffisant motif d'alliance. J'eus encore, ŗ ce bal, occasion de remarquer le peu d'obligeance de nos princes. Le duc de Wellington vint proposer ŗ Madame, vers le milieu de la soirťe, de faire le tour des salles. Il ťtait indiquť de prendre son bras, et tout grand personnage qu'il ťtait il en aurait ťtť flattť. Mais Madame donna le bras ŗ monsieur le duc de Berry, madame la duchesse de Berry ŗ Monsieur (monsieur le duc d'AngoulÍme, selon son usage, ťtait dťjŗ parti) et le duc de Wellington fut rťduit ŗ marcher devant la troupe royale en ťclaireur. Elle arriva ainsi jusqu'ŗ un dernier salon oý Comte (le physicien) faisait des tours. Il lui fallait en ce moment un compŤre souffre-douleur. Il jeta son dťvolu sur monsieur de Ruffo, fils du prince Castelcicala, ambassadeur de Naples, dont la figure niaise prÍtait au rŰle qu'il devait jouer. Il fit trouver des cartes dans ses poches, dans sa poitrine, dans ses chausses, dans ses souliers, dans sa cravate; c'ťtait un dťluge. Les princes riaient aux ťclats, rťpťtant de la voix qu'on leur connaÓt: c'est monsieur de Ruffo, c'est monsieur de Ruffo. Or, ce monsieur de Ruffo ťtait presque de leur intimitť, et pourtant, lorsque le tour fut achevť, ils quittŤrent l'appartement sans lui adresser un mot de bontť, sans faire un petit compliment ŗ Comte dont la rťvťrence le sollicitait, enfin avec une maussaderie qui me crucifiait car j'y prenais encore un bien vif intťrÍt. Peu de semaines avant, j'avais vu chez mon pŤre, ŗ Londres, le prince rťgent, qui pourtant aussi ťtait assez grand seigneur, assister ŗ une reprťsentation de ce mÍme monsieur Comte, et y porter des faÁons bien diffťrentes. Je me suis laissť raconter que rien n'ťtait plus obligeant que la reine Marie-Antoinette. Madame avait repoussť cet hťritage, peut-Ítre avec intention, car la mťmoire de sa mŤre lui ťtait peu chŤre. Toutes ses adorations ťtaient pour son pŤre, et, avec ses vertus, elle avait pris ses formes peu gracieuses. Il y eut vers ce temps une rťvolution bien frappante des sentiments de Madame. Monsieur Decazes retrouva dans les papiers de je ne sais quel terroriste de 1793 le testament autographe de la reine Marie-Antoinette qui, assurťment, fait le plus grand honneur ŗ sa mťmoire. Il le porta au Roi qui lui dit de l'offrir ŗ Madame. Elle le lui remit quelques heures aprŤs, avec la phrase la plus froide possible, sur ce qu'en effet elle reconnaissait l'ťcriture et l'authenticitť de la piŤce. Monsieur Decazes en fit faire des fac-similťs et en envoya un paquet ŗ Madame; elle n'en distribua pas un seul, et tťmoigna plutŰt de l'humeur dans toute cette occurrence. Toutefois ce testament a ťtť gravť dans la chapelle expiatoire de la rue d'Anjou qui se construisait sous son patronage. Si Madame ťtait sťvŤre ŗ la mťmoire de sa mŤre, elle ťtait passionnťment dťvouťe ŗ celle de son pŤre et cette corde de son ‚me vibrait toujours jusqu'ŗ l'exaltation. Comme je sortais du bal du duc de Wellington, je me trouvai auprŤs du duc et de la duchesse de Damas-Crux, ultras forcenťs, qui, comme moi, attendaient leur voiture. …douard de Fitz-James passa; je lui donnai une poignťe de main, puis monsieur Decazes, encore une poignťe de main, puis Jules de Polignac, nouvelle poignťe de main, puis Pozzo, encore plus amicale poignťe de main. ęVous en connaissez de toutes les couleursĽ, me dit le duc de Damas. --Oui, rťpondis-je, ceux qui se proclament les serviteurs du Roi; et ceux qui le servent en effet.Ľ Il ťtait si bÍte qu'il me fit une mine de reconnaissance; mais la duchesse me lanÁa un regard furieux et ne me l'a jamais pardonnť. La famille d'Orlťans, dont les formes affables et obligeantes faisaient un contraste si marquť ŗ celles de la branche aÓnťe, n'assistait pas ŗ ce bal, autant qu'il m'en souvient. Elle ťtait dans la douleur. La petite princesse, nťe en Angleterre, ťtait ŗ toute extrťmitť et mourut, en effet, peu de jours aprŤs. La mort frappait ŗ la fois ŗ deux extrťmitťs de la maison de Bourbon. Le vieux prince de Condť achevait en mÍme temps sa longue carriŤre en invoquant vainement la prťsence de ses enfants pour lui fermer les yeux. J'ai dťjŗ dit la vie qui retenait monsieur le duc de Bourbon sur les trottoirs de Londres. Madame la princesse Louise se refusa ťgalement ŗ adoucir les derniers moments de son pŤre, prťtendant ne pouvoir quitter sa maison du Temple oý elle s'ťtait cloÓtrťe, quoique toutes les autoritťs ecclťsiastiques l'y autorisassent et que le cardinal de Talleyrand, archevÍque de Paris, all‚t lui-mÍme la chercher. Ce sont de ces vertus que je n'ai jamais pu ni comprendre, ni admirer. Monsieur le prince de Condť mourut dans les bras de madame de Rouilly, fille naturelle de monsieur le duc de Bourbon; elle lui prodigua les soins les plus filiaux et les plus tendres. Monsieur le duc de Bourbon arriva quelques heures aprŤs la mort de son pŤre: il parut fort malheureux de n'avoir pu le revoir, et d'autant plus que le vieux prince semblait, dans ses derniers jours, avoir repris la mťmoire qu'il avait perdue depuis quelques annťes et regretter amŤrement l'absence de son fils. Monsieur le duc de Bourbon conserva son nom, disant que celui de Condť ťtait trop lourd ŗ porter. Il s'ťtablit au Palais-Bourbon et ŗ Chantilly oý il ne tarda pas ŗ donner de nouveaux scandales. Le service pour monsieur le prince de Condť ŗ Saint-Denis fut trŤs magnifique; je ne me rappelle plus en quoi on dťrogea aux usages, mais il y eut quelque chose de trŤs marquť, en ce genre, pour honorer plus royalement sa mťmoire. Le roi Louis XVIII affectait de lui rendre plus qu'il n'ťtait dŻ ŗ son rang, selon l'ťtiquette de la Cour de France, peut-Ítre pour marquer encore plus la sťvŤre dťsobligeance avec laquelle il l'imposait ŗ monsieur le duc d'Orlťans. Je me souviens que cet enterrement fut une grande affaire ŗ la Cour. Pendant ce temps, le public et le ministŤre se prťoccupaient du discours. Le pas ťtait glissant; il s'agissait du gťnťral des ťmigrťs. Il ťtait difficile d'aborder ce sujet de maniŤre ŗ satisfaire les uns et les autres; car, si _les uns_ ťtaient au pouvoir, _les autres_ c'ťtait le pays. L'abbť Frayssinous, chargť de l'oraison funŤbre, s'en tira habilement. Je me rappelle entre autres une phrase qui eut grand succŤs. En parlant des deux camps franÁais opposťs l'un ŗ l'autre, il dit: ę_La gloire ťtait partout, le bonheur nulle part_Ľ. En rťsultat, le discours ne dťplut absolument ŗ aucun parti; c'ťtait le mieux qu'on en pŻt espťrer. CHAPITRE XVI Mort de madame de StaŽl. -- Effet de son ouvrage sur la Rťvolution. -- Je retourne ŗ Londres. -- Agents du parti ultra. -- Prťsentation de la note secrŤte. -- Le Roi Űte le commandement des gardes nationales ŗ Monsieur. -- Fureur de Jules de Polignac. -- Conspiration du bord de l'eau. -- CongrŤs d'Aix-la-Chapelle. -- Le duc de Richelieu obtient la libťration du territoire. J'ai nťgligť de parler dans le temps de la mort de madame de StaŽl. Elle avait eu lieu, pendant un de mes sťjours en Angleterre, ŗ la suite d'une longue maladie qu'elle avait traÓnťe le plus tard possible dans ce monde de Paris qu'elle apprťciait si vivement. Elle y faisait peine ŗ voir au commencement des soirťes. Elle arrivait ťpuisťe par la souffrance mais, au bout de quelque temps, l'esprit prenait complŤtement le dessus de l'instinct, et elle ťtait aussi brillante que jamais, comme si elle voulait tťmoigner jusqu'au bout de cette inimitable supťrioritť qui l'a laissťe sans pareille. La derniŤre fois que je la vis, c'ťtait le matin; je partais le lendemain. Depuis quelques jours, elle ne quittait plus son sopha; les taches livides dont son visage, ses bras, ses mains ťtaient couverts n'annonÁaient que trop la dťcomposition du sang. Je sentais la pťnible impression d'un adieu ťternel et sa conversation ne roulait que sur des projets d'avenir. Elle ťtait occupťe de chercher une maison oý sa fille, la duchesse de Broglie, grosse et prÍte d'accoucher, serait mieux logťe. Elle faisait des plans de vie pour l'hiver suivant. Elle voulait rester plus souvent chez elle, donner des dÓners frťquents. Elle dťsignait par avance des habituťs. Cherchait-elle ŗ s'ťtourdir elle-mÍme? Je ne sais; mais le contraste de cet aspect si plein de mort et de ces paroles si pleines de vie ťtait dťchirant; j'en sortis navrťe. Il y avait une trop grande diffťrence d'‚ge et assurťment de mťrite entre nous pour que je puisse me vanter d'une liaison proprement dite avec madame de StaŽl, mais elle ťtait extrÍmement bonne pour moi et j'en ťtais trŤs flattťe. Le mouvement qu'elle mettait dans la sociťtť ťtait prťcisťment du genre qui me plaisait le plus, parce qu'il s'accordait parfaitement avec mes goŻts de paresse. C'ťtait sans se lever de dessus son sopha que madame de StaŽl animait tout un cercle; et cette activitť de l'esprit m'est aussi agrťable que celle du corps me paraÓt assommante. Quand il me faut aller chercher mon plaisir ŗ grands frais, je cours toujours risque de le perdre en chemin. Sans Ítre pour moi une peine de coeur, la mort de madame de StaŽl me fut donc un chagrin. Le dťsespoir de ses enfants fut extrÍme. Ils l'aimaient passionnťment et la rťvťlation faite sur son lit de douleur et dont j'ai dťjŗ parlť n'affaiblit ni leur sentiment ni leurs regrets. Auguste de StaŽl se rendit l'ťditeur d'un ouvrage auquel elle travaillait et qui parut au printemps de 1818. Il produisit un effet dont les rťsultats n'ont pas ťtť sans importance. Pendant l'Empire, la Rťvolution de 1793 et ceux qui y avaient pris part ťtaient honnis. La Restauration ne les avait pas rťhabilitťs et personne ne rťclamait le dangereux honneur d'avoir travaillť ŗ renverser le trŰne de Louis XVI. On aurait vainement cherchť en France un homme qui voulŻt se reconnaÓtre ouvrier en cette oeuvre. Les rťgicides mÍmes s'en dťfendaient; une circonstance fortuite les avait poussťs dans ce prťcipice, et, somme toute, le _petit chat_ (peut-Ítre encore parce qu'il ne savait pas s'en expliquer) se trouvait le seul coupable. Le livre de madame de StaŽl changea tout ŗ coup cette disposition, en osant parler honorablement de la Rťvolution et des rťvolutionnaires. La premiŤre, elle distingua les principes des actes, les espťrances trompťes des honnÍtes gens des crimes atroces qui souillŤrent ces jours nťfastes et ensevelirent sous le sang toutes les amťliorations dont ils avaient cru doter la patrie. Enfin elle releva tellement le nom de rťvolutionnaire que, d'une cruelle injure qu'il avait ťtť jusque-lŗ, il devint presque un titre de gloire. L'opposition ne le repoussa plus. Les libťraux se reconnurent successeurs des rťvolutionnaires et firent remonter leur filiation jusqu'ŗ 1789. Messieurs de Lafayette, d'Argenson, de Thiard, de Chauvelin, de Girardin, etc., formŤrent les anneaux de cette chaÓne. Les Lameth, quoique rťclamant le nom de patriotes de 89, et repoussťs par les ťmigrťs et la Restauration, ne s'ťtaient pas ralliťs ŗ l'opposition antiroyaliste. Ils demeuraient libťraux assez modťrťs, aprŤs avoir servi ŗ l'Empereur avec bien moins de zŤle que ceux dont je viens de citer les noms. Je crois que cet ouvrage posthume de madame de StaŽl a ťtť un funeste prťsent fait au pays et n'a pas laissť de contribuer ŗ rťhabiliter cet esprit rťvolutionnaire dans lequel la jeunesse s'est retrempťe depuis et dont nous voyons les funestes effets. DŤs que le livre de madame de StaŽl en eut donnť l'exemple, les hymnes ŗ la gloire de 1789 ne tarirent plus. Il y a bien peu d'esprits assez justes pour savoir n'extraire que le bon grain au milieu de cette sanglante ivraie. Aussi avons-nous vu depuis encenser jusqu'au nom de Robespierre. Le troisiŤme volume est presque entiŤrement ťcrit par Benjamin Constant; la diffťrence de style et surtout de pensťe s'y fait remarquer. Il est plus amŤrement rťpublicain; les goŻts aristocratiques qui percent toujours ŗ travers le plťbťisme de madame de StaŽl ne s'y retrouvent pas. Une fiŤvre maligne, dont je pensai mourir, me retint plusieurs semaines dans ma chambre. Je n'en sortis que pour soigner ma belle-soeur qui fit une fausse couche de quatre mois et demi et ne laissa pas de nous donner de l'inquiťtude pour elle et beaucoup de regrets pour le petit garÁon que nous perdÓmes. AussitŰt qu'elle fut rťtablie, je retournai ŗ Londres. L'affaire des liquidations, fixťe enfin ŗ seize millions pour les rťclamations particuliŤres, avait fort occupť mon pŤre. Il avait sans cesse vu renaÓtre les difficultťs, qu'il croyait vaincues, sans pouvoir comprendre ce qui y donnait lieu. Une triste dťcouverte expliqua ces retards. La loyautť de monsieur de Richelieu avait dŻ se rťsigner aux roueries inhťrentes aux nťcessitťs gouvernementales. Il s'ťtait apprivoisť depuis mon aventure au sujet du docteur Marshall. Le _cabinet noir_ lui apporta les preuves les plus flagrantes de la faÁon dont monsieur Dudon, commissaire de la liquidation, vendait les intťrÍts de la France aux ťtrangers, ŗ beaux deniers comptants. Des lettres interceptťes, ťcrites ŗ Berlin, et lues ŗ la poste de Paris, en faisaient foi. Le duc de Richelieu chassa monsieur Dudon honteusement; mais, ne pouvant publier la nature des rťvťlations qui justifiaient sa dťmarche, il se fit de monsieur Dudon un ennemi insolent. Devenu, immťdiatement, royaliste de la plus ťtroite observance, monsieur Dudon se donna pour victime de la puretť de ses opinions et n'a pas laissť d'Ítre incommode par la suite. DŤs qu'il eut ťtť remplacť par monsieur Mounier, les affaires marchŤrent. L'intťgritť de celui-ci dťbrouilla ce que l'autre avait volontairement embrouillť. Les liquidations furent promptement rťglťes et la conclusion fut un succŤs pour le gouvernement. C'est ŗ cette occasion que s'est formťe la liaison intime du duc de Richelieu avec monsieur Mounier. ņ mesure que les affaires d'argent s'aplanissaient, l'espoir de notre ťmancipation se rapprochait et les fureurs du parti ultra s'exaspťraient dans la mÍme proportion. Sa niaiserie ťtait ťgale ŗ son intolťrance. Je me souviens qu'avant de quitter Paris j'entendais dťblatťrer contre le gouvernement qui exigeait des capitalistes franÁais 66 d'un emprunt nouveau, tandis qu'il n'avait pu obtenir que 54 l'annťe prťcťdente de messieurs Baring et Cie; faisant crime au ministŤre que le crťdit public se fŻt, en quelques mois, ťlevť de 12 pour 100 sous son administration! Il faut avoir vťcu dans les temps de passion pour croire ŗ de pareilles sottises. Nous vÓmes arriver successivement ŗ Londres plusieurs envoyťs de Monsieur, les Crussol, les Fitz-James, les La Ferronnays, les de Bruges, etc. Mon pŤre ťtait trŤs bien instruit de leur mission; les ministres anglais en ťtaient indignťs. Le duc de Wellington signalait d'avance la faussetť de leurs rapports. Tous venaient reprťsenter la France sous l'aspect le plus sinistre et le plus dangereux pour le monde et rťclamaient la prolongation de l'occupation ťtrangŤre. Le duc de Fitz-James forÁa tellement la mesure que lord Castlereagh lui dit: ęSi ce tableau ťtait exact, il faudrait sur-le-champ rappeler nos troupes, former un cordon autour de la France et la laisser se dťvorer intťrieurement. Heureusement, monsieur le duc, nous avons des renseignements moins effrayants ŗ opposer aux vŰtres.Ľ L'expression de ces messieurs, en parlant de mon pŤre, ťtait que c'ťtait dommage mais qu'il avait passť ŗ l'ennemi. Quel bonheur pour la monarchie, si elle avait ťtť exclusivement entourťe de pareils ennemis! Monsieur de Richelieu, selon eux, avait eu de bonnes intentions mais il ťtait perverti. Quant aux autres ministres, c'ťtaient des gueux et des scťlťrats: messieurs Decazes, Lainť, Pasquier, Molť, Corvetto; il n'y avait rťmission pour personne. ņ mesure que la libťration de la patrie approchait, l'anxiťtť du parti redoublait. Je crois que c'est ŗ cette ťpoque que parut le _Conservateur_. Cette publication hebdomadaire avait pour rťdacteur principal monsieur de Chateaubriand, mais tous les coryphťes parmi les ultras y dťposaient leur bilieuse ťloquence. Cet organe a fait bien du mal au trŰne. Jules de Polignac arriva le dernier en Angleterre; il ťtait porteur de la fameuse _note secrŤte_, oeuvre avouťe et reconnue de Monsieur, quoique monsieur de Vitrolles l'eŻt rťdigťe. Jamais action plus antipatriotique n'a ťtť conseillťe ŗ un prince; jamais prince hťritier d'une couronne n'en a fait une plus coupable. Les cabinets ťtrangers l'accueillirent avec mťpris, et le roi Louis XVIII en conÁut une telle fureur contre son frŤre que cela lui donna du courage pour lui Űter le commandement des gardes nationales du royaume. Depuis longtemps les ministres sollicitaient du Roi de rendre au ministŤre de l'intťrieur l'organisation des gardes nationales et de les remettre sous ses ordres; le Roi en reconnaissait la nťcessitť mais reculait effrayť des cris qu'allait pousser Monsieur. Il avait ťtť, dŤs 1814, nommť commandant gťnťral des gardes nationaux de France. Il avait formť un ťtat-major ŗ son image. Des inspecteurs gťnťraux allaient chaque trimestre faire des tournťes et s'occupaient des dispositions des officiers qui tous ťtaient nommťs par Monsieur et ŗ sa dťvotion. La plupart ťtaient membres de la Congrťgation. Leur correspondance avec Jules de Polignac, premier inspecteur gťnťral, ťtait journaliŤre et sa police s'exerÁait avec activitť et passion. C'ťtait un …tat dans l'…tat, un gouvernement dans le gouvernement, une armťe dans l'armťe. Ce qu'ŗ juste titre on a nommť le _gouvernement occulte_ ťtait alors ŗ son apogťe. L'ordonnance qui Űtait le commandement ŗ Monsieur enlevait au parti une grande portion de son pouvoir en le privant d'une force armťe aussi ťnorme dont il pouvait disposer et qui ne recevait d'ordres que de lui. Jules de Polignac en apprit la nouvelle (car cela avait ťtť tenu fort secret) par ma mŤre qui lui donna le _Moniteur_ ŗ lire. Malgrť sa retenue habituelle, il fut assez peu maÓtre de lui pour prononcer quelques mots, trouvťs si coupables par ma mŤre qu'elle lui dit vouloir aller aussitŰt les rapporter ŗ mon pŤre pour qu'il en donn‚t avis au Roi. Averti de son imprudence, il chercha ŗ les tourner en plaisanterie; mais ne pouvant rťussir ŗ faire prendre le change ŗ ma mŤre, il eut recours ŗ des supplications, qui allŤrent jusqu'aux larmes et aux gťnuflexions, et obtint enfin la parole qu'elle ne rťpťterait pas un propos qu'il assurait n'avoir pas l'importance qu'elle voulait y donner. Je n'ai jamais su prťcisťment les mots. Seulement le nom de monsieur de VillŤle y ťtait mÍlť et j'ai eu lieu de croire que la conspiration, dite du bord de l'eau, dont la rťalitť n'est rťvoquťe en doute par aucune des personnes instruites des affaires ŗ cette ťpoque, cette conspiration, qui avait pour but de faire rťgner Charles X avant que le Ciel eŻt disposť de Louis XVIII, n'ťtait que le commentaire des paroles ťchappťes ŗ la colŤre de Jules. Je n'entre pas dans plus de dťtails sur cet ťvťnement, quoique la plupart des acteurs parmi les conspirateurs, aussi bien que parmi ceux qu'ils devaient attaquer, fussent des personnes avec lesquelles nos relations ťtaient intimes; mais j'ťtais absente lors de la dťcouverte, et le projet remontait si haut que le ministŤre et le Roi ne voulurent pas aller jusqu'ŗ la source. On se borna ŗ l'ťventer sans donner aucune suite aux recherches. Le Roi en conÁut un mortel chagrin et ne laissa pas ignorer ŗ son frŤre qu'il en ťtait instruit. Je ne sais pas si monsieur le duc de Berry ťtait dans le secret; j'espŤre que non. Quant ŗ monsieur le duc d'AngoulÍme, le parti s'en cachait avec plus de soin que d'aucune autre personne. Quoique la sagesse du gouvernement eŻt assoupi le bruit de cette affaire, le parti ultra se trouva un peu gÍnť par cette dťcouverte. Il ťtait en position de garder des mesures avec le pouvoir; il devint, ou du moins chercha ŗ paraÓtre, plus modťrť pendant quelque temps. Cela ne l'empÍcha pas d'avoir au CongrŤs d'Aix-la-Chapelle des agents occupťs ŗ dťjouer auprŤs des ťtrangers les nťgociations du duc de Richelieu. Elles rťussirent cependant et il eut la gloire et le bonheur de signer le traitť qui dťlivrait son pays d'une garnison ťtrangŤre. Sans doute c'ťtait encore ŗ titre onťreux, mais la France pouvait payer les charges qu'elle acceptait; ce qu'elle ne pouvait plus supporter, c'ťtait l'humiliation de n'Ítre pas maÓtresse chez elle. Le respect et la confiance qu'inspirait le caractŤre loyal de monsieur de Richelieu entrŤrent pour beaucoup dans le succŤs de cette nťgociation qui nous combla de joie. Je me rappelle que, le jour oý la signature du traitť fut apprise ŗ Londres, tout le corps diplomatique et les ministres anglais accoururent chez mon pŤre lui faire compliment et partager notre satisfaction. Les hommages pour le duc de Richelieu ťtaient dans toutes les bouches; chacun avait un trait particulier ŗ citer de son honorable habiletť. CHAPITRE XVII Le comte Decazes veut changer de ministŤre. -- Intrigues contre le duc de Richelieu. -- Il donne sa dťmission. -- Le gťnťral Dessolle lui succŤde. -- Mariage de monsieur Decazes. -- Le comte de Sainte-Aulaire. -- Mon pŤre demande ŗ se retirer. -- Il est remplacť par le marquis de La Tour-Maubourg. -- Le Roi est mťcontent de mon pŤre. -- Mes idťes sur la carriŤre diplomatique. -- Une fournťe de pairs. -- Monsieur de Barthťlemy. On devait croire qu'aprŤs ses succŤs d'Aix-la-Chapelle le prťsident du conseil reviendrait ŗ Paris tout-puissant. Il en fut autrement. Les deux oppositions de droite et de gauche se coalisŤrent pour amoindrir le rťsultat obtenu, et le parti ministťriel, sous l'influence de monsieur Decazes, ne se donna que peu de soins pour le montrer dans toute son importance. Monsieur de Richelieu ťtait personnellement l'homme le moins propre ŗ exploiter un succŤs, mais monsieur Decazes s'y entendait fort bien. Dans cette circonstance, il nťgligea de le vouloir. Des intrigues intťrieures dans le sein du ministŤre en furent cause. Monsieur Decazes s'ťtait uni ŗ un parti semi-libťral qui, depuis, a produit ce qu'on a appelť _les doctrinaires_. Ce parti avait longtemps criť contre le ministŤre de la police et il persuada ŗ monsieur Decazes qu'en faisant rťformer ce ministŤre au dťpart des ťtrangers il semblerait n'avoir ťtť crťť que pour un moment de crise et que le Roi ferait un acte habile dont la popularitť rejaillirait sur lui. Monsieur Decazes goŻtait cette pensťe mais ŗ condition, bien entendu, qu'il resterait ministre et ministre influent. Il en parla ŗ monsieur de Richelieu qui adopta l'idťe. Monsieur Lainť, ministre de l'intťrieur, professait sans cesse de son dťsintťressement, de son abnťgation de toute ambition et de son ennui des affaires. Monsieur de Richelieu, qui avait, ŗ cette ťpoque, parfaite confiance en lui et en ses paroles, alla avec la candeur de son caractŤre lui demander de cťder son portefeuille ŗ Decazes qui en avait envie. Monsieur Lainť se mit en fureur contre une telle proposition, et le duc de Richelieu, avec la gaucherie habituelle de sa loyale franchise, s'en alla rapporter ŗ monsieur Decazes qu'il ne fallait plus penser ŗ son projet parce que monsieur Lainť ne voulait pas y consentir. Il reconnaissait bien du reste la convenance de renoncer ŗ avoir un ministŤre spťcial de la police; il avouait tous les inconvťnients que monsieur Decazes signalait ŗ le maintenir, mais il faudrait aviser ŗ un autre moyen de le supprimer. AprŤs avoir donnť ces ťtranges satisfactions ŗ messieurs Decazes et Lainť, il partit pour Aix-la-Chapelle en complŤte sťcuritť des bonnes dispositions de ses collŤgues envers lui. Il put en voir la vanitť au retour. Je ne sais pas au juste les intrigues qu'on fit jouer ni les dťgoŻts dont on l'entoura, mais, ŗ la fin de l'annťe, il dut donner sa dťmission ainsi que messieurs Pasquier, Molť, Lainť et Corvetto. Le gťnťral Dessolle devint le chef ostensible du nouveau cabinet dont monsieur Decazes ťtait le directeur vťritable. Je n'ai jamais pu comprendre que monsieur Decazes n'ait pas senti que le beau manteau de cristal pur, dont la prťsidence de monsieur de Richelieu couvrait son favoritisme, ťtait nťcessaire ŗ la durťe de son crťdit. Il ne pouvait soutenir le poids des haines dirigťes contre lui que sous cette noble et transparente ťgide. Monsieur de Richelieu ne lui enviait en aucune faÁon sa faveur et lui en laissait toute la puissance, toute l'importance, tous les profits et aussi tous les ennuis; car ce n'ťtait pas tout ŗ fait un bťnťfice sans charge de devoir amuser un vieux monarque valťtudinaire tourmentť dans son intťrieur. Monsieur Decazes avait ťpousť depuis quelques mois mademoiselle de Sainte-Aulaire, fille de qualitť riche et ayant par sa mŤre, mademoiselle de Soyecourt, des alliances presque royales. Ces relations flattaient monsieur Decazes et plaisaient au Roi. Aussi ce mariage lui avait ťtť assez agrťable pour qu'il s'en mÍl‚t personnellement, et cette circonstance avait ťtť une occasion de rapprochement avec une nuance d'opposition hostile ŗ laquelle appartenait monsieur de Sainte-Aulaire. Je professe pour celui-ci une amitiť qui dure tantŰt depuis trente ans. Toutefois je dois avouer que, dans les premiers moments de la Restauration, il s'ťtait conduit, au moins, avec maladresse. Il avait successivement reniť Napolťon dont il ťtait chambellan en 1814, et Louis XVIII en 1815, dans les deux villes de Bar-le-Duc et de Toulouse dont il se trouvait prťfet ŗ ces deux ťpoques, d'une maniŤre ostensible et injurieuse qui ne convenait pas mieux ŗ sa position qu'ŗ son caractŤre et ŗ son esprit, un des plus doux et des plus agrťables que je connaisse. Mais il y a des circonstances si ťcrasantes qu'elles trouvent bien peu d'hommes ŗ leur niveau, surtout parmi les gens d'esprit. Les bÍtes s'en tirent mieux parce qu'elles ne les comprennent pas. Sa conduite pendant les Cent-Jours avait jetť monsieur de Sainte-Aulaire dans les rangs de la gauche. Le mariage de monsieur Decazes avec mademoiselle de Sainte-Aulaire, au lieu de rapprocher le ministre du parti aristocratique auquel elle appartenait par sa naissance, l'avait mis dans la sociťtť de l'opposition et lui donnait, fort ŗ tort, une nuance de couleur rťvolutionnaire que les ultras enluminaient de leur palette la mieux chargťe. Je n'oserais pas assurer que leurs cris, sans cesse rťpťtťs, n'eussent exercť, ŗ notre insu, quelque influence mÍme sur nous ŗ Londres. La nouvelle de la retraite de monsieur de Richelieu, ŗ laquelle il ne s'attendait nullement, fut un coup trŤs sensible ŗ mon pŤre. J'ai dťjŗ dit que les affaires importantes de l'ambassade se traitaient entre eux, sans passer par les bureaux, dans des lettres confidentielles et autographes. Mon pŤre n'avait aucun rapport personnel avec monsieur Dessolle et ne pouvait continuer avec lui une pareille correspondance. Il reÁut du nouveau ministre une espŤce de circulaire fort polie dans laquelle, aprŤs force compliments, on l'avertissait que la politique du cabinet ťtait changťe. Mon pŤre avait dťjŗ bien bonne envie de suivre son chef; cette lettre le dťcida. Il rťpondit que sa t‚che ťtait accomplie. Ainsi que le duc de Richelieu, il avait cru devoir rester ŗ son poste jusqu'ŗ la retraite complŤte des ťtrangers, les nťgociations entamťes devant, autant que possible, Ítre conduites par les mÍmes mains, mais qu'une nouvelle Ťre semblant commencer dans un autre esprit, il profitait de l'occasion pour demander un repos que son ‚ge rťclamait. Nous fŻmes charmťes, ma mŤre et moi, de cette dťcision. La vie diplomatique m'ťtait odieuse, et ma mŤre ne pouvait supporter la sťparation de mon frŤre. D'ailleurs, nous nous apercevions que le travail auquel il s'ťtait consciencieusement astreint fatiguait trop mon pŤre. Sa bonne judiciaire conservait toute sa force primitive, mais dťjŗ nous remarquions que sa mťmoire faiblissait. Lorsqu'un homme a ťtť depuis l'‚ge de trente ans jusqu'ŗ soixante hors des affaires et qu'il y rentre, ou il les fait trŤs mal, ou bien elles l'ťcrasent. C'est ce qui arrivait ŗ mon pŤre. Monsieur Dessolle lui rťpondit en l'engageant ŗ revenir sur sa dťcision, mais il y persista. Ce n'ťtait pas, disait-il, avec l'intention de refuser son assentiment au gouvernement du Roi, mais dans la pensťe qu'un ambassadeur nouvellement nommť serait mieux placť vis-ŗ-vis du cabinet anglais qu'un homme qui semblerait appelť ŗ se contredire lui-mÍme. Une nťgociation, par exemple, ťtait ouverte pour obtenir du roi des Pays-Bas d'expulser de Belgique le nid de conspirateurs d'oý ťmanaient les brochures et les agitateurs qui troublaient le royaume. Monsieur Decazes mettait la plus grande importance ŗ son succŤs et en parlait quotidiennement au duc de Richelieu qui, pressť par lui, rťclamait les bons offices du cabinet anglais. Un des premiers soins du ministŤre Dessolle fut d'adresser des remerciements au roi de Hollande pour la noble hospitalitť qu'il exerÁait envers des rťfugiťs qu'on espťrait voir bientŰt rapporter leurs lumiŤres et leurs talents dans la patrie. La copie de cette piŤce fut produite ŗ mon pŤre par lord Castlereagh, en rťponse ŗ une note qu'il avait passťe d'aprŤs les anciens documents. Cela ťtait peut-Ítre sage, mais il fallait un nouveau nťgociateur pour une nouvelle politique. Il y eut encore une rťponse de monsieur Dessolle qui semblait disposť, plus qu'il ne se l'ťtait d'abord proposť, ŗ suivre les traces de son prťdťcesseur; mais mon pŤre avait annoncť ses projets de retraite ŗ Londres, et, malgrť toutes les obligeantes sollicitations du Rťgent et de ses ministres, il resta inflexible. Le marquis de La Tour-Maubourg fut nommť pour le remplacer. Avec la franchise de son caractŤre, mon pŤre s'occupa tout de suite activement de lui prťparer les voies, de faÁon ŗ rendre la position du nouvel ambassadeur la meilleure possible, dans les affaires et dans la sociťtť. Monsieur de La Tour-Maubourg, qui est aussi ťminemment loyal, ressentit vivement ces procťdťs et en a toujours conservť une sincŤre reconnaissance. Mon pŤre y ajouta un autre service, car, de retour ŗ Paris et n'y ayant plus d'intťrÍt personnel, il dťmontra clairement que l'ambassade de Londres n'ťtait pas suffisamment payťe et fit augmenter de soixante mille francs le traitement de son successeur. Si monsieur de La Tour-Maubourg ťtait touchť des procťdťs de mon pŤre, monsieur Dessolle, en revanche, ťtait piquť de son retour, et monsieur Decazes en ťtait assez blessť pour avoir irritť le roi Louis XVIII contre lui. Le favori n'avait pas tout ŗ fait tort. La retraite d'un homme aussi considťrť que mon pŤre et qui avait jusque-lŗ marchť dans les mÍmes voies pouvait s'interprťter comme une rupture, et, malgrť l'extrÍme modťration des paroles de mon pŤre et de sa famille, les ennemis de monsieur Decazes ne manquŤrent pas de s'emparer de ce prťtexte pour en profiter contre lui. Quelques semaines s'ťtaient ťcoulťes dans les pourparlers entre mon pŤre et le ministre. Quoique sa dťmission eŻt suivi immťdiatement celle de monsieur de Richelieu, elle ne fut acceptťe qu'ŗ la fin de janvier 1819. Je partis aussitŰt pour Paris afin d'y prťparer les logements. Je trouvai le Roi fort exaspťrť et disant que, jusqu'ŗ cette heure, il avait cru que les ambassadeurs accrťditťs par lui le reprťsentaient, mais que le marquis d'Osmond aimait mieux ne reprťsenter que monsieur de Richelieu. On voit que le pŤre de la Charte n'avait pas encore tout ŗ fait dťpouillť le petit-fils de Louis XIV et tenait le langage de Versailles. Il aurait probablement mieux apprťciť la conduite de mon pŤre si elle avait ťtť agrťable au favori. Celui-ci, au reste, m'accueillit avec une bienveillance que j'ai eu lieu de croire peu sincŤre. Non seulement mon pŤre, qu'on avait comblť d'ťloges pendant tout le cours de son ambassade, ne reÁut aucune marque de satisfaction, mais il eut mÍme beaucoup de peine ŗ obtenir la pension de retraite ŗ laquelle il avait un droit acquis et indisputable, sous prťtexte que les fonds ťtaient absorbťs. Au reste, il ne fut pas seul ŗ souffrir le _ben servire e non gradire_: les ministres sortants, et surtout monsieur de Richelieu, firent une riche moisson d'ingratitude, ŗ la Cour, aux Chambres et jusque dans le public. Monsieur et Madame me traitŤrent avec plus de bontť que de coutume lorsque j'allai faire ma cour ŗ mon arrivťe de Londres. Monsieur le duc de Berry voulut me faire convenir que mon pŤre quittait la partie parce qu'enfin il la voyait entre les mains des Jacobins. Je m'y refusai absolument, me retranchant sur son ‚ge qui rťclamait le repos, sur la convenance de quitter les affaires lorsque l'oeuvre de la libťration du territoire ťtait accomplie, et sur la santť de ma mŤre. Le prince insista vainement et m'en tťmoigna un peu d'humeur, mais pourtant avec son amitiť accoutumťe. Quant aux autres, lorsqu'ils virent qu'aucune de nos allures n'ťtait celles de l'opposition et que, dans la Chambre des pairs, mon pŤre votait avec le ministŤre, ils renoncŤrent ŗ leurs gracieusetťs et rentrŤrent dans leur froideur habituelle. Ma mŤre ťtait tombťe dangereusement malade ŗ Douvres et nous donna de vives inquiťtudes. Elle put enfin passer la mer et nous nous trouv‚mes rťunis ŗ Paris ŗ notre trŤs grande joie. Mon pŤre ne tarda pas ŗ ťprouver un peu de l'ennui qui atteint toujours les hommes ŗ leur sortie de l'activitť des affaires. Son bon esprit et son admirable caractŤre en triomphŤrent promptement. Il n'y a pas de situation plus propre ŗ faire naÓtre ce genre de regret que celle d'un ambassadeur rentrant dans la vie privťe. Toutes ses relations sont rompues; il est ťtranger aux personnes influentes de son pays; il n'est plus au courant de ces petits dťtails qui occupent les hommes au pouvoir, car, aprŤs tout, le commťrage rŤgne parmi eux comme parmi nous; il s'est accoutumť ŗ attacher du prix aux distinctions de sociťtť, et elles lui manquent toutes ŗ la fois. Il n'y a pas de mťtier plus maussade ŗ mon sens, oý l'on joue plus complŤtement le rŰle de l'‚ne chargť de reliques et oý les honneurs qu'on reÁoit soient plus indťpendants de toute estime, de toute valeur, de toute considťration personnelle. Je sais qu'il est convenu de regarder cette carriŤre comme la plus agrťable, surtout lorsqu'on arrive au rang d'ambassadeur. Je ne l'ai connue que dans cette phase et je la proclame dťtestable. Lorsqu'on a veillť la nuit pour rendre compte des travaux du jour et qu'on a rťussi dans une nťgociation difficile, ťpineuse, souvent entravťe par des instructions maladroites tout l'honneur en revient au ministre qui, dans la phrase entortillťe de quelque dťpÍche, vous a laissť deviner ses intentions, prťcisťment assez pour pouvoir vous dťsavouer si vous ťchouez. En revanche, si l'affaire manque et s'ťbruite, on hausse les ťpaules et vous Ítes proclamť maladroit d'autant plus facilement que, le secret ťtant la premiŤre loi du mťtier, vous ne pouvez rien apporter pour votre justification. J'ai vu la carriŤre diplomatique sous son plus bel aspect, puisque mon pŤre, occupant la premiŤre ambassade, y a joui de la confiance entiŤre de son cabinet et d'une grande faveur prŤs de celui de Londres, et pourtant je la proclame, je le rťpŤte, une des moins agrťables ŗ suivre. Je comprends qu'un homme politique, dans les convenances duquel une absence peut se trouver entrer momentanťment, aille passer quelques mois avec un caractŤre diplomatique dans une Cour ťtrangŤre. Rien n'est plus mauvais pour les affaires du pays que de pareils ambassadeurs qui s'occupent de toute autre chose; mais j'admets l'agrťment de cette espŤce d'exil. Il ne faut pas toutefois s'y rťsigner trop longtemps, car aucun genre d'absence n'enlŤve plus promptement et plus complŤtement la clientŤle. Nous avons vu monsieur de Serre, le premier orateur de la Chambre, ne pouvoir Ítre renommť dťputť aprŤs avoir ťtť deux ans ambassadeur ŗ Naples et en mourir de chagrin. Certainement, s'il avait passť ces deux annťes ŗ la campagne chez lui, dans une retraite absolue, son ťlection n'aurait pas ťtť contestťe et sa carriŤre d'homme politique serait restťe bien plus entiŤre. Je parle ici pour les hommes ŗ ambition politique, car ceux qui ne veulent que des places et des appointements ont ťvidemment avantage ŗ prťfťrer l'ambassade ŗ la retraite; mais aussi, s'ils prolongent leur absence, ils reviennent, au bout de leur carriŤre, achever dans leur patrie une vie dťpourvue de tout intťrÍt, ťtrangers ŗ leur famille, isolťs de tout intimitť et ne s'ťtant formť aucune des habitudes qui, dans l'‚ge mŻr, supplťent aux goŻts de la jeunesse. Plus le pays auquel on appartient prťsente de sociabilitť, plus ces inconvťnients sont rťels. Cela est surtout sensible pour les franÁais qui vivent en coteries formťes par les sympathies encore plus que par les rapports de rang ou les alliances de famille. Rien n'est plus solide que ces liens et rien n'est plus fragile. Ils sont de verre. Ils peuvent durer ťternellement, un rien peut les briser. Ils ne rťsistent guŤre ŗ une absence prolongťe. On s'aime toujours beaucoup, mais on ne s'entend plus. On croit qu'on aura grande joie ŗ se revoir, et la rťunion amŤne le refroidissement, car on ne parle plus la mÍme langue, on ne s'intťresse plus aux mÍmes choses. En un mot, on ne se devine plus. Le lien est brisť. Les franÁais ont si bien l'instinct de ce mouvement de la sociťtť que nous voyons nos diplomates empressťs de venir frťquemment s'y retremper; et, de tous les europťens, ce sont ceux qui rťsident le moins constamment dans les Cours oý ils sont accrťditťs. Ces rťflexions, je les faisais alors aussi bien qu'ŗ prťsent, et j'eus pleine satisfaction ŗ me retrouver _Gros-Jean comme devant_. Notre _parti pris_ de n'Ítre point hostiles au nouveau ministŤre reÁut un ťchec par la dťcision de monsieur Decazes de nommer une fournťe de soixante pairs (6 mars 1819). Ce n'est pas aprŤs avoir retrempť mon ťducation britannique, pendant trois annťes, dans les brouillards de Londres que je pouvais envisager de sang-froid une pareille mesure. Mon pŤre exigeait mon silence, mais il partageait la pensťe que c'ťtait un coup mortel ŗ la pairie. Il a portť ses fruits, car il ne serait pas bien difficile de rattacher la destruction de l'hťrťditť ŗ la crťation de ces ťnormes fournťes dont Decazes a donnť le premier exemple. La liste de 1815, quoique trŤs nombreuse, porte un caractŤre tout ŗ fait diffťrent. Il s'agissait de fonder l'institution et non pas de forcer une majoritť. Les nominations de 1819 eurent lieu ŗ l'occasion d'une proposition faite par monsieur de Barthťlemy pour la rťvision de la loi d'ťlection, loi dont M. Decazes lui-mÍme demanda le rappel peu de mois aprŤs. Je ne me suis jamais expliquť comment on ťtait parvenu ŗ obtenir de monsieur de Barthťlemy d'attacher le grelot. Lorsqu'il s'aperÁut, ŗ la fin, de tout le bruit qu'il faisait, il pensa en tomber ŗ la renverse. La mÍme chose lui ťtait arrivťe lorsque, presque ŗ son insu, il s'ťtait trouvť directeur de la Rťpublique. La chute avait ťtť plus rude ŗ cette occasion puisqu'elle l'avait envoyť sur les plages insalubres de la Guyane. Je l'ai beaucoup connu et je n'ai jamais compris ces deux circonstances de sa vie. C'ťtait le plus honnÍte homme du monde, le plus probe. Il avait de l'esprit et des connaissances, une conversation facile et quelquefois piquante; mais il ťtait timide, mťticuleux, circonspect. Il avait toujours l'inquiťtude de dťplaire et surtout le besoin de se mettre ŗ la remorque et de se cacher derriŤre les autres. Jamais homme n'a ťtť moins propre ŗ jouer un rŰle ostensible et n'a eu moins d'ambition. Loin de tirer importance d'avoir ťtť _un cinquiŤme de roi_, il ťtait importunť qu'on s'en souvÓnt. Lorsque ce qu'on appela la _proposition Barthťlemy_ fit une si terrible explosion dans la Chambre et dans le public, il en fut consternť. Je l'ai vu ťpouvantť de faire tout ce vacarme au point d'en tomber sťrieusement malade. Au reste, ce sont de ces ťvťnements dont on s'occupe fort pour un moment et qui laissent moins de trace dans le souvenir qu'ils n'en mťritent peut-Ítre, car souvent ils ont portť le germe d'une catastrophe que d'autres ťvťnements, ťgalement oubliťs, ont mŻrie jusqu'ŗ ce qu'une derniŤre circonstance la fasse ťclore tout ŗ coup. Nous eŻmes un remaniement du ministŤre avant la fin de l'annťe. Monsieur Pasquier devint ministre des affaires ťtrangŤres. C'ťtait rentrer dans les errements du cabinet Richelieu, et mon pŤre en fut d'autant moins disposť ŗ s'enrŰler sous les drapeaux ultras. Monsieur Roy arriva aux finances et monsieur de La Tour-Maubourg eut le portefeuille de la guerre. Il dťploya dans cette nouvelle position la mÍme honnÍtetť, la mÍme probitť, la mÍme incapacitť qu'il avait portťes ŗ Londres. Mes frťquents voyages en Angleterre m'avaient empÍchťe d'aller en Savoie. Je profitai de l'ťtť de 1819 pour faire une visite ŗ monsieur de Boigne et prendre les eaux d'Aix. Au commencement de l'hiver, je vins m'ťtablir avec mes parents dans une maison que j'avais louťe dans la rue de Bourbon. C'est lŗ oý j'ai passť les dix annťes qui ont prťparť et amenť la chute de cette Restauration que j'avais appelťe de voeux si ardents et vu commencer avec des espťrances si riantes. TABLE DES MATI»RES CINQUI»ME PARTIE 1815 CHAPITRE I Sťjour en Piťmont. -- Restauration de 1815. -- Passage ŗ Lyon. -- Marion. -- Arrivťe ŗ Turin. -- Dispositions du Roi. -- Son gouvernement. -- Le cabinet d'ornithologie. -- Le comte de Roburent. -- Les _Biglietto regio_. -- La sociťtť. -- Le lustre. -- Les loges. -- Le thť‚tre. -- L'Opťra. -- Dťtail de moeurs. -- Le marquis del Borgo. 1 CHAPITRE II Les visites ŗ Turin. -- Le comte et la comtesse de Balbe. -- Monsieur DauzŤre. -- Le prince de Carignan. -- Le corps diplomatique. -- Le gťnťral Bubna. -- Ennui de Turin. -- Aspect de la ville. -- Appartements qu'on y trouve. -- Rťunion de GÍnes au Piťmont. -- DÓner donnť par le comte de Valese. -- Jules de Polignac. 17 CHAPITRE III Rťvťlation des projets bonapartistes. -- Voyage ŗ GÍnes. -- Expťrience des fusťes ŗ la congrŤve. -- La princesse Grassalcowics. -- L'empereur Napolťon quitte l'Óle d'Elbe. -- Il dťbarque en France. -- Officier envoyť par le gťnťral Marchand. -- Dťclaration du 13 mars. -- Mon frŤre la porte ŗ monsieur le duc d'AngoulÍme. -- La duchesse de Lucques. 30 CHAPITRE IV La princesse de Galles. -- FÍte donnťe au roi Murat. -- Audience de la princesse. -- Notre situation est pťnible. -- Message de monsieur le duc d'AngoulÍme. -- Inquiťtudes pour mon frŤre. -- Marche de Murat. -- Il est battu ŗ Occhiobello. -- L'abbť de Janson. -- Henri de Chastellux. 42 CHAPITRE V Retour ŗ Turin. -- Monsieur de La BťdoyŤre. -- Marche de Cannes. -- L'empereur Napolťon. -- Exposition du Saint-Suaire. -- Retour de Jules de Polignac. -- Il est fait prisonnier ŗ Montmťlian. -- Prise d'un rťgiment ŗ Aiguebelle. -- Conduite du gťnťral Bubna. -- Haine des piťmontais contre les autrichiens. -- Espťrances du roi de Sardaigne. 52 CHAPITRE VI Rťponse de mon pŤre au premier chambellan du duc de ModŤne. -- Conduite du marťchal Suchet ŗ Lyon. -- Conduite du marťchal Brune ŗ Toulon. -- Catastrophe d'Avignon. -- Expulsion des franÁais rťsidant en Piťmont. -- Je quitte Turin. -- …tat de la Savoie. -- Passage de Monsieur ŗ Chambťry. -- FÍte de la Saint-Louis ŗ Lyon. -- Pťnible aveu. -- Gendarmes rťcompensťs par l'Empereur. -- Les soldats de l'armťe de la Loire. -- Leur belle attitude. 64 CHAPITRE VII Madame de La BťdoyŤre. -- Son courage. -- Son dťsespoir. -- Sa rťsignation. -- La comtesse de KrŁdener. -- Elle me fait une singuliŤre rťception. -- Rťcit de son arrivťe ŗ Heidelberg. -- Son influence sur l'empereur Alexandre. -- Elle l'exerce en faveur de monsieur de La BťdoyŤre. -- Saillie de monsieur de Sabran. -- Pacte de la Sainte-Alliance. -- Soumission de Benjamin Constant ŗ madame de KrŁdener. -- Son amour pour madame Rťcamier. -- Sa conduite au 20 mars. -- Sa lettre au roi Louis XVIII. 76 CHAPITRE VIII Exigences des ťtrangers en 1815. -- Dispositions de l'empereur Alexandre au commencement de la campagne. -- Jolie rťponse du gťnťral Pozzo ŗ Bernadotte. -- Conduite du duc de Wellington et du gťnťral Pozzo. -- …tonnement de l'empereur Alexandre. -- Sťjour du Roi et des princes en Belgique. -- …nergie d'un soldat. -- Obligeance du prince de Talleyrand. -- Le duc de Wellington dťpouille le musťe. -- Le salon de la duchesse de Duras. -- Mort d'Hombert de La Tour du Pin. -- Chambre dite introuvable. -- Dťmission de monsieur de Talleyrand. -- Mon pŤre est nommť ambassadeur ŗ Londres. -- Le duc de Richelieu. -- Rťvťlation du docteur Marshall. -- Visite au duc de Richelieu. -- Dťsobligeante rťception. -- Son excuse. 89 CHAPITRE IX Nobles adieux de l'empereur Alexandre au duc de Richelieu. -- Sentiments patriotiques du duc. -- Ridicules de monsieur de Vaublanc. -- Arrivťe de mon pŤre ŗ Paris. -- ProcŤs du marťchal Ney. -- Son exťcution. -- Exaltation du parti royaliste. -- ProcŤs de monsieur de La Valette. -- Madame la duchesse d'AngoulÍme s'engage ŗ demander sa gr‚ce. -- On l'en dťtourne. -- Dťmarches faites par le duc de Raguse. -- Il fait entrer madame de La Valette dans le palais. -- Sa disgr‚ce. -- Fureur du parti royaliste ŗ l'ťvasion de monsieur de La Valette. 108 CHAPITRE X FÍtes donnťes par le duc de Wellington. -- Monsieur le duc d'AngoulÍme. -- Refus d'une grande-duchesse pour monsieur le duc de Berry. -- On se dťcide pour une princesse de Naples. -- Traitement d'une ambassadrice d'Angleterre. -- Faveur de monsieur Decazes. -- Monsieur de Polignac refuse de prÍter serment comme pair. -- Mot de monsieur de Fontanes. -- Sťjour de la famille d'Orlťans en Angleterre. -- Demande de madame la duchesse d'Orlťans douairiŤre au marquis de RiviŤre. 119 SIXI»ME PARTIE L'ANGLETERRE ET LA FRANCE (1816 ŗ 1820) CHAPITRE I Retour en Angleterre. -- Aspect de la campagne. -- Londres. -- Concert ŗ la Cour. -- Ma prťsentation. -- La reine Charlotte. -- …gards du prince rťgent pour elle. -- La duchesse d'York. -- La princesse Charlotte de Galles. -- Miss Mercer. -- Intrigue dťjouťe par le prince Lťopold de Saxe-Cobourg. -- La marquise d'Hertford. -- Habitudes du prince rťgent. -- DÓners ŗ Carlton House. 133 CHAPITRE II Le corps diplomatique. -- La comtesse de Lieven. -- La princesse Paul Esterhazy. -- Vie des femmes anglaises. -- Leur enfance. -- Leur jeunesse. -- Leur ‚ge mŻr. -- Leur vieillesse. -- Leur mort. -- Sort des veuves. 146 CHAPITRE III Indťpendance du caractŤre des anglais. -- DÓner chez la comtesse Dunmore. -- Jugement portť sur lady George Beresford. -- Salon des grandes dames. -- Comment on comprend la sociťtť en Angleterre et en France. -- Bal donnť chez le marquis d'Anglesey. -- Lady Caroline Lamb. -- Mariage de monsieur le duc de Berry. -- Rťponse du prince de Poix. 155 CHAPITRE IV La famille d'Orlťans ŗ Twickenham. -- Espionnage exercť contre elle. -- Division entre le roi Louis XVIII et monsieur le duc d'Orlťans ŗ Lille en 1815. -- Intťrieur de Twickenham. -- Mots de la princesse Marie. -- La comtesse de Vťrac. -- Naissance d'une princesse d'Orlťans. -- La comtesse Mťlanie de Montjoie. -- Le baron de Montmorency. -- Le comte Camille de Sainte-Aldegonde. -- Le baron Athalin. -- Monsieur le duc de Bourbon. -- La princesse Louise de Condť. 164 CHAPITRE V Lord Castlereagh. -- Lady Castlereagh. -- Cray Farm. -- Dťvouement de lady Castlereagh pour son mari. -- Accident et prudence. -- Soupers de lady Castlereagh. -- Partie de campagne chez lady Liverpool. -- Ma toilette ŗ la Cour de la Reine. -- Beautť de cette assemblťe. -- BaptÍme de la petite princesse d'Orlťans. -- La princesse de Talleyrand. -- Elle consent ŗ se sťparer du prince de Talleyrand. -- La comtesse de Pťrigord. -- La duchesse de Courlande. -- La princesse Tyszkiewicz. -- Mariage de Jules de Polignac. 172 CHAPITRE VI Ordonnance qui casse la Chambre. -- Rťflexion de la vicomtesse de Vaudreuil ŗ ce sujet. -- Nťgociation avec les ministres anglais. -- Opposition du duc de Wellington. -- Embarras pour fonder le crťdit. -- Mon retour ŗ Paris. -- Exaltation des partis. -- Brochure de monsieur Guizot. -- Regrets d'une femme du parti ultra-royaliste. -- Monsieur Lainť qualifiť de bonnet rouge. -- Griefs des royalistes. -- Licenciement des corps de la maison du Roi. -- Le colonel Pothier et monsieur de Girardin. -- Les quasi-royalistes. -- Soirťe chez madame de Duras. -- La coterie dite _le ch‚teau_. -- Monsieur de Chateaubriand veut quitter la France. -- Il vend le Val du Loup au vicomte de Montmorency. -- Propos tenu par le prince de Poix ŗ monsieur Decazes. 185 CHAPITRE VII Nťgociations pour un emprunt. -- Ouvrard va en Angleterre. -- Il amŤne monsieur Baring chez mon pŤre. -- Confťrence avec lord Castlereagh. -- Arrivťe de messieurs Baring et LabouchŤre ŗ Paris. -- Espťrances trompťes. -- DÓner chez la marťchale Moreau. -- Brochure de Salvandy. -- Influence du gťnťral Pozzo sur le duc de Wellington. -- Soirťe chez la duchesse d'Escars. -- Monsieur Rubichon. -- L'emprunt ťtant conclu, l'opposition s'en plaint. 198 CHAPITRE VIII Madame la duchesse de Berry. -- La duchesse de Reggio. -- Le mariage de mon frŤre avec mademoiselle DestilliŤres est convenu. -- ScŤne aux Tuileries. -- Le Roi en est malade. -- Le _Manuscrit de Sainte-HťlŤne_. -- Lectures chez mesdames de Duras et d'Escars. -- SuccŤs de cette publication apocryphe. 208 CHAPITRE IX Monsieur de VillŤle. -- Intrigue de Cour pour ramener monsieur de Blacas. -- La duchesse de Narbonne. -- Martin et la soeur Rťcolette. -- Arrivťe de monsieur de Blacas. -- Dťjeuner aux Tuileries. -- La petite chienne de Madame. -- Sagesse de monsieur le duc d'AngoulÍme. -- Agitation des courtisans. -- Trouble de monsieur Molť. -- Bonne contenance de monsieur Decazes. -- Dťlais multipliťs de monsieur de Blacas. -- Il est congťdiť par le Roi. 218 CHAPITRE X Faveur de monsieur Decazes. -- Son genre de flatterie. -- Affaires de Lyon. -- Le duc de Raguse apaise les esprits. -- Discours de monsieur Laffitte. -- Monsieur le duc d'Orlťans revient ŗ Paris. -- Histoire inventťe sur ma mŤre. -- Ma colŤre. -- Arrivťe de toute la famille d'Orlťans. -- Dťjeuner au Palais-Royal. -- Calomnies absurdes. 229 CHAPITRE XI Tom Pelham. -- Inauguration du pont de Waterloo. -- DÓner ŗ Claremont. -- Maussaderie de la princesse Charlotte. -- Son obligeance. -- Un nouveau caprice. -- Conversation avec elle. -- Mort de cette princesse. -- Affliction gťnťrale. -- CaractŤre de la princesse Charlotte. -- Ses goŻts, ses habitudes. -- Suicide de l'accoucheur. -- Singulier conseil de lord Liverpool. -- Maxime de lord Sidmouth. 236 CHAPITRE XII Le roi de Prusse veut ťpouser Georgine Dillon. -- Rupture de ce mariage. -- Dťsobligeance du roi Louis XVIII pour les Orlťans. -- Il la tťmoigne en diverses occasions. -- Irritation qui en rťsulte. -- Le comte de La Ferronays. -- Son attachement pour monsieur le duc de Berry. -- Madame de Montsoreau et la layette. -- ScŤne entre monsieur le duc de Berry et monsieur de La Ferronnays. -- Irritation de la famille royale. -- Madame de Gontaut nommťe gouvernante. -- Conseils du prince Castelcicala. -- Madame de Noailles. 249 CHAPITRE XIII Je refuse d'aller chez une devineresse. -- Aventure du chevalier de Mastyns. -- …lections de 1817. -- Le parti royaliste sous l'influence de monsieur de VillŤle. -- Le duc de Broglie et Benjamin Constant. -- Monsieur de Chateaubriand appelle l'opposition de gauche _les libťraux_. -- Mariage de mon frŤre. -- Visite ŗ Brighton. -- Soigneuse hospitalitť du prince rťgent. -- Usages du pavillon royal. -- Rťcit d'une visite du Rťgent au roi George III. -- Dťjeuner sur l'escalier. -- Le grand-duc Nicolas ŗ Brighton. 259 CHAPITRE XIV Je fais naufrage sur la cŰte entre Boulogne et Calais. -- Effet de cet accident. -- Excellent propos de Monsieur. -- SinguliŤre conversation de Monsieur avec …douard Dillon. -- La loi de recrutement. -- Les pairs ayant des charges chez le Roi votent contre le ministŤre. -- Rťponse de monsieur Canning ŗ ce sujet. -- Le Pape et monsieur de Marcellus. 272 CHAPITRE XV Coup de pistolet tirť au duc de Wellington. -- On trouve l'assassin. -- Inquiťtude de Monsieur sur la retraite des ťtrangers. -- Agitation dans les esprits. -- TťnŤbres ŗ la chapelle des Tuileries. -- Le duc de Rohan ŗ Saint-Sulpice. -- Ses ridicules. -- Le duc de Rohan se fait prÍtre. -- Une aventure ŗ Naples. -- Faveur du prince de Talleyrand. -- Bal chez le duc de Wellington. -- Testament de la reine Marie-Antoinette. -- Mort de la petite princesse d'Orlťans, nťe ŗ Twickenham. -- Mort de monsieur le prince de Condť. -- Son oraison funŤbre. 281 CHAPITRE XVI Mort de madame de StaŽl. -- Effet de son ouvrage sur la Rťvolution. -- Je retourne ŗ Londres. -- Agents du parti ultra. -- Prťsentation de la note secrŤte. -- Le Roi Űte le commandement des gardes nationales ŗ Monsieur. -- Fureur de Jules de Polignac. -- Conspiration du bord de l'eau. -- CongrŤs d'Aix-la-Chapelle. -- Le duc de Richelieu obtient la libťration du territoire. 293 CHAPITRE XVII Le comte Decazes veut changer de ministŤre. -- Intrigues contre le duc de Richelieu. -- Il donne sa dťmission. -- Le gťnťral Dessolle lui succŤde. -- Mariage de monsieur Decazes. -- Le comte de Sainte-Aulaire. -- Mon pŤre demande ŗ se retirer. -- Il est remplacť par le marquis de La Tour-Maubourg. -- Le Roi est mťcontent de mon pŤre. -- Mes idťes sur la carriŤre diplomatique. -- Une fournťe de pairs. -- Monsieur de Barthťlemy. 302 CHARTRES.--IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT. End of the Project Gutenberg EBook of Rťcits d'une tante (Vol. 2 de 4), by Louise-Elťonore-Charlotte-Adťlaide d'Osmond, comtesse de Boigne *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK R…CITS D'UNE TANTE (VOL. 2 DE 4) *** ***** This file should be named 32348-8.txt or 32348-8.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: https://www.gutenberg.org/3/2/3/4/32348/ Produced by Mireille Harmelin and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the BibliothŤque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) and Internet Archive. Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. Creating the works from public domain print editions means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. 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98,807 words • 1646h 47m read

— End of Récits d'une tante (Vol. 2 de 4) - Mémoires de la Comtesse de Boigne, née d'Osmond —

Book Information

Title
Récits d'une tante (Vol. 2 de 4) - Mémoires de la Comtesse de Boigne, née d'Osmond
Author(s)
Boigne, Louise-Eléonore-Charlotte-Adélaide d'Osmond, comtesse de
Language
French
Type
Text
Release Date
May 12, 2010
Word Count
98,807 words
Library of Congress Classification
DC
Bookshelves
FR Biographie, Mémoires, Journal intime, Correspondance, FR Femmes, Browsing: Biographies, Browsing: Culture/Civilization/Society, Browsing: History - European
Rights
Public domain in the USA.